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Blog de Jean-Claude Grosse

agoras

Trotskisme, de Lambert à Mélenchon

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #agoras, #SEL

couverture de 68, et après de Benjamin Stora

couverture de 68, et après de Benjamin Stora

68, et après

Les héritages égarés

Benjamin Stora

collection un ordre d'idées, Stock

 

Après avoir lu et commenté La dernière génération d'octobre, consacré aux années de militance de Benjamin Stora au sein de l'OCI devenue PCI (le parti trotskiste dit lambertiste), j'ai apprécié que l'auteur poursuive son bilan en reprenant son parcours, pouvant ainsi comparer avec mon propre bilan puisque j'ai passé presque 12 ans au PCI (dans le nord, puis à Toulon). Benjamin Stora a occupé des fonctions importantes dans l'appareil du PCI, ça n'a pas été mon cas. Il a quitté le PCI vers 1985 pour aller vers le PS avec Cambadélis qu'il avait recruté via l'AJS, entraînant derrière eux, dans ce mouvement, 400 militants regroupés dans Convergences socialistes. Moi, j'ai été exclu en 1980 avec d'autres puis après recours auprès de la commission des conflits, réintégré. C'était le temps des affaires, des exclusions (Charles Berg en 1979, Stéphane Just en 1984, Pierre Broué en 1989, et d'autres en 1991, 1992), des mesures incompréhensibles dont je ne comprends pas qu'on ait pu collectivement les accepter même si des « explications » étaient données, déviationnisme, trahison, agent provocateur de la CIA ou de l'URSS... Après mon passage au PCI (1969-1980), 12 ans au conseil municipal du Revest (1983-1995) qui ont permis l'émergence du festival de théâtre du Revest puis du théâtre, la Maison des Comoni. En 2006, je rentre au PS pour en interne soutenir la candidature de Ségolène Royal. Je quitte le PS après la présidentielle de 2007, ayant compris que son échec était dû avant tout à l'appareil du PS, aux éléphants hostiles à cette femme (propos sarcastiques de Fabius).

Deux traits du lambertisme semblent décisifs pour comprendre les exclusions :

- le verticalisme (la direction décide, les militants exécutent ; la réalité de cette organisation basée sur le « centralisme démocratique » c'est dans les faits l'absence de démocratie, le centralisme l'emporte. La direction ce sont les permanents du parti, vivant sur les cotisations, les phalanges des militants (10% du salaire plus abonnement au journal plus campagnes financières plus participation aux meetings à financer, aux manifestations à financer),

- le fonctionnement des cellules dites amicales est quasi-militaire (réunions hebdomadaires, présentation par chacun de ses résultats, comparés à ses objectifs, définis la semaine d'avant ; l'analyse de la situation, la révolution est imminente, justifie le harcèlement des militants dans ces réunions ; c'est le taylorisme, j'appelle ça le tayrorisme, capitaliste au service de la révolution = de la direction = bureaucratisation du Parti).

- Verticalisme et fonctionnement militaire expliquent le décalage entre sommet et base, les luttes intestines au sommet (on l'a vu assez récemment après la scission au sein du POI, avec procès engagé pour savoir à qui reviendrait le local de la rue du Faubourg Saint-Denis et le butin-le patrimoine du PCI, archives, fonds …)

 

 

 

http://www.lacommune.org/Parti-des-travailleurs/archives/CCI-POI-et-TCI-POid/Lambertisme-d-hier-et-d-aujourd-hui-i1678.html

http://www.gauchemip.org/spip.php?article12858

http://www.gauchemip.org/spip.php?article28296

http://www.gauchemip.org/spip.php?article25497

http://www.clubpolitiquebastille.org/spip.php?rubrique1

http://www.luttedeclasse.org/dossier44/oci_112016.pdf

le PDF de 422 pages rédigé par Pierre Salvaing est à récupérer par le lien ci-dessus

https://www.workersliberty.org/story/2017-07-26/pierre-broue-1926-2005

 

 

 

Les documents que j'ai sélectionnés peuvent sembler « surréalistes » mais on ne peut pas faire l'impasse sur le bilan du lambertisme d'où sont sortis Jospin, Cambadélis, Mélenchon, Stora, sur le bilan des autres courants trotskistes (Julien Dray, Harlem Désir viennent de la LCR) car ces mouvements ont joué des rôles non négligeables dans toutes sortes de conflits, dans des moments « historiques » et cela non seulement en France mais en Amérique centrale et latine, aux USA, à l'est du temps du stalinisme brejnevien...

Ce qui ressort tant du livre de Benjamin Stora que de ces documents, c'est la facilité avec laquelle les petits enjeux personnels prennent le pas sur l'accompagnement de l'émancipation des travailleurs. Un exemple : lors du passage au PS en 1986, Cambadélis fait adhérer une centaine de militants dans le 19° arrondissement. Cela lui permettra d'obtenir l'investiture pour être candidat aux législatives et d'être élu député (début de sa carrière politique avec ironie de l'histoire, lui sort par la droite du PCI en 1986, Valls tire vers la droite le PS dirigé par Cambadélis ce qui va provoquer le délitement du PS à la présidentielle de 2017).

Ce qui est frappant à la lecture de ce livre, ce sont les illusions qui ont aveuglé des responsables aguerris aux analyses et aux pratiques politiques susceptibles d'agir sur le réel. On entre au PS, soit. C'est quoi le PS ? Ils répondent : Un parti moderne, social-démocrate. Comment y entre-t-on ? Entrisme, travail de fraction ? Pour Cambadélis, gagner des postes dans l'appareil, changer le parti de l'intérieur. Pour Stora, créer une tendance, développer des idées qui nourrissent le débat, font évoluer.

Cambadélis a fait carrière dans l'appareil de 1986 à 2017. Voir sa proposition de garde nationale le 12 janvier 2016

 

https://lundi.am/retour-garde-nationale

 

Stora a quitté l'activité militante en 1988. Faiblesse du raisonnement, découverte après coup : le PS n'était pas un parti moderne, social-démocrate déjà en 1986, c'était un parti de notables, de professionnels de la politique, de gens vivant sur les subsides de l'état, n'ayant jamais travaillé pour la plupart, donc une forme de corruption liée aux privilèges des élus de la République, parti sclérosé incapable de comprendre les évolutions de la société, les nouvelles demandes politiques venues des jeunes des quartiers, venues des migrants, des précaires, venues des communautarismes, venues des femmes, incapable de proposer une offre politique à la hauteur des enjeux, un parti acceptant malgré le « coup d'état permanent » stigmatisé par Mitterrand, la constitution de la V° république, constitution anti-démocratique qui nous a conduit à la monarchie macroniste, un président, un parti aux ordres, une non-séparation des pouvoirs, le législatif inféodé à l'exécutif, le judiciaire sous contrôle, les médias devenus organes de propagande.

Deux phénomènes complètement occultés suite à cette impéritie :

  • la radicalisation des banlieues qui va devenir la radicalisation islamiste d'une partie de la jeunesse, les fameux beurs qui avaient fait la marche des Beurs du 3 décembre 1983 et la marche pour l'égalité des droits du 3 novembre 1984 ; à cette demande d'égalité des droits, on a répondu par SOS racisme (invention de Julien Dray et Harlem Désir, manipulation par le haut d'un mouvement d'en bas, spontané), le mythe de la France multi-culturelle incarnée par l'équipe de France de foot, de la fraternité ; par l'exclusion sociale, la ghettoïsation spatiale, on a favorisé la dérive vers l'islamisme de cette jeunesse, l'affaire du voile n'a pas été comprise dans sa signification profonde (pas seulement une remise en cause de la laïcité, mais un rejet du « modèle » proposé, la société du consumérisme qui les laisse sur le côté) ; la gauche n'a jamais accordé le droit de vote aux municipales pour les immigrés, vieille revendication, cela conforte le sentiment deux poids, deux mesures, sue le burnous, exerce les fonctions ancillaires dont notre société a besoin, tu n'as aucun droit à réclamer et à attendre. On comprend que le dégagisme ait été puissant en 2017 qui a balayé les caciques de droite comme de gauche via les primaires ouvertes (Sarkozy, Valls) entraînant le naufrage des Républicains, des Socialistes, l'émergence par défaut de Macron, sans parti, ne s'appuyant pas sur un appareil. La présidentielle 2017 a été un séisme politique, scission au FN, partis dominants laminés, mouvement conquérant de Macron, une France insoumise qui a les défauts lambertistes de son leader

  • la radicalisation des petits-blancs comme on dit aujourd'hui qui ont conduit Trump au pouvoir aux USA et qui conduiront l'extrême-droite au pouvoir chez nous. Macron lui ouvre une voie royale

  • D'autres aspects ont été négligés par ce parti (je ne parle pas des autres) : les enjeux écologiques, des enjeux de société : égalité femmes-hommes, réforme en profondeur de l'école devenue un ascenseur social en panne ou école à la maison, lire ci-dessous

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  • https://lundi.am/Une-liberte-de-plus-en-moins-1428

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  • N'a pas été mesurée l'offensive, la guerre de plus en plus féroce, cynique du néo-libéralisme contre les classes populaires (répression de la grève des contrôleurs aériens sous Reagan, surtout cassage de la plus grande grève de Grande-Bretagne, celle des cheminots sous Thatcher, en 1985-1986 ; les cheminots sont rentrés sans avoir rien obtenu et ce fut la privatisation des services publics de transport dont les Anglais voient aujourd'hui les effets néfastes) ; dans un contexte de guerre ouverte, déclarée, affichée des riches contre les pauvres, peut-on être conciliant, arrangeant avec le capitalisme mondialisé, peut-on être social-démocrate, réformiste avec les prédateurs, peut-on négocier et arracher des miettes à donner en pâture aux déclassés ? De là découlent normalement des analyses censées guider dans l'action : quel est le rôle des syndicats ? Peut-on faire confiance aux directions syndicales ? Quels rapports entre parti ouvrier et syndicats ouvriers ? Comment doit se pratiquer la tactique du Front unique ouvrier, tactique de libre discussion entre toutes les tendances du mouvement ouvrier (le journal Informations Ouvrières, tribune libre de la lutte des classes n'a jamais été une telle tribune ; doit-on s'étonner de la dérive bureaucratique de ce mouvement ?) L'exemple de la Grèce soumise au terrorisme de la troïka exigeant le remboursement de la dette (dont on sait que c'est une fabrication artificielle puisque on a obligé les états à ne plus battre monnaie mais à emprunter auprès des banques privées) montre assez que les peuples peuvent être saignés avec la complicité de leurs dirigeants « progressistes de gauche », devenant droitiers au pouvoir. La prise du pouvoir c'est une chose, on peut être radical dans les discours, le programme, les promesses. L'exercice du pouvoir c'est autre chose: on s'adapte, on se compromet, on trahit ses promesses. C'est le capital qui gagne toujours dans ces tentatives d'arrangement, l'Allemagne de la sinistre Merkel, la nouvelle Thatcher, étant le chef d'orchestre de cet alignement de tous sur une politique monétaire intransigeante et de fabrication de la dette qui profite aux actionnaires.

Benjamin Stora, devenu historien reconnu des deux guerres d'Algérie (celle de la France coloniale sous Mollet, Mitterrand jusqu'à De Gaulle ; celle de la décennie sanglante entre le FLN au pouvoir et le FIS- le GIA) montre très bien comment le travail de mémoire n'ayant pas été fait, la guerre des mémoires (souvent déformées, partisanes, idéologiques) a lieu, semant des germes de racisme, de violence, favorisant la montée de l'extrême-droite. La notion d'identité nationale est devenue un enjeu politique, expliquant en partie l'échec de Jospin à la présidentielle de 2002 ; satisfait de son bilan économique et social, il a sous-estimé les questions d'identité et de sécurité. L'espace politique pollué par un parti légal, le Front National, a vu émerger des débats auxquels la gauche sociale-démocrate n'était pas préparée, thèmes qui l'ont amené à se droitiser (Hollande et Manuel Valls ayant été l'illustration la plus nette de cette droitisation qui a provoqué l'effondrement du PS, en 2017). Non le PS n'a plus rien d'un parti ouvrier, même plus d'un parti des classes moyennes qui sont en pleine régression sociale, idéologique. La droitisation s'est faite sur la question de l'immigration.

Ce qui est incroyable plus de 55 ans après l'indépendance de l'Algérie, c'est la croyance de certains, les plus droitiers, les plus extrémistes de droite, que les immigrés algériens, tunisiens, marocains des années de la reconstruction, des 30 glorieuses reviendront au pays. Ils sont Français, ils ne reviendront pas « chez eux », ils sont chez eux chez nous et leurs enfants, petits-enfants ne sont pas prêts d'accepter ces « exigences » développées par une partie non-négligeable de la population blanche, raciste, les petits-blancs justement. La société française dérive-t-elle à droite ? En particulier la classe ouvrière ? C'est vers l'abstention qu'elle va surtout plus que vers le Front national.

Ce décalage entre la réalité et les prismes idéologiques dont les uns et les autres se servent (les lieux communs étant un indicateur de ces visions idéologiques, c'est-à-dire déformant, niant la réalité) a une autre raison, le rôle joué par l'ENA. « Depuis De Gaulle, les dirigeants de la V° République sont devenus une caste de gouvernement la plus hermétique qui soit dans le monde occidental. » écrit l'historien anglais Perry Anderson. Nous sommes gouvernés dans les domaines politique, administratif par une caste de hauts-fonctionnaires issus de cette école. Ce n'est pas avec cette « élite » s'auto-reproduisant que la société française ira vers l'apaisement, la réconciliation. Les germes de division, de violence, de guerre civile sont bien plantés, se développent. L'offensive idéologique contre les idées de mai 68, menée par la droite, l'extrême-droite dans les années 2000 (Sarkozy, Luc Ferry...) a permis de faire de 68, un mouvement d'énervement jeuniste exclusivement, un mouvement hédoniste-libertaire de la jeunesse ouvrant la voie à l'individualisme et au consumérisme.

C'est la génération des baby-boomers, accusée de tous les maux comme le montre la discussion que j'ai eu à propos de l'article consacré à la leçon de marxisme donné à Marlène Schiappa, secrétaire d'état macroniste à l'égalité hommes-femmes, par son père, trotskiste de l'OCI.

L'offensive anti-68 a eu pour objectifs de remettre en cause l'antiracisme accusé de faire monter le FN, de dénoncer l'antifascisme comme recyclage des partisans du communisme, le féminisme comme séparant hommes et femmes, l'antimilitarisme comme destructeur de la nation, de stigmatiser les immigrés parce qu'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, de remettre en question sans succès le droit à l'avortement, le droit à la retraite, à la sécurité sociale, ça c'est en cours. Sur notre passé colonial, pas de repentance mais une tentative de loi en 2005 sur la « colonisation positive ». Cette offensive idéologique n'empêche pas que se développent des idées dans la continuité de mai 68 : plus de démocratie participative voire directe, retrouver notre pouvoir constituant (le peuple souverain écrivant sa constitution comme ce fut le cas en Islande après la crise des subprimes, les ateliers constituants d'Etienne Chouard même si on a des réserves sur lui, ses propositions lui échappent si nous nous en saisissons) abandonné aux politiques, moins de verticalité autoritaire, du pluralisme partout et pas tout le pouvoir entre les mains d'un parti, pas de pouvoir personnel. Évidemment, avec Macron on est à l'opposé de ces aspirations héritées de 68. L'avenir nous dira si la gouvernance macroniste à double langage (c'est blanc et en même temps c'est noir à moins que ce soit en même temps l'inverse), à effets permanents de communication pour masquer la réalité (on dépense un pognon dingue pour les assistés) était ce dont le pays avait besoin ou voulait. L'avenir nous dira si des jeunes générations, des conjonctions de projets et de luttes sont en train de se lever pour éventuellement arrêter la course vers le mur. Pour ma part, je crois que nous ne croyons pas ce que nous savons : on va dans le mur, on le sait, on reste figé, l'exemple de la disparition des abeilles l'illustre parfaitement ; on sait, on ne fait rien, peut-être on ne peut rien faire, l'industrie agro-alimentaire nous empoisonne, la techno-science est devenue inhumaine ou l'a toujours été, contre l'humanité, contre la nature.

Ainsi soit-il.  Et c'est ainsi qu'Allah est grand, concluait Alexandre Vialatte.

Nathalie - Encore un arrogant pur produit du patriarcat qui se pense Marxiste. Comme on en a beaucoup au PS et à Gauche en général. Si sa fille avait été un fils il aurait probablement ravalé sa rancoeur. Le problème au 21e siècle est que l’on a patrons et patron ( l’économie est composée à plus de 80% de PMI PME ou indépendants contre 20 % de grandes entreprises ), on a travailleur/ses et de travailleur/se qui réclament la liberté de la main gauche et le paternalisme de la droite et on a fonctionnaires qui « servent » le service public et dysfonctionnaires qui se servent ( notamment dans les grands corps d’Etat mais aussi sur le terrain)... alors qui de l’exploité qui de l’exploiteur .... le manque d’éthique nourri chacun et chaque classe en souffre. Sauf pour le grand patronat qui fait l’unanimité : il est par essence un manque d’éthique. Ce que je vois moi, c’est que ce sont les femmes qui se tapent le sale boulot pour des salaires de misère et qui sont les premières pourvoyeuses d’économie vertueuses dans les quartiers. Jean-Marc Schiappa , est un bon mâle blanc de plus de 60 ans. Il aura essayé... par la libre pensée, et ça l’emmerde que sa fille tente depuis plus haut que lui. Depuis à place de père, je trouve très déplacé qu’il se serve de la place de sa fille pour être enfin entendu du public. La médiocratie se situe aussi ici.
 
 
JCG -  rien compris, leçon pas particulière STP
 
Nathalie -  Je suis heureuse de te faire rire Jean-Claude. Mais votre génération a mangé le pain blanc des nôtres et de celles de nos enfants. Plein emploi, pleine retraite, pleins congés , temps libre, bénéfices maximaux. Une Génération de baby-boomer « après moi le déluge ». De gauche comme de droite, tout le monde a mangé la soupe. Alors ce sera difficile de reprocher aux jeunes générations de tenter de rétablir une justice sociale avec ce qui nous est laissé . Et encore aujourd’hui, de nombreux retraités bénéficient de la solidarité des retraites payées par nos générations et prennent aussi des postes ou  ont leur entreprise sur le marché de l’emploi. Comment appelle t on ça ? Du marxisme ??? Le père de MS devrait se poser la question.
 
Nathalie - parfaitement compris : pour Jean-Marc Schiappa , comme pour beaucoup de « papy bedonnants de la ligue » que j’administrerai encore jusqu’à la semaine prochaine, le projet collectif est au dessus du projet individuel ... quand ça l’arrange. D’une part c’est le but de la république sociale et d’autre part, si la république n’utilise pas la ré mobilisation individuelle pour créer son projet collectif, on va encore ramer longtemps. La bourgeoisie et son conservatisme n’est pas forcément là où l’on croit. Le risque n’est pas la start up mais l’effondrement de la protection sociale qui est déliée  du modèle de gestion « auto entreprise » ou start up. Le risque est la glissade vers un système anglo-saxon pur. Il ne me semble pas que ce soit le cas avec la réforme des retraites.
 
JCG - on en parlera quand tu voudras, je ne me reconnais pas dans tes descriptions, je ne me sens pas concerné par la notion de génération, je suis JCG et qu'ai-je fait comme chemin, selon quelles valeurs, quel bilan puis-je montrer ? ai-je été un profiteur, un dysfonctionnaire, suis-je un retraité doré ?
 
Nathalie - ok pour en parler. Et tu vois, c’est ça le problème : on est qui on est , on a participé à un effet collectif générationnel sans en avoir conscience. On s’est battu pour un idéal mais sans voir que la technique desservirait l’autre qui vient, les siens, ses enfants , petits enfants. Génération gaspillage, ultra production, consommation, temps libre... parfait. Mais l’utopie sans technique pour l’ici et maintenant. Aujourd’hui c’est la technique stratégique et la prospective sans utopie. Je n’aime pas. Le manque d’idéal est inquiétant. Mais on aura du mal à le reprocher . Surtout à nos enfants.
 
 
JCG -  les effets secondaires, tertiaires et pervers sont-ils contenus dans les données initiales ? et de quelle milliardième de fraction suis-je responsable des dégâts évoqués, 5 voitures dans une vie, 2 aspirateurs, 3 frigo à obsolescence programmée, un ordi depuis 10 ans... bref, ce genre de responsabilités, je m'en fous mais comment je te parle, quelle relation j'ai avec toi, ça je me sens responsable à 100% et suis prêt à évoluer, changer
 
 
Nathalie - je ne parle pas vraiment des actes de la vie courante bien qu’ils engagent aussi et sont effectivement des actes politiques. Je parle de politique du 20 e siècle qui n’ignorait pas la cata post baby boom- ni la gauche ni la droite- et qui n’a rien anticipé et je parle de politique du 21 e siècle qui doit se débrouiller avec de nouveaux paradigmes d’environnement mondialisé et de responsabilités, la durabilité... Sais tu quand mes amis de gauche ont commencé à me vivre comme un danger ? Quand j’ai mis leur place en jeu en réclamant l’égalité hommes-femmes dans les instances décisionnaires ( des partis, des associations d’éduc pop, du CESER... ). Quand j’ai réclamé que l’on cesse de couper la parole aux femmes et que l’on cesse de faire des moues dubitatives chaque fois qu’un jeune ou qu’une femme s’exprimait.
Donc ma tolérance avec le patriarcat virilocrate est proche de zéro. 30000 ans que l’on en mange et franchement il est temps de passer à autre chose. Voilà pourquoi cet encart « Schiappapa » dans le Monde est bien plus profondément Anti-Marxiste que la bourde de la secrétaire d’Etat à propos de Marx.
 
