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Blog de Jean-Claude Grosse

jean-claude grosse

La mort et la pensée de Marcel Conche/J.C.Grosse

Rédigé par JCG Publié dans #jean-claude grosse

article de 2007, réactualisé ce 27 mars 2024, pour les 102 ans de Marcel Conche, décédé le 27 février 2022 à un mois de ses 100 ans

ce 27 mars, hasard ?, j'ai appris que le figuier Annie (l'épousée, décédée le 29 novembre 2010) planté dans le verger de nos amis de Blagnac, porte pour la 1° fois, 14 ans après, des petites figues

je me prends à penser que les paroles et baisers que Gérard et moi lui avons adressés pendant les 6 jours passés chez eux (du 14 au 19 février) après l'enterrement de V.P., décédé le 4 février 2024 à 50 ans et 11 jours et enterré le 14 février, anniversaire des 76 ans de l'épousée, ont porté leurs "fruits", ont "stimulé" l'apparition des fruits déjà conçus, engendrés 

2° édition de 1975 (1° en 1972) / réédition en 2007 / heureusement qu'on meurt, quasi-épuisé, non-réédité / heureusement qu'on meurt me dit Marcel à Beauliieu sur Dordogne en mars 2012, photo F.C.
2° édition de 1975 (1° en 1972) / réédition en 2007 / heureusement qu'on meurt, quasi-épuisé, non-réédité / heureusement qu'on meurt me dit Marcel à Beauliieu sur Dordogne en mars 2012, photo F.C.
2° édition de 1975 (1° en 1972) / réédition en 2007 / heureusement qu'on meurt, quasi-épuisé, non-réédité / heureusement qu'on meurt me dit Marcel à Beauliieu sur Dordogne en mars 2012, photo F.C.
2° édition de 1975 (1° en 1972) / réédition en 2007 / heureusement qu'on meurt, quasi-épuisé, non-réédité / heureusement qu'on meurt me dit Marcel à Beauliieu sur Dordogne en mars 2012, photo F.C.

2° édition de 1975 (1° en 1972) / réédition en 2007 / heureusement qu'on meurt, quasi-épuisé, non-réédité / heureusement qu'on meurt me dit Marcel à Beauliieu sur Dordogne en mars 2012, photo F.C.

Dans sa dernière lettre du 13 novembre 2021 à M. C., celle qui au téléphone recevait les textes de Marcel pour ensuite les mettre en page et cela durant 8 ans, quotidiennement, sauf week-end, Marcel se pose la question, à la dernière ligne de la lettre

"Les morts ont-ils une réalité autre que dans nos souvenirs et nos cœurs ?"

Dans Et ton livre d'éternité ? paru le 14 février 2022, j'évoque la discussion que j'ai eue avec Marcel sur le pharmacon qui m'est tombé dessus, offert, le 22 janvier 2021 : Tu es aimé, Tu es mon bien-aimé.
Impossible d'identifier ce-celui-celle qui adresse cette parole d'amour inconditionnel à tout ce qui existe à égalité et à chacun dans sa singularité, son unicité. 
Le 9 février 2021, Marcel me répond : je n'ai pas besoin qu'un dieu me dise Tu es mon bien-aimé
puis devant ce que je lui dis, répond : pourquoi pas ? là, je peux le concevoir.
pages 616-618 (lire ci-dessous)
livre disponible sur commande en librairies, sur plateformes

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Le 9 février 2021, téléphonant vers 16 H à l’ami Marcel Conche à propos du livre La nature et l’homme dont il assure l’édition, sortie le 27 mars 2021, pour les 99 ans du philosophe, Lui-Je lui dit le bien qu’il pense de cet opus présentant l’originalité de l’adresse au lecteur. Cela se produit 3 ou 4 fois. D’où lui est venue cette nécessité de l’adresse ? Elle a pour effet d’impliquer le lecteur et de le traiter comme Socrate traite ceux qu’il interpelle, accouche, maïeute: Connais-toi toi-même.

Lui-Je lui raconte l’achèvement de son livre d’éternité et évoque le pharmacon de clôture-ouverture du livre : Tu es aimé, tu es mon bien-aimé.

L’ami Marcel est très réticent avec l’expression Tu es mon bien-aimé. « Je n’ai pas besoin qu’un Dieu me dise : tu es mon bien-aimé ».

Ce n’est un Dieu que si tu le nommes ainsi. Mais Dieu est le Sans Nom. Ce qui s’adresse à toi (ne peut être entendu que par le cœur, pas par les oreilles), c’est la Vie. La Vie éternelle, créatrice qui t’a créé avec amour (l’amour inconditionnel, l’agapé et en se cachant, Héraclite) comme tout ce qui existe, à égalité et qui t’aime aussi inconditionnellement comme unique, singulier, incarné. Ainsi créé et aimé, de deux façons, universelle et unique, tu peux donner ce qui te traverse, l’amour agapé.

« Pourquoi pas ? Là, je peux le concevoir. »

Je te signale Marcel que tu l’as déjà écrit dans La Voie certaine vers « Dieu » ou l’Esprit de la religion, page 35 : je distingue la religion, l’éthique et la morale ; l’éthique renvoie à des devoirs conditionnels, ceux du médecin par exemple ; la morale renvoie à la notion de devoir inconditionnel, venir en aide à un blessé sur la route ; la religion enfin repose sur la notion d’amour inconditionnel. C’est la religion fondamentale et universelle, la religion de l’avenir. L’amour du prochain au sens

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évangélique qui définit la voie droite « vers Dieu » est inconditionnel quel que soit l’humain (aujourd’hui, tu rajouterais quel que soit le vivant).

Jésus dit Aimez vos ennemis. C’est là le retournement complet de ce qui est naturel. Aime ton ennemi, ce n’est pas là une exigence morale car du point de vue naturel et humain, l’amour ne se commande pas et ne résulte pas d’un acte volontaire. Un tel impératif d’amour inconditionnel nous arrache au plan des sentiments naturels et nous transporte au plan proprement religieux, non naturel, celui de la religion de l’amour. Ainsi, je vis dans la religion de l’amour si j’aime autrui simplement en tant qu’être humain même s’il ne le mérite pas.

Et page 37 : que signifie aimer ? Cela est dit clairement dans la 1° épitre de saint Jean 3.18-19

N’aimons ni de mots ni de langue mais en actes véritablement. Que signifie en actes ? Cela signifie 3 choses : agir, non-agir, créer.

Le 14 février 2021, vers 11 H du matin, pour l’anniversaire de l’épousée (73 ans), Lui-Je, hyérosolymitain d’Avers sous les eaux et de Corps Ça Vit, Celui qu’on appelle communément J.-C., livra son livre d’éternité à son éditeur.

Voilà un livre d’éternité de 666 pages, placé sous le signe du diable, le tentateur qui propose à chacun de démesurer son nombril.

L’auteur de ce livre d’éternité, Celui qu’on appelait communément J.C., hyérosolymitain d’Avers sur les eaux, d’Avers sous les eaux depuis le Déluge et de Corps Ça Vit, appellation non brevetée, non protégée l’identifiant par nom-prénom, date et lieu de naissance, taille 1,69, sexe de taille XXL, fut le jouet pendant 80 ans de la commerie.

Je-Moi-Lui faisait comme tout le monde. Porteur de masques, joueur de rôles, il fut un faussaire, un imposteur.

À 80 ans passés, Lui-Je-Moi fut pris de fou-rire, il s’allégea puisqu’il n’était rien ni personne.

Moi-Lui-Je, Celui qu’on appelait communément J.C., donna naissance le 25 décembre 2020 à 00h00 à Vita Nova, un esprit totalement woke, inidentifiable, sans sexe, sans âge, sans genre, sans race, sans espèce, sans Histoire, sans mémoires, localisé comme corps, non localisable comme esprit, intemporel et acausal, un trou noir obscur à soi, absorbant toute tentative de mise en lumière.

livre disponible sur commande en librairies, sur plateformes

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reçu par mail : France Culture réagit ! C'est à l'écoute de cette série que j'ai eu envie d'en savoir davantage sur ce philosophe ! Je peux dire également que c'est à cette occasion que j'ai entendu parler d'un certain JCG !
Pour moi Marcel était un mystique (j'ose le mot): je n'ai jamais oublié la dernière phrase de son Anaximandre : "On s'étonne de ce qui se montre à la lumière ; reste à s'étonner de la lumière même."
Bien entendu, sortie de son contexte cette phrase peut être sujette à diverses interprétations, il n'empêche que personnellement cette conclusion s'ouvre sur l'Infini... (et pas l'indéfini!)
Merci Marcel. M. C.
 
 
reçu par mail : Je crois profondément que la philosophie ne sert à rien. En revanche, l'amitié, si.
Maintenant Marcel sait qu'il a passé sa vie à se tromper. Après la vie, il n'y a pas rien. 
A force de répéter qu'après la vie il n'y a rien, les gens y ont cru. La mort de Dieu, c'est la mort du monde, l'ultralibéralisme et l'ultra débilité, le massacre de la vie.
Dieu ait son âme à ce pauvre ignorant de Marcel. A présent il ne l'est plus. M. K.
 
 
reçu par mail : J’ai toujours eu pour ce grand homme une profonde admiration son honnêteté et la simplicité de son langage m’ont beaucoup appris. F.C.
Note sur La mort et la pensée
de Marcel Conche

(2° édition aux éditions Cécile Defaut, Nantes)
paru en février 2007
 

portrait-marcel-conche.jpg

Portrait de Marcel Conche par Jean Leyssenne

 

J’ai lu La mort et la pensée dans sa 1° édition, aux Éditions de Mégare, en 1974 ou 1975, au Revest. Comme j’enseignais la philosophie au Lycée Rouvière à Toulon, il m’avait semblé bon de lire la méditation d’un philosophe vivant sur un sujet dont j’ai toujours pu mesurer qu’il intéressait les jeunes.

Les suicides d’adolescents ou les morts violentes d’adolescents (une année, un de mes élèves au sortir d’un cours de philosophie, trouva la mort dans un accident de moto à 500 mètres du lycée ; dans le Nord, à Le Quesnoy, j’ai eu aussi à déplorer la mort accidentelle d’un élève auquel j’ai consacré une épitaphe dans La parole éprouvée, une œuvre poétique parue en 2000) m’ont toujours scandalisé au sens où j’avais le sentiment d’une injustice ; une vie n’ayant pu se retourner sur elle-même pour dire : « j’ai fait ce que je pouvais faire de mieux, j’ai bien vécu. »

J’avais découvert Marcel Conche au travers de quelques cours sur Nietzsche, et un sur le Pari de Pascal, suivis par ma femme Annie, en 1968, à Lille.

Je ne peux dire ce que cette 1° lecture m’a apporté. J’ai toujours été intéressé par la réflexion sur la mort, Montaigne me paraissant être celui qui m’apportait le plus. Mais je n’avais pas l’urgence de vivre, liée à une proximité avec la mort.

Ai-je relu ce livre après la disparition de Cyril G. et de Michel B., à Cuba, le 19 septembre 2001 ? J’ai le souvenir de l’avoir ressorti mais de n’être pas allé au bout de cette nouvelle lecture. Le livre est souligné comme je le fais souvent, moins que le nouveau, mais avec beaucoup de passages communs, à 30 ans d’intervalle.
J’ai eu besoin de l’écriture dramatique pour mettre quelques mots sur une douleur, une incompréhension, deux cheminements, celui d’Annie, le mien.

J’ai par contre lu deux fois, cette nouvelle édition, présentée dans un format qu’on a bien en main, édition élégante avec en couverture, le beau portrait de Marcel Conche par Jean Leyssenne.
La multiplication des disparitions entre 1998 et 2001 (3 en 2001) m’a rendu avide de méditations sur la mort.

Celle de Montaigne : que philosopher c’est apprendre à mourir, a longtemps été un repère, comme remède aux peurs qui paralysent dans la vie de tous les jours. J’ai puisé chez Montaigne et chez La Boétie, dans mon caractère aussi, le courage de dire ce que j’avais décidé de dire même si risques de retours de bâton, de faire ce que j’avais décidé de faire même si obstacles, qu’en dira-t-on, de prendre des positions publiques même minoritaires mais me paraissant justes, d’agir pour la création et la culture même si mépris, indifférence…

Avec Marcel Conche, qui les reprend du discours commun sans les remettre en question, mais en les justifiant, analysant, approfondissant, on va à certaines évidences qui ne sont pas sans conséquences :

1- nous savons que nous mourrons et que nous n’y pouvons rien ; sentiment d’impuissance insurmontable qui met à égalité tous les humains et rend dérisoires les appétits de puissance



2- nous ne savons pas ce que cela veut dire, ce qui signifie aussi que nous ne savons pas ce que signifie la vie ; vivant, ma vie est orientée par ma nature (à la fois de l’inné et de l’acquis) avec une insatisfaction permanente, suis-je bien orienté ? questionnement lié à ma liberté, être libre = je me donne forme, condition de la pensée, s’appuyant sur la raison = je donne à ma vie la forme du tout (pages 43 à 46)


3- nul homme ne le saura jamais mais si l’homme ne connaîtra jamais le sens de la mort, donc aussi celui de la vie, il pense et pensant, il construit sa philosophie.


Ce n’est pas en pariant sur telle ou telle philosophie déjà existante, que l’on pense. Ni en réalisant un syncrétisme de corpus hétérogènes. Le pluralisme des philosophies et leur incompatibilité fait du scepticisme pour autrui, une attitude indispensable . Par cette attitude, la possibilité pour un autre que moi de penser différemment de moi est posée, ce qui ne m’empêche pas de penser ce que je pense et d’être convaincu de la vérité de ma philosophie.

En ce qui concerne la mort, on a deux options : elle est un devenir-autre (idéalisme, spiritualisme) ou un devenir autre chose (matérialisme), sans preuve pour l’une ou pour l’autre. C’est par un cheminement authentique que l’on choisra l’une ou l’autre, celle qui correspond vraiment à nos évidences constitutives.

Les trois évidences évoquées ci-dessus rendent hypothétiques les interrogations sur ce qu’il y a après la mort. Celui qui croit qu’après la mort, il n’y a rien que le néant, celui qui croit à la vie éternelle de l’âme après la mort du corps, sont, tous les deux, des croyants, n’ayant nulle preuve, nulle certitude.

Ce faisant, je ne porterai pas mon athéisme, mon agnosticisme comme un drapeau ; j’aurai la croyance modeste, prêt à entendre la croyance d’un autre en une vie au-delà de la mort, si elle aussi, est modeste.

Si je fais choix du néant après la mort, choix vécu, convaincu et non, pari entre deux ou plusieurs hypothèses, je me trouve à devoir construire le sens de ma vie, non tendue par cette quête de la vie éternelle qui lui donnerait son sens ou sa fin (quand finit ma vie mortelle, commence ma vie immortelle, accomplissement, dépassement de la première, singulière, personnelle, se transformant en communion, en universalité, infinité) mais à réaliser dans le cours de cette vie et qui ne se ramène pas à ce cours, à cet écoulement de mon temps de vie, inconnu.

Certes, je peux me satisfaire de l’écoulement de mes jours et de mes nuits, quelque chose comme une recherche du bonheur par un refus de trop grands écarts, par une vie économe, paisible, apaisée, peu exigeante en besoins, en moyens, une vie proche de la nature, soucieuse de développer ma nature, la plus naturelle possible, installant dans la durée des émotions et sentiments qui comblent une vie (l’amour, l’amitié), une vie ouverte aussi à l’imprévu, aux initiatives inanticipables, aux secousses poétiques.

Je peux aussi vouloir plus, avec la même économie de besoins et de moyens, me donner la possibilité de développer mes dons, mes capacités, en obtenir le meilleur, non pour moi mais pour autrui car le partage du meilleur est aussi source de contentement, non, gloriole personnelle mais bonheur partagé. J’ai connu ce contentement dans ma correspondance de 20 années avec Emmanuelle Arsan qui a donné un premier livre : Bonheur, publié en 1993 et qui en donnera un 2° en 2008.

On voit que les deux approches proposées sont l’une d’un vieil homme, l’autre d’un homme jeune, qu’elles ne sont pas incompatibles, que la 2° forme sera la 1° dans notre temps de vie, suivie de la 2° forme quand le soir sera venu, la vieillesse, l’affaiblissement des capacités physiques, pas encore celui des capacités intellectuelles.

Survient aussi la maladie, surgissent la souffrance, la douleur. Avec elles, la peur du passage car si j’ai appris à ne pas craindre la mort, la manière de mourir n’est pas anodine. Entre mourir dans son lit et mourir de soins palliatifs, il y a une sacrée différence. Puis-je mourir dans mon lit, selon mon désir ? Je n’en saurai rien à l’avance et le moment venu, le moment du passage, sauf accident brutal, sera paisible ou douloureux. Mais en prévoyant le pire, le plus souvent possible dans sa vie, en refusant de jouer avec sa vie dans des aventures extrêmes, peut-être me préparé-je une issue paisible, une mort naturelle ?

À 30 ans d’intervalle et parce que la maladie lui a fait découvrir à un moment de son âge adulte qu’il pouvait mourir, Marcel Conche ne modifie sa méditation que sur la découverte de l’urgence à vivre, renforçant ainsi la dimension tragique de sa pensée, l’orientant vers une sagesse tragique, exposée dans Orientation philosophique.

Le 3° chapitre de La mort et la pensée, intitulé : La pensée tragique, montre la constance des thèmes pensés par Marcel Conche : sa philosophie se veut philosophie pour notre temps, notre quasi-monde dont il dit dès 1972 : « ... l’humanité n’est même plus assurée d’avoir une histoire, c’est-à-dire un avenir…Le néant et la mort ne concernent plus seulement les individus, ni même la forme actuelle du monde -par exemple comme monde capitaliste- mais la totalité du monde humain (réalité et possibilité)… À l’époque bourgeoise heureuse, ce qu’il y avait à l’horizon de l’activité humaine, c’était un monde meilleur, aujourd’hui, c’est plutôt l’incertitude, avec le risque du néant.» (p. 138) Le tragique signifie une dévaluation, une chute de valeur : la mort d’un vieillard est moins tragique que la mort prématurée d’un jeune homme. La mort d’un monde humain est tragique. La vie affirme des différences, évalue, réalise des différences de valeur ; la mort dévalue, annule les valeurs, égalise, indifférencie. La sagesse tragique consiste à affirmer le plus de différence dans la vue du néant, à donner le plus de valeur à ce qui va périr, sagesse donc, à l’opposé du nihilisme, sagesse qui revendique de mettre en tension, volonté de différencier contre l’indifférenciation assurée par la mort.

Le 2° chapitre est le plus difficile du livre. Intitulé : L’abstraction et la mort, il montre comment le moment de l’abstraction dans la pensée, parce que c’est un moment de séparation de ce qui est uni dans la réalité, réalise ce que la mort effectue, la séparation du périssable soit du singulier, de l’individu comme la pensée sépare l’universel du singulier : la pensée abstrait l’ « homme » universel en niant les hommes réels, singuliers. La mort fait disparaître des singularités, des individus.
La fin de ce chapitre sur : qu’est-ce qu’un monde ?, le principe de l’infini, notre époque, est consacrée à cerner ce qui caractérise notre temps. Nous ne vivons pas dans un monde qui suppose ordre, cohérence, sens ; notre époque est comparable par bien des aspects à l’époque hellénistique. Notre monde est travaillé par le principe de l’infini d’où l’impossibilité d’un sens donné à l’avance.

Marcel Conche n’a pas dans ces pages, modifié ces quelques lignes : « la pensée philosophique, en tant qu’elle ne peut s’en tenir à la négation abstraite et aspire au concret, est organiquement liée à la révolution. L’intérêt de la philosophie est engagé dans la révolution, qui mettra fin (au niveau du monde comme tout) à l’abstraction et à la mort, et donnera à la philosophie son véritable objet. Mais l’infinité et l’incomplétude du monde consistent en ceci que la révolution est à faire. » (p.115). Je ne pense pas qu’il penserait la même chose aujourd’hui. La révolution à faire n’est semble-t-il, plus à l’ordre du jour.

Pour conclure cette note de relecture, il me semble que l’affirmation qu’aucun savoir sur la mort n’est possible, aucune connaissance objective, est en partie contredite par le sentiment que nous avons d’avoir appris des choses sur la mort comme abstraction, indifférenciation, égalisation et sur la vie comme différenciation, évaluation, élévation ; apprises d’ailleurs des sciences.. Mais nous avons aussi appris à « mieux vivre », à vivre la meilleure vie possible, faite d’exigence, de volonté, tendues dans la réalisation de nos potentialités, « mieux vivre » appris, acquis par l’expérience et la fréquentation méditée de quelques philosophes.

Je remarquerai en toute fin que les développements scientifiques dans le domaine génétique, les développements technologiques avec les nanotechnologies, rendent ou rendront la 1° évidence « commune » : nous savons que nous mourrons, de moins en moins évidente car il semble que ces avancées vers le clonage, la réparation sans fin des « pièces » usées de l’organisme vont accroître considérablement l’espérance de vie et par le clonage quelque chose d’inédit va apparaître qui demande réflexion, ce qu’a commencé à faire d’ailleurs Marcel Conche, chapitres XIV ET XV de Confessions d’un philosophe.

 

Jean-Claude Grosse, le 14 mai 2007

éditeur aux Cahiers de l'Égaré de:

- De l'amour de Marcel Conche

- Heidegger par gros temps de Marcel Conche

- Actualité d'une sagesse tragique (La pensée de Marcel Conche)
de Pilar Sanchez Orozco

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A., alors étudiante de Marcel Conche

 

 

La mort et la pensée de Marcel Conche/J.C.Grosse

et où en suis-je depuis Et ton livre d'éternité ?