 
Nathalie - Après.... je ne sais pas comment tu as fait avec seulement deux aspirateurs... tu me diras la marque ?
Amitiés et bonne nuit.
 
 
JCG - je ne m'en sers pas; balai sait
 
 
Frank -  Finalement, les bons mâles de plus de 60 ans qu'en fait-on? Moi je dis ça parce que, vous allez voir c'est ballot, j'ai un peu le mal des transports et je souhaiterai savoir si je dois prendre une petite laine et éventuellement du singe...
 
 
Nathalie - Mal des transports, mâle des trans-porcs (porcs en transition?), malle de transport ... Ce qui n’est plus supportable, c’est le degré de la misogynie que l’on peut, à ce titre, comparer à la connerie, au racisme et même à la mort: Quand on est dans cet état, nous ne le savons pas et ce sont les autres qui souffrent. Les révolutionnaires trotskistes, les Proudhons ... n’ont pas échappé à la contagion. Les plus fort en gueule encore moins. Les « bons mâles », l’humanité les somme de se transformer ou de périr. Pas physiquement bien sûr, mais symboliquement et surtout, dans les instances de pouvoir. Les hommes eux, adviennent en toutes qualités : empathie, amour, tendresse, soins, durabilité, utopies ... prêtées jusqu’ici à la féminité, ou plutôt au féminin: le seul avenir valable. C’est probablement un commencement du surhumain. Après, sinon, pour la petite laine, nous ne pouvons que la conseiller. Quand au singe ... ça fait belle lurette que ça ne se mange plus... ça siège !
 
 
Frank -  Et ben... On est pas sorti du sable.....
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La vie la poésie

Rédigé par grossel Publié dans #Emmanuelle Arsan, #SEL, #agoras, #amour, #développement personnel, #engagement, #essais, #notes de lecture, #pour toujours, #poésie, #vide quantique, #vraie vie, #écriture, #épitaphier

La vie la poésie

Des 100 plus beaux poèmes du monde (édition de 1979)

(merci à Alain Bosquet de proposer 1/3 de poètes inconnus car nous sommes trop occidentalocentrés)

je retiens le troisième Cosmogonie dans l’Atharva-Veda (14°- 10° siècle avant J.C.). Il correspond à là où j’en suis aujourd’hui de mon cheminement.

C’est ce qui s’est dit de plus précis et de plus déroutant sur la Création.

(Voir la question du 7° paragraphe : celui qui veille sur elle au plus haut du ciel le sait sans doute... ou s’il ne le savait pas ?)

 

Et surtout ne pas chercher à confirmer par la physique quantique.

J’en ai produit une version dans Et ton livre d’éternité ?, page 639, L’hymne à la création.

 

Version de l’anthologie d’Alain Bosquet

1-

Ni le non-Être n’existait alors, ni l’être.

Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà.
Qu’est-ce qui se mouvait puissamment ? Où ? Sous la garde de qui ?

Etait-ce l’eau, insondablement profonde ?

2-

Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort;

Il n’y avait de signe distinctif pour la nuit ou le jour.
L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il y ait de souffle.
En dehors de Cela, il n’existait rien d’autre.

3- 4- 5- 6- 7-

(Pages 16-17, traduction Louis Renou)

 

Et page 639 de Et ton livre d’éternité ?

 

L’Hymnne à la création

(Nasadiya Sukta. Rig Veda, X, 129)

Il n’y avait pas l’être, il n’y avait pas le non-être en ce temps. Il n’y avait espace ni firmament au-delà. Qu’est-ce qui se mouvait ? Où, sous la garde de qui ? Y avait-il l’eau profonde, l’eau sans fond ?

Ni la mort n’était en ce temps, ni la non-mort, pas de signe distinguant la nuit du jour. L’Un respirait sans souffle, mû de soi-même : rien d’autre n’existait au-delà.

A l’origine les ténèbres couvraient les ténèbres, tout ce qu’on voit n’était qu’onde indistincte. Enfermé dans le vide, l’Un, accédant à l’être, prit alors naissance par le pouvoir de la chaleur.

Il se développa d’abord le désir, qui fut le premier germe de la pensée ; cherchant avec réflexion dans leurs âmes, les sages trouvèrent dans le non-être le lien de l’être.

Leur cordeau était tendu en diagonale : quel était le dessus, le dessous ? Il y eut des porteurs de semence, il y eut des vertus : en bas était l’Énergie spontanée, en haut le Don.

Qui sait en vérité, qui pourrait l’annoncer ici : d’où est issue, d’où vient cette création ? Les dieux sont en deçà de cet acte créateur. Qui sait d’où il émane ?

Cette création, d’où elle émane, si elle a été fabriquée ou ne l’a pas été, – celui qui veille sur elle au plus haut du ciel le sait sans doute... ou s’il ne le savait pas ?

Rig Veda, X, 129, 1. Trad. Louis Renou, La poésie religieuse de l’Inde antique. 1942

 

la couverture évoque la libellule et le piment rouge des deux haïkus, de Kikaku et de Bashô que je donnais en pâture à mes élèves Kikaku une libellule ôtez-lui les ailes un piment rouge  Bashô un piment rouge  mettez-lui des ailes une libellule

la couverture évoque la libellule et le piment rouge des deux haïkus, de Kikaku et de Bashô que je donnais en pâture à mes élèves Kikaku une libellule ôtez-lui les ailes un piment rouge Bashô un piment rouge mettez-lui des ailes une libellule

Des cent tankas 5/7/5/7/7 (la forme la plus ancienne) et haïkus 5/7/5 (la forme la plus aboutie et la plus connue) de Poèmes de tous les jours (1993 chez Picquier-Unesco),

Je note d’abord, l’excellente préface d’Ôoka Makoto qui depuis 1979 tient une rubrique de poésie en 1° page d’un journal tirant à 10 millions d’exemplaires

Et j’en retiens deux,

j’ai évité les plus connus Bashô, Issa, Buson, Tu Fu, Li Po, Po Chû I et les 4500 poèmes du recueil des dix mille feuilles, vieux de 1300 ans :

L’arc-en-ciel lui même

Pense que le temps existe

Abe Seiai né en 1914 page 77,

commentaire d’Ôoka Makoto, page 76

———————————————

Joignant les mains devant cet homme nu, brûlé, perdu

Je partis en courant

Yamamoto Yasuo (1902-1983) page 213

Tanka tiré d’un recueil de tankas sur Hiroshima,

Yamamoto y ayant perdu son fils :

Le cadavre du petit ficelé à la charrette

Ma femme et moi poussions à tour de rôle

Commentaire d’Ôoka Makoto, page 212

coquelicots by ab

coquelicots by ab

on ignore l'impact profond d'un mot sur l'autre comme sur soi pris comme esprit-corps, on ignore l'impact profond d'une chose du monde sur soi  et sur l'autre pris comme corps-esprit; 

nos outils de perception sont les sens, mais il est évident que les illusions sensorielles sont nombreuses, qu'on croit réel ce qui souvent ne l'est pas; il en est de même des sentiments; dire je t'aime à quelqu'un, le plus vivant des poèmes, est peut-être un délire, né d'un désir, d'où ce titre ambigu Parole dé-s/l-irante, s/l = est-ce elle ? tout désir n'est-il pas délire, toute parole délirante n'est-elle pas parole désirante ? la confusion par projection ou tout autre processus est au rendez-vous; il faut donc une grande prudence là où l'exaltation nous saisit; ce je t'aime dont je me dois de douter, une fois dit, chemine en l'autre vers un coeur qui bat la chamade, un esprit qui s'emballe, dans un corps qui s'émeut, au plus profond, le message pensé et émis, une fois reçu par l'autre devient milliers de messages chimiques, hormonaux, moléculaires, quantiques dont j'ignore la réalité et les effets, seule la personne réceptrice perçoit quelques effets, coeur qui bat plus vite, rêves érotiques, organes sexuels en émoi, appétit moindre...; n'est-il pas clair que prendre conscience de cette complexité peut nous inciter à plus de responsabilité, à accepter d'être responsable d'effets imprévus, secondaires, tertiaires et pervers; je peux même en arriver à bouger le moins possible pour déranger le moins possible l'ordre des choses car en fin de compte, on est toujours dérangeant, semeur de désordre; vivre en poète c'est déranger le moins possible et prendre son temps, vivre en poète c'est vivre sobrement, c'est réduire sa surface, son empreinte, c'est ne pas vouloir embrasser l'infini, c'est ne pas vouloir être éternel, c'est voir un monde dans un grain de sable, un ciel dans une fleur sauvage, tenir l'infini dans la paume de la main et l'éternité dans une seconde comme le dit William Blake dans Augures d'innocence, le plus fort programme que je connaisse

j'ai bien raison de prendre mon temps, j'ai tout le temps qui m'est compté (à condition de ne pas le décompter, c'est ainsi qu'il compte, qu'il est vivifiant) pour insuffler la vie à quelques mots pouvant toucher quelques belles personnes. Je laisserai 10 poèmes intitulés Caresses. Caresses 1 et Caresses 2 existent déjà. Les autres Caresses sont à venir, le moment venu, un moment inattendu. Il y aura aussi les 12 Paroles dé-s/l-irantes. Parues dans La Parole éprouvée, le 14 février 2000.

si j'inverse, soit non une pensée d'amour adressée à l'autre mais la vue d'un champ de coquelicots du côté de Lourmarin; ça fait longtemps que je n'ai vu autant de profusion de rouge, de rouge vivant, se balançant dans le vent léger, un vent solaire, autant de rouge habité par la lumière, je prends des photos, je filme pour prolonger mon émotion, mon plaisir; ces coquelicots sont impossibles à cueillir, se refusent au bouquet, trop fragiles; ces coquelicots qui m'éblouissent se resèment d'eux-mêmes, je ne peux les semer, ils refusent la domestication; ces coquelicots fragiles résistent aux grands vents du midi; je perçois, ils me touchent au profond par leur beauté éphémère, impermanence et présence, insignifiance et don gratuit sans conscience du don (quoique sait-on cela ?) et ils me font penser, leur vie me vivifie, m'embellit, je me mets à chanter une rengaine venue d'un vieux souvenir, un petit bal perdu, je m'allonge, me livre au soleil, caresses qui font du bien, pas trop longtemps, messages héliotropiques envoyés aux niveaux les plus infimes, les plus intimes en toute inconscience même les yeux fermés et en méditation visualisante

voilà deux brèves tentatives de mise en mots pour conscientiser (c'est notre privilège) ce que nous éprouvons, pour vivre à la fois plus pleinement (c'est autre chose que l'aptitude au bonheur, au carpe diem, non négligeable) de plus en plus en pleine conscience (et là je m'aventure, si tout ce qui vit est échange, circulation, énergie, information, tout ce qui vit est peut-être aussi conscience ou dit autrement, une conscience, la Conscience est à l'oeuvre dans tout ce qui se manifeste, elle serait l'unité de et dans la diversité, elle serait la permanence sous l'impermanence; ne pas se laisser duper par le côté automatique, bien régulé de notre corps-esprit ou des systèmes univers, multivers avec leurs constantes universelles jusqu'à dérèglements et entropie croissante remettant les pendules à l'heure

(j'ai découvert un livre au titre révélateur : La "Conscience-Énergie", structure de l'homme et de l'univers, du Docteur Thérèse Brosse, paru en 1978 à Sisteron, ça semble du solide !); évidemment, sur ce chemin, je me laisse accompagner par Deepak Chopra qui réussit à articuler approche scientifique et approche ayurvédique

La vie la poésie

Au plus près : entretiens avec Philippe Djian par Catherine Moreau, La passe du vent, 1999

De ces entretiens déjà anciens, j’ignore donc si Djian s’y reconnaîtrait aujourd’hui, 25 ans après, et 40 ans après son entrée en écriture au plus près, je retiens quelques propos :

  • séduire, c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre

Ce propos vaut tant pour la séduction de l’autre que pour l’auto-séduction; ajoutons qu’étymologiquement une des significations de seducere serait détruire.

  • partagez-vous la proposition de Rimbaud Je est un autre ? - Je dirai plutôt Je est tous les autres. Et ce à partir du moment où je me rends compte que ma personnalité est tellement multiple. Plus, il y a de rapports avec les autres, plus elle devient riche et vaste…
  • c’est un gros problème que de se demander si le monde qui nous entoure n’est pas une vision de notre esprit. Et par quelles expériences, pouvons-nous confirmer ou infirmer cette sensation ?
  • On m’a demandé pourquoi il y a toujours du sexe dans mes livres. Je trouve que c’est une manière de définir les personnages mis dans ce genre de situation avec plus de finesse et d’exactitude que si je les décris. Un salaud qui est en train de faire l’amour à une femme, ça se voit si c’est un vrai salaud. Ce sont donc des situations susceptibles d’éclairer les personnages. Ce n’est pas simplement le plaisir de raconter ce genre de scènes.

 

La vie la poésie

J’en arrive à La jouissance et l’extase de Françoise Rey, un roman pornographique sur les relations entre Henry Miller et Anaïs Nin, de 1931 à 1934.

Henry Miller m’a passionné il y a longtemps avec sa trilogie Sexus Nexus Plexus, Hamlet, Le temps des assassins. Je ne sais pourquoi, j’ai ignoré les deux Tropiques. Peu importe.

J’ignore tout d’Anaïs Nin. Je dois bien avoir son journal sur un rayon. Pas La maison de l’inceste.

Y a-t-il des raisons à ces choix de lecture où le sexe est mis en scène et en jeu (Gabriel Garcia Marquez, Jean-Paul Dubois, Juan Rios, Philippe Djian, Françoise Rey) ?

J’ai conscience d’être un obsédé sexuel, sans remords, sans culpabilité, avec plaisir à l’être car je sens bien que c’est la pulsion de vie, celle qui affronte la mort. Bataille « de l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'affirmation de la vie jusque dans la mort. » Et ce désir est universel, cosmique, tous règnes minéral, végétal, animal, humain, toutes espèces, tous genres, féminin, masculin, hermaphrodite, androgyne. Obsédé sexuel à plus de 82 ans, je me sens bien vivant, traversé, habité par la Vie. Je ne laisse plus entrer le vieux comme dit Clint Eastwood.

En me plongeant dans ce genre de lectures, cela m’amène aussi à voir comment je sépare, combine amour et désir, comment j’ai vécu mes histoires d’amour et de désir, comment j’ai privilégié le sentiment sur le désir, avec des épisodes très sexuels, comment dans le désir, j’ai vécu la limite de la jouissance masculine et féminine exception de quelques femmes accédant à l’extase, comment j’ai privilégié dans mes histoires la durée, la fidélité avec coups de canif dans le contrat et métamorphose de la relation, de l’amour ou de la pulsion à l’amitié amoureuse…
Je ne suis pas un spécialiste en sexologie, ça ne m’intéresse pas plus que cela mais je ne suis pas un ignorant. J’ai été et je me suis initié. Je ne tourne pas en ridicule le petit cornac qui nous fait primate et primaire selon Rezvani, cet organe qui nous domine et fait de nous des dominants, des prédateurs. Le petit cornac est l’outil de la perpétuation, de l’onto et de la phylogenèse, lignée, espèce.

Le plaisir vient après dans l’histoire de l’évolution et de la perpétuation des espèces et seulement pour l’humanité semble-t-il. C’est par la perpétuation de l’espèce, de la lignée que chaque espèce, chaque lignée combattent la mort, chaque individu meurt, chaque lignée meurt mais non l’espèce qui se rend ainsi ou croit se rendre éternelle.

Vue à cette altitude, l’obsession sexuelle est questionnement sans fin sur la création, sur la vie, sur la mort, sur l’éphémère, la fragilité, sur l’éternité. Je continuerai donc à être un obsédé sexuel.

Le roman de Françoise Rey m’a dans un premier temps, plutôt déplu. Les scènes pornographiques sont crues, détaillées, longues, avec un lexique obscène, varié dans l’obscénité et l’ordure.

Tantôt du point de vue d’Henry, tantôt du point de vue d’Anaïs. Là, ça commence à devenir intéressant car impossible de savoir ce que l’autre pense de ce qu’on lui fait, impossible de savoir, de connaître, de ressentir  ses réactions. On est dans le malentendu absolu, dans l’opacité même quand on croit être dans la fusion, la communion, l’évidence, la transparence. D’où le côté dérisoire de celui qui se croit l’initiateur d’Anaïs. D’où le côté inconséquent de celle qui croit maîtriser la situation.

Si on ajoute à cette histoire d’un couple qui en est et n’en est pas un, qui va très vite se désunir, les histoires d’Anaïs avec son mari banquier, avec son cousin homosexuel Edouardo, avec son psychanalyste impuissant Allendy, avec Antonin Artaud, homosexuel et impuissant, avec son père Joachim, incestueux, avec le psychanalyste Otto Rank, avec la femme de Henry, June, on comprend que ce roman est foisonnant, déstabilisant, que ni l’un ni l’autre n’ont de boussole. Ils pataugent dans le foutre et le méli-mélo des pulsions.

Henry est faussement amoureux d’Anaïs, il veut l’épouser mais cela est un alibi, ne l’entretient-elle pas,  ne favorise-t-elle pas toutes ses frasques chez les putes, ne paie-elle pas l’édition du Tropique dont la couverture est un cancer sortant d’un vagin ?

Anaïs veut tout essayer qu’il s’agisse de positions, de pratiques, de transgressions, de scandales, de provocations; c’est une femme de tête qui croit maîtriser mais ballottée, écartelée entre des désirs inconciliables, une femme du cul, nymphomane, alcoolique (a manqué la drogue mais elle y a pensé, elle serait aujourd’hui chemsex), qui note tout dans son journal, ses cahiers, cahier vert, cahier rouge, tissus de vrai et de faux selon le destinataire du cahier: mari, Henry), qu’Henry est un faible, idem pour son père très dominateur et autoritaire.

Je ne sais pas comment caractériser cette femme, ni s’il le faut, laissons-là à sa complexité, à son ambigüité insondables, femme sans doute traumatisée petite fille par ce père la prenant en photo, nue, dans son bain et la caressant.

Les deux psychanalystes qu’elle séduit l’ont-elle aidée, l’un en la fouettant ou la fessant jusqu’au sang, l’autre en se faisant sucer ?

La fin est surprenante avec la découverte du cancer d’Anaïs, cancer de l’utérus ?, ignoré d’Henry mais non du mari.

Je ne regrette pas ma lecture mais pour en conclure que je ne me sens pas du tout de ce monde, de ces amants qui croient accéder à l’infini, vivre pleinement la vie par la pornographie perverse et la multiplicité des partenaires.

Ils ont osé, sans aller jusqu’à la mort par épectasse comme un président et un cardinal, sans aller jusqu’à la mise à mort comme dans Matador de Pedro Almodovar.

Parlant pour moi, j’ai dit oui à l’obscénité, oui à la pornographie, oui à l’érotisme, oui aux variations, dans l’intimité, dans un couple s’aimant et consentant. Ce fut je crois ce que nous avons vécu pendant 46 ans, l’épousée et moi, évoqué avec force entre Vita Nova et Lola, fille de joie dans Et ton livre d’éternité ? J’ai dit oui, je dis toujours oui.

Je me sentais plus d’affinités avec Emmanuelle Arsan et son érotisme. Bonheur et Bonheur 2.

Je renvoie à l’essai de Camille Moreau, publié à la Musardine Écrire, lire, jouir, quand le verbe se fait chair.

La vie la poésie
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Joseph Anton Salman Rushdie

Rédigé par grossel Publié dans #SEL, #agoras, #engagement, #essais, #notes de lecture, #écriture

 
Lus cet été à Corsavy
- Patries imaginaires de Salman Rushdie, chroniques, essais, discours des années 1980-1990 soit il y a presque 40 ans, articles écrits avant la fatwa de Khomeini du 14 février (Saint-Valentin) 1989 le condamnant à mort, et ayant engendré l'attentat du 12 août 2022...
articles qu'on peut lire dans le désordre; 
un régal; 
Rushdie est engagé, engagé comme écrivain, il se pense comme un écrivain de gauche, (laïque, pour la démocratie, le cosmopolitisme, les multitudes, contre le communalisme) créant, imaginant des univers dont thèmes, langues entrent en conflit avec les récits monolithiques politiques, religieux, historiques. Ses notes critiques sur pas mal d'écrivains sont passionnantes
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dans la foulée, j'ai pillé dans
- Les enfants de minuit, 1980; 
les enfants de minuit, c'est le roman échevelé des 1001 enfants nés à minuit, le 15 août 1947, nuit de l'indépendance de l'Inde; 
33 bocaux de chutney = 33 chapitres 
ça commence par le nez du grand-père dont Salman a hérité, truffe très vivante quand on le regarde lors d'un entretien; 
avec ce 1° roman, récompensé, Rushdie a usé de la voie du réalisme magique et comme Gabriel Garcia Marquez il cite Machado de Assis (1839-1908)
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il a su prendre son pif d'éléphant comme objet littéraire (Cyrano aussi mais c'est moins drôle) avec un feu d'artifice langagier qui ne se dément pas de tout le livre puisque c'est le pif qui guide aussi la fabrication des chutneys comme c'est le pif qui sert parfois à choisir
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable

Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable

Extraits du livre de Salman Rushdie
Langages de vérité. Essais 2003-2017
traduits de l’anglais par Gérard Meudal
(Actes Sud, novembre 2022)
“La littérature n’a jamais perdu de vue ce que notre monde querelleur essaie de nous forcer à oublier. La littérature se réjouit des contradictions et dans nos romans et nos poèmes nous chantons notre complexité humaine, notre capacité à être simultanément à la fois oui et non, à la fois ceci et cela, sans en éprouver le moindre inconfort. L’équivalent arabe de la formule « il était une fois » est kan ma kan, que l’on peut traduire par « C’était ainsi, ce n’était pas ainsi ». Ce grand paradoxe se trouve au cœur de toute fiction. La fiction est précisément ce lieu où les choses peuvent être à la fois ainsi et pas ainsi, où il existe des mots dans lesquels on peut croire profondément tout en sachant qu’ils n’existent pas, n’ont jamais existé et n’existeront jamais. À cette époque où l’on vise à tout simplifier, cette magnifique complexité n’a jamais été plus importante. […] Nous vivons une époque où l’on nous somme de nous définir de plus en plus étroitement, de comprimer notre personnalité multidimensionnelle dans le corset d’une identité unique, qu’elle soit nationale, ethnique, tribale ou religieuse. J’en suis venu à me dire que c’était peut-être cela le mal dont découlent tous les maux de notre époque. Car lorsque nous succombons à ce rétrécissement, lorsque nous nous laissons simplifier pour devenir simplement des Serbes, des Croates, des Musulmans, des Hindous, alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi, l’Autre de chacun de nous et tous les points cardinaux entrent alors en conflit, l’Est et l’Ouest se heurtent, ainsi que le Nord et le Sud.”
(extrait du chapitre “Eh bien, soit, je me contredis”)
***
“Nous nous croyions, ma génération, tolérants et progressistes, et nous vous laissons un monde intolérant et rétrograde. Mais le monde est un lieu plein de résilience et sa beauté est toujours époustouflante, son potentiel toujours étonnant ; quant à la pagaille que nous avons provoquée, vous pouvez y remédier et je pense que vous allez le faire. Je soupçonne que vous êtes meilleurs que nous, plus attentifs au sort de la planète, moins sectaires, plus tolérants, et vos idéaux pourraient bien résister mieux que les nôtres.
Ne vous y trompez pas. Vous pouvez changer les choses. Ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire. Voici le moyen d’y arriver. Remettez tout en cause. Ne tenez rien pour acquis. Discutez toutes les idées reçues. Ne respectez pas ce qui ne mérite pas le respect. Donnez votre avis. Ne vous censurez pas. Servez-vous de votre imagination. Et proclamez ce qu’elle vous dit de proclamer.
Vous avez reçu ici tous les outils nécessaires grâce à votre éducation sur ce magnifique campus. Servez-vous-en. Ce sont les armes de l’esprit. Pensez par vous-mêmes et ne laissez pas votre esprit suivre des rails posés par quelqu’un d’autre. Nous sommes des animaux parlants. Nous sommes des animaux rêveurs. Rêvez, parlez, réinventez le monde.”
(extrait du discours prononcé par Salman Rushdie à l’adresse des étudiants lors de la cérémonie de remise des diplômes à l’Université d’Emory en 2015)
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020

Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020

Quichotte : Inspiré par le classique de Cervantès, Sam DuChamp, modeste auteur de romans d’espionnage, crée Quichotte, un représentant de commerce à l’esprit nébuleux et raffiné, obsédé par la télévision, qui tombe éperdument amoureux de Miss Salma R., reine du petit écran. Flanqué de son fils (imaginaire) Sancho, Quichotte s’embarque dans une aventure picaresque à travers les États-Unis pour se montrer digne de sa dulcinée, bravant galamment les obstacles tragicomiques de l’ère du “Tout-Peut-Arriver”, cependant que son créateur, en pleine crise existentielle, affronte ses propres démons.

À la manière d’un Cervantès qui fit avec «Don Quichotte» la satire de la culture de son temps, Salman Rushdie, en prodigieux conteur, entraîne le lecteur dans un «road trip» échevelé à travers un pays au bord de l’effondrement moral et spirituel. Les vies de DuChamp et de Quichotte s’entremêlent dans une quête amoureuse profondément humaine et esquissent pour notre plus grand amusement le tableau d’une époque qui n’a de cesse de brouiller les frontières entre réalité et fiction.

Exubérant, drolatique et terriblement lucide, «Quichotte» est une bombe littéraire sur fond d’apocalypse.

septembre, 2020
14.50 x 24.00 cm
432 pages

Gérard MEUDAL

ISBN : 978-2-330-13942-1
Prix indicatif : 24.00€ 

 
Joseph Anton de Salman Rushdie (2012),
lecture commencée le 8 octobre 2022
découverte de Salman Rushdie ou à peu près;
tu t'es intéressé à lui au moment des Versets sataniques sans les lire, tu as soutenu ton fils soutenant Rushdie dès 1992 avec un texte Patries imaginaires, titre repris du recueil d'essais de Rushdie, tu as commencé Quichotte et c'est tout
la fiction ne t'était pas nécessaire; à la littérature, tu préférais les essais, la pensée philosophique à l'oeuvre (Marcel Conche par exemple)
un message sur FB, récent, t'a donné l'envie de lire Joseph Anton
 
Le Prologue : Le premier merle
tu es vite dans le bain de son réalisme magique
fatwa de Khomeini prononcée le 14 février 1989, un jour de saint Valentin
attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
(le premier merle qui va devenir un fléau comme dans les oiseaux de Hitchcock, un premier oiseau puis des milliers qui depuis 40 ans humilient, battent à mort, violent, tuent femmes et filles d'Iran mais aussi opposants, résistants)
ce 14 février 1989, sortie de sa maison qu’il ne reverra plus, embarqué par une voiture de la BBC qui le sauve de la nuée-ruée paparazzi
assiste à la messe en souvenir de son ami Bruce Chatwin, mort le 18 janvier 1989 à Nice…
chapitre 1 : un pacte faustien à l'envers
13 ans, Salman convainc ses parents d'aller poursuivre ses études dans un collège anglais à Rugby; les mercredis après-midis sont consacrés au sport : coups, humiliations, bizutage; Salman va voir le directeur des études, en tant qu'issu d'un pays qui s'est libéré du joug britannique par la non-violence et la désobéissance civile, à minuit dans la nuit du 14 au 15 août 1947, je demande à être dispensé de ces pratiques; accordé; et Salman de passer ses mercredis en bibliothèque
entré à Kings'college à Cambridge en 1967, il choisit en option de sa licence d'histoire, un thème proposé pour la 1° fois : Mahomet, la montée de l'islam et le premier califat; il fut le seul à le choisir, l'enseignant responsable annula le cours, Salman exigea que le cours soit maintenu (c'était la règle), trouva le professeur qui le dirigerait et c'est ainsi que pendant 3 ans, il se coltina en athée passionné par la religion de sa famille à la Récitation reçue par Mahomet; il découvrit la double version (version angélique d'abord puis version satanique) de ce qui s'appelle les versets sataniques (sourate 53), pensa que cela ferait une bonne histoire, 20 ans après il écrivait Les versets sataniques et la fatwa fut prononcée peu après, le 14 février 1989
pourquoi Mahomet attribua-t-il dans un 2° temps, les versets incriminés au tentateur alors que dans leur version première, les déesses al-Lhat, al-Uzat et al-Manna étaient des oiseaux exaltés dont l'intercession était souhaitable ?
au retour d'un 2° séjour en montagne, il revint avec cette version : "connaissez-vous al-Lhat, al-Uzat et al-Manna; ce ne sont que des noms inventés par nos ancêtres et il n'y a en eux aucune vérité. Dieu aurait-il des filles tandis que vous avez des fils ? Ce serait un partage bien injuste"
il n'y a aucune explication historique à ce revirement, peut-être pour la 1° version, un compromis avec les familles au pouvoir à La Mecque profitant des offrandes des caravaniers aux 3 déesses alors que al-lah était trop généraliste, très peu populaire, peu sollicité...
Mahomet a préféré revoir sa copie et l'exilé, le persécuté a vu sa récitation se répandre vitesse grand V parmi les pauvres, les marginalisés...et triompher des marchands, païens polythéistes
on mesure où a conduit la disqualification des femmes (exaltées, folles) en terres d'islam
(en Europe aussi au temps de l'inquisition avec la chasse aux sorcières)
Joseph Anton de Salman Rushdie
le prologue a pour titre Le premier merle, tu ne le remarques pas, puis 2, 10, 100, 1000 et là tu te souviens du 1°, c'était le merle annonciateur du déferlement du fanatisme islamique-islamiste à partir de la fatwa du 14 février 1989
9 ans de planques (56 lieux à trouver, à sa charge), de protection policière (opérations du nettoyage à sec, bon pour écrire un polar ou un livre d'espionnage) jusqu'à l'arrangement entre l'Iran et la G.B. mais pour les fanatiques fanatiques, la fatwa existe toujours et le 12 août 2022, aux Etats-Unis, où il vit normalement, discrètement (à peu près, je suppose), l'attentat au poignard par un libanais américain Hadi Matar
les 9 ans de mort aux trousses auxquels il a été soumis ont provoqué des dizaines de morts et d'explosions dans le monde (librairies surtout), des autodafés de son livre, des manifestations particulièrement agressives avec mise au feu de son pantin...
Joseph Anton est le nom qu'il a fabriqué quand la police lui a demandé de s'invisibiliser d'après Conrad et Tchekhov
voici quelques moments de cette autobiographie, parue en 2012
page 240 "l'éclat du siècle des lumières est en train de s'éteindre dit un journaliste à Günter Grass, peut-être, répondit-il, mais il n'y en a pas d'autre"
moi - universalisme des lumières relativisme culturel : le débat est toujours très vif et nécessaire
page 312 sollicité par l'institut des arts contemporains pour s'exprimer, "il (il parle de lui, l'invisibilisé, à la 3° personne) sut immédiatement qu'il avait envie d'écrire sur l'iconoclasme, d'affirmer que, dans une société ouverte, aucune idée, aucune croyance ne pouvait être protégée, mise à l'abri des défis de toutes sortes, philosophiques, satiriques, profonds, superficiels, malicieux, irrévérencieux ou corrects. La liberté supposait avant tout que la possibilité du débat soit protégé. Le lieu même de la liberté, c'était le débat et non la solution du débat, la possibilité d'attaquer même les croyances les plus chères d'autrui; une société libre n'était pas placide mais turbulente. Le bazar des opinions conflictuelles était le lieu même de la liberté. Cette idée donnerait lieu à la conférence Qu'y a-t-il de sacré ?"
moi - la référence à une société ouverte me fait penser au livre en 2 volumes de Karl Popper La société ouverte et ses ennemis qui mériterait peut-être qu'on y retourne (avant Hannah Arendt, il analyse les sources du totalitarisme, Platon, Hegel, Marx avec pour celui-ci des aspects trouvant grâce aux yeux de Popper)
le récit de Joseph Anton, extrêmement précis, lieux, noms, dates, propos, mêlant grande et petites histoires, scènes de ménage, réconciliations, séparations et anecdotes (beaucoup avec les policiers) permet par exemple de voir comment en un an la vie de l'humanité engendre bas et hauts, horreurs et sursauts, avancées et reculs : fatwa, 14 février 1989, Tian'anmen, juin 1989, chute du mur de Berlin, nuit du 9 au 10 novembre 1989, libération de Mandela 11 février 1990
mais avant il y a Nouvel-An: il le passe chez Michael Herr (l'auteur de l'extraordinaire Putain de mort) et sa femme Valérie; tous deux s'appellent Jim
"Hey Jim ? Oui Jim bonne année Jim bonne année à toi aussi Jim je t'aime Jim moi aussi Jim.
1990 arriva dans un sourire en compagnie de Jim et Jim.
Et Marianne était là aussi. Oui, Marianne, aussi"
fin du chapitre 3 L'année zéro
chapitre 4 Le piège du désir d'être aimé
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en regardant l'entretien de 28' de 2016, j'ai vu un extrait de la comédie musicale sur les versets sataniques, jouée une fois seulement aux USA
je me demande sans doute inutilement quand des artistes se saisiront chez nous des Versets sataniques pour une interprétation décoiffante, pas décapitante ?
comme je me demande inutilement pourquoi, pas le Nobel de littérature en 2022 ?
l'année 1989 fut pour lui l'année de l'écriture de Haroun et la mer des histoires, écrite pour son fils de 9 ans; le déclic eut lieu quand il écrivit : "Il était une fois, dans le pays d'Alifbay, une ville triste, la plus triste des villes, une ville si épouvantablement triste qu'elle en avait oublié son propre nom. Elle se trouvait près d'une mer lugubre remplie de poissons-chagrin..."
texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...
texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...

texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...

en immersion dans Joseph Anton de Salman Rushdie
tu écris une histoire documentée et tu te retrouves sous le coup d'une fatwa le 14 février 1989 d'un ayatolla qui n'a ni vu ni lu ton roman
te voici désigné, accusé, montré du doigt, pleins feux sur toi
le terrorisme d'état iranien et islamique ne connaît pas les frontières
t'es obligé de te mettre à l'ombre, de t'enfermer de cache en cache, dans l'incapacité de prendre la parole, de te défendre;
tu dépends d'un service de sécurité, de la solidarité de tes amis, de la versatilité de tout un tas de faux amis, de la duplicité des gouvernements dont le décisif gouvernement britannique; tu découvres les retournements de veste, les manquements à la parole; tu suis les tentatives de négociations pour lever la fatwa, confirmée année après année avec augmentation de la prime promise aux tueurs
et tu fais l'erreur de te compromettre dans une déclaration "De bonne foi" parce que tu es tombé dans le piège du désir d'être aimé (chapitre IV)
l'avenir n'est plus ce qu'il était (chapitre V)
au fond du puits, tu comprends que "le compromis détruisait celui qui l'acceptait sans pour autant calmer l'adversaire sans concession. On ne devenait pas un merle en se peignant les ailes en noir mais une mouette mazoutée qui ne pouvait plus voler." page 502
tu ne peux que remonter ou t'effondrer, remonter (apparitions publiques très sécurisées, millimétrées, chronométrées) et parfois sombrer (à la maison, mauvaise humeur, déprime, boisson)
chapitre VI Pourquoi il est impossible de photographier la pampa, Joseph Anton décide de redevenir progressivement, en fonction des évolutions, des autorisations, des refus, des invitations, le romancier Salman Rushdie, un inventeur d'histoires et de poser la question Qui doit contrôler le récit ?
"dans son Aeropagitica, Milton chantait contre les oiseaux criards - celui qui détruit un bon livre tue la raison elle-même...donne-moi la liberté de savoir, de proférer, de débattre librement, selon ma conscience, au-dessus de toute autre liberté -"
et la réponse te paraît évidente : chacun doit être libre d'écrire, réécrire toutes les histoires car tout est histoire, récit, la nation est une histoire, la famille est une histoire, la religion est une histoire et chacun vit dans ces histoires et dans ces grands mythes et chacun doit être libre de prendre à partie ces récits, de les remettre en cause pour les obliger à changer et à s'adapter aux changements de l'époque, "notre capacité à redéfinir et à refaire l'histoire de notre culture est la meilleure preuve que notre société est libre. Dans une société libre, la mise en cause des grands récits est permanente. Et c'est cette discussion qui est la liberté." page 529
coincé de toutes parts alors que déjà des centaines de morts sont à déplorer, que faire ?
"il faut être sur tous les quais pour être là quand le train arrive mais certains quais n'avaient même plus de rails devant eux; c'était juste des endroits où rester debout." page 516
convaincu que la question de la liberté d'expression est centrale pour qu'une société soit ouverte, vivante, (je renvoie à Karl Popper La société ouverte et ses ennemis), Salman Rushdie va entreprendre "son long parcours à travers les couloirs du monde entier... et ainsi après avoir provoqué du désordre, il s'opposait au désordre qui s'en était suivi et demandait aux grands de ce monde de défendre son droit à être un fauteur de troubles... car quelque chose de nouveau était en train de se produire, la montée d'une nouvelle intolérance. Elle se répandait à la surface de la terre et personne ne voulait en convenir. Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l'islamophobie... le puritanisme c'est la peur terrible que quelqu'un quelque part puisse être heureux... le véritable ennemi de ce nouvel islam n'était autre que le bonheur lui-même pages 506-508
sortir de tes caches-cachots pour des lieux publics, symboliques, c'est vivre des moments invraisemblables, par où et comment le service de sécurité te sort de la cache, par où te fait-il rentrer dans le lieu symbolique (jamais par la porte principale ouverte à tous, parfois par le vide-ordure), à quel moment tu apparais, pour l'intervention terminée, disparaître à nouveau
le moins que je puisse relever c'est l'incroyable pugnacité de Salman Rushdie, apprenant que "les idées fortes accueillaient volontiers les opinions contraires. Celui qui lutte contre nous renforce notre résistance et accroit notre habileté. Notre adversaire nous rend service."
et plus loin de critiquer le relativisme culturel, de défendre l'universalisme de certaines valeurs, le multiculturalisme comme certaines sociétés ont su le vivre
Joseph Anton, qui raconte la période vécue par Salman Rushdie, au coeur d'une tourmente d'intolérance qui va du 14 février 1989 aux attentats du 11 septembre 2001, est un livre magistral et d'une actualité toujours aussi brûlante
voir les procès qui s'enchaînent sur les attentats terroristes islamiques en France, à Paris, Toulouse, Nice et autres villes, églises, villages;
voir la féroce répression meurtrière des mollahs et "gardiens de la révolution" contre ce qui est peut-être l'irrésistible révolution des femmes iraniennes soutenues par de nombreux hommes réclamant la vie et la liberté;
à l'intolérance meurtrière et mortifère islamique, d'abord appliquée contre les femmes de ces pays "religieux"
il faut aujourd'hui ajouter la nouvelle intolérance que constitue le déferlement de la religion woke venue des Etats-Unis, effet boomerang du succès de la French theory des années 70, religion pas encore meurtrière mais ça peut venir
sans oublier l'intolérance des vieux totalitarismes du XX° siècle, fascisme et soviétisme, reconfigurés
et les ingérences-interventions planétaires de l'impérialisme américain (le plus agressif des impérialismes depuis plus d'un siècle) sous l'habile déguisement des droits de l'homme et de la démocratie.
Ne pas être dans le rejet, mais dans le combat par le débat. Entendre les arguments souvent fallacieux style novlangue, inversion de la réalité, les démonter, ridiculiser, moquer et être ferme sur les principes universels, s'il y en a (pensons à l'héritage à contre-temps de Lévi-Strauss). Cela ne convaincra pas les fanatiques. Seuls les rapports de forces économiques, politiques, juridiques... décideront des issues des confrontations
Bref, "il n'y aura jamais assez de larmes pour que le monde change." Godard
Il change pourtant, très vite et nous sommes paumés, tentés par la frilosité, menés par les peurs.
une telle note de lecture (sur Le cartographe de l'absence de Mia Couto) résonne pour moi particulièrement avec le Joseph Anton de Salman Rushdie, contextes différents mais même interrogation pourquoi écrire des histoires ?
dans le chapitre VII une cargaison de fumier, je retiens quelques citations :
"la politique mondiale, le grand jeu malpropre, finissait toujours par se retrouver dans cette demeure relativement petite où un gros homme rose dans un bureau ovale tranchait à coups d'affirmations et de négations en dépit du bavardage assourdissant de ses conseillers qui ne cessaient de l'assommer avec leurs "peut-être".
"il s'obligeait à repenser aux règles les plus importantes qu'il s'était lui-même fixées. Ne jamais accepter la description de la réalité que donnaient les responsables de la sécurité, les hommes politiques et les prêtres. Insister au contraire sur la valeur de ses propres jugements et de son instinct.
Il était peut-être un "mort en sursis"... mais lui aussi referait le voyage depuis Le Livre des morts vers "l'éblouissant livre de la vie".
et page 611, je vous laisse découvrir sa déclaration quand il est élu président du Parlement international des écrivains à Strasbourg en 1994, déclaration insistant sur le territoire des langues et des littératures, infiniment plus vaste, plus imaginatif, plus créatif que toute puissance terrestre politique, économique, militaire, déclaration qui fut à l'origine de l'idée réalisée des villes-refuges (une trentaine de par le monde) pour les écrivains pourchassés, exilés ... les maires des villes pouvant plus aisément que les gouvernements pris la main dans le sac entre défense d'un principe et accords commerciaux, mettre à disposition un logement et une bourse

lecture des 915 pages achevée le mardi 8 novembre 2022 (1 mois)

pour des lecteurs entre 50 et 90 ans, ce livre citant lieux, noms avec précision renvoie à beaucoup de noms et de lieux connus; nous sommes à peu près en territoire connu surtout en ce qui concerne les hommes et milieux politiques sauf que nous entrons dans le coeur des pouvoirs; peu d'hommes d'affaires dans cette auto-biographie, sauf des éditeurs, distributeurs, beaucoup d'hommes de l'ombre des services secrets, des services de police, des hommes publics en vue mais vus dans une relative intimité, des portraits au vitriol ou comiques; Derrida, Chirac, Balladur, sauf Mitterrand, sans oublier Clinton, Thatcher, Blair (sa lettre à Tony Blair après sa réception à Chequers est d'une insolence particulièrement bien tournée, pages 780-783); on fait  le tour du monde des capitales européennes, américaines du sud et du nord, d'Afrique du Sud, d'Australie, en Inde à la fin où il revient; on est même invité par le comité Nobel (1992, pages 528-530) qui n'a toujours pas en 2022 attribué le Nobel à Rushdie, on déjeune avec les Nobels et on emporte la pièce d'or servant à payer le repas; on montre de quoi on est capable pour obtenir gain de cause contre les "pontes" du secret et de la sécurité

si vous faites cela, vous n'aurez pas le beau rôle lui dit-on mais vous savez vous non plus;  si vous laissez la lecture avoir lieu, aucun de nous deux ne perd la face, si vous l'interdisez, nous la perdons tous les deux, à vous de choisir

et la lecture est autorisée; il se comporte comme L'Innommable à la Beckett : je ne peux pas continuer, je continue