écrit sur FB :

jeudi 14/3/2024 c'est le Pi Day, le jour des nombres univers permettant de penser que tout est mémorisé, mémoire externalisée
existant depuis toute éternité, pour l'éternité
mais il faut vivre de M M à M M
la théorie M est la plus récente tentative d'unification du monde astrophysique et du monde quantique
d'après moi, elle finira par prendre le nom 2 M
nous cherchons le comment (science) du pourquoi (métaphysique),
nous inventons des théories où les mathématiques jouent un rôle central
mais à mon avis, nous resterons dans l'entre-deux de deux mots Miracle et Mystère, à jamais inacceptables par scientifiques et métaphysiciens
Miracle de toute naissance, émergence, surgissement
et Mystère inexplicable
mais excitant notre curiosité infinie
Mystère de tout pas-sage, de toute mort, extinction, disparition
et Miracle de toute mort (heureusement que ça meurt)
(une boucle ou une spirale)
 
pour limiter les effets dévastateurs du tourniquet mental, une solution : perdre sa tête de méduse

pour limiter les effets dévastateurs du tourniquet mental, une solution : perdre sa tête de méduse

entre les 2 M M, Miracle et Mystère de notre naissance, notre début et Mystère et Miracle de notre mort, notre fin, la fin de celui qui se croit un individu aux contours bien délimités, à l'identité bien établie, il y a sa vie, notre vie à vivre

on peut consacrer du temps à la penser pour bien ou mieux la vivre, par exemple selon la sagesse tragique de Marcel Conche, en vivant bonheurs et joies simples de et par la vie ordinaire ou ou et ou en même temps, en ouvrant, en fermant, en naviguant entre ombre et lumière, entre matière et lumière, en connard-Bonnard et réciproque-ment

on peut aussi utiliser des verbes à forme pronominale, un petit nombre chaque jour, quelques secondes ou minutes de façon à se fluidifier, à devenir ouvert à des ressentis subtils, à des moments créatifs (en imagination), à des pensées sans lendemains

deux belles histoires racontées par Thierry Zalic

 

Votre thérapeute est un usurpateur. Et en même temps non. Qu’importe !
Cette première phrase explique pourquoi je n'ai pas beaucoup de lecteurs, ou beaucoup moins que certains autres, et pas tellement de clients même s’ils sortent enthousiastes de la séance qui est en même temps une expérience. 
Ça vient de cette position quantique de dire une chose et d’y inclure l'inverse tout en étant à l’aise avec l’incertitude.
Taoïste, tantrique, quantique… la ligne est mince entre les termes.
La plupart des gens aiment quelque chose qui ne soit pas obscur : vous êtes beau, vous avez besoin d’amour, je vais vous dire comment y parvenir, comment faire venir la paix à l’intérieur de vous… quelque chose de simple qui caresse dans le sens du poil que vous vous rasez car telle est la mode.
La position du sage est facile, même si tout le monde n’y parvient pas, car elle repose sur des personnes en errance et perturbées autour.
Prenons un exemple : un détracteur spirituel violent qui déteste le Bouddha s’en approche alors qu’il médite à Srâvasti, au bosquet de Jéda, dans le jardin d’Anâthapindada.
Il l’insulte, lui crache dessus, puis lui lance des poignées de terre.
Le Bouddha émerge alors de sa méditation et voit ses disciples se saisir de l’agresseur, le rouer de coups et l’immobiliser attendant des ordres de leur Maître.
Le Bouddha, avec un sourire placide, enveloppe l'agresseur de compassion. Il ordonne à ses disciples de lâcher l’homme puis lui parle avec douceur et conviction : « voyez ce que vous avez provoqué en ces hommes comme un miroir. Vous leur avez montré leur vrai visage. Dorénavant je vous prie de venir tous les jours pour éprouver notre vérité ou notre hypocrisie.
Vous avez vu comme je vous ai rempli d’amour en un instant. Par contre ces hommes, qui depuis des années me suivent partout en méditant et en priant, vous ont démontré ne pas avoir compris ni la vie ni le processus de l'unité. Ils ont réagi avec une agressivité similaire à la vôtre et même supérieure.
Revenez chaque fois que vous le désirez. Vous êtes mon invité d’honneur. Toute insulte de votre part sera reçue à titre de stimulation pour vérifier si notre vibration est élevée ou s’il s’agit simplement d’une tromperie du mental. »
Plein de honte les disciples ainsi que l’homme se retirent rapidement car ils se sentent coupables. 
Chacun perçoit la leçon de grandeur du bouddha et tente d’échapper à son regard.
Cette histoire est une histoire. Le sage gagne sa sagesse aux dépens de ceux qui le suivent. Sans eux, il ne serait absolument rien. S'il n'y avait ses disciples pour le protéger du détracteur violent, il serait tué ou fortement blessé s'il ne réagissait pas lui-même : on n'en parlerait plus.
II lui est facile d’être magnanime et hautain par la suite. Il n’est de Maître que par le regard que portent dessus ses sujets.
Le sage ne serait qu’un usurpateur ? Et non. Il rassure. Il est nécessaire. Il comble l’absence. Il est la face blanche.
Prenons une autre métaphore : « un homme est jeté par la tempête dans une ville inconnue dont les habitants sont en peine de trouver le roi qui s'était perdu. Ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui et reconnu en cette qualité par tout ce peuple.D’abord il ne sait quel parti prendre, puis il se résout à se prêter à cette bonne fortune. Il reçoit tous les respects qu’on lui désire rendre et il se laisse traiter de roi. »
Le roi réel est justement celui qui toujours manque. Tout roi est par nature un remplaçant : très précisément le remplaçant du roi, un remplaçant de soi-même.
Ajoutons que son pouvoir est absolu, même s’il s’agit d’une philosophie du doute.
Je fais exactement ce qu’il ne faut pas faire, dire que le roi est nu. Et une fois déshabillé, je le rhabille en disant qu’il est nécessaire.
Le roi réel est justement celui qui toujours manque.
Et dans la thérapie ? Dévoiler que chacun est le roi, ou la reine. Combler le manque en l’acceptant. Nous revoilà dans le Tao.
 
Thierry Zalic, formations, thérapies qui sont aussi des formations...

 

heureusement qu'on meurt me dit Marcel Conche à Beaulieu sur Dordogne, mars 2012, photo F.C.

heureusement qu'on meurt me dit Marcel Conche à Beaulieu sur Dordogne, mars 2012, photo F.C.

- si Pi est un nombre univers ou un nombre presque univers, dans ce très très grand nombre, il y a une seule fois le nombre formé d’un million de chiffres 5, et l’oeuvre complète de Shakespeare s’y trouve aussi, ainsi que tous les autres livres pas encore écrits, ainsi que toutes les autres informations accumulées par l’humanité puisqu’elles sont en nombre largement inférieur quoique colossal.
- Un nombre univers est un nombre réel dans les décimales duquel on peut trouver n'importe quelle succession de chiffres de longueur finie, pour une base donnée. Ainsi, si l'on se donne une manière de coder les caractères d'un livre selon une suite de chiffres (ce qui est le cas, par exemple, dans tout format informatique), on trouvera dans un nombre univers tous les livres déjà écrits et à venir, y compris celui de l'histoire de votre vie passée et future.
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article écrit à partir de la nouvelle de JL Borges : la bibliothèque de Babel et introduisant la notion de nombre univers; La notion et l'appellation ont été introduites en 1996 par J.P. Delahaye
je me souviens d'un film L'homme qui défiait l'infini concernant un génie indien des mathématiques Srinivasa Ramanujan, mort de tuberculose à 32 ans
l'homme qui défiait l'infini / intuition et ou démonstration ? /
le mathématicien Hardy (Jeremy Irons, fabuleux) pour convaincre ses collègues d'intégrer Srinivasa Ramanujan au Trinity College de Cambridge est amené à faire une extraordinaire déclaration : les formules existent depuis toujours, elles sont écrites de toute éternité attendant que des esprits brillants en pressentent l'existence et les accueillent; c'est ce qui se passe avec Srinivasa Ramanujan qui reçoit en rêve les formules, venues pour lui du Dieu auquel il croit
1° échographie d'un enfant à naître, 2 mois et demi, 10 cm, 35 gr cette échographie sera la 4° de couverture du livre Le ciel au ventre, d'Alain Cadéo, épuisé depuis 30 ans, réédité par Les Cahiers de l'Égaré en septembre 2024

1° échographie d'un enfant à naître, 2 mois et demi, 10 cm, 35 gr cette échographie sera la 4° de couverture du livre Le ciel au ventre, d'Alain Cadéo, épuisé depuis 30 ans, réédité par Les Cahiers de l'Égaré en septembre 2024

Pour moi, la lettre M peut être entendue
M comme Miracle d'une naissance
M comme Mystère irréductible de toute naissance.
 
Pas de réponse à la question métaphysique pourquoi naît-on ?
Et les réponses "scientifiques" "médicales" à la question comment naît-on ? vont de "les bébés naissent dans les choux" à "ce sont les cigognes qui apportent les bébés". (Rire)
 
Avec M, je conjugue ce que les livres selon Christian Bobin nous apprennent à dire : je vous aime (La part manquante)
 
Je même, je t'aime, je sème, je m'aime.
JCG, 16 mars 2024 sur FB
 
La mort et la pensée de Marcel Conche/J.C.Grosse
« Ce qu'on apprend dans les livres, c'est à dire « Je vous aime ».
Il faut d'abord dire « je ».
C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de maladie, de la maladie des vies impersonnelles, des vies tuées. 
Ensuite il faut dire « vous ». 
La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire « vous », tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante. 
Enfin il faut dire « aime ». 
C'est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu'à condition de ne pas l'être. La dernière lettre est muette, elle s'efface dans le souffle, elle s'en va comme l'air bleu sur la page, dans la gorge. « Je vous aime. »
Sujet, verbe, complément. 
Ce qu'on apprend dans les livres, c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre. » 
Christian Bobin 
« La part manquante » 
 
Neuf jours avant sa mort, Christian Bobin s’est marié avec Lydie Dattas à l’hôpital. Les mots qui suivent prennent une résonance très forte.
NOS DEUX ALLIANCES
« Les alliances ont la forme circulaire de l'univers. Une harmonie parfaite, à la seule condition d'être portées par deux personnes qui s'aiment plus que profondément, plus que sentimentalement, et infiniment plus que socialement.
Sans ces unions qui se font tous les jours, la sphère ne pourrait pas se former et ce serait le chaos. Mais il suffit de deux alliances et d'un amour vrai pour que tout soit préservé.
On peut dire également, sur un plan enfantin, que nos deux alliances rejointes sont les deux yeux de chat du divin, qui dans la nuit nous sourient... »
Christian Bobin, Le Murmure, Gallimard, 2024, pp. 99
et si on passait aux verbes d'action à forme pronominale
 
Moi-Lui-Je, Celui qu’on appelle communément J.-C., a donné naissance un changement de jour à 00h00 (imaginez !) à Vita Nova, un esprit totalement woke, inidentifiable, sans sexe, sans âge, sans genre, sans race, sans espèce, sans Histoire, sans mémoires, localisé comme corps, non localisable comme esprit, intemporel et acausal, un trou noir obscur à soi, absorbant toute tentative de mise en lumière.
Programme que Je-Moi-Lui pratique quotidiennement, avec des verbes d'action à forme pronominale 
(il n'a pas réfléchi s'ils sont réfléchis, réciproques, irréfléchis, passifs)
 
  série
se dégenrer, se dévisager, se démiroiter, se désidéologizer, se délester, se dévaster, se dénationaliser, se dépayser, se dédiaboliser, se désaligner, se débrancher, se déranger, se déminer, se dédéterminismer, se déraciner, se dédésespérer, se déloger, se déménager, se désaxer, se désarmer, se démarquer, se démarginaliser, se fortifier, se mortifier, s'embourber, s'envaser, s'enliser, s'emmêler, se liquider, se dissoudre, se fluidifier, s'aérosoleiller, s'inspirer, s'expirer, s'aveugler, s'oreiller, s'effondrer, se réanimer, se dématérialismer, se déspiritualismer, se démystifier
 
(42 verbes d'action parce que 42 = clin d'œil au roman culte de Douglas Adams, «Le Guide du voyageur galactique» => série sur Arte)
 
faire silence en prononçant du plus possible ralenti
FAIRE SILENCE
(dessine-moi un silence lui a demandé un jour la petite fille)
 
2° série
se dévoiturer, se décovoiturer, se désubériser, de déflixbuser, se détgvéiser, se décroisiériser, se désintégrer, se désavionner, se défuséiser, se déstartupper, se détélétravailler, se désabonner, se démoder, se désaduler, se désaimer, se déshaïr, s'indifférencier, se déshumaniser, s'emplumer, s'automutiner, s'immuler, se sclarifier, se catatomiser, se voluptuer, se décontaminer, se dévitaminer, se dénourrir, se bonifier, se débonheuriser, se délacer, s'enlasser, se clowner, se décloner, s'emberlificoter, s'applaudir, se huer, se déchihuahuaver, se métamorphoser, se matamortir, se désintoxiquer, s'étourdir, s'apprivoiser
 
(42 verbes d'action parce que 42 = clin d'œil au roman culte de Douglas Adams, «Le Guide du voyageur galactique» => série sur Arte)
 
SE TAIRE
(dessine-moi une rose lui a demandé un jour la petite fille
 
aujourd'hui 27 mars 2024, je me nargue, je me détargue, je me redémarre
faire silence / dessiner une rose / la terre vue par Voyager 1, le 14 février 1990 / La comète 12P/Pons-Brooks (au centre) avec la galaxie du triangulum - en haut à gauche - et la galaxie d'Andromède - en haut à droite -. L'étoile brillante entre elles est Mirach. Visiteuse du soir au printemps 2024, la comète 12P/Pons-Brooks est visible, en début de nuit, jusqu’au début avril. Un spectacle à ne pas manquer avant son prochain passage… en 2095.
faire silence / dessiner une rose / la terre vue par Voyager 1, le 14 février 1990 / La comète 12P/Pons-Brooks (au centre) avec la galaxie du triangulum - en haut à gauche - et la galaxie d'Andromède - en haut à droite -. L'étoile brillante entre elles est Mirach. Visiteuse du soir au printemps 2024, la comète 12P/Pons-Brooks est visible, en début de nuit, jusqu’au début avril. Un spectacle à ne pas manquer avant son prochain passage… en 2095.
faire silence / dessiner une rose / la terre vue par Voyager 1, le 14 février 1990 / La comète 12P/Pons-Brooks (au centre) avec la galaxie du triangulum - en haut à gauche - et la galaxie d'Andromède - en haut à droite -. L'étoile brillante entre elles est Mirach. Visiteuse du soir au printemps 2024, la comète 12P/Pons-Brooks est visible, en début de nuit, jusqu’au début avril. Un spectacle à ne pas manquer avant son prochain passage… en 2095.
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faire silence / dessiner une rose / la terre vue par Voyager 1, le 14 février 1990 / La comète 12P/Pons-Brooks (au centre) avec la galaxie du triangulum - en haut à gauche - et la galaxie d'Andromède - en haut à droite -. L'étoile brillante entre elles est Mirach. Visiteuse du soir au printemps 2024, la comète 12P/Pons-Brooks est visible, en début de nuit, jusqu’au début avril. Un spectacle à ne pas manquer avant son prochain passage… en 2095.

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la merveille et l'obscur / Christian Bobin

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #poésie, #écriture, #notes de lecture

N° d'avril 2023 de la Revue des deux mondes
cadeau 
CHRISTIAN BOBIN (décédé le 22 novembre 2022)
Dernière conversation en Saône-et-Loire
propos recueillis par Sébastien Lapaque
Le mercredi 23 juin 2021, j'ai retrouvé Christian Bobin au Creusot où Le Figaro m'avait envoyé l'interroger sur son pays d'enfance et d'écriture. À la gare Le Creusot-Montceau-les-Mines-Montchanin TGV, l'écrivain m'attendait en début d'après-midi à bord de sa vieille voiture au beau milieu d'une campagne baignée de lumière verte. Il m'a conduit dans son modeste appartement du boulevard Henri-Paul-Schneider où il résidait avec sa compagne, la poétesse Lydie Dattas, en face de la mairie, après avoir vécu quinze ans dans une ancienne bergerie de Saint-Firmin, une petite commune rurale des environs du Creusot. J'avais peu de questions à lui poser pour mon texte, mais notre conversation a duré trois longues heures. Révélé au grand public par Le Très-Bas, paru chez Gallimard en 1992 et couronné à la fois par le Prix des Deux-Magots, le Prix Joseph-Delteil et le Grand Prix catholique de littérature, Christian Bobin s'exprimait comme il écrivait, affectionnant les mots rares, les paradoxes, les silences, les fulgurances et les tournures précieuses. Pour ne pas perdre l'or de ses mots, j'ai enregistré la totalité de notre conversation, en songeant au plaisir que j'aurais de la réécouter. Cette heure est venue plus tot que prévu. Christian Bobin est mort dix-sept mois, jour pour jour, après m'avoir laissé à la gare TGV où m'attendait le train de 18 h 47.
En apprenant sa disparition, je me suis souvenu de notre dernier au-revoir aux abords des voies de chemin de fer et des ultimes lignes du Christ aux coquelicots, comme une promesse: « Tu me reconnaîtras sur le quai de la gare: j'aurai mon cœur dans mes mains jointes - un gros hortensia bleu donnant sa lumière jour et nuit, en toutes saisons. »
Christian Bobin Je vous propose de partir de Clermont-Ferrand...
Revue des Deux Mondes - Parce que c'est la ville de Pascal ? Vous avez beaucoup écrit sur Pascal, notamment dans Les Ruines du ciel (1), votre livre consacré à Port-Royal. Lui avez-vous dédié un travail singulier au cours de vos études de philosophie à l'université de Bourgogne, à Dijon ?
Christian Bobin Je l'aime infiniment, mais je ne lui ai pas consacré de
travail specifique. Il ne se passe cependant guere de semaines sans que j'ouvre un de ses livres. C'est un compagnon dont la noirceur, par instants. m'illumine. Paradoxalement. Mais revenons à Clermont-Ferrand. Je vous propose de partir de la cathédrale, qui est en pierres de lave noires, où j'ai découvert qu'on avait retrouvé sur le fronton. et intelligemment mainte nue, la plaque reproduisant la formule de Robespierre: « Le peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme. »
J'ai trouve cela d'une intelligence incroyable, de la part des gens de Clermont, des puissants de Clermont, de ne pas avoir détruit cette plaque et de l'avoir laissée, si je puis dire vivante, sur le flanc de la cathédrale Je sais tres peu de choses de cette ville, sinon la présence, évidemment, de Pascal. Pascal toujours... Mais il n'est d'aucun lieu, d'aucun temps, donc il est partaitement contemporain. Il est notre contemporain absolu.
Et puis il y a les volcans, comme des nourrices portant un bonnet de forêt, des nourrices toujours capables de se révéler orageuses.
Revue des Deux Mondes - De Clermont, filons vers Le Creusot...
Christian Bobin Oui, prenons maintenant le train, quittons cette très belle ville de Clermont, avec sa mairie que j'ai pu voir aussi, dont les escaliers semblent mener à une salle d'opéra. C'est un train régional. C'est-à-dire que c'est un acheminement de la lenteur. Vous vous installez à l'interieur et a la sortie vous etes repu de lenteur, mais d'une lenteur merveilleuse. magique. Les paysages vous sont donnés par les grandes vitres. Ils ne sont pas chassés par les ballets de la vitesse, par le diable à sept queues de la vitesse. Vous avez le temps d'accueillir le paysage. De l'accueillir et de vous recueillir. Et même d'avoir une pensée pour lui et d'accueillir la pensée qu'il a pour nous. Tout le long
du traiet. c'est une succession très lente d'images d'une France dont on ne sait plus parler, mais qui existe pour autant. Cette France a été rendue muette, comme évacuée du langage efficace et administratif. Mais dans un train dont la vitesse est à peine plus grande que celle d'une carriole à cheval (j'exagere, mais on ne dit rien si on n'exagère pas), dans ce train qui m'a souvent ramené de Clermont au Creusot, en passant par Nevers. vous recevez beaucoup d'informations sur ce pays, sur sa resistance. Car je crois que les arbres sont des résistants, je crois que les rivières sont des messagères qui passent la ligne de démarcation plusieurs fois dans la journee. On ne parle plus de cette France des gares minuscules, mais on peut la regarder, elle n'est pas tissée de ressentiment, c'est un très beau pays calme, quasi eternel. ... (encore 8 pages)

 

un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

un envol d'âme-d'ange et l'ange en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! - se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin, l'écrivain à la pure écriture / Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

« J’ai la très grande tristesse de vous faire part du décès de Christian Bobin, survenu le 23 novembre, des suites d’une grave maladie.
Christian Bobin, à travers son œuvre, nous invite avec une belle générosité à comprendre la part manquante de notre vie, celle qui relève du merveilleux et de l’obscur.
Lisons Bobin, il nous soigne de la tristesse et du scepticisme, il nous invite à une quête de la joie avec ses mots empreints d’une grande sensibilité.
Comme ce grand peintre disparu, il fait jaillir la lumière de l’obscurité « Entre la vie et la mort s’installe un rideau de neige », nous dit-il.
Son sourire, sa joie, son humanité vont nous manquer. »
Antoine Gallimard

 

Natif du Creusot, Christian Bobin a publié ses premiers livres à la fin des années 70. Georges Lambrichs l’a accueilli dans la collection « Le Chemin » en 1989 avec La part manquante et J.-B. Pontalis dans la collection « L’Un et l’Autre » avec Le Très bas. 

 

Vient de paraître Le muguet rouge en octobre dernier ; aujourd’hui une grande partie de son œuvre est disponible dans la collection Quarto.

Ma contribution : actualiser "mes" articles sur des oeuvres de Christian Bobin

 

 
 
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
"Mourir, c'est comme tomber amoureux : on disparaît, et on ne donne plus de nouvelles à personne."
"L'Amour comme la mort simplifie."
"Il y a un instant où la mort a toutes les cartes et où elle abat d’un seul coup les quatre as sur la table."
"La vie écrit au crayon. La mort passe la gomme."
 
JCG : les expériences de John Wheeler, appelées gomme quantique, témoignent que l'on peut changer des événement passés par l'observation du phénomène réalisé dans le présent. 
 
" La mort se cache derrière nos fêtes comme un enfant se cache derrière un arbre. On voit toujours le bout de ses souliers."
"Dans la mort, le chemin devient d'un seul coup si étroit que, pour passer, on doit se laisser tout entier."
"Ma fin n'est pas plus bruyante que mon début. Après ma disparition mon chant demeure. Il est plus juste car il est délivré de moi." 
Christian Bobin
 
Personne n'a une vie facile. Le seul fait d'être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès la première brûlure de l'âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n'est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte. La vie n'est rien de prévisible ni d'arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t'accommoder une fois pour toute de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l'être, ton génie est d'avancer dans la déchirure, ton génie c'est de traiter avec l'amour sans intermédiaire, d'égal à égal, et tant pis pour le reste. D'ailleurs quel reste ?"
La plus que vive de Christian Bobin.
 