son désir et sa volonté de retrouver une vie libre, libérée des contraintes et consignes, des autorisations et interdictions, de cache en cache en passant à l'offensive par l'écriture, c'est-à-dire la liberté d'expression, d'imagination en acte (par exemple l'écriture en état d'anticipation de Furie qui sort le 11 septembre 2001) donc par l'édition, donc par la promotion, les lectures publiques et non par la défense abstraite de l'idée de la liberté d'expression, finissent par progressivement porter leurs fruits, cela avec beaucoup d'argent en jeu (les caches sont à ses frais, les déplacements aériens sécurisés donc privés aussi); on comprend  qu'au contrat dont il est l'objet, il répond par des exigences contractuelles envers ses éditeurs et diffuseurs (il lui faudra 5 ans pour obtenir la parution en poche de l'édition anglaise des Versets sataniques);

se libérer, se montrer c'est aussi en montrant qu'il n'a pas peur, inciter chacun à ne pas avoir peur, à vivre malgré tout comme on a envie de vivre; vous ne m'aurez pas à la peur; vous ne m'aurez pas à la haine; vous n'aurez pas ma haine

ou dit autrement, en me montrant comme écrivain face à mon public, je réfute en acte la posture de victime d'une fatwa pour les laïcs, la posture de blasphémateur d'une religion pour les fanatiques, deux impostures qui me sont imposées, l'une devant pourtant combattre l'autre

il apprend à travers des vacances régulières et déplacements non sécurisés aux USA, à apprécier ce pays et décide de s'y installer tout en conservant un pied à terre en Angleterre

cette période de 1989 à 1998 puis 2001 est bien sûr chaotique du point de vue personnel, affectif, sentimental mais en sachant que "le bonheur s'écrit à l'encre blanche sur des pages blanches" Montherlant

c'est la séparation et le divorce avec Marianne, la rencontre d'Elizabeth, la naissance de son second fils, Milan, leur mariage, les hauts et bas de leur histoire (elle veut rester en Angleterre, il veut vivre aux Etats-Unis), leur divorce difficile, leur réconciliation ensuite et l'amitié durable, le souci de l'éducation de son premier fils, Zafar, qu'il a eu avec Clarissa,  et qui perd sa mère d'un cancer en très peu de temps, l'aventure d'une nuit avec Caroline L. (elle est nommée, je ne le révèle pas), la rencontre avec L'Illusion au pied de la statue de la Liberté lors d'une fête somptueuse donnée par Harvey Weinstein (je vous laisse le soin de faire le people sur internet) et la vie avec L'Illusion dont il se séparera au bout de 3 ou 4 ans

cette autobiographie publiée en 2012 lui a permis de tourner la page de ces 10 ans, elle n'a pas empêché un fanatique de le poignarder en août 2022, il a perdu un oeil et l'usage d'une main (révélations datant d'octobre 2022) sans connaissance encore des séquelles des autres blessures, il se remet doucement dans le plus grand secret

il a eu le temps de faire paraître un ensemble d'essais Langages de vérité, chez Actes-Sud, le 2 novembre 2022, jour des défunts

en conclusion, je suis très content d'avoir renoué avec la fiction, ici l'auto-fiction

j'ai senti plus d'une affinité entre Joseph Anton et mon propre récit Et ton livre d'éternité ? alors que ma méconnaissance de Rushdie était quasi-totale

vies et mondes parallèles par exemple, pages non paginées 

ou le récit pages 315-338 : 

11 septembre 2001 / Frappe au Cœur du Monde / Le tayrorisme 

une différence notoire, tout de même; Rushdie traite tous les gourous indiens de charlatans (évidemment il ne cite personne, sinon, il se ridiculiserait : Tagore, Krishamurti, Ramana Maharshi, Sadhguru, Gandhi, Deepak Chopra, Eckart Tolle, Bruce Lipton...);

ce n'est pas mon cas; depuis 2019 j'ai lu énormément, suivi des master-classes mais avant j'avais déjà de l'intérêt sans que j'y attache d'importance (Krishnamurti lu très jeune, yoga, qi jong)

lui crée des passerelles entre modes très anciens de narration et monde moderne allant de plus en plus vite (si internet avait existé en 1989, la fatwa aurait provoqué un raz de marée, le basculement eut lieu en 2001; Google est créé en 1998) mais il n'y a pas eu chez lui le signal d'un éveil spirituel

il a formidablement géré sa situation d'exilé, de séquestré, en y intégrant les siens, ses proches, avec rigueur, droiture, honnêteté, humour mais son logiciel reste un logiciel de dualité;  même s'il refuse de décréter ceci c'est le bien, cela c'est le mal, ses valeurs, ses principes, universalistes, humanistes sont valeurs et principes d'une aire civilisationnelle s'étant imposée au reste du monde et de plus en plus massivement contestée, doublement contestée (par d'autres puissances, empires et par l'éveil spirituel, la métamorphose intime de plus en plus de gens)

la dimension spirituelle c'est la découverte et la pratique du travail sur soi, d'accueil de tout ce qui nous habite ombres (avec la lumière de l'outre-noir offerte à Pierre Soulages, et celle renvoyée par les trous noirs) et lumières (voir en infra-rouge et en vision normale, infra-rouge pour les guerriers, normale pour les normaux plutôt aveugles, aveuglés, voir en myope ou en presbyte, voir en regard éloigné ou en regard d'actualité...), de tout ce qui nous traverse (nous sommes des passants et des passeurs de ce qui nous dépasse, ne serait-ce que ce que nous appelons le temps : c'est quoi vivre son temps, vivre contre son temps, vivre l'impossible aujourd'hui ?) et le remplacement du vide incréé dont il parle une fois page 722 par le vide créateur, la transformation de la dualité (même sous le nom de l'unité des contraires héraclitéenne) en expérience de la non-séparation, de l'intrication, de l'effet papillon, de la masse critique faisant passer de la chenille urticante au papillon), expérience de l'Unité, du Un, du Soi

c'est à 80 ans que "ma" métamorphose a eu lieu, il en a 75, il a encore le temps, je le lui souhaite

dernière remarque et pas des moindres: le vide de l'incréé; il évoque la naissance de Milan, son deuxième fils; Elisabeth est atteinte de translocation chromosomique; bonheur, la première grossesse est viable (le hasard, une chance sur deux), voilà une façon très matérialiste de parler, réductrice,  scientiste; elle veut plusieurs enfants, deuxième grossesse, échec, fausse couche; elle renonce, il n'y aura que Milan

autre façon de faire récit, créant une autre réalité : et si la Vie - on peut dire aussi l'Amour - force cosmique -, si une âme en attente, avait choisi de s'incarner en Milan qui rendra l'âme hors, l'âme or quand sa mission de vie sera terminée 

 

une citation d'Albert Camus et deux autres d'Eckhart Tolle
1- Quoi que nous fassions, la démesure gardera toujours sa place dans le coeur de l'homme, à l'endroit de la solitude. Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n'est pas de les déchaîner à travers le monde; elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres. 
2- Les conflits dans le monde sont le miroir de nos conflits intérieurs non résolus.
Eckhart Tolle :
Au lieu de se demander « qu’est-ce que je veux de la vie ? », une question plus puissante est : « qu’est-ce que la vie veut de moi ? »
Rushdie parle de bonheur, il voit bien que ce sont de petits moments, de rares moments, et dont le prix est dans la réponse à la question : "jusqu'à quelle cruauté était-il prêt à aller pour poursuivre son bonheur personnel ?" page 850
page 644, il écrit : "la vie humaine prenait rarement une forme logique, elle n'avait de sens que par moments, ses maladresses étaient la conséquence inévitable de la victoire du fond sur la forme, du quoi et du quand sur le pourquoi et le comment."
pour que l'inverse prenne forme, pour que pourquoi et comment soient plus puissants que quoi et quand, il faut renoncer à une vision de la vie selon le hasard, les aléas de l'existence
on va du miracle de la naissance au mystère de la mort au travers d'épreuves nécessaires pour que nous puissions nous libérer de schémas répétitifs acquis dès avant la naissance et venus d'héritages familiaux, sociaux, civilisationnels qui nous font agir en état d'hypnose individuellement et collectivement au prix de grandes violences, de morts par millions (pensons aux deux guerres mondiales du XX° siècle)
page 841, il en a conscience en écrivant : "le schéma de sa vie amoureuse continuait à se répéter." mais il ne va pas plus loin
j'ai tenté après le livre d'éternité de faire le point dans le carnet l'amour de la vie
 
 

extrait  de Et ton livre d'éternité ? de JC Grosse et Vita Nova

pages 237 à 240 

*** note d’un chercheur :

chercheur en cherchologie, qu’est-ce ? Il s’agit d’un discours et d’une pratique visant à valider le travail du chercheur. Le travail du chercheur peut porter sur lui, il cherche le sens de la vie, le sens de la mort, il cherche le bonheur, il cherche des pièces de monnaie dans le sable, il cherche le graal, il cherche à se résilier, à se détruire, à se réaliser, à s’élever, à faire chier le monde, à dominer. Tout existe, vertus, vices, perversions, variétés des positions, des pratiques de n’importe quoi. Tout existe en nombre indéfini, incommensurable mais fini. L’infini n’est ni pour l’univers ni pour la terre ni pour la connerie. L’infini c’est la matrice qui engendre le fini. Nous sommes êtres finis, êtres de finitude, êtres de finité.

Le chercheur peut être humble dans sa cherche, il peut être hubrique, lubrique, brique. Bref, chaque chercheur est unique et sa cherchologie lui est personnelle, n’est nullement scientifique, objective. L’objet de sa cherche peut lui être extérieur, curieux qu’il est du monde, de tel ou tel illustre personnage, de telle ou telle belle anonyme.

Je suis donc chercheur en révélations sur Celui qui parfois se fait appeler Lui, qui parfois dit Je, hyérosolymitain d’Avers sous les eaux depuis le Déluge, d’Avers sur les eaux et de Corps Ça Vit, celui qu’on appelle communément J.C.

Pourquoi m’a-t-il tapé sur le système sympathique, celui du stress et des sentiments négatifs ? Parce que je sens dans sa volonté d’invisibilité, dans sa pratique du bénévolat un insatiable désir de reconnaissance faciale par les caméras urbaines installées dans le village qu’il prétend aimer.

Une étudiante en cherchologie, dents longues, se demande si j’ai des informations sur ce qui a poussé Lui-Je à écrire ces romans. La cherchologie ne peut exister que par l’existence de traces. Tout laisse trace et comme le passé ne s’efface pas, il est possible de retrouver des traces de tout ce qu’a vécu un vivant, traces matérielles mineures, genre déchets, rebuts, traces matérielles majeures, genre monuments, œuvres. C’est par l’interprétation subjective de ces traces matérielles qu’éventuellement on approche de l’âme : la sienne ou celle de l’ autre. Evidemment, faire parler les traces, c’est les faire parler au présent et du point de vue du chercheur. Aucun chercheur ne fait parler les traces en vérité. Tout chercheur falsifie donc en fonction de ses orientations conscientes et inconscientes. Il s’agit d’une pratique généralisée de la projection. Les chercheurs n’élaborent aucun savoir. Le travail d’un chercheur ne vaut que pour lui.

J’ai effectivement essayé de savoir ce qui avait conduit Lui-Je à écrire ce roman (fresque, épopée ?). J’ai découvert qu’il a suivi douze leçons gratuites de contentologie, douze leçons offertes par un contentologue sur comment écrire un roman. La contentologie c’est l’art d’être content par l’écriture. C’est aussi l’art de se contenter de ce qu’on est, de ce qu’on a, l’art donc de se résilier selon le neuro-psychiatre bienveillant, résilient et résistant des hauts-plateaux, Boris Cyrus de Niq.

Je soupçonne Lui-Je de se faire une cure de contentologie.

J’espère pour toi, lectrice, lecteur, étudiante en cherchologie que vous n’abandonnerez pas vos lectures après ces révélations.

Avouons-le : le roman de Lui-Je est particulièrement chaotique. Mais qu’à cela ne tienne, du chaos peut naître un nouvel ordre. Un ordre ancien s’effondre (ça dure, ça dure), chaos, un ordre nouveau émerge (ça dure, ça dure). Personne ne peut prédire la durée et les formes d’un effondrement, la durée d’un basculement et les formes d’une émergence. Personne, nihistorien, ni philosophe pré-socratique, ni scientifique nobélisé ne peut dire si ordre-chaos-ordre, c’est un cycle ou si c’est aléatoire, stochastique...

On peut dire que chaque chercheur trouvera dans ce roman ce qu’il y mettra.

Les rubriques de Sa vie antérieure se présentent selon un ordre chronologique concernant soit des périodes soit des événements. C’est un choix classique de construire sa vie antérieure, sa biographie, de façon chronologique. Sauf que Sa vie antérieure est une chronologie particulièrement trouée ou mitée. Aucune volonté de faire de sa vie antérieure, un tout, cohérent ou expression des hasards de sa vie. Sa vie antérieure par ses dites et redites semble moins le récit objectif (impossible, tout récit de vie étant une fiction, biographie fictionnelle ou fiction biographique) de sa vie que le miroir que se tend Je-Lui pour rendre sensible, perceptible son incommensurable commerie.

En montrant l’insistance dans ses « analyses » du monde, des bruits du monde à tel ou tel moment, des sempiternels lieux communs perroquetés cacatoétés par tout un chacun, croyant émettre une « analyse » personnelle, ne cherche-t-il pas à disqualifier l’indéfini bavardage commentant l’actualité.

On parle, on commente, on se croit personnel, original, on perroquette, on cacatoète.

Silence donc sur les bruits du monde. Parasitage universel, global dont les fonctions et effets sont la commerie, cette aptitude à faire comme, en croyant être singulier.
Sa vie antérieure est donc peut-être ce qui a permis à Lui-Je de se retourner, de retourner son regard vers l’intérieur, vers lui, vers qui suis-je ? Son nombril dit sa fille qui l’adore. De gagner en liberté intérieure en renonçant à toute « analyse », à toute « action » sur le monde. De renoncer par le silence au pouvoir dérisoire du faire et de gagner à être qui Je Suis. Cette libération du perroquetage, cacatoétage lui a demandé 60 ans.

Sa découverte récente de l’hypnose quantique (au sens de préfères-tu l’état ou le mouvement, la fixité ou la fluidité) lui a donné un outil fabuleux pour se reprogrammer. Tu es en colère contre le gouvernement. Tu ressens cette colère. Qui ne changera rien à l’état du monde et te rongera le foie. Hop, un pas de côté : Je suis en colère ou pas. Alors un deuxième pas. Je suis en colère ou pas. Ou pas. Tu sais plus dans quel état t’es. Ta colère s’est dissoute. T’es dans la mouvance de la vie, dans l’impermanence de tout « état ».

Il a même perfectionné l’outil. En changeant le temps du verbe. Je suis en colère, j’étais en colère, je serai en colère ou pas. Ou pas. En dansant le tango, il obtient des résultats pareils : ne pas rester dans un état morbide, une émotion négative, un sentiment paralysant. Pas de médoc.

De l’auto-suggestion, de la méthode Coué ridiculisée par le grand nombre mais si efficace quand on sait s’en servir pour prendre de la distance par rapport à soi comme et se trouver soi-s’aime.

*** note de l’auteur : la note du chercheur a été écrite alors que je n’avais pas encore décidé de la forme à donner à Sa vie antérieure. Le matériau était là. Me manquait la forme. C’est en lisant qu’on devient liseron. C’est en lisant les lignes suivantes que j’ai opté pour vies parallèles.

Les vies que nous n’avons pas vécues, les êtres que nous n’avons pas aimés, les livres que nous n’avons pas lus ou écrits, ne sont pas absents de nos existences. Ils ne cessent au contraire de les hanter, avec d’autant plus de force que, loin d’être de simples songes comme le croient les esprits rationalistes, ils disposent d’une forme de réalité, dont la douceur ou la violence nous submerge dans les heures douloureuses où nous traverse la pensée de tout ce que nous aurions pu devenir. Pierre Bayard, Il existe d’autres mondes. (Les Éditions de Minuit, 2014)

La physique quantique en révélant l’intrication, la superposition d’états des particules dont nous sommes composées nous invite à prendre en considération cette dimension d’états indéterminés, existant potentiellement et dont un devient réel par le simple fait de la présence d’un observateur. Je suis donc observateur et co-créateur des univers que j’observe et crée. Dans le même temps, les autres univers, les univers potentiels ne sont pas abolisbibelots.

À lire : La Théorie quantique (paru fin mai 2021) de John Polkinghome, physicien théoricien de Cambridge et père anglican. « J’ai personnellement appris la mécanique quantique directement de la bouche du cheval, de la source, de Paul Dirac qui l’enseigna 30 ans durant à Cambridge. Dirac prit un morceau de craie, le brisa en deux, plaça un des fragments d’un côté du pupitre, l’autre de l’autre côté. Dirac dit alors que pour la physique classique, il y a un état où le morceau de craie est « ici » et un état où le morcaeu de craie est « là ». Ce sont les deux seules possibilités. Si on remplace le morceau de craie par un électron dans le monde quantique, il n’y a pas seulement des états « ici » et « là » mais aussi toute une série d’autres états qui sont des mélanges d’un peu de ces possibilités, un peu d’ « ici », un peu de « là » qui s’ajoutent alors que dans la physique classique, ces deux états s’excluent mutuellement. Cette nouvelle possibilité est appelée le principe de superposition. » p.34

Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits

Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits

La furie s'est emparée du monde, de New York, du professeur Malik Solanka. Ce dernier a fui l'Angleterre, laissant derrière lui une femme et un enfant, et s'est établi à Manhattan pour « se déprendre et se refaire » . Mais recommencer de zéro est tout un art quand on est poursuivi par des spectres, des furies, des souvenirs. Délaissant l'histoire des idées qu'il enseignait dans le Vieux Monde pour la fabrication d'étranges poupées pensantes aussitôt médiatisées, Solanka découvre que d'autres poupées, de sang et de chair celles-ci, subissent la colère d'un mystérieux assassin, le Tueur au panama. Gravitant autour du Professeur, des femmes aussi ingénieuses que belles vont tenter de sauver Solanka de cette furie qui le dévore de l'intérieur : la mystérieuse Mila et ses jeux érotiques à la limite du pervers, et la somptueuse Neela, la plus belle femme du monde, qui se sacrifiera au bout de la planète pour que Solanka puisse retourner chez lui.

Quand il advient – tous les quelques siècles – que se brisent les sceaux cosmiques, le monde des jinns et celui des hommes entrent momentanément en contact. Venue une première fois sur terre au xiie siècle, Dunia s’est éprise d’Ibn Rushd (alias Averroès), auquel elle a donné une innombrable descendance dotée de l’ADN des jinns. Lors de son second voyage, neuf siècles plus tard, les jinns obscurs ont décidé d’asservir la terre. Pour assurer la victoire de la lumière sur l’ombre, Dunia s’adjoint le concours de quatre de ses rejetons et réactive leurs pouvoirs magiques afin que, pendant mille et une nuits (soit : deux ans, huit mois et vingt-huit nuits), ils l’aident à affronter un ennemi répandant les fléaux du fanatisme, de la corruption, du terrorisme et du dérèglement climatique…
Inspiré par une tradition narrative deux fois millénaire qu’il conjugue avec la modernité esthétique la plus inventive, Salman Rushdie donne ici une fiction époustouflante et saisissante d’actualité.

Langages de vérité : Dans ce recueil d’essais, articles et autres discours écrits sur une période de dix-sept ans, Salman Rushdie se fait historien, conteur, ami et critique de ses auteurs favoris, mais aussi guide pour écrivain en herbe. Ainsi navigue-t-il entre origine des contes et de la littérature, cours magistral d’écriture, anecdotes sur l’évolution d’une œuvre à travers les âges ou sur les liens entre tel et tel auteur, et analyse de ses propres romans. *Langages de vérité* jette une lueur sur “l’atelier poétique” de l’auteur, sublime caverne d’Ali-Baba. Réunis pour la première fois, ces textes entonnent un puissant hymne à la création et à la liberté de créer, dans un monde où la liberté d’être soi-même (quoi que cela recouvre) est de plus en plus menacée.

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Elle s'appelait Agnès, il s'appelle Matthieu

Rédigé par grossel Publié dans #agoras

Agnès Marin, inhumée au Père Lachaise, le jour de ses 14 ans, le 26 novembre 2011, le collège-lycée du Cévenol aujourd'hui fermé, collège des Justes pendant la 2° guerre et 2° chance pour de nombreux élèves venus du monde entier
Agnès Marin, inhumée au Père Lachaise, le jour de ses 14 ans, le 26 novembre 2011, le collège-lycée du Cévenol aujourd'hui fermé, collège des Justes pendant la 2° guerre et 2° chance pour de nombreux élèves venus du monde entier
Agnès Marin, inhumée au Père Lachaise, le jour de ses 14 ans, le 26 novembre 2011, le collège-lycée du Cévenol aujourd'hui fermé, collège des Justes pendant la 2° guerre et 2° chance pour de nombreux élèves venus du monde entier

Agnès Marin, inhumée au Père Lachaise, le jour de ses 14 ans, le 26 novembre 2011, le collège-lycée du Cévenol aujourd'hui fermé, collège des Justes pendant la 2° guerre et 2° chance pour de nombreux élèves venus du monde entier

le livre pluriel que j'ai initié en soutien aux parents, grands-parents d'Agnès
le livre pluriel que j'ai initié en soutien aux parents, grands-parents d'Agnès
le livre pluriel que j'ai initié en soutien aux parents, grands-parents d'Agnès

le livre pluriel que j'ai initié en soutien aux parents, grands-parents d'Agnès

Déjà deux réactualisations de cet événement, tragédie grecque dit Solange Marin, la grand-mère. Hier soir, 2 avril 2017, diffusion de l'émission Faites entrer l'accusé. Cette enquête minutieuse avec de nombreux témoignages est chargée en émotion, en interrogations et me laisse sur un profond malaise. La confrontation au Mal absolu comme dit l'avocat de la famille Marin et le plus terrible, l'absence de compassion, mot si mal entendu, comportement si rare. Je n'en ai point senti dans cette émission, 5 ans et demi après.

JCG

Réaction d'un auteur de théâtre: Oui je crois que le mal absolu existe. Oui la parole est là pour avancer dans le corps de la souffrance, et défaire les silences, ouvrir cette absence de mots qui crée des cryptes où sommeillent les gestes de destruction. Devant son geste le garçon dit “jouissance“. Questionné, il recommencera s'il a le "cran" de le faire. Il faudrait d'autres mots en face de ce désastre total de rapport au réel de l'autre. Il me semble qu'ils existent. Même si le mot "compassion" paraît bien faible devant la glaciation humaine du garçon. Moni

Il y a 5 ans, le 16 novembre 2011, éclatait l'affaire Agnès M., suite au viol et à l'assassinat barbare d'Agnès,  allant sur ses 14 ans, par un lycéen du Chambon sur Lignon, condamné comme mineur et malade mental à la perpétuité, (seul cas en France, c'est dire la violence des faits et l'impossibilité ou incapacité de comprendre un tel acte).

Je réactualise donc cet article qui présente le livre pluriel, Elle s'appelait Agnès, écrit par solidarité et en empathie avec la famille, les grands-parents en particulier qui ont suivi l'écriture du livre, avant de me demander de ne pas le publier de façon comminatoire. J'ai satisfait à l'injonction jusqu'à ce que justice passe, 2 procès, juin 2014, octobre 2015. J'ai décidé de publier le livre après la projection du film Parents à perpétuité où les parents de Matthieu s'expriment, plus de 4 ans après les faits. Au moment de l'écriture, nous avons "oublié" les parents de l'assassin, sauf un texte entre Père et fils, signé François Lapurge.

JCG

P.S.

Hasard ou pas, ce 16 novembre 2016, diffusion du film Truman Capote, réalisé par Bennet Miller, avec Philip Seymour Hoffman et Catherine Keener dans le rôle de Lee Harper, l'amie et auteur d'un seul livre, livre culte, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur. Le film retrace entre autre la genèse du roman-vérité De sang-froid, en lien avec l'assassinat le 14 novembre 1959 de 4 membres de la famille Clutter dans un village du Kansas, Holcomb, par deux jeunes marginaux Perry Smith et Richard Hickock, qui finirent pendus le 14 avril 1965, Truman Capote les ayant suivis en prison, ayant assisté à l'exécution, épreuve dont il ne se remettra pas.

D'où mon interrogation: avons-nous eu raison de choisir la fiction, ne pouvant écrire des récits documentés tant sur Agnès que sur Matthieu ?

J’ai l’impression qu’il y a 3 choix possibles par rapport à l'écriture sur le mal, le silence (motivations multiples), la fiction, le document-vérité ( Truman Capote, Charles Reznikov dans Testimony ou Holocauste);
la moins dangereuse pour soi est la fiction me semble-t-il,
c’est pourquoi je suis peu réceptif à tout un tas d’écrits y compris de théâtre où on se met à la place de, après s’être documenté sur ce que vivent les gens dont on veut parler
(je ne citerai pas de noms, pas d’oeuvres)

Réaction d'un auteur de théâtre, Caroline de Kergariou :

Cher Jean-Claude

Je lis avec surprise ta postface à ton article et ne suis pas du tout d'accord avec ton propos.
Je suis littéralement descendue aux enfers (des mois de dépression majeure, un état de zombie) quand j'ai écrit LA CAVE qui est pourtant une pure fiction.
Alors, la fiction ferait-elle courir moins de risques à l'auteur ?
Peut-être cela dépend-il des gens... Petit détail supplémentaire : je ne me suis pas documentée sur l'affaire avant d'écrire, seulement après.
J'avais juste le souvenir de deux gamines mortes de faim dans une cave.
Je me suis demandé ce que l'on pouvait éprouver dans une telle situation, c'est ce que j'ai cherché à imaginer.

Amicalement, Caroline, Paris, le 20 novembre 2016

L'article de wikipédia consacré à ce qui s'appelle L'affaire Agnès M. présente cette tragédie me semble-t-il avec précision ; je reste dubitatif cependant sur toutes les remarques concernant les"défaillances" et "dysfonctionnements", les "erreurs et fautes" d'expertise qui ont suivi le 1° viol et l'entrée au Cévenol; après coup, il est facile d'exhiber la dangerosité du "monstre" (le terme a été employé sans vergogne par la presse) et de se faire le chroniqueur d'une tragédie annoncée; le débat qui a suivi la projection du documentaire Parents à perpétuité est très instructif à cet égard; des erreurs peut-être, des fautes, c'est à prouver; la famille d'Agnès a demandé en avril 2015 au Conseil supérieur de la Magistrature d'examiner les décisions de la juge qui a instruit la 1° affaire de viol ; elle « a fait preuve de manquements dans l'exercice de son métier de juge d'instruction ». « Nous demandons au Conseil supérieur de la magistrature d'examiner ce dossier et de prononcer à son encontre une sanction disciplinaire », concluent-ils. À suivre donc.

Le 24 avril 2017, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que des "fautes" avaient été "commises lors de la mise en liberté". Pour cette "faute lourde", l'État devra payer 185.000 € de dommages et intérêts à la famille de la victime.

Les parents de Matthieu, l'assassin d'Agnès, s'expriment, les soeurs aussi, dans le documentaire réalisé par Anne Gintzburger, Parents à perpétuité, même titre qu'un article du Monde magazine du 15 novembre 2014, documentaire diffusé sur LCP Public Sénat, samedi 7 février et dimanche 8 février 2016. C'est un documentaire d'une grande force émotive et réflexive. On y apprend que le lycée du Cévenol a définitivement fermé. 76 ans d'histoire et toute une histoire de Justes balayée par deux crimes qui font poser la question: monstre ou humain ? Les parents et les soeurs (17 et 11 ans) répondent par une attitude exemplaire d'amour parental et soral; Sophie la mère est particulièrement touchante, le père Dominique dit des choses fortes; j'ai beaucoup apprécié les propos de Margaux, l'aînée (quelle maturité) et de Zelie la dernière (son histoire de Matthieu blanc et de Matthieu noir est parlante et sans doute cathartique). Matthieu est le seul mineur condamné à la perpétuité en France. Déclaré malade au 2° procès, il a été recondamné sans circonstances atténuantes. À son propos, un psychiatre a évoqué un OVNI scientifique. Marcel Rufo qui suit les parents parle de psychose mais ce n'est pas le nom de sa maladie, de sa pathologie. Son indifférence affective par rapport à son crime est ce qui fait problème, pas de regrets, pas de remords, pas de demande de pardon. Rufo se demande: sera-t-il capable avec le temps de sortir de cet état ? Une psychanalyste de mes amies m'a évoqué une structure possible de pervers paranoïaque. On ne peut qu'éprouver de l'empathie pour ces parents à perpétuité, pour les soeurs de Matthieu.

Bien sûr on n'oublie pas Agnès ni la famille d'Agnès.

Suite à la diffusion de ce documentaire que j'ai regardé deux fois, Les Cahiers de l'Égaré ont fait imprimer 100 exemplaires du livre Elle s'appelait Agnès, écrit par un collectif d'auteurs de théâtre, de professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (éducateur en prison, directeur de prison pour jeunes, psychologue), livre écrit par solidarité avec la famille d'Agnès. Ces auteurs ont participé pour un certain nombre d'entre eux à la marche blanche du 16 novembre 2012 à Paris, à la mémoire d'Agnès. Il y a plusieurs textes en lien avec le double violeur-tueur car dans une telle tragédie, on ne peut dissocier le bourreau et la victime. Cela fit problème lors d'une rencontre des auteurs à Paris, en novembre 2012, indépendamment de la présence à cette réunion des grands-parents d'Agnès. Le texte Essai d'abjection introspective fut violemment critiqué. Moi-même quand je l'avais reçu, j'avais dit: il est irrecevable. J'avais dit à l'auteur: Prolonge ton texte sur ce qu'il éprouve au moment de l'acte monstrueux par ce que dit le bourreau après dix ans de suivi et de prison. Dans le 2° texte, le bourreau n'a pas changé d'un pouce, quelques mots seulement ont changé. Nouvelle proposition à l'auteur: Écris alors du point de vue de la victime, sa prise de conscience après coup qu'elle a eu affaire non au prince charmant mais à la beauté et à la monstruosité du diable au corps.

Deux lettres recommandées me sommèrent en décembre 2012 de ne pas publier le livre dont on avait prévu la sortie après le procès de juin 2013.

J'ai respecté l'injonction qui m'a été faite alors que rien ne m'empêchait de sortir ce livre pluriel, sur le plan judiciaire et pénal. Aucun nom, aucun lieu, aucune date en lien avec les faits, que de la fiction.

Pour remercier les auteurs qui s'étaient investis dans ce travail d'empathie et de solidarité, j'ai édité seulement les exemplaires d'auteurs du livre Elle s'appelait Agnès, en février 2015 après les 2 procès (2° procès en octobre 2014). Le livre était prêt depuis novembre 2012. Je l'ai édité hors commerce, exemplaires réservés exclusivement aux auteurs, soit 20 exemplaires.

Aujourd'hui, je réimprime 100 exemplaires en tirage avec PVP, partiellement diffusé en librairie mais aussi en vente directe. Et un exemplaire au dépôt légal, ce que je n'avais pas fait en 2015. Je transmettrai un exemplaire du livre à la famille de Matthieu pour leur montrer qu'ils ne sont pas seuls, même si on n'est pas nombreux. Si on avait vu le documentaire Parents à perpétuité, si on avait lu l'interview du 15 novembre 2014 dans le Monde magazine, cela aurait sans doute modifié les écritures des 20 qui ont écrit Elle s'appelait Agnès. Le livre existe maintenant, sans bruit, nourri de la tragédie de deux familles.

Avons-nous eu raison de donner forme à un élan d'empathie qui a été unilatéral ?

Reçu ce message :

Merci Jean-Claude de nous avoir envoyé la video de ce document formidable. Le témoignage de ces parents, surtout celui du père est très touchant, il pose des questions essentielles. C'est enseignant pour nous tous. La justice est paradoxale en reconnaissant Mathieu malade et en le condamnant à perpétuité (un mineur), au lieu de l'orienter vers un service de psychiatrie. Cependant le père note que Mathieu est mieux enfermé dans sa cellule. Il existe en effet des êtres qui se sentent plus en sécurité enfermés car ils perçoivent qu'ils ne disposent pas de défenses psychiques pour contenir ce qui les submerge. Et d'autre part, payer en prison peut être pacifiant par rapport à la responsabilité de leur acte malgré l'absence de culpabilité. La psychose est évidente chez ce jeune, c'est ce que j'ai perçu depuis le début mais c'est étonnant, il n'y a que Rufo qui l'évoque. Bien amicalement M-P

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Le fabuleux pouvoir de vos gènes/Deepak Chopra

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #agoras, #développement personnel

deux livres stimulants, accessibles, sans concessions
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Le fabuleux pouvoir de vos gènes

Deepak Chopra, 2016

Livre de 384 pages, le fabuleux pouvoir de vos gènes demande de l'attention et de la persévérance. J'ai mis plusieurs semaines à le lire parce que je me suis essayé à effectuer un certain nombre de choix faciles dans différents domaines, alimentation, activités, méditation... Ce sont des choix pour la vie, il n'y a donc pas lieu de se précipiter, il faut évaluer ce qui nous convient. Ce n'est pas un livre de prescriptions, c'est un livre de conseils que chacun est libre de suivre selon ses besoins, ses désirs, ses buts. Il y a donc lieu de faire le point, une sorte de bilan, un peu comme le dit l'inscription d'un cadran solaire non loin de chez moi : si tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi, fais la pause et regarde d'où tu viens.

Je ne vais pas décrire mes choix et décisions. Chacun doit les faire pour lui-même s'il est convaincu de l'intérêt profond de ce qui est proposé. Que ces choix et décisions soient complètement fondés scientifiquement, rien n'est moins sûr. Mais la probabilité est grande. Et surtout, le fait de croire aux effets positifs de ce que l'on décide se suffit comme le prouve le fameux effet placebo. Nos convictions, croyances sont agissantes.

Avec ce livre, il en est de même avec le précédent, le fabuleux pouvoir de votre cerveau, Deepak Chopra fait le point sur ce que nous savons, met en question les hypothèses, évalue les effets possibles de ce savoir évolutif sur les gènes. C'est une somme, vivante, non une bible, sur les usages possibles au quotidien d'un savoir récent, en construction, qui met à mal nombre de certitudes, de lieux communs nous venant d'un savoir précédent, devenu obsolète en grande partie, mais qui continue à être colporté, diffusé, partagé. La réactivité de la "communauté" scientifique aux avancées techniques, scientifiques est freinée par des lourdeurs, des enjeux de prestige, de profit, par des cabales, des résistances dogmatiques. La réactivité de la société est bien entendue en résonance avec celle de la "communauté" scientifique, « communauté » étant un euphémisme. Selon le niveau de culture, le statut socio-professionnel et autres déterminations plus ou moins agissantes, les groupes et les individus seront plus ou moins en phase ou plus ou moins en décalage avec l'état actuel des connaissances, avec l'état actuel des polémiques, avec l'état actuel des incertitudes.

Au sortir de ce livre, ce qui domine pour moi est l'impression d'avancées, de percées aux potentialités considérables mais aussi le sentiment que nos savoirs sont plein d'incertitudes, qu'ils ne sont pas acquis durablement, qu'ils sont instables. Il faut donc avoir une curiosité scientifique inlassable, hélas difficile, imposssible à satisfaire car les domaines concernés sont très spécialisés, que les spécialistes sont souvent seuls à se comprendre, que la vulgarisation n'existe pas ou peu, que les passeurs de ces savoirs évolutifs, voire révolutionnaires, sont rares. Autrement dit, l'objectif de vivre avec son temps, avec son temps scientifiquement parlant, qu'il s'agisse de nous, notre corps, notre esprit, qu'il s'agisse de la Terre, de l'Univers, est un objectif inatteignable mais auquel, pour ma part, je préfère ne pas renoncer. Me voir et me vivre selon ce que nous savons aujourd'hui de nous, vivre dans un Univers selon ce que nous en savons aujourd'hui me semble une tentative difficile mais aux effets bénéfiques, en tout cas préférables aux effets sclérosants des modèles précédents obsolètes ou en cours d'obsolescence. Et pour tout dire, je préfère passer une partie de mon temps à me mettre au courant (expression intéressante) de l'état actuel des recherches qu'à m'indigner en permanence des histrions qui occupent le devant de la soi-disant scène qui compte.

Obsolète, la séparation inné-acquis. Obsolète, l'ADN, signature immuable d'un individu. Obsolète, la démarche par causalité linéaire : un symptôme, une « maladie », un traitement. Obsolète probablement, le darwinisme pur et dur confiant au hasard seul, le moteur de l'évolution.

À reconsidérer, les rapports corps-esprit ou corps-mental. Le rôle, la place de la mémoire, des mémoires (le domaine à mon avis, le plus important comme le montre l'ADN, mémoire vivante, agissante en permanence de 3,5 milliards d'années d'évolution, c'est cette mémoire qui est à considérer comme intelligence créatrice, évolutive; l'IA -intelligence artificielle- a beaucoup à nous apprendre sur comment un système se corrige, se développe...). À reconsidérer, nos croyances sur la mort, les représentations que nous en avons. Faire appel à de nouveaux outils, concepts et réalités, la causalité nébuleuse, l'intelligence auto-organisationnelle par rétro-action, feed-back, homéostasie, le génome et sa plasticité, l'épigénome et ses capacités réparatrices ou destructrices découvertes par l'épigénétique selon qu'il y a activation ou désactivation par méthylation , le microbiome (les milliards de bactéries, plus nombreuses que nos cellules qui nous colonisent, très lointaines ou très anciennes et sans lesquelles nous ne pourrions digérer et nous défendre...) et ses interactions au plus petit niveau avec nos cellules. Admettre que nos corps fonctionnent bien, en harmonie, que nous n'avons presque qu'à laisser faire, sauf dans les domaines essentiels de l'alimentation, du sommeil, du stress, de l'activité physique, de l'environnement dans lequel nous vivons, que les dérèglements sont rares, peuvent être partiellement prévenus par une bonne hygiène et qualité de vie, la diversité des cellules et des organes n'étant pas régie par la seule loi de la survie pour chacune et chacun, auquel cas ce serait la guerre permanente en nous mais aussi par une autre loi, le service de l'ensemble, le vivre ensemble si je puis dire, chacun restant spécialisé mais en lien avec le reste, avec l'ensemble, ce n'est pas seulement chacun pour soi, c'est chacun pour tous (à relever le fait que cette diversification, cette spécialisation des cellules et des organes, 79 organes dans le corps humain dont un vient d'être découvert et nommer - il s'appelle le mésentère et est situé dans le système digestif, reliant l'intestin aux parois abdominales, on ne connaît pas encore ses fonctionns -; cette diversification est obtenue à partir d'une cellule qui se divise par mitose, 2 donnent 4 puis très vite on est à des milliards, d'où problème métaphysique, l'indéfiniment grand est-il engendré par division de l'unité ou faut-il postuler l'infini pour en dériver tout ce qui est fini, comptable ?). Ne pas s'énerver quand des paradoxes surgissent et ils sont nombreux, contribuant à nous déstabiliser. Porter un regard différent, nouveau sur nos maladies, l'Alzheimer (pour se faire une idée de comment on a avancé dans ce domaine, on lira L'éclipse de Rezvani où celui-ci décrit avec force détails, sorte de confession implacable, le développement de la maladie chez sa femme, Lula), les cancers, le diabète, l'obésité, nos dépressions. Ne pas croire à la toute puissance de nos choix de vie. Ne pas croire à leur inutilité pour retomber dans les mêmes compulsions de répétition. Avoir plutôt une approche holistique, corps-esprit, une approche tenant compte du contexte environnemental (vit-on en zone fortement polluée ou a-t-on la chance d'y échapper partiellement, ai-je échappé au nuage de Tchernobyl ou pas ?), interrogeant les comportements, remontant dans la psycho-généalogie pour découvrir de possibles héritages par transmission sans doute épigénétique après avoir été culturels et familiaux, une approche consciente de l'impact des mémoires qui nous constituent, donc des durées historiques dont nous sommes les héritiers et les passeurs. Je pense même qu'il faut élargir cette conscientisation jusqu'aux étoiles dont nous sommes des poussières.

Évidemment, je dis tout cela avec mes mots, pour me rendre accessible ce que j'ai retiré de ce livre stimulant, offrant un nombre important de nouvelles connaissances, portant sur la place publique les différends traversant la « communauté » scientifique dont l'ultime différend, métaphysique, primat de la matière, du hasard créateur, option matérialiste dominante chez les scientifiques, primat de la Conscience, d'une Intelligence créatrice, option spiritualiste, minoritaire chez les scientifiques, (il ne semble pas nécessaire de considérer cette Intelligence comme ayant à voir avec « Dieu », avec le créationnisme; comme je l'ai signalé plus haut, je pense que c'est la mémoire qui se constitue, qui se transmet, qui évolue, qui s'adapte, le moteur de cette intelligence créatrice). J'opte pour un mixte des deux, pour une approche corps-esprit, étroitement reliés.

Un exemple de la fécondité de cette approche. L'ADN de chacune de nos cellules, déplié, fait 2,5 m. Sont mémorisés 3,5 milliards d'années d'évolution des espèces avec 4 lettres A, C, G, T enroulés en double hélice, ingéniosité de stockage, ingéniosité de reproduction, de réparation... Par exemple, le chromosome1 humain, qui est le plus grand des chromosomes humains, contient environ 220 millions de paires de bases pour une longueur linéaire de 7 cm. L'ADN recèle toute l'information génétique permettant aux êtres vivants de vivre, de croître et de se reproduire. Certains constituant de l'ADN, l'adénine, la guanine semblent avoir été formés dans l'espace. Cette mémoire n'est pas une mémoire figée, c'est une mémoire évolutive dans le temps, l'évolution continuant, évolution dont on peut penser qu'elle s'accélère avec ce que l'épigénétique nous apprend, à savoir que des modifications acquises de comportements, transmises culturellement sont, dès une ou deux générations, aussi transmises épigénétiquement, transmission dont on ne sait pas dire encore sur combien de générations elle s'effectuera. Ces découvertes modifient l'approche inné-acquis, obligent à reconsidérer les rapports nature-culture (pour le dire clairement, il y a une intelligence créatrice de la nature, de l'univers, de la vie, du corps qui est sans doute sous-estimée par rapport à l'importance accordée à l'éducation, à la culture comme vecteurs de transmission; la tentation cartésienne, l'homme maître de la nature, est toujours dominante; humilité SVP; les mémoires de la Vie sont autrement plus efficaces que cette "mémoire" qu'on appelle Histoire, leçons de l'histoire; l'homme en société n'est pas capable pour le moment de s'auto-réguler, s'auto-corriger; des individus par démarche personnelle évoluent considérablement; un mouvement de fond semble se dessiner mais évidemment les accrocs au fric et au pouvoir veulent se servir au passage d'où le développement de toutes sortes de techniques et stages de bien-être). Cette mémoire est agissante à tout instant car les cellules meurent plus ou moins vite, certaines très rapidement, de l'ordre de la seconde, cellules gastriques par exemple, et donc elles doivent se reproduire à l'identique, se répliquer quasi en permanence (nous avons un corps nouveau, le même et un autre tous les 5 ou 6 mois). Autre information et non des moindres, notre ADN a une durée de vie d'1 million et demi d'années après notre mort. Le clonage a de beaux jours devant lui et donc une certaine immortalité. On ne s'explique pas autrement les recherches à visée très messianiques et lucratives de géants de l'IA comme Google et d'autres. Dernière information: seulement 10% de notre ADN est utilisé pour la fabrication de protéines. C'est ce sous-ensemble d'ADN qui intéresse les chercheurs occidentaux et qui est actuellement examiné et catégorisé. Les autres 90% sont considérés comme de l'ADN junk, l'ADN poubelle dit Deepak Chopra. Cependant, les chercheurs Russes, convaincus que la nature n'est pas stupide, ont rejoint les linguistes et les généticiens en entreprenant d'explorer ces 90% de d'ADN poubelle. Leurs résultats et conclusions sont tout simplement révolutionnaires ! (voir le 1° article en lien ci-dessous).