Les femmes viennent du plus lointain de la vie des hommes, elles sortent de l’enfance des hommes, 
on dit qu’elles gouvernent cette enfance mais ce n’est pas vrai,
il suffit de regarder dans les jardins publics,
les mères avec leurs enfants : elles ne gouvernent pas.
Elles veillent. 
Elles veillent sur l’incendie naissant d’enfance, 
elles aident le feu de vie à prendre.
Plus tard, beaucoup plus tard, elles regardent ceux qu’elles ont fait rois et qui ne savent plus leur parler.
Les hommes, ce sont les devinettes qui les rassurent – devinettes du pouvoir, de la force.
Devant les femmes ils disent :
je ne devine rien,
c’est un mystère.
Ce qu’ils appellent mystère, 
c’est la simplicité des femmes et c’est leur solitude, 
cette force de solitude en elles, en chacune d’elles, 
cette manière qu’elles ont de tenir leurs enfants, leurs maris, leurs amants, le bleu du ciel et l’ordinaire des jours à bout de bras. 
Les femmes sont seules au début, 
au milieu et à la fin de leur vie. 
Elles reçoivent de cette solitude le sacre d’intelligence. 
Christian Bobin.
Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas.
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
Le Quarto Les différentes régions du ciel de Christian Bobin est paru le 6 octobre 2022
"Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. Je m'assieds devant la table d'écriture et je laisse venir à moi les différentes régions du ciel."
Né en 1951, Christian Bobin bâtit depuis près d'un demi-siècle une oeuvre poétique inclassable qui au cours du temps réinvente ses formes. En privilégiant une écriture concentrée, tantôt faite de notes brèves prises sur le vif comme dans un carnet de peintre, tantôt de visions poétiques très denses, creusant au plus profond de la psyché humaine, il aborde des thèmes universels comme l'amour, la mélancolie, l'absence. Touchant les âmes simples comme les érudits, son écriture lumineuse est un rempart contre le désenchantement, mais aussi contre l'irrésistible prolifération d'une "pensée" unique. Il nous parle des voix singulières, des pensées à contre-courant, de visages qui nous rendent vivants, des sourires "ces plus beaux exploits du monde". 
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entretien paru dans La Vie du 20 otobre; merci à Jean Lavoué via Annie Bergou
En exergue du nouveau livre de Christian Bobin, Le muguet rouge, ces mots de Nadejda Mandelstam : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour la première fois le mot « progrès » à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux. »
Christian Bobin à son tour dans son livre sonne le tocsin : « Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un “Progrès” qui va résoudre les problèmes du “Progrès” ? Comment demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ?… L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien… Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ?… L’âme est une espèce à protéger. »
CHRISTIAN BOBIN
La Vie 20 octobre 2022
« L’âme est une espèce à protéger »
INTERVIEW MARIE CHAUDEY
PHOTO DENIS MEYER / HANS LUCAS
Le poète du Creusot revient avec le Muguet rouge, un recueil plus mordant que jamais sur notre modernité. Et un Quarto Gallimard regroupe 17 œuvres de ce rebelle contemplatif.
Le Muguet rouge, au titre énigmatique, est un petit livre aiguisé comme une lame, qui rentre dans le dur de notre modernité. Le poète en colère y moque les économistes – ces « bouilleurs de chiffres », fustige la folle vitesse qui régit nos vies. Dans le collimateur de Christian Bobin : les écrans qui absorbent notre temps de cerveau disponible, happent nos esprits mais aussi nos cœurs. Les métaphores s’enchaînent – « l’œil du cyclope », « le Gutenberg du diable », « le miroir des aveugles »… Haro sur « les chiens électroniques » qui nous tiennent en laisse au quotidien. L’heure est grave et le poète, plus vigilant que jamais.
LA VIE. Votre recueil porte une férocité nouvelle, pourquoi ? 
CHRISTIAN BOBIN. Parce que le temps presse. Les cavaliers de l’Apocalypse sont arrivés à notre seuil, ils attendent que l’on ouvre. Et même à travers le bois de la porte, ils nous regardent… Je souligne que, dans son sens originel, l’apocalypse n’est pas une fin du monde, mais d’abord un dévoilement. Et précisément, c’est celui-ci que nous refusons : nous ne voulons pas voir ce que nous avons fait à cette terre et ce que nous sommes devenus. La situation a été tenable un moment, mais désormais elle se retourne contre nous. Dans la Bible, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du texte de Jean (Apocalypse 6) amènent la guerre, les épidémies, le désordre financier et le feu de la nature… N’avons-nous pas chacun de ces maux devant les yeux tous les jours ? Nous en sommes arrivés à un abaissement spirituel, l’âme est devenue une espèce à protéger. Je me suis dit qu’il était peut-être temps, au moins une fois, au moins dans ce recueil, de voir au mieux, et d’aider le lecteur à voir lui aussi. Simplement voir. Loin de moi l’intention de faire un livre de morale – je n’aime pas ça de manière générale : le confort des sièges bien rembourrés pour le bien, et l’inconfort du petit tabouret boiteux pour le mal. Ce recueil n’est pas non plus un condensé d’opinions et de pensées. Je nourris juste l’ambition que le langage, en se densifiant jusqu’à son point de brûlure, ait une chance de réveiller quelque chose chez quelques-uns.
« La mort devenait de plus en plus miniaturisée, des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendre » : vous y allez fort !
C.B. Je ne souhaite pas non plus que l’on sorte déprimé de cette lecture. Car la fin du monde, c’est à chaque seconde, depuis que nous sommes nés, depuis toujours pour toute l’humanité. Pour l’homme des cavernes, la fin du monde commence par un grognement qui sourd du noir de la grotte où il a cru trouver refuge. Aujourd’hui, pour nous, la fin du monde est en jeu dans le dialogue des êtres et dans le maintien de l’humain à l’intérieur de l’humain. Elle n’est pas tant dans les machines, même si celles-ci aident beaucoup à notre destruction, mais elle est d’abord dans le face-à-face – comme aurait pu le dire le poète Jean Grosjean : est-ce que toi qui me parles tu es là ? Est-ce que moi qui te réponds je suis là ? Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ? La chance de créer cette brèche est toujours possible, mais il y a urgence. J’ai écrit ce livre en croisant deux sortes de paille : la paille sombre d’aujourd’hui – on nous fait avaler par jour l’équivalent d’un siècle entier de poison et de désastre – et puis la paille toujours existante, parce qu’invincible, de l’invisible : celle de l’amour quand il est à son point d’envol entre deux êtres ou celle d’un poème qui est encore vivant alors qu’il a été écrit il y a quatre siècles – les absents aussi peuvent nous aider. Mais il faut d’abord voir en face le mal qui vient : pour se sauver, on doit reconnaître son étendue.
N’y a-t-il pas deux visages différents de la mort, que vous opposez dans le Muguet rouge ?
C.B. En effet, il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature. Une fleur éclôt sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt. Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose. C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet. Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible. Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré. Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus. Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge. C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur.
Votre ville du Creusot est une cité marquée par l’épopée industrielle : avez-vous ressenti ses méfaits dès votre jeunesse ? Vous mettez un P majuscule ironique au mot progrès…
C.B. Le « Progrès » a pris la place de Dieu. Il y a cette croyance absurde et morbide qu’il suffit de continuer sur sa lancée pour s’en sortir : qu’en élargissant la tache, on va la faire disparaître ! Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un « Progrès » qui va résoudre les problèmes du « Progrès » ? Comment peut-on demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ? Durant mon enfance, au long des années 1950-1960, l’épopée industrielle et technique commençait déjà à s’essouffler. J’ai senti le poids des choses en train de s’effondrer sur elles-mêmes. C’est en en prenant le contre-pied que j’ai voulu écrire. Ce n’est pas un hasard si j’essaie de faire de l’écriture un rameau aérien, quelque chose de plus léger que la légèreté même. Parce que j’ai baigné dans cette atmosphère d’une cité dite « ouvrière », presque pharaonique à l’époque : je voyais les esclaves égyptiens défiler sur leur vélo pour répondre à l’appel des usines. Ils avaient une fierté – que je comprends d’ailleurs, parce qu’on leur donnait encore à l’époque une reconnaissance pour ce travail. Et en échange, on leur offrait une protection – tout cela a disparu très vite. J’ai connu cet univers par sa surface très pesante et par son dogme du travail – un monde qui nous empêche d’être… C’est parce que j’aime les gens que je n’aime pas le monde. J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie.
« L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien », affirmez-vous…
C.B. Ces choses-là sont la source de la beauté. C’est de nos nuits de désespoir que va fleurir une glycine qui se penche par-dessus un mur. C’est de nos déchirures, de nos doutes et de nos manques que naissent des palais dans les cieux et toutes sortes de printemps imaginables. Si nous nous coupons de ces racines profondes, alors nous nous coupons des fleurs et des fruits qui viennent après et naissent d’elles. Il y a un lien entre la plénitude et le manque, entre le visible et l’invisible. Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante.
Votre recueil ouvre sur ces mots : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Pourquoi cette couleur ?
C.B. Je ne suis pas l’auteur de l’expression, c’est bien mon père disparu qui m’a nommé cette merveille dans un rêve que j’ai fait. Tout vient d’une parole, comme une étoile descendue dans le puits du sommeil et qui m’a donné ce cadeau incroyable du livre entier, en fait. Car mon père m’invite ensuite à chercher ceux qui cultivent le muguet rouge : ils sont de sa famille et il me pousse à les reconnaître. Une fois éveillé et me mettant à écrire, le muguet rouge m’est apparu comme un paradoxe vivant. Dans l’imaginaire, le muguet est nécessairement vert et blanc. Mais qu’est-ce qui existe et qui n’existe pas ? C’est Dieu, c’est l’amour et c’est le muguet rouge… C’est une grande vertu tantôt de ne pas être là, et tantôt d’être là, cela permet d’échapper à toute incarcération dans un dogme, dans une définition et un confort. J’ai reconnu que ceux qui étaient porteurs du muguet rouge, ce rouge battant du cœur, sont pour la plupart des inconnus qui aident à maintenir le monde à flot, à ne pas avoir le souffle complètement brisé, et peut-être même à commencer un début de réenchantement. La confrérie du muguet rouge est une sorte de compagnie secrète…
… qui seconde le poète ?
C.B. Si le poète a un rôle, c’est de rehausser le langage à son point d’incandescence. C’est par les yeux du langage que nous voyons. S’ils se sont fermés à force de publicité et d’abrutissement, qu’au moins quelqu’un ici ou là redonne à ce langage sa splendeur native, et nous remette au premier matin du monde, qui peut toujours venir. La fin du monde est juste à côté du premier matin du monde. Ce n’est pas si compliqué de tenter un pas de côté : il peut être fait à tout moment, même aujourd’hui alors que nous commençons à payer le prix fort. Comment ne pas voir le paradis à côté de l’enfer ? Mais désormais, l’enfer est tellement ronronnant que nous perdons même de vue son voisin. Au fond, sans lâcher une seconde un instinct contemplatif, c’est pour donner à la douceur réelle des choses sa vraie lumière qu’il m’a fallu éclairer aussi la face sombre du monde. Mais les choses d’esprit sont vivantes à jamais et pour toujours. Le sourire de mon père, qui a déjà eu lieu il y a plus de 20 ans, hante mes livres. Les vrais instants ne sont jamais pris par le temps, car ils étaient déjà saisis par l’éternel. Écrire, c’est travailler du côté de l’éternel, je suis un petit soldat au service de l’invisible, un simple maquisard.
À vos yeux, « cimetières et librairies sont les derniers endroits civilisés ». Pour quelles raisons ?
C.B. Pour une revue de bibliophiles, j’ai écrit un jour un petit texte que je n’ai d’ailleurs pas retrouvé. J’ai inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livre s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres, et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir…
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
interview pour Le Monde des religions, en 2007, republié par Le Monde, ce 25 novembre 2022
Vous êtes un écrivain célèbre mais rare, volontairement très discret dans les médias. D’où vient votre désir de retrait ?
Comme souvent dans cette vie, les choses sont mélangées : il y a, dans ce que vous appelez joliment mon retrait, une part de caractère, une sorte de pudeur, et la crainte que la parole, en s’exposant trop souvent en plein jour, perde de sa vitalité. Rien n’est plus éblouissant que des traces de pattes de moineau dans la neige : elles permettent de voir l’oiseau tout entier. Mais pour ça, il faut la neige. L’équivalent de la neige dans une vie humaine, c’est un silence, une discrétion, cette distance qui permet le vrai lien.
Mon retrait n’est pas une misanthropie, c’est ce qui me donne un lien plus sûr au monde. En écrivant, je me sens comme un enfant qui, laissé dans sa chambre, se met à parler seul, un peu plus fort qu’il n’est raisonnable, pour être entendu de la salle à côté où se trouvent peut-être les parents ou les gens.
Cette image vous ramène à votre propre enfance. La solitude du petit garçon que vous étiez vous a-t-elle jamais quitté ?
J’ai une sensation enfantine de la vie qui perdure : je suis attiré depuis toujours par ce qui est apparemment inutile, faible, laissé dans les ornières pendant que passe le grand carrosse du monde. Un enfant est rarement curieux de ce qui préoccupe les adultes. Il va exercer son attention sur ce qui leur échappe ou ce qui, de peu de poids, lui ressemble.
Par exemple, je peux faire une danse de derviche tourneur autour d’un pissenlit toute une après-midi pour arriver au texte qui me convient, qui exaucera ce pissenlit et en fera ce que je l’ai vu être, c’est-à-dire un soleil descendu près de nous.
Ces états vous sont-ils donnés par la contemplation de la beauté ou bien par une méditation ?
Je suis incapable de séparer la pensée de la beauté. Elles ont pour racine commune le réel. Les petits astres que forment les pissenlits au mois de juin sont beaucoup plus réels et éclairants que toutes les lampes de nos savoirs.
« La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille, fugace, infime »
Ce que je recherche, et que j’ai du mal à nommer, ne se trouve pas dans les endormissements théoriques, pas plus que dans les agacements de l’économie ou le bruit machinal du monde. Cette chose me concerne personnellement et, je crois, concerne chacun de nous. J’essaie de faire des petites maisons de livres assez propres pour que l’invisible qui me semble donner le sens de toute vie y entre, et s’y trouve accueilli.
Cet invisible a-t-il rapport au divin ? Au moins, lui donnez-vous un nom ?
Paradoxalement, cet invisible n’est fait que des choses visibles. Mais délivrées de nos avidités, de nos volontés et de nos soucis. Ce sont ces choses familières qu’on laisse simplement être et venir à nous. Dans ce sens, je ne sais pas de livre plus réaliste que les Évangiles. Ce livre est comme du pain sur la table : le quotidien est le foncier de toute poésie.
Leur message a-t-il une résonance particulière dans vos livres ?
La lumière la plus profonde, je l’ai tirée d’un auteur que j’estime plus que tout, Jean Grosjean, et en particulier de son livre L’Ironie christique, qui est une lecture d’abeille de l’Évangile de Jean : c’est un livre majeur du XXe siècle. L’auteur fait son miel de chaque parole du Christ, il entre dans chacune d’elles comme une abeille s’engouffre dans chaque fleur d’un rosier, pour en surprendre toute la pensée.
À la fin de l’Évangile, il est dit qu’« il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; si on les écrivait une à une, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait ». J’ai pris cette parole à la lettre : j’essaie d’avoir le souci du présent, de qui me parle ou de ce qui se tait devant moi ; je cherche dans le plus tremblé du présent ce qui ne glissera pas comme tout le reste dans les ténèbres. Le ciel est ce qui s’éclaire dans le face-à-face. Le fond de la vie, et c’est le fond même des Évangiles, c’est que tout ce qui compte se passe toujours entre deux personnes.
Dans l’enfance ou à l’âge adulte, avez-vous connu des moments d’illumination, des expériences d’ordre mystique ?
Ce n’est pas vraiment une illumination mais un sentiment plus souterrain, diffus, que je pouvais parfois croire être perdu et qui revenait toujours : la sensation d’une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien. Cette sensation n’a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues, les lassitudes et même les désespérances. Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal.
Qu’avez-vous traversé qui vous a le plus profondément heurté dans votre vie ?
Incontestablement, la perte d’êtres chers. On s’aperçoit qu’on devient désert quand quelqu’un que l’on aime meurt. Qu’on n’a pas d’autre sens que d’être habité par des gens dont la présence nous réjouit ou dont le seul nom nous éclaire. Et quand ces présences s’éteignent, que les noms s’effacent, il y a un moment étrange et pénible où l’on devient à soi-même comme une maison vidée de ses habitants. On n’est propriétaire de rien au bout du compte.
L’épreuve du deuil se traverse. Elle est une épreuve de pensée vécue à son maximum. En refoulant ces choses qui arriveront forcément, on enlève le terreau de la pensée la plus profonde. On risque de se vouer à l’irréel qui me semble être le plus dangereux dans ce monde.
C’est-à-dire ?
L’irréel, c’est la perte du sens humain, c’est-à-dire la perte de ce qui est fragile, lent, incertain. L’irréel, c’est quand tout est très facile, qu’il n’y a plus de mort et que tout est lisse. Contrairement aux progrès techniques, les progrès spirituels sont équivalents à un accroissement des difficultés : plus il y a d’épreuves, plus vous vous rapprochez d’une porte paradisiaque. Alors que l’irréel vous décharge de tout, y compris de vous-même : tout circule merveilleusement, mais il n’y a plus personne.
N’est-on pas aussi dans l’irréel en étant trop religieux, en vivant par exemple dans l’évidence qu’il y a une vie après la mort ou que Dieu est bon ?
On peut faire avec Dieu ce que les enfants font avec un arbre, c’est-à-dire se cacher derrière. Par peur de la vie. Les pièges dans cette vie sont innombrables, comme penser qu’on est du bon côté, qu’on a vu et recensé tous les pièges, ou qu’on sait ce qu’il en est une bonne fois pour toutes du visible et de l’invisible. Ça ne marche pas comme ça.
« Les religions sont analphabètes de leurs propres écritures »
Les religions sont lourdes. Elles reposent sur des textes qui sont des merveilles. Mais elles sont d’abord les analphabètes de leurs propres écritures. Elles n’oublient jamais leur puissance. Elles veulent détourner à leur profit le cours ruisselant de la vie. Au fond, il faudrait débarrasser Dieu de Dieu. On pourrait parler d’un Dieu athée de ses propres religions.
Vous parliez tout à l’heure des « endormissements théoriques ». La connaissance est-elle une barrière à un chemin spirituel ?
C’est difficile de répondre. Kierkegaard parlait de communication directe et communication indirecte. Pour le dire simplement, la communication directe, c’est quand vous transmettez un savoir : vous le donnez comme vous donnez un objet. La communication indirecte, d’après lui, est la seule qui convienne aux choses de l’esprit : il ne faut rien donner directement. La vérité n’est pas un objet mais un lien entre deux personnes.
C’est pourquoi le Christ parle en parabole et rarement tout droit. Sa parole est chargée d’images, avec ce qu’il faut d’énigme pour que le chemin se fasse dans la tête de son interlocuteur, pour que cet interlocuteur accomplisse son propre travail mental. C’est l’origine de toute poésie vraie : il faut que quelque chose manque pour espérer goûter à un peu de plénitude. Le problème avec ce qu’on appelle le savoir, c’est que tout est fait, cuit et même mâché.
« Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd’hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu’il s’est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce. » C’est une phrase tirée du recueil La Présence pure, publié en 1999. Comment prolongeriez-vous aujourd’hui cette réflexion ?
Pardonnez-moi d’être banal, mais on n’a jamais plus conscience de la vie que lorsqu’on sait qu’à chaque seconde elle peut vaciller et tomber en poussière. La mort est une excellente compagne, très fertile pour la pensée de la vie. Si on expulse l’une, on condamne l’autre à s’épuiser dans le bagne d’une distraction perpétuelle.
La claire conscience de la vie, amenée par la calme pensée de sa fragilité, est la grâce même. La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille : quelque chose de fugace, d’infime, qui ne demande surtout pas à être retenu, et qui coïncide avec l’incorruptible joie d’être vivant. Emily Dickinson écrit dans l’une de ses lettres : « Le simple fait de vivre est pour moi une extase. »
Sur la mort, avez-vous une espérance, une intime conviction ?
J’éprouve que le meilleur de nous, quand nous réussissons à le faire vivre, ne sera pas bruni, emporté par la mort. Je ne peux guère dire plus. Ou plutôt si : les nouveau-nés, je l’ai souvent écrit, sont mes maîtres à penser. Le bébé à plat dans son berceau, avec le ciel étonné de nos yeux qui lui tombe dessus, est la figure même de la résurrection. C’est beau, le front dénudé des nouveau-nés. C’est la confiance qui remplace le crâne. La confiance est le berceau de la vie.
Cet entretien a initialement été publié dans « Le Monde des Religions » n° 25,
septembre/octobre 2007.
Frédéric Lenoir et Karine Papillaud.
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
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Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018 il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule / Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Pierre, de Christian Bobin, je l'ai lu entre le 23 et le 24 décembre 2019, un an après le « voyage » de Christian Bobin, du Creusot à Sète, le 24 décembre 2018, voyage de nuit, pour apporter deux exemplaires de La nuit du cœur (consacré à l'abbatiale de Conques) à Pierre Soulages et à Colette.

Ce 24 décembre 2019, Pierre Soulages a eu 100 ans. En 2018, Bobin « improvisa » ce voyage, apparemment sans prévenir Soulages, impulsion venue du cœur, pour offrir deux exemplaires de ce livre consacré à l'abbatiale et aux vitraux.

Voyage effectif ou songe d'une nuit d'hiver, voilà un voyage signé si je puis dire, chargé de signes. Un 24 décembre, pour un anniversaire, vers les outrenoirs de Soulages, l'homme de la lumière par le noir, dans le noir, sur le noir, sous le noir. Dans un train presque sans voyageurs, dans la nuit noire. Avec les bruits à l'intérieur du train et le bruit solidien des roues sur les joints des rails, ta dak, ta dak, métronome mesurant le temps et l'espace. Avec un taxi pris à la sortie de la gare vers 22 H 30 pour monter l'auteur de cette unique escapade, de cette escapade unique vers l'impasse du Mont Saint-Clair où s'est retiré le peintre ;  « ah ! vous allez voir le peintre ». Avec l'attente patiente devant la porte fermée, le domestique Mohammed étant allé prévenir ses maîtres.

Ce voyage initié par un mouvement du cœur, par l'amour, chargé de signes a-t-il confirmé ces signes venus du noir lumineux du poète de l'obscur et de la merveille ou a-t-il été aussi fournisseur de la quête de l'auteur de la part manquante, le surgissement d'une présence, surgissement inattendu, imprévu, non voulu, non préalablement désiré, défini.

Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Christian Bobin est l'auteur prolixe de la mise en déroute des certitudes, des raisons, l'auteur prolixe de la dissolution du réel auquel on s'accroche ; il est l'auteur prolixe de la nécessité de l'attente, de la patience, du silence, du vide en quelque sorte d'où va surgir peut-être la présence pure engendrant l'enchantement simple. Pas de projet, pas de cheminement vers un éveil spirituel, une pleine conscience, une volonté de puissance du genre le monde est le produit de ma conscience. Ce n'est pas lui qui va vers la présence, c'est la présence qui vient à lui, s'offre à lui dans la mesure où il est disponible, ouvert sur l'Ouvert.

Comme il s'agit d'expériences intimes d'accès à des outre-mondes quasi-indicibles, il me semble qu'en aucun cas, Christian Bobin peut être un guide spirituel, un transmetteur, un passeur.

Le bon usage de Christian Bobin est d'après moi de deux sortes : savourer les bonheurs d'écriture, fulgurances, éclairs ramenés de l'au-delà et oser sa propre aventure du sur-place, de l'immobilité ; devenir l'araignée dont la toile est tissée par des fils venus d'ailleurs ou du bon usage des signes venus d'ailleurs.