L'ADN étant utilisé par les êtres vivants pour stocker leur information génétique, certaines équipes de recherche l'étudient comme support destiné au stockage d'informations numériques au même titre qu'une mémoire informatique. Les acides nucléiques présenteraient en effet l'avantage d'une densité de stockage de l'information considérablement supérieure à celle des médias traditionnels avec une durée de vie également très supérieure. Il est théoriquement possible d'encoder jusqu'à deux bits de données par nucléotide, permettant une capacité de stockage atteignant 455 millions de téraoctets par grammes d'ADN monocaténaire demeurant lisibles pendant plusieurs millénaires y compris dans des conditions de stockage non idéales; à titre de comparaison, un DVD double face double couche contient à peine 17 gigaoctets pour une masse typique de 16 g, soit une capacité de stockage 400 milliards de fois moindre par unité de masse.

Prospective personnelle. Il me semble qu'on peut aborder le paradoxe never more, for ever sous l'angle de la mémoire. Tout ce que nous vivons d'immatériel, ce que nous pensons, éprouvons, ressentons, tout cela passe, ne reviendra pas, est passé une fois pour toutes, never more; il n'y a que l'instant présent en déduisent certains, vivons l'instant présent devient un mot d'ordre, rétrécissant, réducteur. Or, il sera toujours vrai que ce qui a passé a eu lieu, for ever, il sera toujours vrai que mon amour pour toi au jour le jour, instant par instant, a duré 50 ans. Outre que je m'en souviens avec plus ou moins de fidélité (en réalité nos mémoires construisent des fictions, des légendes; les chercheurs montrent aujourd'hui que se souvenir c'est se tromper), la mémoire au jour le jour de cet amour existe. Il en est de même de tout ce que j'ai pensé, éprouvé, ressenti, de mon premier cri à mon dernier souffle. J'écris donc un livre non pas d'éternité mais d'immortalité, infalsifiable, véridique, pas écrit d'avance ni utilisé pour un quelconque jugement dernier, livre que je rends en rendant l'âme, expression à revisiter en dehors de toute référence religieuse. Où est stocké ce livre d'immortalité ? Filant la métaphore du livre, on imagine une bibliothèque de tous les livres de chacun, une Babel cosmique. Il me semble que ce livre qui s'écrit instant après instant doit se mémoriser instant après instant dans notre cerveau, dans 4 neurones de notre hippocampe (4 neurones suffisent vu ce que j'ai dit plus haut sur la capacité de stockage dans les nucléotides), peut-être même se mémoriser épigénétiquement. Mais je ne suis pas un chercheur, seulement un questionneur.

J'espère vous avoir donné l'envie de faire votre usage personnel d'un livre qui peut permettre de vivre sa vie, autrement, « mieux », plus sereinement, plus responsablement, de façon plus élargie (le corps comme enveloppe est une notion un peu trop limitée, de même le corps comme machine, on est, on n'est qu'échanges, vie et mort cellulaire en permanence, toujours le même, toujours renouvelé), plus ouverte (sur les autres, à appréhender comme personnes plus que comme groupes, foules, masses, sur la Terre comme auto-organisation de mondes se survivant (la loi du plus fort, la loi du mieux adapté) et en même temps inter-dépendants (la chaîne alimentaire, les éco-systèmes...), l'univers comme le grand milieu ayant rendu possible sous certaines conditions et constantes, la Vie, vivre de façon plus consciente et plus libre, plus créative, plus intelligente, comme un Grand Jeu.

Mais ne soyez pas dupe de la présentation dithyrambique de l'éditeur :

« Selon les auteurs du best-seller Le fabuleux pouvoir de votre cerveau, contrairement à une croyance profondément ancrée, nous ne subissons pas nos gènes : nous pouvons en tirer parti. Les perspectives soulevées par la génétique nouvelle sont palpitantes. Vous découvrirez dans cet ouvrage comment influencer vos gènes de manière à transformer votre vie comme vous le souhaitez. Car vos gènes sont dynamiques et réagissent à tout ce que vous pensez, dites et faites.
Les Drs Deepak Chopra et Rudolph Tanzi vous indiquent les éléments clés pour ne plus subir votre patrimoine génétique : alimentation, sport, méditation, sommeil et gestion du stress et des émotions, tels sont les leviers que tout un chacun peut utiliser pour obtenir des effets sans précédent sur la prévention de la maladie, l’immunité, le vieillissement et les troubles chroniques.
• ouvrage révolutionnaire, qui prend le contre-pied de croyances obsolètes dans les milieux scientifiques et au sein du grand public
• ouvrage à la pointe de la science, mais très accessible à un public non averti
• des clés pratiques et éprouvées pour agir sur ses gènes et sa vie
• des connaissances illustrées par des récits touchants et bien réels
• ouvrage bénéficiant du soutien d’une partie de la communauté scientifique ».


Jean-Claude Grosse, 4 janvier 2017

 

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Freud/Lacan

Rédigé par grossel Publié dans #agoras

samedi 28 novembre 2009
de 14 à 16 H

pause philo
à la médiathèque d'Hyères :

Jacques Lacan, sa conception de l'inconscient
par Jean-Claude Grosse et
Marie-Paule Candillier, psychanalyste

Pour commencer, rappeler la disparition de Lévi-Strauss qui aurait eu 101 ans ce 28 novembre et auquel nous consacrerons la pause philo du 30 janvier 2010.
Notre cycle de 4 exposés est rassemblé sous un titre : Être de bons jardiniers, l’ensemble de l’année, en partenariat avec la LPO et la médiathèque d’Hyères, étant présenté sous le titre : Cultiver son jardin … de la plante à l’esprit.
Nos 4 exposés ont été définis avec les participants à la dernière séance 2008-2009, le 16 mai 2009.
Comment faire parler la métaphore du bon jardinier qui cultive son jardin de la plante à l’esprit ?

Exposé de Marie-Paule Candillier

1 Le moment fondateur de la psychanalyse


Freud invente la psychanalyse en écoutant ses patients en particulier les hystériques.   Il découvre que les symptômes ont un sens sexuel refoulé qui peut être interprété et que l’affection du corps est une conversion c'est-à-dire une représentation  inconciliable avec le moi  «  reportée dans le corporel. Voir  « Etudes sur l’hystérie » avec Breuer  en 1895. « L’interprétation des rêves » en 1899.

2 Les inflexions ultérieures de la psychanalyse

Les successeurs de  Freud,  Anna FREUD, sa fille, la psychanalyse anglaise, Mélanie KLEIN, WINNICOTT…Françoise DOLTO, LACAN

3 Le noyau conceptuel de la psychanalyse

*La psychanalyse est fondée sur  la croyance à l’inconscient, découverte essentielle de Freud.
L’inconscient freudien est un lieu psychique  (notion topique et dynamique). Dans sa première topique en 1915, l’inconscient  est constitué de contenus refoulés qui se sont vus refusés l’accès au système préconscient-conscient  par l’action du refoulement ( refoulement originaire ou après-coup). L’inconscient c’est l’infantile en nous. Il est constitué de « représentants de la pulsion ».

La pulsion est une force psychique consistant en une poussée qui fait tendre l’organisme vers son but. Elle a sa source dans une excitation corporelle ( pulsion orale, anale, génitale). Son but est de supprimer l’état de tension dans  un objet (pulsionnel).

Le fonctionnement de l’inconscient est basé sur le principe de plaisir.
En 1920, Freud remanie sa théorie de l’appareil psychique, il ne parle plus d’inconscient, préconscient, conscient  mais du ça, du moi et du surmoi. Le ça recouvre les caractéristiques principales de l’inconscient, le moi et le surmoi  ont une part inconsciente.

Nous n’avons accès à l’inconscient que par les formations de l’inconscient, rêve, lapsus, acte manqué, mot d’esprit et symptôme qui seront à déchiffrer dans la cure analytique.

Le rêve
Le rêve est un rébus à déchiffrer. C’est l’accomplissement d’un désir.
Les mécanismes du rêve ( déplacement, condensation) mettent en évidence le fonctionnement de l’inconscient. Freud compare le rêve  aux hiéroglyphes dont les signes doivent être traduits. Le contenu manifeste du rêve est une transcription en images ou en mots d’une multitude de pensées du rêve. La condensation opère par omission, fusion ou néologisme.
(Exemple  : NOREKTAL = colossal, pyramidal (superlatif s’adressant à un collègue de Freud qui surestime sa découverte physiologique) = Nora, EKDAL , souvenir de deux drames de l’auteur critiqué.
Le déplacement, autre procédé essentiel du rêve, renverse les valeurs et   travestit le sens.
Ces deux mécanismes  ont pour but    de rendre le désir méconnaissable afin d’échapper à la censure du moi.
*Le sujet  en psychanalyse  n’est pas le moi, c’est le sujet  du désir qui est à  rechercher dans  l’inconscient. Freud parle de fading du sujet. 

4 La cure analytique

C’est à partir de « ce qui cloche », d’un symptôme dont on souffre  que l’on consulte un psychanalyste. Le symptôme se présente toujours comme dysharmonique au principe de  plaisir pour le  sujet. Cependant, pour être mis au travail dans l’analyse, il ne suffit pas de la plainte. Le symptôme ne se construit comme symptôme analytique  et ne fonctionne comme levier de la cure que si le sujet le considère comme une question qui le concerne et qu’il cherche à en lever l’énigme en l’adressant à un analyste auquel il suppose un savoir. La dimension du transfert, l’adresse à l’analyste en position de sujet supposé savoir, permet la mise en acte de l’inconscient.

*La cure analytique a pour but de déchiffrer son inconscient pour accéder au désir,   à partir des  symptômes  et des autres formations de l’inconscient ( rêve, lapsus, acte manqué…)
La cure analytique vise un  au-delà des effets thérapeutiques, celle  de permettre à un sujet de se rapprocher de son désir, qu’il méconnaît car il est inconscient et qui est unique, singulier. Se rapprocher de son désir entraîne des conséquences qui permettent   de poser son désir et de faire de nouveaux  choix de vie. 

*L’efficacité de la cure ne peut être appréciée que par l’analysant lui-même, l’analyse contrairement aux TCC  ne vise pas l’adaptation d’un sujet à la société ni l’éradication du symptôme  mais elle amène des  effets d’allègement par rapport au  symptôme ( dépression, inhibition, somatisation, angoisse…)  et dans le rapport aux autres. Un sujet analysé sort de ses inhibitions, pose davantage ses choix dans la vie et se situe mieux  socialement. Freud  dans « Malaise dans la civilisation » évoque la pulsion de mort toujours à l’œuvre ; l’analyse en permettant  de la prendre en compte au coeur même de son être, est sans doute la meilleure garantie de limiter  la destruction dans le monde.

*La cure analytique peut être longue mais la psychanalyse peut  aussi   s’appliquer à la thérapeutique et orienter la pratique clinique des psychologues, psychiatres et  des soignants du champ de la santé  mentale dans  les institutions. S’orienter de la psychanalyse c’est  prendre  en compte le sujet dans son rapport à l’inconscient et cela peut se faire sur un seul entretien.
La psychanalyse  a des effets thérapeutiques (disparition ou allègement de symptômes). Les CPCT (Centre psychanalytique de consultations et de traitements) en recevant gratuitement sur 16 séances  le démontrent.

5 Le mode de formation des psychanalystes

*La cure analytique menée suffisamment loin est la voie essentielle de formation des psychanalystes. Il s’agit de mettre à jour son désir et son fantasme (sortir par exemple du désir de guérir ou de réparation) pour accueillir la parole de l’analysant sans projeter ses propres fantasmes.
A l’IPA,  la formation de l’analyste passe par une analyse didactique.
Pour Lacan  « l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres » c'est-à-dire de son désir qu’il met à jour dans sa cure et qu’il confronte aux autres dans l’Ecole de la Cause freudienne. A cet effet Lacan a proposé « la passe ». C’est un dispositif dans l’Ecole qui permet de rendre compte du  parcours  de l’analysant dans sa cure et de vérifier  si la cure a été menée jusqu’au bout. Cette démarche n’est   menée que par quelques uns.

*Le contrôle ou supervision est essentiel.  L’analyste parle des cures qu’il mène et des questions qu’il se pose  à un autre analyste plus expérimenté.

*Il n’existe pas de diplôme ni de formation universitaire, les analystes par contre sont en formation constante ; ils étudient les textes de Freud et de Lacan ( ou d’autres) et  travaillent  sur leur clinique afin  de  pouvoir mener le travail avec leurs patients.

*Le fait d’être inscrit dans une école de psychanalyse donne à mon sens  une certaine  garantie de sérieux et de contrôle d’un analyste.

6 L’approche de Lacan

Lacan a revisité l’œuvre  de Freud  et l’a  enrichie de nombreuses autres disciplines, de l’anthropologie avec Levi-Srauss, de  la philosophie avec Kojéve et Koiré et en particulier de la linguistique  moderne avec Jakobson et de Saussure.
Pour Lacan, l’homme est l’effet du langage et  l’inconscient est structuré comme un langage.
Reprenant l’algorithme saussurien  dans lequel « le signe linguistique unit un concept ( un signifié)  et une image acoustique ( un signifiant)  »  Lacan  donne  la prépondérance au signifiant, à la dimension symbolique du langage et affirme que le signifiant détermine le signifié : Signifiant / signifié
Le signifiant est le support matériel du discours, la lettre ou les sons  d’un  mot,  par extension signifiant  désigne tout élément qui a la propriété de signifier, dans sa dimension symbolique.

Lacan est structuraliste, il repère trois registres auquel le sujet a affaire,  réel, symbolique et imaginaire   et donne la  primauté au signifiant, à la dimension symbolique du langage tandis que le moi dans sa fonction imaginaire a un effet de leurre et fait barrage à la fonction symbolique et au désir. 
 L’Autre  pour  Lacan  est le champ symbolique du langage, le champ des signifiants du sujet  ou  l’Autre scène  c'est-à-dire l’inconscient.

*La naissance du sujet
Dès avant sa naissance, l’enfant est dans un bain de langage ( ses parents parlent de lui, lui choisissent un prénom…)
En rentrant dans le langage, le sujet  s’aliène au signifiant   il s’inscrit dans les signifiants de l’Autre ( le premier Autre est l’Autre parental). L’être du sujet n’est alors plus représenté que par un signifiant, un signifiant primordial qui  le détermine dans  sa vie, pour un autre signifiant, c'est-à-dire par sa parole. Dès sa naissance le sujet tombe sous le dessous (fading, chute du sujet). C’est à la fois la condition pour accéder à la position de sujet et sa disparition. De cette opération se produit le refoulement originaire qui constitue  l’inconscient. L’être parlant est à  jamais divisé de cette part inconsciente qui tombe sous le refoulement.

Du fait de l’inconscient le sujet qui parle est divisé. Le sujet n’aura plus accès à l’inconscient ( cette part perdue de l’être) que par les formations de l’inconscient, retour du refoulé.

Pour Lacan, le signifiant agit séparément de sa signification et à l’insu du sujet. Signifiant et signifié ne se recouvrent pas. Lacan représente le discours du névrosé comme deux chaînes, la chaîne signifiante et la chaîne signifiée qui glissent l’une sur l’autre en sens inverse et s’entrecroisent par le point de capiton qui donne sens au discours.
L’analyse permettra de retrouver le sens inconscient en remontant la chaîne signifiante par les associations d’idées et de mots, d’un signifiant à l’autre.
La métaphore ( la substitution d’un terme à un autre) et la  métonymie ( la partie  pour le tout ou  la  contiguïté d’un mot à un autre) sont  deux mécanismes empruntés à Jakobson,    qui produisent  un effet de signification.

Le «  je » de l’énonciation ( du côté du désir, de l’inconscient) qui est essentiellement mis en jeu dans la cure est différent du « je » de l’énoncé ( ce que je dis, le bla bla). Quand on parle, on ne sait pas ce que l’on dit, on en dit toujours plus qu’on ne croit.

*L’oedipe, la métaphore paternelle, la castration  ( Séminaire V : les formations de l’inconscient)

   Temps 1 L’enfant en naissant, cherche à capter le désir de la mère, à être le phallus ( l’objet imaginaire du désir de la mère). A ce stade, il est  désir du désir de la mère, identifié à l’objet de son désir.
  Temps 2 L’interdiction de l’inceste doit le déloger de cette position. Cette interdiction vise non seulement l’enfant mais aussi la mère : le père intervient  comme  interdicteur de la mère pour l’enfant : «Tu ne coucheras pas avec ta mère »  et comme privateur  de la mère de l’objet de son désir, l’enfant : «  Tu ne réintègreras pas ton produit ».
C’est la mère qui introduit la loi du père, une loi symbolique au-delà de son caprice.
Pour que le père incarne l’interdit de l’inceste, il faut qu’intervienne le « Nom du père » ou « Métaphore  paternelle » une fonction  tierce entre la mère et l’enfant. Le Nom du Père est un signifiant qui vient se substituer au   signifiant  maternel ou désir de la mère NP / DM
La  métaphore paternelle est un signifiant essentiel qui introduit l’ordre  symbolique  chez  l’être humain, qui fait point de capiton   et donne sens  au  langage, elle  permet  d’accéder    à la signification phallique.
La forclusion de la fonction paternelle entraîne la psychose.

 Temps 3 La Métaphore paternelle permet à l’enfant à la fin de l’oedipe de s’identifier au père par l’Idéal du moi et de s’inscrire dans la différence des sexes comme homme ou comme femme. Pour être inscrit dans la sexuation, il faut passer par le complexe de castration, renoncer à être le phallus de la mère. L’enfant passe de la position « d’être le phallus » de la mère, l’objet de son désir, « à l’avoir »,  à la fin de l’oedipe,  être un homme porteur du phallus pour le garçon et  une femme qui trouve le phallus chez un homme.

La castration pour Lacan est plus généralement le rapport au manque, un manque symbolique qui est la condition de l’être parlant  du fait du langage et qui introduit le désir.

*Dans le dernier enseignement de Lacan, le réel de la jouissance

Alors  que dans son premier enseignement jusqu’en 1962, date du  Séminaire «l’angoisse », Lacan donnait la primauté au symbolique et pensait que l’interprétation pouvait  résorber le symptôme, l’inertie rencontrée dans les cures de ses analysants, l’amène à prendre en compte une autre dimension, celle de la jouissance.
La jouissance est la dimension pulsionnelle qui résiste à la symbolisation. Il la nommera « objet a » (objet oral, anal, le regard et la voix), le reste de jouissance non asséchée par le symbolique. En effet si le symptôme  a une face signifiante qui peut être interprétée, il a aussi une dimension de jouissance, sa face de satisfaction pulsionnelle.  Du symptôme, on s’en plaint mais on en jouit aussi.

Une nouvelle orientation dans les cures
Il s’agit donc dans la cure de toucher à cette dimension  de jouissance qui n’est pas symbolisable pour permettre au  sujet de ne pas retomber dans la répétition. Les symptômes actuels comme la boulimie, l’anorexie et les diverses addictions mettent au premier plan cette dimension pulsionnelle.
Jacques Alain Miller, responsable de  l’Ecole de la Cause freudienne (gendre de Lacan, il  est  exécuteur testamentaire de l’oeuvre de Lacan)   met l’accent  sur ce dernier enseignement et ouvre une clinique nouvelle dans le champ des psychoses.

Marie-Paule Candillier
Membre de l’Association de la Cause Freudienne
(association de psychanalyse lacanienne)


Exposé de Jean-Claude Grosse

Lacan, sa conception de l’inconscient

Mes sources : mes lectures anciennes de Freud, Mélanie Klein, Lacan, Leclaire, Laplanche, Maud et Octave Mannoni, Dolto, François Roustang, Denis Vasse, … mes cours sur la psychanalyse, quelques écrits de J.A. Miller, Jacques Lacan par Anika Rifflet-Lemaire, Wikipédia et autres sites internet. Je n’ai jamais entrepris d’analyse et n’ai aucune pratique. D’où mon appel à Marie-Paule Candillier, psychanalyste, pour préciser, corriger, faire que nous soyons au plus près des enjeux d’aujourd’hui en ce qui concerne  l’apport théorique de Lacan. Pas question ici d’évaluer la pratique des lacaniens.

Pourquoi s’intéresser à Lacan aujourd’hui ?
En France, sa pensée, ses conceptions sont influentes, en Argentine, Amérique latine aussi
mais depuis quelques années, on assiste à une critique de la psychanalyse (le livre noir de la psychanalyse par Mikkel Borch-Jacobsen et d’autres), de Freud 

(la critique de la psychanalyse porte sur :
   1. le moment fondateur (contexte historique, épistémologique, scientifique, culturel, innovation, statuts des « découvertes freudiennes », méthodologie, prétentions scientifiques…) qui recouvre le personnage même de Freud (intentions, ambitions, compétences…) ;
   2. les inflexions ultérieures de la psychanalyse ;
   3. le noyau conceptuel commun à l'ensemble des courants psychanalytiques ;
   4. l'efficacité de la cure analytique ;
   5. les modes de formation des psychanalystes (valeur d'une analyse didactique, réglementation, institutions);
   6. la construction de la "légende Freud" à partir de la manipulation des sources et de la réécriture de l'histoire des origines, par Freud lui-même, et ses successeurs.

et de Lacan, toujours au centre de polémiques, lui aussi ; la « captation » de son héritage par Jacques-Alain Miller constitue peut-être un obstacle au travail d’évaluation de cette oeuvre
(Lacan, le maître absolu de Mikkel Borch-Jacobsen)

à l’émergence de nouvelles théories et pratiques, venues des USA, d’inspiration behaviouriste, les TCC, les thérapies cognitives et comportementales,
(à propos de la polémique entre les tenants des TCC et ceux de la psychanalyse, une question légitime est à se poser: qu’y a t-il derrière cette polémique ? des intérêts économiques, des divergences idéologiques, scientifiques… ?)

à une lutte de pouvoir entre ces deux approches de l’homme,
à une politisation de cet affrontement avec à la clef, un contrôle par le politique et l’un des deux camps de ce secteur de la « santé » (les neurobiologistes et les TCC sont extrêmement offensifs, bien positionnés dans l’appareil universitaire et politique mais les lacaniens avec J.A. Miller ont du répondant).

Parce que 40 ans sont passés (les Écrits sont publiés en 1966)  et que de même que Lacan a prolongé, approfondi Freud en s’appuyant entre autres sur la linguistique structurale, peut-être faut-il évaluer l’apport de Lacan, pour aller plus loin ou ailleurs. Évidemment, nous n’aurons pas cette prétention ici, il s’agit d’un travail collectif de grande ampleur, sachant qu’entre opinion et savoir, le débat est souvent conflictuel, je dirais surtout entre idéologie et science.

S’intéresser à Lacan aujourd’hui, c’est donc d’abord se demander ce qui a changé en 40 ans, dans le paysage intellectuel, dans le paradigme conceptuel.

Lacan produit dans un contexte structuraliste, c’est le primat de la structure sur l’homme : marxisme (relecture par Althusser), anthropologie et linguistique structurales (Lévi-Strauss), déconstruction philosophique du cogito, nouveau roman … c’est après la mort de Dieu, la mort de l’homme et de l’humanisme, la fin de l’histoire. On proclame la fin de la liberté, de la raison. L’homme comme être libre et pensant est une vieille duperie à mettre au rancart. L’homme est effet et non cause.

Lacan, ironiste à la Socrate, provocateur aux jeux de mots explosifs (l’hommelette), a su allumer les nullités universitaires, dégonfler d’innombrables baudruches, désillusionner. Je pense par exemple à sa définition de l’amour : vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ; à sa conception du malentendu qui serait universel, la compréhension entre deux êtres à un moment donné n’étant qu’un malentendu réussi.
On comprend à ces deux exemples que la pensée de Lacan puisse susciter des réactions de rejet. Il bouscule certitudes et préjugés.
Voyons donc la philosophie sous-jacente à l’œuvre chez Lacan, sa conception de l’homme et quelques unes de ses formulations essentielles.
L’homme est cet être qui est inscrit dans le langage et la société, dans le champ symbolique, dès avant sa naissance (voir son mythe de la genèse humaine depuis la naissance) par le discours parental et sociétal. L’homme est un être de représentation, représenté par un nom, un statut, un état civil. Représenté, il est donc séparé de son être, le Je de l’énonciation est séparé du Je de l’énoncé. L’homme est cet être séparé de lui-même par son inscription dans le langage et dans la culture (double inscription dans le langage conscient et dans le langage inconscient, les mêmes signifiants occupant des positions topologiques différentes et pouvant donc avoir des fonctions différentes dans l’ensemble de chaque chaîne). L’inconscient naît de l’accès au langage (ici, il faudrait affiner, ce n’est pas une question d’âge ou de stade). Le refoulement primaire est lié à l’interdit de l’inceste, l’enfant faisant s’il traverse avec bonheur l’Œdipe (avant l’Œdipe, il est par identification, désir du désir de sa mère, phallus), le sacrifice de son désir de relation duelle avec sa mère (après l’Œdipe, si la mère reconnaît le père comme porteur de la loi, l’enfant accède à l’ordre tri-dimensionnel du symbolique par identification au père qui a le phallus ; il accède à sa place, à son nom dans la constellation familiale, dans le système de parenté qui repose sur la séparation entre relations de consanguinité et relations d’alliance par l’interdit de l’inceste, il entre dans la culture, la civilisation, il accède au langage, il accède à son individualité à construire, il est passé de l’être – être le phallus tout puissant, désir de toute puissance – à l’avoir – avoir un désir formulable dans une demande, s’engager dans une quête d’objets de plus en plus éloignés de l’objet de son désir). Ce refoulement originaire (refoulement du désir d’union duelle avec la mère) constitutif de l’inconscient comme effet de l’accès au langage est prolongé par les refoulements secondaires, toujours en double inscription, langage conscient, langage inconscient (pour un enfant, certains mots ont d’abord un sens personnel sur lequel viennent se greffer les acceptions courantes de ces termes ; les mots sont toujours polysémiques). Cela a un autre effet : l’homme est cet être qui s’éloigne de sa vérité, de son être, de sa réalité dès qu’il se met à parler de lui, cela s’expliquant par la séparation entre le mot et la chose (le mot n’est pas la chose, le mot n’est que le symbole, le représentant de la chose). L’homme croit que son Moi, ce qu’il dit de lui et qui s’élabore tout au long de sa vie (sauf à faire une analyse), est la vérité sur lui alors que c’est ce qui est le plus éloigné de son être : le Moi est l’ensemble des masques, leurres mis en place par le sujet pour se situer, se nommer, se placer dans l’édifice social. Mauvaise foi, dénégation, hypocrisie, mesquinerie, jalousie, agressivité, séduction, autant de moyens pour l’homme de croire qu’il est ce qu’il croit être, ce qu’il veut être, ce qu’il veut faire croire de ce qu’il croit être.
Les formations de l’inconscient : rêves, lapsus, oublis de noms, actes manqués, mots d’esprit sont des retours du refoulé, pas forcément des voies d’accès à l’inconscient, à la vérité du sujet. En effet, le langage, ses conventions, les exigences de cohérence de la pensée ont pour effet de maintenir l’inconscient en son lieu propre. Les formations de l’inconscient sont des usages non conventionnels des signifiants et des signifiés. L’interaction entre langage conscient et langage inconscient n’a aucune évidence. Le joint c’est l’objet (a), incernable et partout à la fois, se répercutant dans l’histoire individuelle à tous ses niveaux et sous des formes changeantes.

Dans cette philosophie, dans ce corpus théorique et pratique, je vois un paradoxe :
d’une part est affirmé avec force le pouvoir aliénant du langage, de l’ordre symbolique, dont les effets bénéfiques sont surtout pour la société et ceux qui jouent sans complexe de leur Moi,
d’autre part est indiqué le chemin de la désaliénation, du côté de l’inconscient, de la réalité refoulée, de la vérité refoulée du sujet. Mais l’écoute flottante du discours leurrant du parlant, du patient peut durer des années, être sans fin même. Quel bénéfice réel pour le parlant, en tant qu’être parlant, en tant que sociétaire ?
On voit comment une telle philosophie est fort différente de celle de Sartre ou de Camus (approchée l’an dernier), qui en sont les immédiats précurseurs.

Et aujourd’hui ?
Il me semble que d’une part, on a des théories et pratiques d’adaptation au social, le « concept » de résilience par exemple est un de ces mots émergents pour dépasser les traumatismes, promesse qui ne peut qu’attirer mais ce n’est qu’un petit exemple comparé aux TCC qui vont jusqu’à préconiser l’évaluation comme critère d’efficacité thérapeutique et scientifique
d’autre part, on voit se développer tout un tas de théories et pratiques du bien-être, de l’harmonie, du bonheur, les unes d’inspiration américaine, les autres d’inspiration extrême-orientale ou inspirées d’autres soi-disant sagesses (chamanisme …), supposant une désaliénation, des libérations successives, là encore promesses ne pouvant qu’attirer.
Dans les deux cas, ce n’est pas la vérité qui est en jeu. Mais la meilleure adaptation ou le bonheur.

Que faire de la conception lacanienne de la vérité ? elle est une critique radicale du cogito ergo sum mais c’est accorder à Descartes et à Socrate, trop d’importance sur ce qui a de l’importance.
 
On a vu en philosophie dans les dernières années, un retour à l’Homme, à la valeur, à la vérité, au sens, à la morale, à la sagesse. Des philosophes comme André Comte-Sponville, Luc Ferry… nous permettent de nous retrouver comme êtres de raison, êtres de liberté.
Et surtout, avec les crises qui nous menacent, individus, sociétés, planète et espèce (qui ne veut pas savoir encore qu’elle est mortelle), nous sommes confrontés à une réévaluation de notre place dans la Nature. C’est cet énoncé de Descartes : l’homme, maître et possesseur de la nature, qui nous a éloignés d’elle, si le cogito nous a éloignés de nous. Exploitant agricole ou jardinier ?

Pour ma part, je me reconnais dans la philosophie de Marcel Conche, dans sa métaphysique de l’ apparence absolue, (éloïse, éclair, dans le cours d’une nuit éternelle, celle de la mort absolue de tout, pas du Tout), dans sa métaphysique de la Nature (la Nature au sens des présocratiques, infinie, éternelle, créatrice aveugle, dépasse ou contient l’opposition anthropologique nature-culture) et comme sagesse tragique (avec courage, aller au-delà de soi parce que sous l’horizon de la mort, développer le meilleur de soi, ce qui suppose de s’émanciper de l’homme collectif en nous, du conditionnement social, devenir le plus possible cause de soi-même et non effet d’autrui ou du langage).
Avec Conche, philosopher à l’infini, dans la clarté de la langue, avec Lacan, analyser à l’infini, dans un jargon assez hermétique; avec Conche, résister aux sirènes de la commerie, être le plus créateur possible, ajouter au monde ; avec Lacan, remonter aux grandes houles de nos origines.

Jean-Claude Grosse


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Homme, Femme ?/ Mode d'emploi !

Rédigé par grossel Publié dans #agoras



- Patrick Roux, consultant au CPCT-M, interviendra sous le titre : "La princesse du désert".

Afin d'introduire le travail de réflexion de cet Après-Midi "Homme, Femme ? Mode d'emploi !", il nous propose les références suivantes :

1/ L'ensemble des trois textes  que Freud a publié sur la question sous le titre "Psychologie de la vie amoureuse". (1910, 1912, 1917) in La vie sexuelle chez PUF.
Freud construit les "modes d'emploi" en fonction du concept central pour lui, de castration et répond à de nombreuses questions  d'allure très "simple", et susceptibles d'intéresser tout un chacun. Par exemple, Pourquoi les hommes ont-ils peur des femmes ? Pourquoi les traitent-ils mal ? mais aussi : Pourquoi les Femmes en veulent-elles aux Hommes ?  (Et ce n'est pas forcément parce qu'ils les traitent mal !!). Le trajet de Freud prend son départ d'une condition très particulière (Un type particulier de choix d'objet chez l'homme) pour aboutir à un point que nous dirions "de structure" avec Le tabou de la virginité. Quelque chose de "la Femme" est Tabou:  "Pas touche !!"
 
2 / "L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut", plus connue sous le titre Manon Lescaut,  (c'est elle finalement, le personnage central) de l’abbé Prévost  (1731). Elle aime et pourtant, trahit son chevalier et cela de manière répétitive. Où se situe la "perfidie de Manon", une femme qui aime sincèrement et malgré cela, est "volage". Elle n'est décidément pas-toute à Des Grieux, alors Que veut Manon ?
 
3/ Un amour de Swann, de Proust (1912) plus centré sur la "psychologie" masculine. Fabuleux roman sur les entrelacs entre l'amour, le désir et la jouissance. On y trouve par exemple un très joli acte manqué - reconstitué ou vécu ?  par Marcel Proust - qui signe le moment du "tomber amoureux" ou encore sur le voisinage entre la femme légère et l'objet d'idéalisation.


- Elisabeth Pontier, consultante au CPCT-M, interviendra sous le titre : "Condamné à faire le coq".

1/ Elle nous propose de relire nos classiques, et plus particulièrement la pièce de théâtre créée par Jean Giraudoux le 27 avril 1939 :
"Ondine" dont Jacques Lacan recommande la lecture au cours de la séance du 21 janvier 1975  de son Séminaire Livre XXII "RSI ". 

2/ Vous trouverez également en ligne un article de Rose-Paule Vinciguerra, Analyste Membre de l'Ecole de la Cause freudienne intitulé "Les paradoxes de l'amour", à
l'adresse suivante



- Sylvie Goumet, secrétaire général du CPCT à Marseille et Consultante au Centre de Consultations, interviendra à cette occasion sous le titre : "Affaires de femmes".

Elle propose quant à elle de nous reporter aux références suivantes :

1/ Dominique Laurent : "Des souris et des femmes", in Revue de la Cause Freudienne, n°70, Le rapport sexuel au XXIème siècle, p.45
 
2/ Pierre Naveau : "La logique de l'hystérique et la promotion de la jouissance sexuelle, du mythe au réel", in Lettre mensuelle, n°270, p.29
 
3/ Quelques extraits du Séminaire de Jacques Lacan, XVIII, D'un discours qui ne serait pas du semblant" :
- p.74
"...La femme n'existe pas. Qu'elle existe, c'est un rêve de femme, et c'est le rêve d'où est sorti Don Juan. S'il y avait un homme pour qui La femme existe, ce serait une merveille, on serait sûr de son désir"
- p.143
"...elles [les hystériques] sont celles qui, sur ce qu'il en est du rapport sexuel, disent la vérité.
On voit mal comment aurait pu se frayer la voie de la psychanalyse si nous ne les avions pas eues. Que la névrose, qu'une névrose tout au moins-  je le démontrerai également pour l'autre - ne soit strictement que le point où s'articule la vérité d'un échec..."

Bonne lecture à tous,
L'équipe du CPCT Marseille.

Les paradoxes de l’amour,
par Rose-Paule Vinciguerra

Dans l’enseignement de Lacan, l’amour fait l’objet d’une série de paradoxes, notamment dans sa relation au désir 1. Essayons de déployer ce paradoxe du côté de l’amour et non plus seulement du côté du désir.

Un homme croit désirer une femme alors qu’il l’aime 2 . Quand il désire, un homme n’a jamais affaire en tant que partenaire qu’à l’objet a qui cause son désir. Une femme est pour un homme symbole du manque et c’est la valeur de jouissance interdite que représente le phallus qui est, à cet égard, reporté sur l’objet. Une femme est désirée en tant que fétiche, en tant que morceau du corps de l’homme, côte de l’homme, comme il est dit dans la Bible. Mais l’amour? Pour l’homme, dit Lacan, cela va sans dire à tel point qu’il n’y comprend rien 3.

On peut dire tout d’abord que la condition d’amour chez un homme reste narcissique. En effet, si un homme ne demande pas son avis à une femme pour la désirer, pour l’aimer, ce n’est pas la même chose puisqu’il l’aime dans l’exacte mesure où ce qu’il imagine d’elle est susceptible de le soutenir narcissiquement dans sa position phallique. De là, l’intérêt pour la feemme pauvre qui peut renvoyer a contrario à un homme son avoir phallique. En quoi d’ailleurs, un homme, homologue sur ce point à la condition d’amour chez une femme, aime en l’autre sa castration.

De là, l’idéalisation d’une femme, la dépendance vis-à-vis d’elle dont parle Freud quand il décrit l’homme amoureux comme humble et soumis 4.

Ainsi, quand il aime, «un homme croit à une femme 5.» « … Une femme, dit Lacan, dans la vie d’un homme, c’est quelque chose à quoi il croit. [ … ] Il croit à une espèce, celle des sylphes ou des ondins. 6», espèce fantastique, évanescente qui obéit à une logique mystérieuse. Une femme est à cet égard pour un homme horizon de liberté, condition de poésie; mais, qu’elle lui échappe, et il s’en trouve saisi, ensorcelé. Ainsi, dans le beau roman de Frédéric de La Motte-Fouqué, Ondine, repris plus tard au théâtre par Giraudoux, lorsque le chevalier pressent qu’Ondine, sirène devenue femme, pourrait, comme le peuple des eaux qui l’engendra, n’avoir pas d’âme, il s’en trouve frappé d’effroi. Double face de l’énigme. C’est, ajoute Lacan, qu’un homme croit à une femme comme on croit à un symptôme.

A cet égard, un homme croit à une femme en tant qu’elle peut présentifier pour lui son rapport à la jouissance phallique; une femme est pour un homme ce qui l’ancre dans le champ du réel. Ainsi, le chevalier dit-il à Ondine, dans la pièce de Jean Giraudoux: «Depuis mon enfance, un hameçon m’arrachait à ma chaise, à ma barque, à mon cheval. Tu me tirais à toi» : l’hameçon du symptôme, symptôme à cet égard, plus réel que l’inconscient. Ce que présentifie une femme pour un homme, c’est la façon dont, dans le réel, « … s’imagine l’effet du symbolique 7», mais s’imagine seulement cet effet, car une femme comme un symptôme ne présentifie que la fermeture de l’inconscient. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre la remarque de Lacan que pour savoir ce que pèse un homme, il faut regarder sa femme8 . Cela ne veut donc pas dire qu’il lui ressemble, mais plutôt qu’elle représente dans le réel la façon qu’il a de jouir de l’inconscient selon sa particularité à lui. Il croit alors qu’elle va dire quelque chose là-dessus, il croit qu’il va la déchiffrer comme un symptôme, mais elle reste, comme dit Lacan du symptôme, points de suspension, interrogation sur le non-rapport sexuel. « Que veut-elle?» est la question à laquelle est suspendu un homme. Et même s’il pense apercevoir la cause qui suscite sa croyance, il reste qu’il avoue se savoir fixé, rivé, là, sans raison. Ainsi Swann, désidéré : « dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre!» Le sens de l’amour, les hommes n’y comprennent rien.

Alors pour croire à une femme, un homme va se mettre à « la croire ». Là, « le symptôme passe une limite.» Il croit, cette fois, non plus qu’elle va dire quelque chose de vrai ou de mensonger, mais qu’elle dit quelque chose qui le concerne directement, lui, dans son être. Il est signifié par son dire. Ce n’est pas : « Qu’est-ce qu’elle veut dire?» mais plutôt «Voilà ce qu’elle dit … », déconnecté de toute autre signification. Il la croit, rajoute Lacan, comme on croit une voix. L’indicible de son être lui est donné, énoncé par une femme, au lieu même de son plus-de-jouir indicible, comme par une voix.

Ce n’est pas qu’il rencontre La femme - qui n’existe pas - mais il croit, dit Lacan, La: croyance fallacieuse que l’homme crée 9. L’homme croit mais en fait il crée, il crée l’existence de la femme comme Autre dans le réel.

« La croire sert alors de bouchon à y croire10». « Y croire» relève d’une interrogation, la croire relève d’un index de certitude. Cela peut le mener au pire : ainsi, le héros du roman de William Irish, La Sirène du Mississipi, préfère-t-il sa croyance à sa vie. Que cette femme aventurière, menteuse, qu’il a épousée, soit son symptôme et qu’il le sache n’y suffit plus. Il faut qu’il aille jusqu’au bout de sa croyance; jusqu’au bout il va la croire, croire ce qu’elle dit. Savoir et vérité sont, lorsqu’elle parle, forclos. C’est pour entendre ce que dit cette voix, quelques brèves paroles d’amour - peu importe qu’elles soient mensongères - que le héros consentira au pire : se laisser empoisonner. Fiction sans doute, mais on peut dire qu’un homme qui aime croit « La femme comme étant toutes les femmes», sans s’apercevoir qu’il ne crée là qu’un ensemble vide. Il crée le signifiant de La femme et du même coup, se met à croire au rapport sexuel. En créant La femme, il crée une fiction à quoi il aspire. Il s’en trouve ainsi féminisé, et c’est certainement cela qui rend l’amour comique. L’amour est comique, dit Lacan, et c’est le comique de la psychose. On peut appréhender ce comique à partir de l’axe imaginaire a-a’ : « ma femme dit que … », mais c’est aussi bien l’objet comme irreprésentable et non le phallus, cette fois, qui vient sur le devant de la scène. L’homme aspire, à travers sa croyance, à « ce quelque chose qui est son objet11». D’où ce comique, bien particulier. Ainsi, Alceste le misanthrope, dont Lacan fait un délirant, s’adressant à Célimène :

« Vous me trompez sans doute avec des mots si doux.
Mais il m’importe, il faut suivre ma destinée:
A votre foi mon âme est toute abandonnée.»
(Acte IV, scène 3).

Pour une femme, le paradoxe réside dans le fait qu’elle croit aimer alors qu’elle désire. Elle désire le phallus dont un homme est porteur, à partir de son identification au manque dans l’Autre. Le phallus, dit Lacan, c’est tout pour elle. L’embêtant, c’est qu’elle peut prendre le phallus pour sa boussole, ça peut la rendre bête: mon mari par ci, mon mari par là. Sartre disait que c’était à cela qu’on reconnaissait une bourgeoise, au fait que dès les premières paroles, elle parlait de son mari. On pourrait décliner différentes formes du rapport qu’entretient une femme au phallus: le servir comme un maître, vouloir le ravir dans l’hystérie, mais aussi toutes les formes - rusées souvent - que les femmes ont de le garder, d’en faire leur chasse gardée.