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.)

André Comte-Sponville

la merveille et l'obscur / Christian Bobin
« Je voudrais vous parler de celle dont tout le monde parle et qui échappe à tout le monde. Je voudrais vous parler de Marilyn. Sa folie a régné sur le monde et c’était un règne sans mauvaiseté. Mais de folie quand même. Elle est une preuve de Dieu. N’importe qui et n’importe quoi est une preuve de Dieu sur terre. La preuve — Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n’est-ce pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs et de nos croyances. (…) Marilyn suivait l’étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d’une poupée papillonnant des yeux et de l’âme, souriant à ses assassins. La folie est un mécanisme d’horlogerie très fin. On n’en voit les rouages que lorsqu’il se brise. Marilyn sait que l’humanité a faim, plus encore que de pain ou de sexe, d’une vraie gaité, d’une gaité profonde accordée au secret des fleurs, du ciel, des anges. Nous recherchons le paradis. Nous ne sommes jamais très loin de lui. La gaité — la pure, pas la marchande : comment vivre une seconde sans elle, sans son secours, sans au moins sa nostalgie ? Les saintes du cinéma brûlent dans le noir. Leurs chevelures luisent comme des méduses. Rien ne s’éteint plus vite que l’incendie de l’irréel. Marilyn tendait une gaité volatile sur la petite assiette de son visage. Mangez-moi. Ceci est ma folie, ceci est ma perte. Je suis des vôtres. Simplement j’ai dans les paillettes de mes yeux et sur la charité de mes lèvres les stigmates du paradis, l’ombre portée de la lumière éternelle. Elle affolait les hommes, mais aussi bien les femmes ou le soleil. Sa fragilité était invulnérable. Elle n’arrêtait pas de souffrir et de sourire. Ces deux passions n’en faisaient qu’une. (…)
Qu’elle dorme en paix, la martyre du sourire. Qu’elle soit remerciée de son dévouement de folle. Comme Einstein a donné son nom à la loi de relativité, que je suis heureux de ne pas comprendre, Marilyn a donné le sien à la loi inexorable de la chute des cœurs. »
Christian Bobin, La grande vie, Gallimard, 2014, pp. 95-98
Photo de Milton Greene, pendant la séance « Ballerina setting », 1954
via Thierry Di Manno sur la page FB Christian Bobin
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

 

Christian Bobin

La merveille et l'obscur

suivi de

La parole vive

entretiens 1990-1994

La passe du vent

imprimé par Horizon à Gémenos

 

85 pages d'entretiens, 4 entretiens, le 1°, le plus long avec Charles Juliet, le 4°, La parole vive, avec deux collaborateurs de la revue Esprit.

Ces entretiens éclairent d'une part les thèmes récurrents des livres de Christian Bobin, la solitude, l'enfance, l'amour et d'autre part la manière d'écrire du poète.

Il y a du paradoxe chez Christian Bobin. Il affirme que peu de paroles vraies s'échangent chaque jour, il dénonce les paroles mortes chez la plupart des gens, paroles empruntées, véhiculées, fabriquées, paroles des professeurs, des dogmatiques, des fonctionnaires de la langue. Il devrait être peu prolixe de paroles vraies, vives, opter pour le silence, la souveraineté du vide or il a écrit une soixantaine de livres, jamais épais il est vrai et si on parcourt internet, on trouve entre 600 et 800 citations de Bobin.

Voilà un poète riche de bonheurs d'écritures. À chacun, en lisant, de goûter « ses » bonheurs, ceux qu'il trouve, ceux sur lesquels il s'attarde, quittant la page pour aller vagabonder dans la réalité, celle qui l'entoure et qui soudain retrouve éclat, vivacité, simplicité. Lire Bobin, c'est avoir comme dit le poète Lorand Gaspar, le regard soudain lavé. Ce n'est plus seulement voir, voir vraiment, c'est recevoir, être traversé par la richesse infinie de la vie simple, de la vie faible comme il dit quelque part, la vie faible, la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible, d'éphémère. (L'inespérée, p.130)

On voit bien en quoi, une telle formule ne demande qu'à sortir de sa page d'encre pour que nous en fassions l'expérience concrète, perdre la seconde qui va, sans projet, sans regret, sans jugement, sans culpabilité, comme un chat qui a tant à nous apprendre, en toute fraîcheur, innocence, pureté, naïveté, comme un idiot, un ravi émerveillé par tout ce qu'il voit, entend, sent, goûte, touche.

Un moment : une amie me rend visite à Corsavy, je la promène en voiture et l'arrête à une fontaine, une source qui coule faiblement mais coule, s'écoule, doux bruit d'eau et une éclaboussure de verts, fraisiers, fougères petites, mousses, lichens. Photographe ou peintre en saisirait peut-être l'éternité, en tout cas, elle est manifeste, il n'y a qu'à se laisser traverser, prendre son temps, laisser le temps s'écouler comme l'eau, se laver de toute précipitation, de toute impatience, de toute attente, rien ne presse, être présent à ces présences et remercier, dire merci, à voix haute, en chantant puisqu'on est enchanté. Il me semble qu'il dit à un moment que les pouvoirs (dont le plus pesant, le pouvoir économique) ne peuvent rien contre le chant, contre la parole enchantée, enchanteresse. Aujourd'hui encore on retrouve une telle tension entre les deux inconciliables, l'or et le chant, l'utile et l'inutile. Entre ces deux langues, pas de compromis, une lutte à mort. Soit l'argent, soit le chant. Soit le monde, soit l'amour. On ne peut servir les deux à la fois. C'est ce que j'aime chez les troubadours, c'est ce que j'aime dans toute vraie écriture, une force d'insurrection, une source de vie immense, un goût indéracinable de l'éternel. (p.31)

Il y a quelque chose comme ça qui s'est inventé, qui s'invente et s'inventera chez certains groupes de Gilets Jaunes qui ont le sens de la vie, de sa beauté, sa fraternité et un beau goût pour l'humour.
Autre moment : rite d'une jeune femme, longtemps mariée, séparée depuis un an, avant de se coucher ; elle monte l'escalier menant à sa chambre ; à chaque marche, enlève un vêtement, le jette par dessus l'épaule, entre nue dans la chambre, se met nue au lit et éclate de rire. Se défaire de tous vêtements, de tous masques. Tout est là : l'ascension – vers un repos. Le rire – dans le dépouillement. L'abondance – dans la solitude.

On voit bien comment de tels rites, renouvelés, improvisés peuvent nous rendre bienheureux c'est-à-dire nous couler dans la « sainteté » de la vie.

Jadis, j'avais 24-25 ans, j'avais imaginé toutes sortes de jeux pour poétiser la vie, le cahier existe toujours, le programme s'appelait : pour une réduction des horaires de banalité, pour une augmentation raisonnée des horaires de folie douce. C'était juste et prétentieux : il n'y a pas à poétiser la vie quotidienne, elle est poésie permanente, elle est miracle en toute manifestation et n'a pas besoin de poète déclaré ni de programme ostentatoire.


Poète je suis l’homme qu’il vous faut

mon programme réclame pour chacun

la libre disposition des choses

la possibilité de jouir de leur séduction

de se méfier de leur érosion

la libre disposition de soi-même

la possibilité de développer son étrangeté légitime

d’aller jusqu’au bout de ses pentes quotidiennes

d’être aussi fou que son voisin

et plus fou que le divin dont la soif de création s’est arreêée à l’incréé

mon programme réclame pour chacun

une réduction des horaires de banalité

une augmentation raisonnée des horaires de folie douce

(La parole éprouvée, 2° partie, 8° mouvement, Ouvrir, Mésallier les mots, p. 138)

 

 

Autre moment : le soir avant le coucher, rite des lectures à voix haute ; je lis des passages du Très-Bas à Rosalie qui me lit des chapitres de Dis au revoir à ton poisson rouge. Hier soir, elle perd une dent de lait, la petite souris va-t-elle passer ? Qu'est-ce qu'elle fait la petite souris ? Elle emporte la dent et laisse à la place, un peu d'argent et des douceurs. Je lui lis le passage sur la différence entre les enfants du 20° siècle et les enfants du 13° siècle, p. 33-34. Petits enfants du 20° siècle (on est déjà au 22° siècle, l'effondrement a eu lieu), vos parents sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Ils vous demandent de les porter sur vos épaules, de leur donner cœur et force. Petits enfants des temps modernes, vous êtes des rois dans un désert. Petits enfants du 13° siècle, on vous accorde peu d'importance.

 

Puis je lui demande de me parler de son doudou. Il est important pour toi ? Oui, pour la nuit. Qu'est-ce qu'il fait la nuit ? Il me protège. Ah bon ! Oui, la nuit, je n'y suis pas. Lui, il est là. Pendant que je dors, il est là, il me protège. De quoi ? Ça, je ne sais pas puisque je dors. (Il y aura sans doute une suite)

 

Bobin parle très bien de l'enfance et de Hélène, une fillette dont il s'est occupé par intermittences, de quelques mois à deux ans puis jusqu'à huit ans. Hélène qui ne ressemble ni à sa mère, ni à son père, ressemblances les plus pauvres qui soient, Hélène qui ressemble à la vie, qui ne ressemble à rien, qui ne ressemble à personne. Elle m'a appris à trouver le centre de l'écriture, le monde tel qu'il est, tel qu'il court, dans la voix d'une enfant. Un beau livre, un livre nourricier, c'est un livre d'où l'auteur a su s'enlever complètement. Vous l'ouvrez, vous lisez. Il n'y a que vous là-dedans. C'est vous qui avez écrit ces mots-là.

 

Autre moment. À Rosalie   pourquoi ne m'aides-tu pas ?   tu as deux pieds, deux mains, tu peux te lever   mais je fais beaucoup, les repas c'est moi, la vaisselle, c'est toi   oui mais mon autre moi   quoi, qu'as-tu dis ?   rien laisse tomber   t'as parlé de ton autre moi, c'est qui lui   laisse tomber, je te dis... elle finit par me parler de tous "ses" moi, une ribambelle, l'imaginaire investissant toujours la réalité.

 

J'ai une amie, une femme qui aime la vie simple, faible, qui chaque jour ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci Annie Bergougnous pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

 

On comparera avec le chemin de méditation du père Séraphim, méditer comme une montagne, comme un coquelicot, comme un océan, comme une tourterlle...

 

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.
une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

- Beaucoup d’écrivains parlent des enfants de manière mièvre, alors comment en parler de manière haute, comme vous le faîtes vous-même, comme des métaphysiciens, des gens qui vous guident, qui vous éveillent, qui vous montrent une part de la réalité que vous ne voyez pas, sans du tout tomber dans le « Qu’il est mignon ce petit » ?

- Ah, bien oui, si on m’accorde qu’un nouveau-né, ou qu’un bébé est un métaphysicien, c’est à dire un grand sage, un sage tout proche du Dieu, si on m’accorde qu’un bébé est sage, on va pas dire « Oh ! Qu’il est mignon ce sage, oh ! Qu’il fait la risette, peut-être que certaines mères ont reconnu la grandeur de leur enfant, peut-être pas toutes, je le déplore, et que cette grandeur les dépassait de toutes parts, et qu’elle était bien autrement large que ce que pouvait en contenir un couffin, et une petite joliesse de dentelle et une boite à musique, quand certaines mères ont découvert ça, en tout cas, quand j’ai découvert ça, que les bébés étaient très proches de la sagesse la plus pointue, de la plus rude aussi, car je ne connais pas de regards plus dangereux à croiser que celui d’un nouveau-né, parce qu’il ne s’ennuie pas lui, il ignore toute convention, il vous fixe dans les yeux, ça ne se fait pas de regarder les gens dans les yeux très longuement, c’est dommage que ça ne se fasse pas, mais lui ça ne le gêne pas, il vous envisage comme un mystère, il a raison, vous êtes un vrai mystère, il a raison, on a tendance à l’oublier, bien avant d’être ceci ou cela, bien avant même d’être écrivain, on est un mystère, et le nouveau-né le sait d’instinct, peut-être parce qu’il s’éprouve lui-même comme un mystère, et bien quand vous avez cette gravité, cette beauté, c’est toute la grâce des anges, mais alors des anges dont leurs ailes sont en acier, quand vous voyez cette grâce dans les yeux des nouveaux-nés, vous êtes confondus comme devant la plus grande et la plus rude pensée, vous avez-là un mystère qui vous interroge et qui ne se contentera d’aucune réponse.

- Il n’y a pas un risque de projection ? De projeter son désir de réponse à travers justement celui qui ne peut pas répondre ?

- Je ne crois pas, parce que les nouveaux-nés ont cette qualité-là, mais les agonisants l’ont aussi, et les vieillards parfois, peuvent l’avoir, et ceux qui aiment, quand ils aiment d’un amour pur, très réel et très pur, ils ont aussi dans leur présence ce coté diamantaire, ce coté aiguisé, aigu, comme ça, donc je ne pense pas céder à une empathie ou à une projection, toute simple, et toute pauvre.

la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)
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la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)

- Parce qu’il y a une époque, dans vos livres étaient présents des enfants, dont une petite fille d’une de vos amies, on l’a vu grandir, etc, qui avait quand même le langage, des réactions, des pirouettes, donc avec maintenant avec le nouveau-né, on se rapproche vers le centre, vers le plus incandescent, là on est sans parole, sans gestes, sans charme, alors je veux dire, sans séduction de sa part, lui il est là, brut, entier, mais proche de la source, parce qu’il en vient.

 

- Il en vient et il est encore trempé de…, au fond, le monde est à l’inverse de ce qu’il prétend être, il dit « regardez, je suis la lumière, regardez, je vais vous mettre plein de publicité, plein de bruits très attrayants, regardez, je vais vous mettre plein de couleurs, vous allez vous régaler, et puis, il y a un problème » nous dit le monde, "c’est qu’il y a la mort, on ne sait pas d’où l’on vient, de toute façon, il n’y a pas de réponse, c’est la nuit partout, c’est tout noir, c’est du néant, mais avec moi », dit le monde « qu’est ce que vous allez vous amuser ! Ça je vous promets, c’est lumière sur lumière ! ». On est bordé de nuit, mais à l’intérieur du monde, c’est la lumière, moi, je dis, c’est l’inverse, c’est l’inverse, c’est à dire que les nouveau-nés ils viennent de la lumière, et ils sont jetés dans notre nuit, c’est pour ça qu’ils sont éblouissants, c’est pour ça que leur regard est brûlant et que leurs visages sont dévorants comme ça, ils ont,… c’est une expérience très matérielle à quoi je vous renvoie, comparez, et vous verrez que la comparaison marche terme à terme, comparez l’attente ou l’attention portée à un visage d’un nouveau-né ou d’un tout petit enfant, à l’attention et au regard que vous allez porter sur un feu de cheminée, vous allez être comme hypnotisé, la chose va vous attirer à elle, parce qu’elle est violente, mais elle a une violence de vie, elle a une violence archaïque et éternelle, c’est la même chose, le feu et la petite pointe de brûlure bleue, dans les yeux des nouveaux-nés, ce bleu incroyable, qui tache les yeux des nouveaux-nés, après ils vont choisir leur couleur, ou quelque chose en eux va choisir leur couleur, parfois ils vont garder ce bleu, rarement, ils vont le garder, mais c’est la même chose, la même intensité, ils viennent de la lumière, ils sont jetés dans notre nuit, comment ne pas les vénérer, pas au sens bête de notre culture, qui adore les enfants stupidement, stupidement, stupidement, je dis bien, mais comment ne pas les respecter infiniment, comment ne pas respecter un vieillard aussi, pour ce qu’il commence à connaitre malgré lui de ce qui est de l’autre coté de la paroi ? Il commence à être touché un petit peu, par ce qui est intouchable, comment ne pas vénérer, respecter les plus faibles parce que dans l’ébranlement qu’il leur vient dans la chair et dans l’âme, il y a quelque chose de presque plus que la vie même, qui les touche et dont on peut voir sur eux les vibrations, comment ne pas être en silence devant ça ?

 

- Nouveau-né, vieillard, oiseaux, fleurs, on s’éloigne du langage ?

- Non, parce que le verbe des évangiles par exemple, et le verbe de certains poètes, peut avoir la force du silence d’un mourant ou de la vibration lumineuse d’une petite fleur. Le verbe de certains poètes, et parfois le verbe de certaines personnes dans cette vie pauvre, et qui ne se connaissent pas elles-mêmes comme écrivain ou comme poète, et qui n’écriront jamais, il suffit que la vérité les foudroie, et qu’elles acceptent ce foudroiement et vous avez devant vous une parole, comme on dit, on n'a la plus belle femme du monde, vous voyez, et donc le langage aussi peut nous amener à ce court-circuit, et à nous faire toucher cet au-delà de tout, le langage même, mais c’est rare, mais ça arrive, ça arrive.

- Je ne le vois pas dans vos derniers livres, Christian Bobin, comme vous conduisant vers, en tout cas aussi intensément, vers la vérité que vous conduise un enfant, un vieillard, des fleurs, des oiseaux, comme si dans ce mouvement qui est le votre aujourd’hui, vous n’aviez plus tellement besoin de la langue commune, cherchant peut-être autre chose que cette langue commune ?

- C’est vrai que le silence est…, là je vais rejoindre un savoir commun mais c’est un savoir vivant, un savoir vivace, que le silence est peut-être le plus haut point de la parole, quand la parole est menée par l’amour, il y a un moment où elle se tait, et c’est encore de la parole, mais c’est vrai que le silence, quand il est habité, quand il indique un travail intérieur, et non pas une mort, parce qu’il y toutes sortes de silences, mais un silence vivant, vibrant, et bien il disqualifie tous les livres et toutes les écritures et toutes les paroles.

Christian Bobin interviewé par Olivier Germain-Thomas, dans l’émission « For intérieur », diffusée le 31 mars 2002 sur France Culture, à partir de 44'55.

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
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Christian Bobin / Sylvain Tesson

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse, #écriture, #voyages, #vide quantique

Christian Bobin / Sylvain Tesson
Christian Bobin / Sylvain Tesson

Pierre, /Christian Bobin 

La panthère des neiges /Sylvain Tesson

 

Pierre, de Christian Bobin, je l'ai lu entre le 23 et le 24 décembre 2019, un an après le « voyage » de Christian Bobin, du Creusot à Sète, le 24 décembre 2018, voyage de nuit, pour apporter deux exemplaires de La nuit du cœur (consacré à l'abbatiale de Conques) à Pierre Soulages et à Colette.

Ce 24 décembre 2019, Pierre Soulages a eu 100 ans. En 2018, Bobin « improvisa » ce voyage, apparemment sans prévenir Soulages, impulsion venue du cœur, pour offrir deux exemplaires de ce livre consacré à l'abbatiale et aux vitraux.

Voyage effectif ou songe d'une nuit d'hiver, voilà un voyage signé si je puis dire, chargé de signes. Un 24 décembre, pour un anniversaire, vers les outrenoirs de Soulages, l'homme de la lumière par le noir, dans le noir, sur le noir, sous le noir. Dans un train presque sans voyageurs, dans la nuit noire. Avec les bruits à l'intérieur du train et le bruit solidien des roues sur les joints des rails, ta dak, ta dak, métronome mesurant le temps et l'espace. Avec un taxi pris à la sortie de la gare vers 22 H 30 pour monter l'auteur de cette unique escapade, de cette escapade unique vers l'impasse du Mont Saint-Clair où s'est retiré le peintre ;  « ah ! vous allez voir le peintre ». Avec l'attente patiente devant la porte fermée, le domestique Mohammed étant allé prévenir ses maîtres.

Ce voyage initié par un mouvement du cœur, par l'amour, chargé de signes a-t-il confirmé ces signes venus du noir lumineux du poète de l'obscur et de la merveille ou a-t-il été aussi fournisseur de la quête de l'auteur de la part manquante, le surgissement d'une présence, surgissement inattendu, imprévu, non voulu, non préalablement désiré, défini.

Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Christian Bobin est l'auteur prolixe de la mise en déroute des certitudes, des raisons, l'auteur prolixe de la dissolution du réel auquel on s'accroche ; il est l'auteur prolixe de la nécessité de l'attente, de la patience, du silence, du vide en quelque sorte d'où va surgir peut-être la présence pure engendrant l'enchantement simple. Pas de projet, pas de cheminement vers un éveil spirituel, une pleine conscience, une volonté de puissance du genre le monde est le produit de ma conscience. Ce n'est pas lui qui va vers la présence, c'est la présence qui vient à lui, s'offre à lui dans la mesure où il est disponible, ouvert sur l'Ouvert.

Comme il s'agit d'expériences intimes d'accès à des outre-mondes quasi-indicibles, il me semble qu'en aucun cas, Christian Bobin peut être un guide spirituel, un transmetteur, un passeur.

Le bon usage de Christian Bobin est d'après moi de deux sortes : savourer les bonheurs d'écriture, fulgurances, éclairs ramenés de l'au-delà et oser sa propre aventure du sur-place, de l'immobilité ; devenir l'araignée dont la toile est tissée par des fils venus d'ailleurs ou du bon usage des signes venus d'ailleurs.

 

La panthère des neiges de Sylvain Tesson, je l'ai lu entre le 26 et le 28 décembre, dans la foulée de Pierre, de Christian Bobin. 

Passer d'un bureau, d'une maison d'ermite au cœur d'une forêt, habité par l'absolu se livrant par surprise au plateau du Chang Tang au Tibet, à des altitudes entre 4800 et 5200 m, avec des températures de - 20 à - 35°, c'est faire un sacré grand écart même si tu es installé dans un fauteuil au soleil à travers la vitre de ta chambre.

La géographie de cette région inhospitalière, pas encore colonisée par les Chinois, est propice à un voyage dans le temps. C'est une région où se sont réfugiées des espèces sauvages, pas totalement exterminées par braconniers et chasseurs. En particulier l'once, la panthère des neiges, le yak sauvage, le loup. C'est se retrouver au paléolithique et voir les effets de la révolution néolithique puisque à quelques centaines de mètres des lieux d'affût paissent des troupeaux de yaks domestiqués, gardés par des chiens domestiques et des enfants sans crainte. La révolution néolithique c'est la domestication, la hiérarchisation des dominations avec au sommet de la pyramide des prédations, le prédateur qu'est l'homme, exterminateur en 50 ans de plus de 60% des espèces. La vision qu'a Sylvain Tesson de ce monde où cohabitent paléolithique et néolithique est de source scientifique ; ce qui s'observe mais qui d'abord nous observe est le résultat de l'évolution des espèces, une évolution par sélection naturelle, loi du plus fort où tout être doit manger et finit mangé. Avec les espèces encore sauvages, on a un patrimoine génétique très stable, pur ; avec les espèces domestiques, on a des transformations génétiques acquises, devenant héréditaires et pouvant continuer à se modifier. Sylvain Tesson n'évoque pas une seule fois une autre vision de l'évolution, en train peu à peu d'émerger, l'évolution par la coopération et non par la compétition. C'est regrettable mais il sait rendre sensible ce que nous avons perdu avec la révolution néolithique. En domestiquant, nous sommes nous-mêmes devenus domestiques, soumis à des prédateurs s'attribuant des pouvoirs politiques, religieux, militaires, technologiques. La démographie galopante avec tous les effets concomitants, urbanisation, agriculture intensive, industrialisation et épuisement des ressources, pollution de l'air, des sols, de l'eau, plastification des océans, réchauffement climatique n'augure rien de bon quant aux horizons.