À l’inverse, quand une femme aime un homme, c’est en tant qu’il est privé de ce qu’il donne. Elle aime en tant qu’elle reconnaît chez un homme son manque. A cet égard, on n’aime pas le riche, si on peut le désirer. Cet Autre de l’amour qui s’évoque au-delà du phallus est à référer au père idéal. Au-delà de l’infinitude de l’amour adressé à l’Autre maternel est le lieu de l’amour du père, qui donne en tant qu’il n’a pas. Ainsi peut-on rendre compte par là de la « forme érotomaniaque» de l’amour chez une femme, dont Lacan parle dans Propos pour un congrès sur la sexualité féminine 12 : elle s’imagine toujours d’abord être aimée. Cette érotomanie, qui n’est pas psychotique, est à comprendre ici par rapport au phallus, car  si c’est au même homme que s’adresse son désir et son amour, elle va voiler par pudeur que « le phallus est tout pour elle », en s’imaginant qu’elle est phallicisée par l’amour et le désir premier d’un homme; elle va faire advenir la castration et le désir d’un homme pour être phallicisée et voiler, du même coup, le manque à partir duquel elle désire. Ce faisant, elle réalise. imaginairement la substitution de l’amant à l’aimé et se trouve, par rapport au phallus, l’être et l’avoir, sous la condition qu’elle ne l’ait pas. C’est pourquoi une femme avoue si difficilement son amour; comme on le voit dans le théâtre de Marivaux, elle use de stratagèmes pour contraindre l’homme à déclarer son amour en premier, non qu’elle ne l’ait devancé par son désir, mais elle n’osera jamais aimer que sur le fond de cette supposition initiale.

Lorsque Lacan va plus tard avancer les formules de la sexuation, où les différentes façons de suppléer à l’impossible du rapport sexuel vont différencier les sexes et leur rapport à la fonction phallique, il va s’agir, alors, de penser autrement la duplicité paradoxale de l’amour et du désir. L’amour chez une femme ne va plus être pensé comme ce qui voile le désir qui s’adresse au phallus, mais comme relevant de la contingence, comme ce qui peut arriver quand une femme, pas-toute soumise à la fonction phallique, s’adresse à un homme comme à un Au-moins-un qui n’y serait pas soumis du tout. Mais l’existence de cet homme, en position unique, auquel une femme s’adresse, si elle est nécessaire, n’est en même temps pas possible, puisqu’il n’est pas possible qu’un homme jouisse de toutes les femmes - il n’y a pas de tout des femmes et elles n’existent qu’une par une. Ainsi, chez une femme, même si la jouissance de l’Un n’est pas exclue, elle est cependant impossible. Une femme ne fait pas exister l’exception et quand elle s’adresse, du lieu de sa jouissance, d’une jouissance pas-toute, à l’Un d’exception, c’est l’Autre du manque qu’elle rencontre. Ce qu’elle rencontre alors, c’est une absence: l’Autre est introuvable. C’est peut-être ceci qui peut rendre compte du caractère apparemment fou de l’amour et de la jouissance féminine. Le rapport d’une femme à  l’amène hors phallus. Une femme touche là aux bords d’une jouissance et d’un amour infini mais, à la différence de l’amour infini chez un psychotique, elle n’y met aucune signification, elle ne localise pas cette jouissance dans l’Autre. La jouissance ici est entrevue mais n’est qu’en trevue, comme hors limite. C’est une sorte d’aperçu sur l’infini de l’amour et non, comme dans l’hystérie, une tentative pour faire exister le rapport sexuel. Non plus l’amour du père idéalisé, mais un amour sur le versant de la poésie, dilectio, élan purifié de l’âme. C’est en tout cas le seul amour qui, peut-être, échappe au champ du narcissisme; il peut sacrifier le plus précieux.

Ainsi pourrait-on comprendre autrement l’énoncé de Lacan plus haut évoqué, sur la forme érotomaniaque de l’amour féminin, par l’amour adressé à l’Autre du manque. C’est justement parce qu’elle ne peut rien dire de ce «mixte d’amour et de jouissance»13 qu’une femme suppose qu’il vient d’abord de l’Autre. Elle n’accède à l’Autre jouissance que sur la supposition de la jouissance de l’Autre. Elle ne peut que supposer que, ce dont elle ne peut parler, l’Autre pourrait le faire pour elle. C’est comme aimer Dieu de l’amour dont Dieu vous aime, pour détourner une formule de Maître Eckhart: «L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit14». Alors qu’un homme croit les significations que profère une femme, une femme fait exister la parole d’amour qui la ferait habiter ce lieu sans nom d’elle-même où elle se tient. Ainsi, dans la solitude de cet amour au-delà du phallus, suscite-t-elle ce bien dire au lieu de l’Autre, dire de cette parole d’amour « qui toujours recommence».

Aussi bien peut-on penser le ravage suscité par un homme sur le versant exactement inver se de la forme érotomaniaque de l’amour chez une femme. Lacan définit le ravage comme une affliction, pire qu’un symptôme, mais que l’on est forcé de spécifier comme un symptôme. Le ravage que suscite un homme, s’il n’est analysable que du côté du symptôme, peut être aussi appréhendé dans le rapport d’une femme à l’Autre du manque. A l’envers de l’érotomanie, dirais-je, le ravage, c’est être affronté au silence et non plus à la parole de l’Autre. La Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig raconte comment de n’être pas entendue, jamais reconnue par un homme, amant d’occasion, et qu’elle aime depuis toujours, une femme peut aller jusqu’au saccage de sa vie, à la privation extrême.
Ainsi, de l’amour, tout entier pris dans la croyance, peut-on dire qu’il est hors sens et, dit aussi Lacan, hors sexe, phénomène limite. Peut-on rendre compte de ce caractère? Dans son Séminaire intitulé « La logique du fantasme », Lacan le qualifie de Verwerfung du rapport du sujet inconscient à l’Autre. L’inconscient suppose un «tu n’es pas, donc je ne suis pas» (A-> $), mais l’amour forclot ce rapport en hypostasiant l’être de l’Autre et en rejetant l’inconscient. Ce cri d’amour: « Si tu n’es pas, je meurs », Lacan en traduit la vérité : «Tu n’es que ce que je suis.» La vérité de l’amour, c’est finalement: «Tu n’es rien que ce que je suis ». Ce qu’Angelus Silesius avait aperçu quand, s’adressant à Dieu, il proférait: «si je n’étais pas là, toi, Dieu, en tant que Dieu existant, tu n’y serais pas non plus », formule plus vraie à rendre compte de l’amour. Toute la dialectique du sujet à l’Autre est, dans l’amour, rejetée et celui-ci vient, à cet égard, faire rejet de castration.

Lorsque, dans la dernière partie de son enseignement, Lacan avance la formule de la forclu sion généralisée du rapport sexuel, ce n’est plus en termes de Verwerfung qu’il va qualifier l’amour mais plutôt comme tentative de suppléer à l’impossible du rapport sexuel, au mystère du deux. L’amour naît sur cette racine d’impossible15 . Certes, l’amour promet que le sens sexuel va cesser de ne pas s’écrire dans la contingence de la rencontre et qu’il va devenir nécessaire. « Voie de mirage» : le rapport sexuel n’est pas inscriptible, l’être humain en est exilé. L’amour, en fait, « suspend le sens sexuel ». Il se donne, certes, des airs de vérité, mais l’imaginaire de cette vérité n’est qu’un «faux deuxième par rapport au réel 16 ». L’amour, à cet égard, ne tient pas ses promesses et, comme le mensonge fait partie de la vérité, l’amour est, pour reprendre Aragon, « mentir vrai ». Ainsi, un homme croit désirer, une femme croit aimer et cette croyance paradoxale tient en son fond au mensonge de l’amour.
C’est pourtant sans doute ce ratage qui le rend passionnant car, tout en restant dans des limites, l’amour est un phénomène de bord. Il est exploration des confins de l’impossible. Simplement,  à défaut de « … fracturer ce mur [ …], on ne peut  se faire qu’une bosse au front, …17 ».

Rose-Paule Vinciguerra

1. J’ai tenté, dans un article précédent de la Revue, d’articuler ce paradoxe à partir du désir.

2. LACAN J., Le Séminaire, Livre XV, «L’acte psychanalytique» (1967-1968) (inédit), leçon du 27 mars 1968.

3. LACAN J., Le Séminaire, Livre XXI, «Les non-dupes errent», (1973-1974) (inédit), leçon du 12 février 1974.

4. FREUD S., «Pour introduire le narcissisme », (1914), La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969.

5. LACAN J., Le Séminaire, Livre XXII, R. S. I. , (1974-1975), Omicar? n° 3, leçon du 21 janvier 1975.

6.   LACAN J., loc. cit.

7. LACAN J., R.S.I., op. cit., leçon du 11 mars 1975.

8. LACAN J., Le Séminaire, Livre XVIII ,« D’un discours qui ne serait pas du semblant» (1970-1971) (inédit), leçon du 20 janvier 1971.

9. LACAN J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 118.

10. LACAN J., R.S. I., op. cit., leçon du 21 janvier 1975.

11. LACAN J., Le Séminaire, Livre XXII, «Le sinthome », (1975-1976) (inédit).

12. LACAN J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 733.

13. MILLER J.-A., L’orientation lacanienne, «Le partenaire-symptôme », (1997-1998) (inédit), enseignement prononcé dans le cadre du Département de Psychanalyse de Paris VIII.

14. ECKHART M., Traités et sermons, Paris, Aubier, 1942, p. 179

15. LACAN J.,  R.S.I., op. cit.

16. LACAN J., «Les non-dupes errent», op. cit., séance du 15 janvier 1974.

17. LACAN J.,  R.S.I., op. cit., leçon du 21 janvier 1975.

Cher 4saisonnier,

La formule complète de Lacan pour définir l'amour est :  "donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas." On comprend par là la justesse du langage qui dit bien qu'on tombe amoureux, comme dans le panneau. On peut aussi de là s'en aller apprécier le mot de Sacha Guitry disant (à peu près) que "le seul amour véritable est l'amour-propre".

François Carrassan


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Jacques-Alain Miller: l'amour en questions

Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agoras

Jacques-Alain Miller: l'amour en questions
Jacques-Alain Miller:
 interview

à Psychologies Magazine
sur la question de l’amour.

Remarquablement éclairant.

 Jean-François Cottes

 
Interview de Jacques - Alain Miller

Psychologies Magazine, octobre 2008, n° 278
Propos recueillis par Hanna Waar

Psychologies : La psychanalyse enseigne-t-elle quelque chose sur l’amour ?


Jacques - Alain Miller : Beaucoup, car c’est une expérience dont le ressort est l’amour. Il s’agit de cet amour automatique, et le plus souvent inconscient, que l’analysant porte à l’analyste et qui s’appelle le transfert. C’est un amour factice, mais il est de la même étoffe que l’amour vrai. Il met au jour sa mécanique : l’amour s’adresse à celui dont vous pensez qu’il connaît votre vérité vraie. Mais l’amour permet d’imaginer que cette vérité sera aimable, agréable, alors qu’elle est en fait bien difficile à supporter.
 
P : Alors, c’est quoi aimer vraiment ?
 
J-A Miller : Aimer vraiment quelqu’un, c’est croire qu’en l’aimant, on accédera à une vérité sur soi. On aime celui ou celle qui recèle la réponse, ou une réponse, à notre question : « Qui suis-je ? »
 
P : Pourquoi certains savent-ils aimer et d’autres pas ?

J-A Miller : Certains savent provoquer l’amour chez l’autre, les serial lovers, si je puis dire, hommes et femmes. Ils savent sur quels boutons appuyer pour se faire aimer. Mais eux n’aiment pas nécessairement, ils jouent plutôt au chat et à la souris avec leurs proies. Pour aimer, il faut avouer son manque, et reconnaître que l’on a besoin de l’autre, qu’il vous manque. Ceux qui croient être complets touts seuls, ou veulent l’être, ne savent pas aimer. Et parfois, ils le constatent douloureusement. Ils manipulent, tirent des ficelles, mais ne connaissent de l’amour ni le risque, ni les délices.
 
P : « Être complet tout seul » : seul un homme peut croire ça…

J-A Miller : Bien vu ! « Aimer, disait Lacan, c’est donner ce qu’on n’a pas. ». Ce qui veut dire : aimer, c’est reconnaître son manque et le donner à l’autre, le placer dans l’autre. Ce n’est pas donner ce que l’on possède, des biens, des cadeaux, c’est donner quelque chose que l’on ne possède pas, qui va au-delà de soi-même. Pour ça, il faut assurer son manque, sa « castration », comme disait Freud. Et cela, c’est essentiellement féminin. On n’aime vraiment qu’à partir d’une position féminine. Aimer féminise. C’est pourquoi l’amour est toujours un peu comique chez un homme. Mais s’il se laisse intimider par le ridicule, c’est qu’en réalité, il n’est pas assuré de sa virilité.
 
P : Aimer serait plus difficile pour les hommes ?

J-A Miller : Oh oui ! Même un homme amoureux a des retours d’orgueil, des sursauts d’agressivité contre l’objet de son amour, parce que cet amour le met dans la position d’incomplétude, de dépendance. C’est pourquoi il peut désirer des femmes qu’il n’aime pas, afin de retrouver la position virile qu’il met en suspens lorsqu’il aime. Ce principe, Freud l’a appelé le « ravalement de la vie amoureuse » chez l’homme : la scission de l’amour et du désir sexuel.
 
P : Et chez les femmes ?

J-A Miller : C’est moins habituel. Dans le cas le plus fréquent, il y a dédoublement du partenaire masculin. D’un côté, il est l’amant qui les fait jouir et qu’elles désirent, mais il est aussi l’homme de l’amour, qui est féminisé, foncièrement châtré. Seulement, ce n’est pas l’anatomie qui commande : il y a des femmes qui adoptent une position masculine. Il y en a même de plus en plus. Un homme pour l’amour, à la maison ; et des hommes pour la jouissance, rencontrés sur Internet, dans la rue, dans le train…
 
P : Pourquoi « de plus en plus »

J-A Miller : Les stéréotypes socioculturels de la féminité et de la virilité sont en pleine mutation. Les hommes sont invités à accueillir leurs émotions, à aimer, à se féminiser ; les femmes, elles, connaissent au contraire un certain « pousse-à-l’homme » : au nom de l’égalité juridique, elles sont conduites à répéter « moi aussi ». Dans le même temps, les homosexuels revendiquent les droits et les symboles des hétéros, comme le mariage et la filiation. D’où une grande instabilité des rôles, une fluidité généralisée du théâtre de l’amour, qui constraste avec la fixité de jadis. L’amour devient « liquide », constate le sociologue Zygmunt Bauman (1). Chacun est amené à inventer son « style de vie » à soi, et à assumer son mode de jouir et d’aimer. Les scénarios traditionnels tombent en lente désuétude. La pression sociale pour s’y conformer n’a pas disparu, mais elle baisse.
 
P : « L’amour est toujours réciproque » disait Lacan. Est-ce encore vrai dans le contexte actuel ? Qu’est-ce que ça signifie ?


J-A Miller : On répète cette phrase sans la comprendre, ou en la comprenant de travers. Cela ne veut pas dire qu’il suffit d’aimer quelqu’un pour qu’il vous aime. Ce serait absurde. Cela veut dire : « Si je t’aime, c’est que tu es aimable. C’est moi qui aime, mais toi, tu es aussi dans le coup, puisqu’il y a en toi quelque chose qui me fait t’aimer. C’est réciproque parce qu’il y a un va-et-vient : l’amour que j’ai pour toi est l’effet en retour de la cause d’amour que tu es pour moi. Donc, tu n’y es pas pour rien. Mon amour pour toi n’est pas seulement mon affaire, mais aussi la tienne. Mon amour dit quelque chose de toi que peut-être toi-même ne connais pas. » Cela n’assure pas du tout qu’à l’amour de l’un répondra l’amour de l’autre : ça, quand ça se produit, c’est toujours de l’ordre du miracle, ce n’est pas calculable à l’avance.
 
P : On ne trouve pas son chacun, sa chacune par hasard. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ?


J-A Miller : Il y a ce que Freud a appelé Liebesbedingung, la condition d’amour, la cause du désir. C’est un trait particulier – ou un ensemble de traits – qui a chez quelqu’un une fonction déterminante dans le choix amoureux. Cela échappe totalement aux neurosciences, parce que c’est propre à chacun, ça tient à son histoire singulière et intime. Des traits parfois infimes sont en jeu. Freud, par exemple, avait repéré comme cause du désir chez l’un de ses patients un éclat de lumière sur le nez d’une femme !
 
P : On a du mal à croire à un amour fondé sur ces broutilles !

J-A Miller : La réalité de l’inconscient dépasse la fiction. Vous n’avez pas idée de tout ce qui est fondé, dans la vie humaine, et spécialement dans l’amour, sur des bagatelles, des têtes d’épingle, des « divins détails ». Il est vrai que c’est surtout chez le mâle que l’on trouve de telles causes du désir, qui sont comme des fétiches dont la présence est indispensable pour déclencher le processus amoureux. Des particularités menues, qui rappellent le père, la mère, le frère, la sœur, tel personnage de l’enfance, jouent aussi leur rôle dans le choix amoureux des femmes. Mais la forme féminine de l’amour est plus volontiers érotomaniaque que fétichiste : elles veulent être aimées, et l’intérêt, l’amour qu’on leur manifeste, ou qu’elles supposent chez l’autre, est souvent une condition sine qua non pour déclencher leur amour, ou au moins leur consentement. Le phénomène est la base de la drague masculine.
 
P : Vous ne donnez aucun rôle aux fantasmes ?
 
J-A Miller : Chez les femmes, qu’ils soient conscients ou inconscients, ils sont déterminants pour la position de jouissance plus que pour le choix amoureux. Et c’est l’inverse pour les hommes. Par exemple, il arrive qu’une femme ne puisse obtenir la jouissance – disons, l’orgasme – qu’à la condition de s’imaginer, durant l’acte lui-même, être battue, violée, ou être une autre femme, ou encore être ailleurs, absente.
 
P : Et le fantasme masculin ?

J-A Miller : Il est très en évidence dans le coup de foudre. L’exemple classique, commenté par Lacan, c’est, dans le roman de Goethe (2), la soudaine passion du jeune Werther pour Charlotte, au moment où il la voit pour la première fois, nourrissant la marmaille qui l’entoure. C’est ici la qualité maternante de la femme qui déclenche l’amour. Autre exemple, tiré de ma pratique, celui-là : un patron quinquagénaire reçoit les candidates à un poste de secrétaire : une jeune femme de 20 ans se présente ; il lui déclare aussitôt sa flamme. Il se demande ce qui lui a pris, entre en analyse. Là, il découvre le déclencheur : il avait retrouvé en elle des traits qui lui évoquaient ce qu’il était lui-même à 20 ans, quand il s’était présenté à sa première embauche. Il était, en quelque sorte, tombé amoureux de lui-même. On retrouve dans ces deux exemples les deux versants distingués par Freud : on aime ou bien la personne qui protège, ici la mère, ou bien une image narcissique de soi-même.
 
P : On a l’impression d’être des marionnettes !

J-A Miller : Non, entre tel homme et telle femme, rien n’est écrit d’avance, il n’y a pas de boussole, pas de rapport préétabli. Leur rencontre n’est pas programmée comme celle du spermatozoïde et de l’ovule ; rien à voir non plus avec les gènes. Les hommes et les femmes parlent, ils vivent dans un monde de discours, c’est cela qui est déterminant. Les modalités de l’amour sont ultrasensibles à la culture ambiante. Chaque civilisation se distingue par la façon dont elle structure le rapport des sexes. Or, il se trouve qu’en Occident, dans nos sociétés à la fois libérales, marchandes et juridiques, le « multiple » est en passe de détrôner le « un ». Le modèle idéal de « grand amour de toute la vie » cède peu à peu du terrain devant le speed dating, le speed loving et toute floraison de scénarios amoureux alternatifs, successifs, voire simultanés.
 
P : Et l’amour dans la durée ? dans l’éternité ?

J-A Miller : Balzac disait : « Toute passion qui ne se croit pas éternelle est hideuse (3). » Mais le lien peut-il se maintenir pour la vie dans le registre de la passion ? Plus un homme se consacre à une seule femme, plus elle tend à prendre pour lui une signification maternelle : d’autant plus sublime et intouchable que plus aimée. Ce sont les homosexuels mariés qui développent le mieux ce culte de la femme : Aragon chante son amour pour Elsa ; dès qu’elle meurt, bonjour les garçons ! Et quand une femme se cramponne à un seul homme, elle le châtre. Donc, le chemin est étroit. Le meilleur chemin de l’amour conjugal, c’est l’amitié, disait en substance Aristote.
 
P : Le problème, c’est que les hommes disent ne pas comprendre ce que veulent les femmes ; et les femmes, ce que les hommes attendent d’elles…


J-A Miller : Oui. Ce qui objecte à la solution aristotélicienne, c’est que le dialogue d’un sexe à l’autre est impossible, soupirait Lacan. Les amoureux sont en fait condamnés à apprendre indéfiniment la langue de l’autre, en tâtonnant, en cherchant les clés, toujours révocables. L’amour, c’est un labyrinthe de malentendus dont la sortie n’existe pas.
 
Propos recueillis par H. W.
 
(1) Zygmunt Bauman, L’amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes (Hachette Littératures, « Pluriel », 2008)
 
(2) Les souffrances du jeune Werther de Goethe (LGF, « le livre de poche », 2008).
 
(3) Honoré de Balzac in La comédie humaine, vol. VI, « Études de mœurs : scènes de la vie parisienne » (Gallimard, 1978).

Note : dans un prochain article, je présenterai la vision de l'amour de Marcel Conche et je tenterai de comparer avec cette vision décoiffante proposée par J-A Miller.
JCG




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