La géographie de cette région, faussement désertique, est propice à d'autres considérations de nature métaphysiques. Le Chang Tang, c'est l'esprit, l'écriture du Tao mais toutes les métaphysiques se sont posées la question de l'origine. À l'origine, l'unité, l'Un, une vibration première, une singularité première, un vide à potentiel infini. Une explosion libéra ce potentiel, l'inétendu s'étendit, l'ineffable se décompta, l'immuable s'articula, l'indifférencié prit des visages multiples, l'obscur s'illumina. Rupture, fin de l'Unicité. On reconnaît là le modèle du big bang, celui du vide quantique.

1° chant du Tao :

Sans nom, il représente l'origine de l'univers

Avec un nom, il représente la mère de tous les êtres

L'origine et les êtres, l'absolu et les choses.

Novalis : Nous cherchons l'absolu, nous ne trouvons que des choses (Grains de pollen)

 

L'affût est le mode opératoire nécessaire dans ces régions. On y va pour voir des animaux rares. Ils ne se donnent pas à voir, ils sont surgissements inattendus et voient qui veut les voir et ne sait pas qu'il est vu.

Vincent Munier prenant une photo d'un corbeau sur une arête ne se rendit compte que deux mois plus tard de la présence de la panthère des neiges derrière la crête et l'observant.

Sylvain Tesson en conclut que l'affût pourrait être un style de vie, praticable en tous lieux, à tout moment.
C'est là peut-être que Sylvain Tesson pourrait rejoindre Christian Bobin. Être à l'affût, attentif, patient sans savoir a priori ce qui va s'offrir et qu'on va peut-être voir. Mais à la pulsion scopique que je trouve prédatrice, voir absolument l'absolu, voir absolument l'unicité de ce qui se voit, absolument voir pour ensuite montrer, je préfère une autre pulsion, intime, ressentir, éprouver. Personnellement, je photographiais. Je ne photographie plus ; je filmais, je ne filme plus. Ce que j'éprouve, ressens n'est pas partageable. De même que je ne peux comprendre le monde de l'autre (plante, animal, personne), je suis mystère à moi-même et mystère pour autrui. Sauf l'exception d'une communion fortuite, subite, de coeur à coeur, une communion au travers d'un regard, d'un sourire. Sauf pour l'enfant qui a parfois accès immédiatement à l'autre. Adulte, toute contemplation, tout émerveillement est de surface, partiel sauf exception. L'accès à l'absolu nous est barré me semble-t-il, sauf exception. La Nature aime à se cacher dit Héraclite. La puissance créatrice, la source vive agissent et ne se montre que ce qui est créé.

 

Jean-Claude Grosse, 29 décembre 2019

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François d'Assise / Bobin / Delteil

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

en chemin
en chemin
en chemin

en chemin

une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

Deux François d'Assise

Joseph Delteil (1960)

Christian Bobin (1992)

 

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.) André Comte-Sponville

 

Les livres de Christian Bobin que j'ai lus en premier ont tous été édités par de petits éditeurs. Puis Gallimard a publié Le Très-Bas, un succès confirmé par les succès qui ont suivi les parutions régulières chez Gallimard et quelquefois, parutions dans de petites maisons. Changement de statut de l'auteur, d'abord bien accueilli par la critique (puisqu'il est l'auteur de lecteurs avertis) puis rangé au rang des écrivains à succès pour large public (pour accéder au grand public, il faut du savoir-faire, du savoir-dire et savoir le dire).

Avec Le Très-Bas, on est au moment de la bascule quant à la réception de Bobin, schisme entre critiques et publics. Peut-être aussi pour l'auteur, passage à une posture et en littérature, ça peut s'appeler une imposture quand il est difficile de parier sur la sincérité, l'authenticité du formulateur de paroles inouïes. Le poète de la solitude comme grâce plus que comme malédiction semble moins solitaire qu'il n'en a l'air ; poète disparaissant derrière sa parole pour qu'elle devienne nôtre, il écrit plus de 60 ouvrages remplis de formules que beaucoup s'approprient pour leur cheminement personnel, spirituel ; sans vouloir être guide, gourou, ne se met-il pas dans cette position par son abondante production ?

Le Très-Bas se veut un récit peu (voire non) documenté sur François d'Assise. Peu de références aux textes de et sur François, aux récits de la vie de François. François est un enfant puis un adolescent puis un guerrier. La trajectoire de François est décrite à la fois dans son temps et en comparaison avec notre temps. Enfants du 13° siècle, enfants du 20° siècle. Pauvres et puissants du 13° siècle, pauvres et puissants du 20° siècle.

N'émerge pas la conscience écologique – la collapsologie n'a pas encore fait son apparition. Le livre Effondrement de Jared Diamond n'est paru qu'en 2005. Depuis le succès des livres de Pablo Servigne et d'autres, la question de l'effondrement de la planète par épuisement, empoisonnement, pollution, prédation, catastrophes diverses, dérèglement climatique, celle de la disparition de l'humanité par famines, pandémies, migrations, guerres, faillites, crises boursières sont au cœur des préoccupations (mais pas des actions tant individuelles que collectives).

Christian Bobin n'en est pas là dans Le Très-Bas mais avec François s'expose tout de même une alternative à l'esprit de possession. Le respect, l'amour de tout ce qui vit est avant l'heure, une écologie intégrale incluant une dimension spirituelle et des passages à l'acte, quand il se dépouille de ses vêtements lors du procès public que lui fait son père et qu'il part, renonçant à être le fils de son père parce qu'il est le fils d'un autre Père, universel celui-là, un Père d'Amour inconditionnel pour toute la création, quand il serre dans ses bras et embrasse sur la bouche ce qui lui fait le plus peur, le lépreux, quand il choisit la liberté par un nouveau rapport à la vie, pour la vivre la vie, ne vivre que la vie, toute la vie, en changeant radicalement de vie, en rejetant la vie formatée depuis la naissance jusqu'à la mort avec ses étapes. François opte pour la cabane, la hutte, le sac de bure, la corde pour ceinture, le bâton de pèlerin ou de vagabond, l'aumône, la grappille, le glanage.

L'ordre qu'il crée se veut pauvre, humble, pas d'études, de livres, d'argent, de maison. François est homme à prendre au pied de la lettre, une parole (il n'est pas de ceux qui au nom de l'esprit d'un texte, le détourne de son vrai sens par leurs interprétations, lui prend à la lettre): Va et répare ma maison qui tombe en ruine. Il croit que la maison c'est l'église de pierre et le voilà réparateur d'édifices. Fausse route. La vraie route, il la trouvera sur les chemins et sentiers, dans les forêts, dans les champs, aimant d'amour d'enfant tout ce qui se présente, invitant à l'amour tous ceux qui se présentent. Ça ne fait pas un enseignement. L'amour, ça se dit, je t'aime, je te loue, je te remercie d'exister tel, et ce n'est guère original, mais c'est vrai, c'est agissant. L'amour est plénitude du manque, ça semble paradoxal, incompréhensible mais ce qui est impossible à comprendre est tellement simple à vivre.

La règle de vie de l'ordre religieux qu'il a créé sans le vouloir mais que des intrigants détournent de ses fondements est simple : jubilation de l'âme, insouciance du lendemain, attention pleine à toutes vies. Jouissance de ne tenir à rien, merveille de toutes présences. Il écrit vers la fin son Cantique du soleil où il loue la terre et tout ce qui y vit, le soleil qui fait tout vivre. Après plusieurs semaines de silence, il rajoute Loué sois-tu pour notre sœur la mort. Il a bouclé la boucle, aimer toute la vie, incluant la sœur la mort et ainsi rejoindre la vie éternelle, éternellement recommencée, ressuscitée. Le samedi 3 octobre 1226, il ferme lentement les yeux comme sous le charme d'une pensée profonde, si profonde qu'il en retient son souffle.

François est-il un modèle possible de radicalité pour notre époque ? En suivant la règle de vie de François, la vie pauvre, la vie faible, en étant des millions à vivre dans les forêts, dans les campagnes, mettra-t-on à bas le système prédateur qui s'appelle capitalisme et qui se met en place déjà au temps de François ? François est-il un SDF ne se souciant pas du lendemain, est-il un zadiste quasi-autosuffisant, est-il un migrant par choix au gré des territoires résilients à futur désirable, un pèlerin du refus de la consommation, un décroissant, un colibri faisant sa part et se satisfaisant de sobriété heureuse ? On est tenté de dire OUI

OUI MAIS

Un auteur italien, Giacomo Todeschini, s’est préoccupé des conceptions économiques élaborées par des Franciscains soucieux de conjuguer les affirmations du Poverello avec la situation économique des cités italiennes au Moyen Âge. L’ouvrage de Giacomo Todeschini a rencontré un écho certain en France. Voici quelques citations relevées dans la presse française. «Pauvreté, marginalité, richesse : tels sont les débats qui, dès la fin du XIIe siècle, agitent les cités italiennes et, bientôt, les grands centres urbains de la chrétienté. Au cours du Moyen Âge naissent en Occident la question sociale et les théories économiques. (Jean‐Michel de Montremy, «François d’Assise en inventeur du capitalisme», Le Journal du dimanche, 21 décembre 2008). «Parmi les grandes figures du Moyen Âge, François d’Assise (1182‐ 1226) est assurément l’une des plus vivantes aujourd’hui. Le marchand devenu ermite charismatique, qui fit de la pauvreté une valeur cruciale de la communauté, inspire autant la pensée sociologique que la scène théâtrale.[...] Tout le propos du livre de Giacomo Todeschini est de montrer comment, à partir de réflexions sur la pauvreté, la pensée franciscaine a contribué à façonner le langage et les pratiques économiques de l’époque, en particulier à propos du marché.»

extrait de l'essai de Gérard Poulouin, Le Très-Bas, un livre de pauvre, université de Caen : voir le PDF ci-dessous

 

Une évidence: pour être un pauvre, un mendiant, un décroissant ne faut-il pas aussi des gens qui donnent, des gens qui possèdent et qui se délestent, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie comme François, peu importe leurs motivations, "mes" pauvres, solidarité spontanée, solidarité organisée, associative, étatique. Peut-être le tiers-ordre de François suppose des formules comme le revenu universel de base, le salaire à vie.

Jean-Claude Grosse, dimanche 4 août 2019, avant l'abolition de mes privilèges

J'ai abordé Joseph Delteil, j'avais 24 ans, avec son roman Sur le fleuve Amour. Une secousse. Je dois mon attachement à la Sibérie en partie à ce roman.

François d'Assise, je l'ai abordé d'abord par un spectacle que j'ai fait venir deux fois à la Maison des Comoni au Revest, adaptation et mise en scène Adel Hakim, jeu habité Robert Bouvier. Créé en 1994, j'ai dû accueillir le spectacle en 1995 et 1996. Public ravi. Le Très-Bas était paru deux ans avant. Il n'aurait pas donné à mon avis ce spectacle jubilatoire qui tourne encore 25 ans après, avec le même acteur habité, Robert Bouvier, Adel Hakim ayant quitté ce monde le 29 août 2017 après avoir laissé une lettre particulièrement émouvante, Libre adieu.

La préface au texte (écrit en 1959, paru en 1960 et republié dans les Oeuvres complètes en 1984) est significative du projet de Joseph Delteil : Ensainter les hommes.

 

Un saint qui « ensainte les hommes »

 

Je suis chrétien, voyez mes ailes. 

Je suis païen, voyez mon cul. 

« J’ai appelé ce texte François d’Assise et non pas Saint François. Vous remarquerez que je tiens à cette nuance. Je prétends toujours que tout homme, s’il le veut, peut devenir François d’Assise, sans être saint le moins du monde. J’imagine très bien un François d’Assise laïque et même athée, ce qui importe, c’est l’état d’esprit « françoisier » et non pas sa place réservée sur un fauteuil doré dans le paradis. Il faut un saint « utilitaire », un saint qui « ensainte » les hommes. Nous vivons une époque cruciale de l’Histoire, c’est un véritable match entre l’histoire et la nature.D’un côté une redoutable accélération industrielle, une montée en flèche de la civilisation atomique et de l’autre une fragile levée de sève ça et là dans le vaste monde, un appétit soudain de grand air, de soleil. L’humanité bureaucratique, métallique, aspire de nouveau à sa chair, elle veut se dénuder, prendre la clé des champs. François est de notre époque, il porte notre étendard. Ce qu’il rejette, en rejetant les grosses bâtisses de son temps, c’est les gratte-ciel d’aujourd’hui, ce qu’il bafoue en chantant la sainte ignorance, c’est notre froide intellectualité. Tout cela annonce un vaste mouvement de reconquête de la nature « à la françoise ». La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice, tout est falsifié, truqué, pollué. La nature est dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompues, les oiseaux infectés d’insecticides, les poissons empoisonnés par les déchets nucléaires, la levée des substances cancérigènes, partout la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes...Je ne m’adresse pas seulement au catholique mais à l’honnête homme de toute race et de toute religion : chrétiens, agnostiques, communistes, athées, blancs, rouges, afro-asiatiques, etc. Tout homme peut être franciscain, peut-être « françoisier », sans croire à la sainteté de François. Drôle de saint, dites-vous. J’avoue en tout cas que j’ai écrit ce texte dans une folle émotion tantôt criant de joie, tantôt ruisselant de larmes. Je crois au panthéisme, à cette respiration du corps accordée à celle du cosmos, cette foi, bras écartés, aux dimensions de Grand Tout. S’unir à la nature et à la divinité, c’est accroître le sens de l’homme jusqu’à l’absolu. Se fondre et s’incorporer dans l’univers, c’est devenir soi-même l’univers. » 

Joseph Delteil


 

 

 

Cette préface de 1960 a sans que le mot soit employé un fort contenu écologique et Delteil veut que nous devenions des « françoisiers », unis à la nature et à la divinité.

Fréquentant le Vallespir depuis l'été 1965, accroc au Banquet du Livre de Lagrasse où je suis allé plusieurs années d'affilée (durée entre 3 et 5 jours), profitant du pays cathare, visitant le village du livre de Montolieu, le lac du Lampy, les rigoles de Riquet, le canal du midi, je ne pouvais pas ne pas chercher quelques traces de Joseph Delteil. Outre une bouteille de vin étiquetée Joseph Delteil, précieusement gardée, je suis allé sur place, à La deltheillerie, (avec h), titre de son dernier livre (1968), la tuilerie de Massane à Grabels aux portes de Montpellier, dans un état d'abandon qui mobilise des amis de Delteil.

C'est donc à Corsavy que se trouvent les œuvres de Joseph Delteil. C'est là que j'ai lu et relu à 25 ans d'intervalle ce texte. Joseph Delteil est partie prenante du texte en tant que Je, en tant que Nous. De toute évidence, il s'est documenté. Il connaît bien son François, il s'identifie à lui comme François s'identifie au Christ. L'innocence de François s'exprime dans des inventions verbales tautologiques, les pigeons pigeonnent, les pinsons pinsonnent, les mouches mouscaillent, les fleuves vont fleuvant, les feuilles feuillant; cela donne un texte fluide, jubilatoire, jaculatoire qui donne envie de françoiser, de faire la révolution à la françoise. François est homme à prendre au pied de la lettre, les paroles d'évangile. N'est-ce pas ce que veut dire cette expression, une parole d'évangile ne peut être remise en question, c'est une parole indiscutable, une vérité absolue. Donc quand à la Portiuncule, il entend l'évangile selon saint Matthieu, XIX, 21 et qu'il fait répéter au prêtre ce qu'il lit, celui-ci insistant sur l'esprit de l'évangile, François répliquant à la lettre, l'évangile, le prêtre lui demandant quand il s'en va : où vas-tu ? Prêcher l'évangile, lui répond vivre l'évangile ! Vivre l'évangile ! Quelles paroles entre autres a -t-il retenu ?

Allez libres et sans souci, sans rien emporter avec vous, ni or ni argent ni aucune espèce de monnaie, ni valise, ni linge, une seule tunique et pas deux, ni chaussures, ni bâton.

Comment François en est-il arrivé à vivre à la lettre ces paroles d'une simplicité extrême ? Le texte comprend 10 chapitres dont plusieurs de Découverte, découverte de la terre, découverte de l'homme, découverte de la liberté, découverte de l'évangile. Des chemins de découverte à commencer par la terre charnelle, nourricière. Rien à voir avec l'émerveillement devant la beauté mais l'absorption quasi-physique de la viridité de la nature, la nature c'est du vert, à foison. François quand il parle de frère, de soeur ne joue pas à humaniser ce qui l'entoure. Par ses chants spontanés, ses rires, son hilarité naïve, il s'identifie à frère oiseau, à frère loup, à soeur neige. À partir de ces découvertes successives, la vraie vie, les françoisiers car bientôt, ils sont une bande à suivre François, vivent d'amour et d'eau fraîche, prennent la clé des champs, ils ne se soucient pas du lendemain comme les oiseaux du ciel et parce que le Pater dit Donnez-nous aujourd'hui (deux fois) notre pain quotidien. C'est le chapitre le plus long, le plus exaltant pour aujourd'hui et qui s'achève par le nombre de françoisiers, la grande armée des franciscains en 1960, plus de 3,5 millions, tous niveaux confondus. Vient le chapitre sur le pur amour, sur les deux femmes dans la vie de François, Claire, la spirituelle, son imitatrice, fondatrice des Clarisses et Jacqueline Frangipani, frère Jacqueline, la femme à tout faire, qui élabore la frangipane.

François est évidemment trahi, détourné par des membres de son Tiers-Ordre (comme surgira plus tard un Tiers-État) dont la règle est : simplicité de vie, pauvreté d'esprit, non violence, interdiction du serment, interdiction de porter les armes. C'est le temps de La passion. Car en même temps qu'il est trahi, que la règle est écartée, le pape s'en mêle, pas question que le concentrisme de François (une fraternité par cercles concentriques de plus en plus larges, de plus en plus universels : les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les plantes, les eaux, les vents, les nuages, le soleil, les saisons, la vie sous toute forme et la mort - il l'intègrera à la fin de son Cantique du soleil, ma sœur, la mort) vienne mettre en cause la vision hiérarchique de l'église. François se soumettra hé bien faites ce qu'il vous plaît mais lui sera pèlerin, donc seulement de passage dans les églises où l'on doit obéissance, il sera le dernier franciscain, le premier franciscain. C'est le retrait dans la montagne, les 40 jours de jeûne dans le maquis de Dieu, les stigmates.

Le dixième chapitre s'intitule À Dieu qui est aussi l'adieu de François par le célèbre Cantique du soleil, qui est aussi ce que Delteil appelle la bataille du cadavre. Qui va accueillir ce saint avec tout le commerce à en faire ? Delteil est scandalisé par ce qui a été fait du pauvre corps de François au mépris de ce qu'il voulait, mort il est devenu la proie des hommes cupides d'église et des marchands. Il dit Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! C'est notre Pacte ! Un beau jour, un de ces quatre matins...

Un tremblement de terre en 1832 rasa Sainte-Marie des Anges, la somptueuse basilique qui enserrait la Portiuncule de saint François. Un autre tremblement de terre en 1996 remit à terre la basilique reconstruite.

Cela n'a pas suffi à libérer François. C'est notre travail, notre pacte. Car le libérer, c'est nous libérer, individuellement, par travail sur soi et choix d'une métaphysique (naturaliste à la Marcel Conche, spiritualiste) et collectivement (là, il suffit de voir l'état du monde, capitalisme ultra-libéral mondialisé où le pouvoir politique est au service des oligarchies, capitalisme d'état des ex-pays "communistes" où le pouvoir politique contrôle les oligarques, pour se dire prudence, méfiance, quelle solution ?, révolution mondiale ?, création d'une multiplicité d'îlots ?, avec, sans parti...) conscients que tout mouvement de libération est à un moment donné, dévié, récupéré, transformé en son contraire (toujours l'homme est à découvrir).

Jean-Claude Grosse, lundi 5 août 2019, après l'abolition de mes privilèges

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L'absurde et la grâce/Jean-Yves Leloup

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #essais, #notes de lecture

quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup
quelques livres de Jean-Yves leloup

quelques livres de Jean-Yves leloup

L'absurde et la grâce

Jean-Yves Leloup

Albin Michel 1991

J'ai fini L'absurde et la grâce (1991, trouvé par "hasard" à la foire bio de La Farlède, le 14 avril), le jeudi de l'ascension, le 30 mai, après avoir lu L'Évangile de Marie, il y a au moins trois ans (parce que la figure de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume m'attire depuis longtemps, années 1975-1987; on m'a confié un texte sur la Sainte-Baume à l'époque du père Maillard, à éditer, je vais le faire d'ici la fin de l'année; le 2° été du Léthé lui fut consacré à La Coquette le 1° juillet 2017 pour mes 50 ans de mariage avec la Mouette, 10 auteurs rassemblés). J'ai par ailleurs commandé une pièce de théâtre de JYL sur Marie-Madeleine, Le testament de Myriam de Magdala/Si je me tais...les pierres crieront et un roman, Une femme innombrable, le roman de Marie Madeleine.

L'absurde et la grâce est un livre éblouissant, en particulier les chapitres 20 et 21. Fin de lecture le jour de l'Ascension, hasard ?

Récit autobiographique nourri de quantité de citations en lien avec des lectures, des rencontres et des paroles entendues. Récit autobiographique d'une vie peu commune avec une expérience de mort clinique et une multitude d'expériences, non cherchées comme telles pour certaines, douloureuses ou heureuses, ou au contraire expériences voulues, provoquées. Il y a du révolté, du dérèglement de tous les sens, des bilans tirés, des bifurcations, des reprises. Ce n'est pas un parcours tout tracé d'une vocation monastique. C'est un ensemble de fragments de vie donnant une itinérance qu'arrivé à 40 ans en 1991, JYL peut enfin « unifier ». Il a parcouru un nombre invraisemblable de pays, de traditions, en Extrême-Orient, en Orient, en Occident. Il a rencontré des « maîtres » divers d'univers spirituels différents et en même temps avec un fond commun, universel : il faut se poser, tenter de mettre le mental au repos (par des exercices mais chez lui, rien de figé, ce n'est pas installé en règles rigides), apprendre à regarder avec attention, aller par cette attention vers ce qui fait que ce qui apparaît, est et que ce qui est, Est ; l'aller vers la transcendance est un chemin personnel, sans doute propre à chacun et en ce sens, je ne m'impose aucune école, aucun maître, je me nourris de lectures diverses sans tenter un syncrétisme impossible comme je tente de pratiquer différentes activités plutôt que techniques (méditation, qi jong mystérieux de la grande ourse, écritures, modifications d'habitudes alimentaires...) ; je ne me fixe pas un but, l'éveil, l'Éveil, le nirvana, la béatitude : je ne veux pas poser de mots sur ces états (mot trop statique) que je n'ai pas encore expérimentés (mot impropre, il s'agit de vivre ces états - ou un état, celui auquel nous sommes potentiellement promis - qui doivent éventuellement nous arriver par grâce).

JYL est facilement accessible par un nombre important d'écrits et par toute une série de vidéos. Devenu orthodoxe d'une obédience minoritaire après avoir été dominicain (et marié secrètement), il est rattaché au monastère Saint-Michel du Var à Flayosc.

Il est pour moi, présentement, un des maillons de ma propre itinérance. L'athée matérialiste que j'étais (par croyance au caractère objectif de la science déterministe, matérialiste, darwinienne...) a été bousculé d'abord par l'indéterminisme de la physique quantique qui fait qu'aujourd'hui, après plus de 50 ans, Einstein (relativité générale) et Bohr (physique quantique) ne sont pas réconciliés par une quelconque des théories unificatrices inventées par les théoriciens de la physique. À cela s'est ajouté, les découvertes en neuro-sciences sur la plasticité du génome, l'épigénétique, sur les possibilités de régénérescence des neurones ou d'activation de nouveaux neurones, sur le pouvoir des croyances ou de l'intention (l'effet placebo ou l'effet nocebo comme étant applicable à toute croyance - et on peut aller jusqu'à l'affirmation que tout est croyance, qu'il n'y a pas de preuve -  dans la mesure où aucune certitude ne tient). Autrement dit, de matière, de corps, je me suis découvert aussi esprit, pensée (non réductible à des impulsions électriques ou des variations neuro-chimiques; il y a une phrase de Jean-Pierre Changeux qui eut son heure de gloire et dont on ressent aujourd'hui fortement la prétention ridicule, voir la vignette de présentation de L'homme neuronal). Et c'est donc comme corps-esprit que je me considère au quotidien avec des rituels que je m'invente, qui m'amusent (toujours avoir l'humour qui distancie, ne pas prendre tout ça très au sérieux : on ne sait rien, si ça fonctionne peut-être, tant mieux, si ça ne marche pas peut-être, changer de formule). Quand sont arrivés le cœur et l'âme ? Pour le cœur, je n'ai pas de problème avec l'amour, j'aime l'amour, j'aime l'amour incarné, j'aime l'amour que j'ai pour une personne, je n'aime qu'une personne, je suis un inconditionnel de l'amour unique, fidèle. Autrement dit, je ne suis pas un coureur et je ne me laisse pas courir, la séduction ça n'est vraiment pas pour moi. Évidemment avec un peu de temps, je suis passé de l'amour  envers quelqu'un à l'Amour qui est de toujours et partout. Au moment du départ de l'épousée fin 2010, pendant le mois d'hôpital, nous avons pu échanger et une question me fut posée par la mouette dès l'admission aux urgences, je sais que je vais passer, où vais-je passer ? Question à laquelle je n'ai pas répondu en athée, tu vas passer dans le néant, tu vas retourner au néant... Ou l'absurde de la vie finissant par la mort, négation de la vie. Ce qui est peut-être vrai du corps, l'est-il de l'esprit ? Est-ce vrai de nos productions intellectuelles, affectives, sentimentales, émotionnelles dont il sera toujours vrai qu'elles ont eu lieu, indépendamment du souvenir ou de l'oubli. Il y a un livre d'éternité qui nous est propre, écrit jour après jour, moment après moment, du premier cri au dernier souffle, livre non écrit d'avance, non destinal donc (pas de destin même si certains y croient,  mais une destinée, une destination, la mort, être mortel; pas de hasard disent-ils, moi, le hasard me plaît bien, une forme d'imprévu s'offre nous proposant d'être dans l'Ouvert), ni destiné à un jugement dernier, livre personnel, infalsifiable, non lisible par les autres même les plus chers, livre au prix d'une vie, livre d'une vie unique, singulière, livre gratuit et « inutile » parce qu' on ne sait pas où cette mémoire qu'est une vie immatérielle va se stocker alors que par ailleurs, on voit bien qu'on est mémoire (3 milliards d'années d'évolution mémorisés dans l'ADN, mémoire agissante à tout moment, pouvoir donc qui survit un million d'années à ma disparition). Tout d'un coup, l'éternité me tombait dessus, ce que j'ai appelé l'éternité d'une seconde Bleu Giotto. Et ce faisant, je tombais ou m'élevais jusqu'à l'âme. Bienvenue à elle, là depuis toujours, patiente, qui m'attendait mais que je n'ai point encore rencontrée, vécue, expériencée.

"Que reste-t-il quand il ne reste plus rien, qui suis-je avant ma naissance, qui suis-je après ma mort, qu'est-ce qui meurt quand je meurs, qu'est-ce qui naît quand je nais, qui passe, qui demeure ? 
[...] La première naissance est absurde et on a le droit de maudire ses parents pour cela s'ils ne proposent rien d'autre. C'est ce que fit Job. La seconde naissance donne du sens à ce qui n'en a pas par nature. Si le Christ n'est pas ressuscité, "monté au ciel", c'est à dire éveillé au monde sans mort, à quoi bon vivre, à quoi bon aimer, se battre pour la vérité, la justice ? C'est la mort qui aura le dernier mot. 
Mais si le Christ est ressuscité, cela veut dire qu'il y a quelque chose de plus fort que la bêtise, la violence et la décrépitude. Il n'est plus absurde d'aimer : "L'amour est plus fort que la mort". 
 
Se réincarner c’est encore appartenir à « l’être pour la mort », prolonger du temps ; 
ressusciter, c’est sortir du temps, ne plus être « pour la mort », demeurer dans le vivant…
 
La grâce de Dieu, beaucoup le savent, ne passe pas toujours par les hommes ; 
un chat, une fleur, l'océan ou une montagne nous disent parfois d'étranges mots d’amour.
 
Nos pensées en sont souvent que des échos : bruits et rumeurs amplifiés des bruits et rumeurs du temps.
Redire a cor, revenir à son coeur, éveiller en soi une "écoute centrée" afin d'entendre la voix infiniment discrète de notre plus profond désir… 
et plus bas encore ou plus haut, entendre comme un battement d'ailes la respiration qui nous fonde et fonde les univers."

Il y a dans les 18 pages du chapitre 20, Fragments d'une itinérance, des formules écrites, trouvées, livrées, inspirées, arrivées en différents endroits du monde, formules éclairantes, éblouissantes. Je crois que je vais arracher les pages pour les avoir avec moi. Elles correspondent à l'étape où j'en suis.

Le chemin a pris longtemps le visage et l'oeuvre de Marcel Conche avec ses deux métaphysiques. Métaphysique de l'apparence absolue mettant l'accent sur la disparition de tout, sauf du Tout d'où l'absurde de la condition humaine mais aussi paradoxalement, la liberté absolue de chacun de donner le sens qu'il veut à sa vie puisque le but ou le sens de la vie serait commun à tous si l'on pouvait connaître le sens de la mort, négation de la vie or la mort est impensable donc à nous librement de choisir nos valeurs, celles qui vont donner sens à notre vie. Métaphysique de la Nature, l'englobante de tout ce qui apparaît, disparaît, créatrice selon le hasard créateur (un peu comme le clinamen d'Épicure), infinie, éternelle, source de Vie, de mort selon l'unité des contraires d'Héraclite. Passage donc d'un matérialisme très réductionniste, réduction à l'inférieur, à l'infiniment petit de la matière passage donc à un naturalisme, Nature naturante engendrant la nature naturée dans sa diversité. Beaucoup de propos de Marcel Conche sur la Nature créatrice dans l'ombre, ne se montrant pas, pourraient être ceux de JYL.

Avec la disparition de la mouette, le 29 novembre 2010, c'est sur le Temps (le temps passe mais le passé lui ne s'efface pas, le nevermore se transforme instant après instant en forever d'où la question où passe le passé qui ne s'efface pas ?) que j'ai buté, comment accepter sa perte à même pas 63 ans en un mois ? J'ai accepté, c'est ma façon de calmer la souffrance, la douleur. Si c'est arrivé c'est que (c'est possible) entre parenthèses, rien à dire, absurde, incompréhensible et se dire à soi-même, sans plaintes, sans regrets, ça va, titre comme par hasard du dernier spectacle de Cyril, le fils parti 9 ans avant. Il m'a fallu 12 ans pour aboutir à L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, un drame de 64 pages sur deux disparitions, avec une panne d'écriture de 8 ans dénouée grâce à une forme de révélation au bord du Baïkal, entre chien et loup, le 14 août 2010.

Deepak Chopra a été ensuite une étape importante à travers la lecture de 7 de ses livres et à travers des sessions de méditation audio-guidées. Avec lui, j'ai compris la nécessité d'une approche globale, corps-esprit et le pouvoir de nos décisions, de nos choix. M'installant dans une posture de vieillissant, j'ai soudain réagi et décidé de me bouger. J'ai survécu à un malaise cardiaque que j'ai pris à la légère, allergie aux pollens et je vis avec une TNE sur la queue du pancréas suivie deux fois par an.

Tango hebdomadaire et qi jong également hebdomadaire sont les deux activités régulières auxquelles je m'oblige avec plaisir et discipline (qi jong presque quotidien).

Et en cette ascension, la rencontre de Jean-Yves Leloup. Pour les Sémites, le numineux est le non même, le non pareil, le Tout Autre qu'aucune pensée ne peut saisir. Pour les Grecs, le numineux c'est la perception du même, de l'Unique, de l'Un présent dans le multiple, c'est le précisément ici. Le numineux n'est-ce pas encore le Tout Autre précisément ici ? Transcendance irréductible et inévitable Immanence ? Plus moi que moi-même (où ailleurs qu'en moi pourrais-je l'éprouver ?) et tout autre que moi-même (si ce n'était que moi, qu'aurais-je à éprouver ?), Transcendance immanente. Découvrir que le Tout Autre est aussi le Tout Nôtre. (Bruxelles)

Le numineux est, selon Rudolf Otto et Carl Gustav Jung, ce qui saisit l'individu, ce qui venant « d'ailleurs », lui donne le sentiment d'être dépendant à l'égard d'un « tout Autre ». C'est "un sentiment de présence absolue, une présence divine".

Présentation de Manque de plénitude : A la lumière de la psychologie contemporaine, Jean-Yves Leloup relit ici ce qu’écrivait à l’aube de notre ère le philosophe juif Philon d’Alexandrie au sujet d’une étonnante communauté spirituelle, celle des « thérapeutes ». Ceux-ci entendaient prendre soin de l’homme dans sa globalité – corps, âme, esprit -, et Jean-Yves Leloup réactualise ce grand projet en s’inspirant des recherches de Karlfried Graf Dürckheim, mais aussi d’autres écoles contemporaines d’investigation de l’inconscient (Freud, Jung, Reich, Lacan).

Il nous invite à pratiquer « l’anamnèse essentielle », que l’on peut définir comme une remémoration, par les moments privilégiés ou « numineux » qui nous ont touchés, de l’Origine qui sans cesse nous fonde. Une telle expérience n’est pas ressassement du passé : elle est ouverture de l’intelligence du cœur et du corps, par un véritable travail de recentrage sur le Soi. Ponctuant sa réflexion de nombreux exemples empruntés aux traditions orientales ou monothéistes, Jean-Yves Leloup cerne les éléments constitutifs d’une « mémoire de l’essentiel » capable de nous conduire sur la voie d’une guérison spirituelle.

JYL est pour moi, un sacré marcheur, un sacré éveilleur parce que s'éveillant par Ce qui l'éveille et l'anime, la Vie, la Présence. Je fais le détour tant bien que mal vers l'ailleurs de l'ici-bas qui est aussi ici et ainsi, même et autre, Autre et nôtre. Ai-je "compris" JYL ?

Un homme entier, c'est aussi un homme qui, après l'avoir fuie ou niée, finit par accepter son ombre et par l'aimer "comme soi-même". Je pense souvent à François d'Assise, au beau chevalier qui un jour descend de sa monture pour embrasser le lépreux...Il embrasse ce qui alors lui fait le plus peur, ce qui se tient à la racine de ses plus profonds dégoûts, et là, au coeur de l'ombre incarnée, il reconnaît le Christ Vivant... Mais accepter l'ombre ce n'est pas se complaire en elle : François revient de son baiser au lépreux avec des lèvres de lumière...Il m'est arrivé souvent d'être descendu de cheval et de culbuter dans l'ombre...à la rencontre d'un autre soleil.
 


Ma note de lecture est-elle philocalique ?
De la philosophie à la philocalie, une école du regard.
Pour nous approcher d’une « vision » plénière des choses et des évènements, nous avons besoin du regard scientifique qui explicite leur « comment » ? du regard philosophique qui s’interroge sur leur « pourquoi » ? et du regard philocalique ou contemplatif qui célèbre leur « présence » ou « ainsi-ité ». Parfois « éborgné », myope, aveugle, notre regard est plus ou moins déterminé par chacune de ces disciplines et conditionne le « climat » dans lequel nous vivons. Pouvons-nous passer de « l’angoisse d’exister » à « la gratitude d’être » ? De « la peur de vivre » à la « joie d’être vivant » ? Passer des philosophies de « l’absurde » et du « soupçon » contemporaines vers une « philocalie » (amour de la beauté, en grec) à la fois traditionnelle et à venir qui éclairerait notre regard sur le monde, pour en faire ni un spectre ni une idole mais une icône?

Jean-Claude Grosse

 

 

 

le but de L'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux

le but de L'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux

L'Enseignement de Jean Yves Leloup
28 avril 

LES 12 CLIMATS CORPORELS

Voulez-vous parler des émotions, par exemple ? On les ressent dans le corps et, en même temps elles ne sont pas matérielles.

Entre autres. La vie a douze façons de s’incarner, de se manifester en chacun de nous. Je distingue douze corps comme il y a douze constellations, douze disciples, douze mois de l’année…

On pourrait aussi les décrire comme étant les douze « climats corporels ›› que la vie expérimente en nous.

Premièrement, il y a le corps de mémoires, le code génétique, celui que l’on reçoit à la naissance. Il y a là toute l’histoire de nos parents, de nos grands-parents. Nous sommes habités par toutes les mémoires de notre famille, de nos ancêtres.

Nous en sommes les héritiers. Comment être en paix avec nos parents, avec nos ancêtres? La réconciliation est importante, car c’est dans notre sang, dans notre corps. On ne peut dilapider notre héritage, on doit l’accueillir, sans le juger, car tout ce qui n’est pas accepté ne peut pas être transformé; tout ce qui n’est pas assumé ne peut pas être sauvé. Donc pour faire de notre héritage une grâce, ça passe par ce « oui ›› à ce que la vie nous a donné à notre naissance. On doit cependant être conscient que si j’appartiens à cette lignée, je ne suis pas cette lignée. Je ne dois pas en faire mon identité, mais l’accueillir sans la juger. Je ne suis pas que ça, je suis plus que ça, je suis qui je suis.

Quand on rencontre quelqu’un, on ne rencontre pas seulement cette personne, mais aussi sa tribu, sa lignée. Deux personnes peuvent bien s’aimer, mais ce sont parfois leurs histoires qui ne s’aiment pas. Parfois, ça fait beaucoup de monde dans la chambre à coucher. On aurait envie de dire « Pouvez-vous sortir? ›› (Rires) Les mémoires du cosmos sont aussi inscrites en nous, puisque nous faisons partie de l’univers. Notre corps est la part de l’univers qui nous est confiée. Prendre soin de notre corps, c’est prendre soin de l’univers. Si on remonte encore plus profondément, il y a en nous la mémoire de la Source, de l’origine; il y a la mémoire du big-bang et de la Conscience.

Ensuite, il y a notre corps d’appétits. La vie s’incarne en nous sous la forme d’un appétit de vivre, d’une faim et d’une soif.

C’est important de respecter la nourriture, de voir ce qui nourrit notre faim, ce qui nourrit notre soif. Pour certains, c’est une véritable difficulté, un dégoût; le dégoût de la vie, de la nourriture, comme dans certaines formes d’anorexie ou de boulimie. C’est une épreuve. Comment accepter cette épreuve, comment la transformer, comment en faire une grâce?

Que l’on parle de la relation que l’on entretient avec la nourriture ou encore de celle que l’on entretient avec les autres, on doit apprendre à passer de « consommer ›› à « communier ››. La vie doit être communion et non consommation. Aujourd’hui on ne communie plus avec les êtres, on les consomme, on s’y consume. Au-delà de la consommation, on doit réapprendre à communier. Communier à la nourriture, savoir que la vie nous est donnée par la nourriture, l’honorer, la respecter, voilà ce qui a du sens.

Notre alimentation peut devenir quelque chose de sacré. ll suffit d’y mettre de la conscience, d’y mettre de l’amour.

La vie se manifeste donc à travers la mémoire de nos ancêtres, à travers nos appétits, et elle se manifeste aussi à travers notre libido. C’est notre corps de pulsions. La vie s’incarne en nous à travers un corps sexué et c’est ainsi que la vie se transmet à travers la sexualité, c’est un don de la vie par lequel nous devenons nous-mêmes créateurs, nous transmettons la vie.

L’autre fait partie du don. Comment sommes-nous par rapport à l’autre? Sommes-nous capables de communier ou nous limitons-nous à consommer, jusqu’à nous y consumer? Chacun à des pulsions différentes. Certains ont une vie libidinale pulsionnelle très forte et ils s’entendent très bien à ce niveau; c’est ce qui les soude. Mais savent-ils communier? Ou ne font-ils que consommer? Communiée, la sexualité devient une grâce, la chambre devient un temple.

La vie se manifeste aussi en nous à travers nos émotions. Il y a en nous toutes sortes de climats, des climats de tristesse ou encore de joie. Il s’agit ici de savoir rire et pleurer ensemble, savoir comment accorder nos émotions; savoir qu’on a le droit d’être triste pendant que l’autre ne l’est pas. On doit apprendre à mettre du calme dans nos émotions, à trouver notre assise. On ne doit pas devenir l’objet de nos émotions, on doit simplement les accueillir, en être le sujet le Je suis. Cela donne de la couleur à notre existence on peut goûter notre existence à travers ces différentes couleurs ces différentes saveurs. Ça devient une grâce. On n’a pas à renoncer à nos émotions tout comme on n a pas à renoncer à notre sexualité. Tout est à transfigurer, à vivre autrement. On peut aussi reconnaître le corps d’émotions dans la nature elle-même. La nature a des émotions.

Vous voulez parler des animaux?

Si. Mais les fleurs aussi peuvent être tristes. Je crois qu’il existe une intelligence des plantes, que les plantes reçoivent ou absorbent les choses. Je pense à ce petit garçon qui disait « J’ai mal aux arbres. ›› Je pensais qu’il avait des parents un petit peu écolos, mais non! C’est comme si ce garçon sentait que la nature souffre de notre comportement à certains moments.

Puis, viennent le corps de paroles et le corps de pensées. Dans une relation, il y a parfois trop de paroles, parfois pas assez. Parfois on n’a pas les mots pour dire notre plus grande joie, ou notre plus grande douleur; pour dire ce qui nous habite. Les mots peuvent être grâce ou malédiction. On doit apprendre à bien dire, à dire du bien, car à dire du mal, on s’enferme, on s’emprisonne. Bénir, c’est grandir. Bénissez, ne maudissez pas.

La vie est UNE. Elle se manifeste comme un arc-en-ciel. Ce serait dommage de ne connaître qu’une couleur de l’arc-en-ciel, de ne connaître qu’un climat de notre corps.

Il y a aussi le corps de désir. Le désir, ce n’est pas seulement la pulsion. Le désir, c’est l’orientation qu’on donne à sa vie. Qu’est-ce que je désire vraiment? On a tendance à avoir une multitude de désirs. On s’éparpille. On doit retrouver notre désir essentiel, celui qui nous habite. On doit se demander « Qu’est-ce que la vie veut en moi? Qu’est-ce qu’elle veut de moi? Qu’est-ce qu’elle désire en moi? Qu’est-ce que j’ai à faire dans cette vie que personne d’autre ne peut faire à ma place? ›› Cette vie qui prend une forme particulière, un corps particulier, un visage particulier, qu’est-ce qu’elle veut expérimenter en chacun de nous? Chacun de nous est une façon unique d’incarner cette grande Intelligence qu’est la vie. Il est important d’écouter cette vie qui nous traverse, de retrouver notre orientation, notre lumière. Dans un couple, on peut s’entendre très bien au niveau sexuel, de l’appétit ou des émotions, mais parfois on n’a plus le même désir, c’est-à-dire on n’a plus la même orientation. « S’aimer, ce n’est pas seulement se regarder l’un l’autre, mais c’est de regarder ensemble dans la même direction. ››, dit le Petit Prince.

Puis il y a le corps de sentiments. Là, c’est quand le corps est habité par la compassion. C’est le corps qui a un cœur.

On le différencie des émotions?

Oui. Dans le mot émotion, il y a moteur. On est mû. On est ému. On est mis en mouvement par les choses extérieures.

Le sentiment, lui, vient de l’intérieur. Je peux avoir de la compassion pour quelqu’un que je n’aime pas émotionnellement, quelqu’un qui ne me touche pas. La compassion est quelque chose de plus profond. Quelquefois, deux personnes peuvent se rencontrer dans leur corps de sentiments, même si sur le plan de la libido, ça ne marche plus; même si sur le plan du corps des émotions ou de celui des appétits, on a du mal à se comprendre. Malgré tout, il y a cet amour inconditionnel de l’un envers l’autre. C’est un amour durable, parce qu’on aime l’autre pour lui-même, même s’il ne nous excite plus, même si émotionnellement, il ne nous propulse pas dans la joie.

À partir du corps de sentiments, on pourrait dire qu’on entre dans les dimensions spirituelles. Après ce corps, on retrouve le corps imaginal. Il ne s’agit pas d’imagination, mais plutôt de songes. On peut rencontrer quelqu’un dans son corps de songes, notre corps de rêves, c’est-à-dire sur le plan de l’archétype, des images de l’homme et de la femme que l’on porte en soi. Quand on a un coup de foudre, c’est parce qu’on rencontre quelqu’un dont on connaît l’image à l’intérieur de nous-mêmes; comme si on l’avait déjà rencontré dans ses rêves, dans ses songes. Il est important de partager les mêmes songes, les mêmes rêves que notre partenaire.

Quelquefois, on dort dans le même lit, mais on ne dort pas dans les mêmes rêves, et le réveil peut être brutal! Partager le rêve de l’autre, le songe de l’autre, c’est partager les grandes images qui nous habitent, de l’homme, de la femme, du cosmos…

Et puis, si on creuse un peu plus profondément dans tous ces climats qui habitent notre corps, on découvre le corps de louanges. Le corps de louanges, comme tous les autres, peut être malade. On va bien, on est intelligent, on a tout ce qu’il faut, mais on est malheureux. Ça ne chante pas, ça ne célèbre pas, ça ne remercie pas à l’intérieur de nous. Quelquefois, on empêche la vie de chanter dans notre corps. Quand on est dans la louange, on entre vraiment dans la grande santé, dans la célébration de la vie. On chante ensemble et même si on se tait, c’est un silence qui chante. Ça, c’est merveilleux!

Maintenant, on s’approche du corps de lumière. On entre alors dans la dimension de l’infini qui est en nous, là où notre matière est transfigurée. On voit la lumière qui l’habite. La matière et la lumière ne sont pas séparées. La matière est simplement la forme la plus lente, la plus dense de la lumière. C’est pourquoi le corps, c’est de la lumière aussi, c’est de la vie. C’est à travers notre corps que l’on peut éprouver la vie. Sentez tout le respect que l’on doit avoir à l’égard de notre corps. Personne ne peut voir la vie, mais dans notre corps, on peut l’expérimenter. Tout ce que nous savons de la vie, c’est à travers le corps qu’on le sait.

Et petit à petit, on est conduit vers notre corps de silence, cette dimension en nous qui ne fait pas de bruit. Notre corps le plus intime, le plus spirituel, est silencieux. Ce corps peut être malade chez certains d’entre nous qui avons peur du silence. Obscur et lumineux silence. Ce silence n’est pas celui du non-dit. Ce n’est pas un manque de paroles, mais plutôt un silence de plénitude.

Y a-t-il un ordre dans lequel ces différents corps se développent ?

Je crois que c’est différent pour chaque individu. Certains corps nous sont très familiers et on vit davantage dans l’un que dans l’autre. Certaines personnes ne vivent que dans leur corps d’appétits. On pourrait dire qu’ils vivent dans leur ventre. D’autres sont bloqués dans leur corps de paroles, ils vivent dans leur cirque intérieur où les paroles sont incessantes, ça submerge tous les autres corps. D’autres vivent beaucoup dans leur corps de louanges, mais ils oublient leur ventre ou leur libido. Je crois qu’il est bon de savoir que « le corps ›› est composé de ces différents corps pour comprendre que l’être humain, c’est tout ça à la fois. Il s’agit donc, pour nous, de vivre toutes ces dimensions ensemble, de ne pas en privilégier une au détriment d’une autre.

VlVRE C’EST

Vivre notre corps dans toute sa grandeur !

Le corps c’est l’invisible devenu visible c est la Vie qui s’expérimente elle-même dans un espace temps lors d une incarnation terrestre. Nous n avons ni à idolâtrer ni à mépriser notre corps, nous devons permettre à la vie de s’y exprimer dans toute sa grandeur.

Notre corps sera toujours la vie devenue matière l’invisible devenu visible.

On doit donc apprendre à voir au delà de la matière ?

La science tente parfois de réduire le corps à un objet. On doit plutôt aborder le corps comme un phénomène, comme une manifestation. On doit savoir le regarder avec ce regard qui vient des profondeurs de notre cœur, ce regard qui cherche la beauté la grâce dans toute chose, la vie en toute chose. ll y a en nous une lumière que les ténèbres ne pourront jamais éteindre il y a en nous quelque chose qui est même plus fort que la mort.

La vie prend conscience d’elle même dans l’être humain que je suis, dans le corps que je suis. On ne doit donc pas regarder le corps uniquement sur le plan de son apparence, mais regarder l’apparition de la vie dans ce corps. Quand on passe du monde des apparences à celui des apparitions, notre vie prend tout son sens.

Nous devons donc prendre de l’altitude ?

Notre façon de percevoir notre corps doit s’élever au dessus du monde des apparences. Nous devons passer du mode de l’avoir à celui de l’être ; passer de la vérité que l’on a à la vérité que l’on est ; de la vie qu’on a à la vie qu’on est ; du corps que l’on a au corps que l’on est.

Le corps que l’on a va mourir. Le corps que l’on est ne mourra jamais, car le corps est ce lieu ou la vie s’éprouve elle-même. C’est la vie qui s’expérimente dans l’espace temps dans lequel je suis. Qu’allons nous faire de cette épreuve, de cette expérience ? Comment allons nous en faire l’occasion d’une grâce ? L’amour aura toujours le dernier mot. La vie aura toujours le dernier mot. Et cet amour, cette vie s’incarne dans notre corps. A nous d’en faire une Grâce.

Dossier : Le corps Ami ou Acquis?

Propos recueillis par Marie-Josée Tardif (journaliste et conférencière)

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le pouvoir de l'univers est en vous/Deepak Chopra

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture, #vide quantique, #développement personnel

le pouvoir de l'univers est en vous/Deepak Chopra

 

Le pouvoir de l'univers est en vous

Deepak Chopra et Menas Kafatos

 

 

Deepak Chopra a écrit des livres importants, toujours en collaboration avec d'autres scientifiques, avec Rudolf Tanzi, sur le cerveau, les gènes, l'autoguérison et aujourd'hui avec Menas Kafatos, sur l'univers humain. Ces grands livres sont de bonne tenue, honnêtes intellectuellement, nourri des connaissances les plus récentes sur les sujets traités. Quand il y a doute, il le signale, quand il y a ignorance ou impasse, également, si des perspectives innovantes peuvent être proposées, il les propose. Avec le développement depuis une vingtaine d'années de l'épigénétique, on ne voit plus le devenir du corps de la même manière. Ces livres sont donc accompagnés de conseils à personnaliser par chacun. Les propositions sont suffisamment variées pour qu'on prenne les 3 ou 4 résolutions qui vont changer nos comportements et donc donner des signaux à notre corps, traité comme un tout (approche holistique) et avec respect, amour même. De tradition ayurvédique, Deepak Chopra articule les résultats de la science et les traditions ou connaissances spirituelles fort anciennes de l'Inde. Ce n'est pas du syncrétisme ni de l'occidentalisation de l'ailleurs ou une hindouisation du corpus scientifique occidental, c'est une recherche de complémentarité, de complétude entre une approche matérialiste (scientifique) où la matière est première et une approche spiritualiste où l'esprit, le mental sont affirmés agissant. Le pouvoir du corps sur l'esprit, le mental est complémentaire du pouvoir de l'esprit, du mental sur le corps.

Les titres peuvent paraître commerciaux, ronflants : Le pouvoir fabuleux de votre cerveau, le pouvoir fabuleux de vos gènes, le pouvoir de l'univers est en vous. Le mot pouvoir au cœur de ces titres n'est pas anodin. Il prend le contre-pied des attitudes dominantes consistant en soumission à ce qui nous arrive, en système D pour atténuer les effets affligeants de ce qui nous arrive. Le mot pouvoir ne signifie pas avoir la maîtrise de notre devenir physique, psychique, spirituel mais avoir la possibilité de modifier, de réorienter, de corriger des comportements, y compris semblant très déterminés génétiquement, très conditionnés culturellement. Avec Deepak Chopra et d'autres se développe une médecine corps-esprit refusant la séparation entre corps et esprit, cherchant l'intégration, la complémentarité, l'alignement corps-esprit. Deepak Chopra a mis en place des cycles gratuits de méditation accompagnée de 7 à 21 jours. Pour en avoir suivi 3, je peux affirmer que je me sens bien accompagné. Je pense que l'influence de ce chercheur scientifique et spirituel est positive. Personnellement, j'en profite.
Le livre sur le pouvoir de l'univers est pour moi, particulièrement important. Les enjeux de ce livre sont rien moins qu'un changement de paradigme. Les questions, mystères abordés dans ce livre sont les questions ultimes que l'on peut se poser, à la rencontre entre science et métaphysique. Qu'y avait-il avant le big bang ? Pourquoi l'univers est-il si parfaitement agencé ? D'où vient le temps ? De quoi est fait l'univers ? Y a-t-il un dessein dans l'univers ? Le monde quantique est-il relié à la vie de tous les jours ? Vivons-nous dans un univers conscient ? Quelle est l'origine de la vie ? Le mental est-il la création du cerveau ?

Chaque mystère est exposé pour tenter de le comprendre. Quelles réponses sont apportées par les scientifiques, réponses parfois contradictoires avec deux camps,

  • les conservateurs qui posent que l'évolution est due au hasard, que la matière est première, matérialistes et déterministes purs et durs qui ne pensent que mesures, calculs, quantités et qui résistent tant qu'ils peuvent aux effets de la théorie de la relativité et de la physique quantique, remettant en cause leur conception de la réalité physique,

  • les visionnaires qui à partir de leurs théories (sachant que les chercheurs n'ont toujours pas réussi à unifier la relativité qui traite magistralement des objets très grands dans l'espace-temps et la physique quantique qui traite magistralement des objets infiniment petits) plus qu'à partir d'observations (elles ne sont venues souvent qu'après coup et certaines prédictions de particules n'ont toujours pas été expérimentés) ont contribué à complexifier ce qu'on appelle la réalité, nous obligeant à au moins nous demander s'il n'y a pas une conscience à l'oeuvre.

    Evidemment, là, on est à la limite de la religion, il y a un dieu créateur. Au XVIII° siècle, ce dieu créateur a été conçu comme un dieu mécanicien, nécessaire pour mettre en route la machinerie puis la laissant fonctionner selon des lois immuables dites lois de la nature. Avec les théories du début du XX° siècle, finie la constance des constantes, finie la stabilité, c'est l'émergence de ce qui est vu comme chaos, désordre, le big bang étant le modèle théorique fonctionnant le mieux actuellement pour expliquer la naissance, le développement de l'univers mais évidemment le big bang ne sera jamais observable (des animations font croire à une gigantesque explosion, une énorme chaleur, une inflation très courte et intense, un refroidissement, une expansion, une décélération puis une accélération de l'expansion en lien avec énergie et matière noires, hypothèses théoriques sur des réalités inobservables, seuls 4% de l'univers sont visibles, le big bang c'est la création d'un univers à partir de rien, à partir de particules virtuelles devenant réelles, à partir du vide quantique et de ses fluctuations, c'est du potentiel devenant réel...). Comment cet univers créé à partir du vide quantique évolue-t-il jusqu'à la vie sur terre, jusqu'à l'homme, son cerveau, sa pensée consciente, ses buts, intentions, recherches de sens ? Les scientifiques sont inventifs en matière d'explications, de théories. On a parlé d'ajustement fin, on a posé l'existence d'un principe anthropique (l'univers est fait pour accueillir l'homme, température moyenne de notre soleil par rapport à d'autres étoiles, lumière arrivant sur terre dans le bon spectre ; là il faut corriger : la lumière venant du soleil, ce sont des photons se déplaçant de façon non lumineuse donc indétectable jusqu'à la rétine qui excitée rend le photon à son état lumineux, lumière de l'objet éclairé construite dans la boîte noire du crâne, le cerveau, qui voit, crée le rouge de la rose que je vois, j'espère être fidèle au récit de la vue, opération particulièrement mystérieuse, un quale, une perception éminemment subjective) ; le principe anthropique a été utilisé par les créationnistes à l'appui de leur vision de la création qu'ils ont tenté de rendre concurrente à celle des scientifiques, la justice américaine a tranché, pas de créationnisme enseigné dans les écoles.

  • Si l'univers est fait pour accueillir l'homme, il semble fait aussi pour accueillir les végétaux (et tout le reste) qui ont un mode de vie spécifique, grâce à la chlorophylle. Cette molécule est constituée de 137 atomes dont le seul objectif est d'accueillir 1 atome de magnésium. Cet atome est ionisé au contact de la lumière solaire permettant au carbone et à l'eau de former un glucide, c'est la photosynthèse. L'énergie solaire est captée, presque instantanément transmise aux cellules contenant de la chrorophylle et transformée en protéines et autres produits organiques. Transfert d'énergie particulièrement efficace sans gaspillage sous forme de perte de chaleur en particulier.

    Comme les objets de la physique quantique sont des objets particulièrement surprenants à tel point que Feynman a pu dire que le monde quantique était absurde, ces objets « fantasques » font moins l'objet d'observations que de modélisations. On ne peut que leur appliquer des statistiques, des calculs de moyenne ou des équations très complexes comme l'équation de Schrödinger. Les mathématiques supérieures sont devenues l'outil principal des chercheurs, à tel point que certains en sont arrivés à se demander si l'univers n'était pas mu par les Idées mathématiques, si le dessein de l'univers n'était pas mathématique, retour à Platon. Dans quel état est l'électron, corpuscule, onde ? superposé ? soit complémentarité de deux états opposés, autrement dit relation d'inclusion des deux états et ci et ça et non d'exclusion des deux états ou ci ou ça ? Quand il change d'orbite que se passe-t-il ? Il glisse d'une orbite à l'autre ? Non, il disparaît de l'orbite et réapparaît dans l'autre. Si deux électrons sont intriqués, les effets sur l'un sont immédiats et instantanés sur l'autre sans aucun déplacement (téléportation). De plus comment l'électron qu'on trouve dans les atomes se spécifie-t-il, se spécialise-t-il si on peut dire, on appelle ça activité secondaire. L'exemple de l'hémoglobine est particulièrement instructif (une molécule d'hémoglobine qui se trouve à l'intérieur d'un globule rouge, ce sont 10000 atomes dont 4 de fer pour capter 4 atomes d'oxygène, transporté par circulation sanguine à chaque cellule du corps).

    Avec l'effet observateur, on va encore plus loin dans le bizarre. Un observateur veut mesurer ou la masse ou la position ou la vitesse. Dès le moment où il a spécifié son intention, l'objet s'y conforme et lui donne à percevoir ce qu'il veut percevoir. Les photons semblent doués d'un pouvoir de décision comme l'a prouvé l'expérience de la double fente et comme le chat de Schrödinger n'a pas cessé d'interroger les chercheurs. Chacun y va de son interprétation. Deux effets ont été repérés, le choix retardé et l'effacement quantique. Autrement dit, l'univers est participatif, l'observateur fait partie intégrante de la réalité et sa présence, ses choix, intentions influencent le comportement des photons, en état indéfini jusqu'au moment où l'observateur décide de le mesurer, décision et mesure le faisant devenir onde, corpuscule conformément à ce que cherche l'observateur. Conséquence, observer le monde, c'est lui faire quitter un état indéfini pour un état défini. Observer c'est spécifier la réalité, c'est ce qu'on appelle l'effet Zénon. L'observateur et l'objet de son observation sont enfermés, l'observateur ne connaîtra jamais l'état de son objet fonctionnant « naturellement ». Observer comme on le voit n'est pas un acte passif. C'est modifier la réalité, interagir avec la réalité, créer celle qu'on perçoit.

    Il n'y a pas trop de chemin à faire pour en arriver à l'hypothèse d'un univers conscient, d'un univers participatif, d'un univers humain. Lors de sa rencontre avec Einstein (soit dit en passant, c'est à partir d'images mentales, genre chevaucher un rayon lumineux, qu'Einstein a élaboré ses théories, corroborées ensuite par l'observation, il ne cherchait pas les propriétés de la lumière mais à vivre mentalement une expérience, à cheval sur son rayon de lumière), le 14 juillet 1930 à Caputh près de Berlin, Tagore a pu lui dire : « ce monde est un monde humain, sans nous, le monde n'existe pas, c'est un monde relatif dont la réalité dépend de notre conscience ».

    Poser que l'univers est conscient, c'est passer assez facilement du big bang à l'homme, c'est plus difficile, voire impossible de passer du chaos initial à la pensée. Si la conscience est un champ qui comme le champ quantique engendre des réalités à partir de virtualités (le vide créateur), elle est partout à la fois, dans tout, devenant conscience spécifique dans chaque « je », conscience d'un « je » agissant sur la réalité par ses décisions, ses buts, ses intentions. L'homme n'est pas qu'observateur, il fait l'expérience du monde, de la réalité à chaque instant, la modifiant, se modifiant, se transformant, la transformant.

    Ou l'homme est le gagnant du casino cosmique sans qu'on sache très bien comment cela a été réalisé, ou l'homme comme l'univers sont l'oeuvre d'un dessein conscient qu'on n'a pas besoin d'appeler dieu. Deux façons de vivre le monde s'offrent, selon le mode de la séparation (on se perçoit comme individu isolé, l'égo passe avant autrui, pour survivre, travailler, batailler, s'inquiéter, en particulier du temps qui passe alors que Schrödinger nous a dit de façon définitive : « seul existe l'instant présent, éternel ; le présent est la seule chose qui soit sans fin » ou Einstein : « j'ai pris conscience que le passé et le futur sont de véritables illusions et qu'ils existent dans le présent, qui est la seule chose qui soit »…) ou selon le mode de la complétude (l'univers existe à l'intérieur de soi, phénomènes extérieurs et intérieurs sont des reflets mutuels, la conscience est continue et omniprésente, c'est la seule réalité qui soit ...).

    L'homme ne pouvant se séparer de la réalité qu'il vit, une notion devient centrale, celle de quale, de qualia, c'est-à-dire la manière subjective de vivre la réalité. Depuis une cinquantaine d'années, une philosophie de l'esprit et de la conscience se développe ayant pour objet d'étude les qualia ; nos perceptions, sensations, émotions, sentiments, pensées. Une annexe est consacrée à la science des qualia (la conscience n'est pas un attribut qui s'est développée au travers de l'évolution et par les jeux du hasard d'une base de matière pour émerger chez l'homme, la conscience est fondamentale et acausale, la conscience comme fondement de l'existence se comporte comme un champ, elle interagit avec elle-même et cette interaction aboutit à la création de toutes les formes spécifiques de conscience ...

    Ce livre est très documenté, on y apprend beaucoup de choses. L'argumentation est construite, étayée. Questions et réponses sans tourner autour du pot. On peut y adhérer, rester dubitatifs. Des exemples édifiants. De l'humour, beaucoup. Bref, un livre passionnant, à mettre en pratique par une vie de plus en plus consciente, pas une vie de volonté de puissance, mais une vie sachant s'abandonner au champ de la conscience cosmique qui fait surgir pensée nouvelle, image inédite, sentiment régénéré, empathie plus vivante, qui favorise le mouvement, le changement. Pas de recherche d'embrassement de la réalité dans sa totalité, ça ne veut rien dire. Une vie plus ouverte, élargie.

 
conclusion de mon article sur Deepak Chopra
comme a pu dire Djalâl-od-Din- Rûmi, la conscience dort dans les minéraux, rêve dans les végétaux, se réveille dans les animaux et commence à devenir consciente d'elle-même dans les êtres humains ; aujourd'hui, on pourrait le dire différemment : la conscience est présente et agissante à tous les niveaux sous des formes différentes, du vide quantique, des quanta à l'univers ;
tout l'univers est contenu dans un seul être humain : toi et dans tout grain de sable ; ce que tu cherches te cherche ; arrête d’agir petit, d'être étroitement conscient car tu es l’univers et l'univers est humain et végétal et minéral et céleste. Tel est le dessein.

 

les augures d’innocence de William Blake

Voir un Monde dans un Grain de sable 

Un Ciel dans une Fleur sauvage 

Tenir l’Infini dans la paume de la main 

Et l’Éternité dans une seconde.

 

la rencontre du 14 juillet 1930 entre Einstein et Tagore, près de Berlin; la religion du poète est à lire en complément du livre de Deepak Chopra;  avec la langue des poètes, avec sa propre langue, Tagore développe la même intuition, l'Unité sous la multitude
la rencontre du 14 juillet 1930 entre Einstein et Tagore, près de Berlin; la religion du poète est à lire en complément du livre de Deepak Chopra;  avec la langue des poètes, avec sa propre langue, Tagore développe la même intuition, l'Unité sous la multitude
la rencontre du 14 juillet 1930 entre Einstein et Tagore, près de Berlin; la religion du poète est à lire en complément du livre de Deepak Chopra;  avec la langue des poètes, avec sa propre langue, Tagore développe la même intuition, l'Unité sous la multitude
la rencontre du 14 juillet 1930 entre Einstein et Tagore, près de Berlin; la religion du poète est à lire en complément du livre de Deepak Chopra;  avec la langue des poètes, avec sa propre langue, Tagore développe la même intuition, l'Unité sous la multitude

la rencontre du 14 juillet 1930 entre Einstein et Tagore, près de Berlin; la religion du poète est à lire en complément du livre de Deepak Chopra; avec la langue des poètes, avec sa propre langue, Tagore développe la même intuition, l'Unité sous la multitude

Au début de son livre, Deepak Chopra raconte la rencontre entre Einstein et Tagore.

Le 14 juillet 1930, Albert Einstein a accueilli dans sa maison à la périphérie de Berlin, le philosophe indien, musicien, lauréat du prix Nobel, Rabindranath Tagore.

Les deux ont eu une des conversations les plus stimulantes intellectuellement de l’histoire, en explorant le lien entre science et religion, mais surtout qu’est-ce que la réalité et la vérité?

Le choc entre la spiritualité indienne et le génie d’Einstein…

Voici un extrait de cette conversation :


Croyez-vous que le divin est en dehors du monde?

 

Pas en dehors. La personnalité infinie de l’homme est incluse dans l’Univers. Ça ne peut pas être quelque chose qui n’appartient pas à la personnalité humaine, et cela prouve que la vérité de l’univers est la vérité humaine.

J’ai pris un fait scientifique pour expliquer cela – La matière est composée de protons et d’électrons, avec des espaces entre eux; mais la matière semble être solide. De même l’humanité est composée d’individus, mais ils sont interconnectés, ce qui donne une unité vivante dans le monde de l’homme. L’univers entier est lié avec nous d’une manière similaire, c’est un univers humain. Je poursuis cette pensée à travers l’art, la littérature et la conscience religieuse de l’homme.

 

Il y a deux conceptions différentes sur la nature de l’univers: (1) Le monde comme une unité dépendante de l’humanité. (2) Le monde comme une réalité indépendante du facteur humain.

 

Quand notre univers est en harmonie avec l’homme, avec l’éternel, nous savons ce qu’est la vérité, nous sentons la beauté.

 

 

Ceci est la conception purement humaine de l’univers.

 

Il ne peut y avoir aucune autre conception. Ce monde est un monde humain – le point de vue scientifique, c’est aussi celui de l’homme de science. C’est une norme issue de la raison et du plaisir que lui donne la Vérité, la norme de l’Homme éternel dont les expériences sont filtrées par nos expériences.

 

Ceci est une réalisation de l’entité humaine.

 

Oui, une entité éternelle. Nous devons nous réaliser à travers nos émotions et nos activités. Nous avons réalisé l’Homme suprême qui n’a pas de limite individuelle par le biais de nos limites. La science est préoccupée par ce qui ne se limite pas à des individus; il est le monde humain impersonnel des vérités. La religion réalise ces vérités et relie entre eux nos besoins les plus profonds; notre conscience individuelle de la vérité gagne une signification universelle. La religion applique les valeurs à la vérité, et nous savons que cette vérité est bonne à travers notre propre harmonie avec elle.

 

 

La vérité ou la Beauté n’est pas indépendante de l’Homme?

 

Non!

 

S’il n’y avait pas d’êtres humains, l’Apollon du Belvédère ne serait pas plus beau.

 

Non!

 

Je suis d’accord à l’égard de cette conception de la beauté, mais pas à l’égard de la vérité.

Pourquoi pas? La vérité est réalisée par l’homme.

 

 

Je ne peux pas prouver que ma conception est bonne, mais c’est ma religion.

 

La beauté est dans l’idéal de l’harmonie parfaite qui est dans l’être universel; la vérité de la parfaite compréhension de l’esprit universel. Nous approchons des personnes à travers nos propres erreurs et maladresses, à travers nos expériences accumulées, à travers notre conscience illuminée – comment sinon pouvons-nous connaître la vérité?

 

Je ne peux pas prouver scientifiquement que la vérité doit être conçue comme une vérité qui est valable indépendante de l’humanité; mais je le crois fermement. Je crois, par exemple, que le théorème de Pythagore en géométrie affirme quelque chose qui est  vrai, indépendamment de l’existence de l’homme. Quoi qu’il en soit, s’il y a une réalité indépendante de l’homme, il y a aussi une vérité par rapport à cette réalité; et de la même façon, la négation du premier engendre une négation de l’existence de ce dernier.

 

 

La vérité, qui est l’un avec l’Être universel, doit être essentiellement humaine, sinon tout ce que les individus réalisent aussi vrai ne peut jamais être appelé vérité – au moins la vérité qui est décrite comme scientifique et qui ne peut être atteint à travers le processus de la logique, en d’autres termes, par un organe de la pensée qui est humaine. Selon la philosophie indienne, c’est Brahman, la Vérité absolue, qui ne peut être conçu par l’isolement de l’esprit individuel ou décrit par des mots, mais ne peut être réalisé en fusionnant complètement l’individu dans son infinité. Mais une telle vérité ne peut pas appartenir à la science. La nature de la Vérité dont nous parlons est un aspect – c’est-à-dire, ce qui semble être fidèle à l’esprit humain et par conséquent est humain, et peut être appelé Maya ou l’illusion.

 

Donc, selon votre conception, qui peut être la conception indienne, ce n’est pas l’illusion de l’individu, mais de l’humanité dans son ensemble.

 

 

Les espèces appartiennent aussi à une unité, à l’humanité. Par conséquent tout esprit humain réalise la Vérité; l’Indien ou l’esprit européen se rencontrent dans une réalisation commune.

 

Le mot espèce est utilisé en allemand pour tous les êtres humains, en fait, même les singes et les grenouilles devraient être inclus.

 

 En science, nous passons par cette discipline pour éliminer les limites personnelles de nos esprits individuels et ainsi atteindre la compréhension de la vérité qui est dans l’esprit de l’homme universel.

 

Le problème commence si la Vérité est indépendante de notre conscience.

 

 

Ce que nous appelons la vérité réside dans l’harmonie rationnelle entre les aspects subjectifs et objectifs de la réalité, qui tous deux appartiennent à l’homme superpersonnel.

 

Même dans notre vie de tous les jours nous nous sentons obligés d’attribuer une réalité indépendante de l’homme aux objets que nous utilisons. Nous faisons cela pour relier les expériences à nos sens d’une manière raisonnable. Par exemple, même si personne ne se trouve pas dans cette maison, le tableau reste encore où il est.

 

Oui, il reste en dehors de l’esprit individuel, mais pas l’esprit universel. Le tableau que je perçois est perceptible par le même genre de conscience que je possède.

 

Si personne n’était dans la maison, la table existerait quand même – mais cela n’a pas de valeur de votre point de vue – parce que nous ne pouvons pas expliquer la signification de la présence de la table, indépendamment de nous.

Notre point de vue naturel en ce qui concerne l’existence de la vérité en dehors de l’humanité ne peut pas être expliqué ou prouvé, mais il y a une croyance que personne ne peut oublier – pas même les êtres primitifs. Nous attribuons à la vérité de l’objectivité d’un superhumain; il est indispensable pour nous que cette réalité soit indépendante de notre existence et de notre expérience et de notre esprit – même si nous ne pouvons pas comprendre sa signification.

 

 La science a prouvé que la table comme un objet solide est une apparence et donc ce que l’esprit humain perçoit comme une table n’existerait pas si cet esprit était absent. Dans le même temps, il faut admettre que le fait que la réalité physique ultime n’est rien, mais une multitude de vibrations séparées de force électrique appartiennent aussi à l’esprit humain.

Dans l’appréhension de la vérité, il y a un conflit éternel entre l’esprit humain universel et le même esprit confiné dans l’individu. Le processus de réconciliation est en cours entre la science, la philosophie, l’éthique… En tout cas, s’il y avoir une vérité absolue, elle n’a rien à voir avec l’humanité alors pour nous, elle est absolument non-existante.

Il n’est pas difficile d’imaginer un esprit dans lequel les choses ne se passent pas dans l’espace, mais seulement dans le temps comme la séquence de notes de musique. Pour un tel esprit, cette conception de la réalité est proche de la réalité musicale dans laquelle la géométrie de Pythagore ne peut avoir aucun sens. C’est la réalité du papier, infiniment différente de la réalité de la littérature. Pour l’esprit possédé d’une mite qui mange le papier, la littérature est absolument inexistante, mais pour l’esprit de l’homme la littérature a une plus grande valeur de la vérité que le papier lui-même. D’une manière similaire, s’il y avoir une certaine vérité qui n’a aucun rapport avec ses sens ou rationnel à l’esprit humain, elle restera toujours comme inexistante tant que nous resterons des êtres humains.

 

Alors je ne suis pas plus religieux que vous l’êtes!

 

Ma religion est dans le rapprochement de l’Homme superpersonnel, l’esprit humain universel, dans mon propre être individuel.

Tiré du livre : Science et tradition indienne

 
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De l'âme/François Cheng

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse

couverture du livre De l'âme de François Cheng

couverture du livre De l'âme de François Cheng

De l'âme

François Cheng

Albin Michel, 2016

 

De François Cheng, j'ai lu un roman, L'éternité n'est pas de trop, les Cinq méditations sur la mort. J'apprécie mais sans le sentiment de l'essentiel, un essentiel que je cherche sans pouvoir être précis quant à ses contours, à son contenu. Si je vais vers François Cheng, c'est parce que je sens une recherche aussi, spirituelle au moins. Sa connaissance des sages et des peintres chinois est un élément supplémentaire d'attirance. Ajoutée à cela, sa connaissance de ce qu'on peut appeler la culture française, plus large, plus complexe que la philosophie des Lumières et l'esprit voltairien, fait de François Cheng, non un homme écartelé entre deux cultures mais un pont possible entre deux cultures. La synthèses est-elle possible ? Un dialogue, oui, des connivences aussi. C'est donc avec envie que j'ai lu De l'âme.

Il s'agit de 7 lettres à une amie, à une femme, à l'automne de sa plénitude, qui l'a abordé dans le métro, il y a déjà longtemps, l'ayant reconnu alors qu'il n'était pas encore connu, femme d'une beauté qui l'avait interpellé, lui demandant comment elle pouvait l'assumer, avec laquelle il a eu quelques échanges par intermittences et qui l'interroge 30 ans après, suite à un constat qu'elle fait : Sur le tard, je me découvre une âme... Acceptez-vous de me parler de l'âme ?

D'abord réticent, à cause du climat intellectuel en France où ce vocable est marginalisé au profit du dualisme corps-esprit, où le matérialisme, le scientisme sont dominants, arrogants, il finit par vouloir faire la clarté aussi pour lui, soucieux de son âme et de ses liens avec l'Âme. Car postuler que mon âme est unique, expression de mon unicité, de ma singularité, source de mon unité, c'est aussi postuler la même chose pour chacun, ce qui renvoie à une universalité. Toutes les âmes sont uniques et unissent, ce qui permet de poser l'Âme universelle comme principe de Vie et puisque chaque âme est unique, irremplaçable, cela rend nécessaire le respect de l'autre âme, rend possible l'amour de l'autre âme. Il constate que toutes sortes de vocables sont utilisés pour ne pas employer le mot « âme », for intérieur, jardin secret, appareil psychique... mais ces usages révèlent la dispersion, l'éclatement du sujet, l'impossible identité, la perte de l'unité de l'être. Être déformé, difforme, à la Bacon.

Il revisite une intuition universelle, si le corps, l'animus est animé, vivant, c'est que quelque chose l'anime, l'anima. C'est le Souffle de Vie, le Aum indien, le Qi chinois, le Ruah hébraïque, le Rûh musulman, le Pneuma grec, l'Âme. Sans âme, le corps n'est pas animé, sans corps, l'âme n'est pas incarnée. Mais il faut ajouter, ce qui est premier, c'est l'âme, c'est elle qui porte le désir d'être qui est plus que l'instinct de survie, plus que le vouloir-vivre instinctif. L'âme est désir de vie et mémoire de vie, elle est ce qui nous permet de désirer, de ressentir, de nous émouvoir, de résonner, de conserver mémoire, de communier par affect ou par amour. Trois puissances en elle, le désir, la mémoire, l'intelligence du cœur. L'auteur aborde évidemment la distinction esprit-âme puisque au couple corps-esprit, il préfère la triade corps-esprit-âme. L'esprit raisonne, son champ est l'action dans les domaines de la vie sociale, politique, économique, juridique, éducative ; l'âme résonne, son champ est celui de l'amour, de la compassion, de la beauté et de la création artistique ; elle peut aussi s'égarer, se pervertir puis se repentir et se relever de l'exercice du mal ; elle est ange et démon. C'est elle qui prend en compte les souffrances et la mort, qui les intègre à la vie, à la Vie. Et de citer Hildegarde de Bingen : le corps est le chantier de l'âme où l'esprit vient faire ses gammes.

Il résume de façon claire les traditions chinoise, indienne, grecque (platonicienne) de l'âme. De nous prévenir contre une mésinterprétation du bouddhisme, radicalement agnostique vis à vis de l'âme : il n'y a pas d'entité permanente qui subsisterait après l'abandon du corps, tout est impermanence et la compassion bouddhiste ne consiste pas en un rapport d'âme à âme. De l'impermanence naît l'interdépendance de tous les êtres, dénués d'unicité. Il nous rapporte aussi les leçons des trois monothéismes. En particulier l'apport de Pascal avec ses trois ordres superposés. Il y a une verticalité de ces trois instances, l'ordre des corps, celui des esprits, celui de la charité, de l'amour.

Les lecteurs découvriront de belles pages sur la Joconde ou sur Léda (tableau perdu) de Vinci, et de montrer ce qui lie beauté et bonté, qui permet à l'âme de s'élever et de trouver sa voie dans la Voie, d'être l'oeil ouvert et le cœur battant de l'univers vivant, cela souvent au prix de grandes épreuves et souffrances mais aussi d'extases, de grands instants de félicité quand on contemple un lever, un coucher de soleil. Se sent-il petit, seul perdu dans l'univers, poussières d'étoiles, grains de poussière, celui qui contemple l'avènement de l'univers ? Oui, grain de poussière mais qui a vu. Tu es celui qui a vu. Et personne ne peut faire que tu n'aies pas vu. Le fait d'avoir vu est ineffaçable. Cet instant de rencontre donne sens à toi comme à l'univers. Instant d'éternité... Nous qui voyons de l'univers la part visible et qui en faisons partie, sommes-nous vus ? Si le voir n'était pas à l'origine, serions-nous capables de voir ? Oui, nous devons être assez humbles pour reconnaître que tout, le visible et l'invisible est vu et su par Quelqu'un qui n'est pas en face mais à la source.

Aum, âme, amen.

La sixième lettre est importante car elle parle longuement de Simone Weil, figure d'absolu du XX° siècle dit-il, caractérisé par un cheminement vers l'âme. Simone Weil, l'auteur de La pesanteur et la grâce (7 fois le mot esprit, 60 fois le mot âme), Attente de Dieu (5 fois le mot esprit, 100 fois, âme), Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, titre remplacé par Camus L'enracinement, formidable inventaire des besoins terrestres de l'âme et du corps de chacun dont nous sommes tous responsables, l'auteur des Cahiers de Marseille qui s'écroule à 34 ans, morte d'anémie. Pour elle, les besoins de l'âme sont des obligations envers la Vie avant d'être des droits pour soi-même, exemple: l'âme humaine a besoin d'obéissance consentie et de liberté... ou l'égalité est un besoin vital de l'âme humaine, l'honneur est un besoin vital de l'âme humaine... Voici une puissante pensée de Simone Weil : la joie et la douleur sont des dons également précieux qu'il faut savourer l'un et l'autre intégralement, chacun dans sa pureté, sans chercher à les mélanger. Par la joie, la beauté du monde pénètre notre âme. Par la douleur, elle nous entre dans le corps. L'amitié est pour elle la vertu suprême. Simone Weil, figure à découvrir ou redécouvrir car articulant individuel et collectif, âme et corps, politique et morale, immanence et transcendance.

Je conclurai cette note en disant que François Cheng fait une présentation classique, traditionaliste de l'âme, persuadé qu'il y a Quelqu'un à la source, la Source de Vie. Son approche est spiritualiste sans être religieuse. Elle est critique à l'égard du matérialisme occidental dominant qui nous voit comme poussières d'étoiles, amas de molécules, faisceaux de neurones, la Vie et tout ce qui la constitue étant le fruit du hasard. Cette approche me semble ne pas tenir compte de tout un tas d'avancées scientifiques qui montrent bien les intrications entre le corps et l'esprit, et dans les deux sens, actions du corps, actions de l'esprit. Il n'est plus possible pour les scientifiques honnêtes d'être arrogants dans leur matérialisme. Une conception plus holistique se développe, le corps-esprit et c'est ce qui explique pourquoi des tentatives de synthèse sont entreprises entre science et tradition, entre médecine rationnelle et médecine ayurvédique. Être à l'écoute du « chant » de l'univers, être à l'écoute de son corps (qui lui nous écoute, mémorise ce que nous en faisons, comment nous le traitons sans mesurer les conséquences au plus infime, au plus intime), donner sens à ce que nous vivons, amour inconditionnel à ceux que nous aimons, créer de la beauté, agir avec bonté c'est le travail de l'âme dont je pense de plus en plus qu'elle a à voir avec l'éternité du livre que nous écrivons de notre premier cri à notre dernier souffle. Rendre l'âme, expression que Cheng ne relève pas (il note en mon âme et conscience, la force d'âme, un supplément d'âme, l'âme sœur, l'âme damnée, sauver son âme, la mort dans l'âme) c'est rendre un livre qui éternise au fur et à mesure nos émotions, sentiments, actions, pensées, puisqu'il sera toujours vrai que j'ai pensé ainsi, agi comme ça, aimé de travers, été ému aux larmes, une mémoire de vie à la Vie qui continue. Je signale au passage que Marcel Conche emploie le mot âme. Il distingue son âme ordinaire, âme commune, produit de l'éducation, du milieu, de l'époque et son âme authentique, incarnée dans son œuvre.

Jean-Claude Grosse

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Ultimes réflexions / Marcel Conche

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse

Ultimes réflexions

Marcel Conche

éditions HD, janvier 2015

236 pages, 22 €

présentation du livre par l'auteur lui-même :

Dans cet ouvrage, j’ai voulu avant tout mettre l’accent sur certaines distinctions sans lesquelles ma philosophie, telle que je l’ai résumée dans Présentation de ma philosophie (HDiffusion 2013), ne peut être correctement comprise : distinction entre conscience et pensée, argument et preuve, cause et raison, ensemble pensable en un et ensemble inassemblable, « être » et être vrai, infini et indéfini, monde et univers, univers et Nature, science et métaphysique, libre arbitre et liberté, etc.

Cependant, ma réflexion aborde aussi d’autres sujets : la solitude, l’amitié, l’animalité, Descartes au secours de la religion, Epicure, Socrate et les dieux, l’originalité philosophique de Montaigne, Pascal et le pari, etc.

note de lecture de Jean-Claude Grosse :

Le dernier livre de Marcel Conche comporte 50 essais de 3 à 6 pages, essais de philosophe se confrontant sur tel ou tel point à Descartes, Heidegger, Pascal. Montaigne très présent comme d'habitude est très éclairant, évident. En particulier en ce qui concerne l'homme et l'animal, au moment où la loi reconnaît que les animaux sont sensibles.

Alors que l'ambiance générale sur la planète est au réchauffement des eaux, des températures, de la calotte, des esprits religieux, souvent instrumentalisés, à la montée des eaux, à la violence des vents et des affrontements religieux, des guerres de religion même, paravents d'autres guerres plus économiques, ce livre est un plaidoyer non pour la sobriété heureuse, pour la décroissance, pour la régulation des banques, pour la laïcité mais pour la liberté de penser par soi-même, laquelle suppose que la liberté soit première en l'homme ; la nature de l'homme, le propre de l'homme est non le langage, non le rire mais la liberté ; l'homme ne vit pas que dans son monde de paysan s'il est paysan, il peut en sortir, se libérer de sa lecture et de sa pratique paysanne du monde ; il est dans l'Ouvert, pouvant accueillir en homme naturel par la contemplation, la beauté qui l'entoure, il peut user de sa raison et soumettre à son jugement ce qui se présente : pleut-il ? Il pleut dit-il parce qu'il pleut réellement. Un chat lui ne peut sortir de son monde de chat coursant souris et oiseaux. Évidemment, milieu, éducation, traditions vont tenter de limiter cette liberté libre qui va se transformer en liberté sous influence, voire en aliénation, l'aliénation religieuse étant fort répandue. 3 font 1 apprend-il, c'est le mystère de la trinité, rien à comprendre, y croire du fond du cœur qui finit par lâcher. La reconquête de sa liberté première n'est le choix que d'un petit nombre. C'est une affaire individuelle, une démarche personnelle, une démarche philosophique qui va prendre ses distances avec les préjugés, les illusions, va soumettre à la question ce qui semble aller de soi ou cherche à s'imposer plus ou moins insidieusement comme vérité, comme évidence.

Il semble aller de soi que les sociétés ne vont pas favoriser de tels cheminements personnels, elles vont bien plutôt fabriquer comme dit Chomsky, le consentement, la soumission volontaire. Les sociétés ne vont pas reconnaître la nécessité vitale de philosopher, ne vont pas salarier ni retraiter des individus faisant choix de philosopher. Il n'y a aucune utilité sociale à philosopher. Ça risque de devenir des désobéissants. Le philosophe soucieux de vérité devra donc gagner sa vie à côté de sa recherche ou fera la manche comme Socrate. Philosopher est donc risqué, ce que montre très bien le portrait de Socrate par Rabelais : Alcibiade disait que Socrate à le voir du dehors et à l’évaluer par l’aspect extérieur, vous n’en auriez pas donné une pelure d’oignon, tant il était laid de corps et d’un maintien ridicule, le nez pointu, le regard d’un taureau, le visage d’un fou, le comportement simple, les vêtements d’un paysan, de condition modeste, malheureux avec les femmes, inapte à toute fonction dans l’Etat ; et, toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais, en ouvrant cette boîte, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une intelligence plus qu’humaine, une force merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans égale, une égalité d’âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à l’égard de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent. Ou pour être Socrate, fréquenter le bar du bon coin, rire avec les compères des brèves de comptoir, fermer sa gueule, la liberté d'expression c'est pour les autres, être prudent quoi, éviter d'être rejeté en faisant profil bas, ne pas partager son divin savoir. En ces temps Je suis Charlie, je ne suis pas Charlie, ne pas mettre de l'huile sur le feu.

Évidemment Marcel n'est pas Socrate, chaque philosophe l'est avec sa personnalité, son génie. Distinguons, la personnalité soit ce qui est donné, inné, le caractère et ce qui est acquis par l'éducation, puis modifié par ma liberté. Le génie soit la petite voix qui me dit de ne pas aller là, qui me détourne du chemin, me fait sortir du convenu, de l'attendu. Mon génie m'a invité à démissionner de l'armée en 1964 au retour de l'Algérie, j'aurais fini chef d'état-major des armées. Je suis devenu professeur. Quant à Marcel, vous ne le verrez pas au bar du coin, écrire des tribunes libres, faire des conférences partout dans le monde, aller à la télévision. Il a des opinions étayées sur bien des choses mais il n'en fait pas l'essentiel. Quand il exprime une opinion à des amis, il peut arriver qu'elle tranche par rapport à l'opinion dominante, liberté d'esprit là encore.

Marcel Conche, philosophant pour soi, s'est ainsi libéré de la religion catholique à partir d'un sentiment, d'une émotion insoutenable devant la souffrance des enfants, émotion liée à la lecture de Dostoïevski et non par la vue de souffrances réelles. La souffrance des enfants est devenue le mal absolu et a entraîné la dissolution philosophique, argumentée des notions de Dieu, de Monde, d'Homme, d'Ordre. Marcel Conche a rejeté toute la philosophie théologisée, Descartes, Kant, Hegel. Et devenu athée, sans le proclamer, sans chercher à convaincre quiconque, il a cherché la métaphysique qui pouvait convenir à ce qu'il appelle sa proto-expérience et qui tient en 6 évidences, pages 188-189. Ce qui est frappant, c'est la place occupée par sentiments et émotions dans ce parcours, moins des émotions personnelles, liées à sa subjectivité que des émotions impersonnelles, comme objectives, en lien direct avec ce qui se produit, ce qui se manifeste. La première évidence de cette proto-expérience est un sentiment océanique : d'abord je ne suis pas seul, mais comme au milieu d'un océan ; il y a d'autres êtres ou choses de tous côtés, devant, derrière, dessus, dessous, à perte de vue, à perte d'imagination, à perte de pensée. Ce sentiment océanique enveloppe le sentiment de l'infini – au sens d'indéfini. (pages 188-189)

Libéré de Dieu comme cause unique de toute la diversité du réel, Marcel Conche élabore une métaphysique non pour rendre compte de cette diversité mais pour chercher la vérité sur le Tout de la Réalité. Et ce Tout pour lui c'est la Nature. Ce qui nous apparaît, dans sa diversité, dans sa beauté c'est la nature, beauté d'un coucher de soleil, d'un paysage, diversité de ce qui s'offre au regard, milliers de feuilles toutes différentes d'un arbre, fleurs sauvages d'un champ, colonne de fourmis. Au-delà de la terre, c'est l'univers, étoiles, planètes. C'est la nature naturée, créée par la nature naturante, la Nature, qui se cache derrière ce qu'elle crée et donne à voir. Le hasard est ce qui œuvre à l'aveugle, sans plan préconçu, sans but, sans téléologie d'ensemble mais avec une finalité pour chaque être créé, qu'il soit bon pour la vie, fait pour vivre sa vie de chien, de fourmi, de feuille.

Pour la 1° fois, Marcel Conche emploie un mot qu'il n'a jamais employé, le principe énergie. Le principe unique et suprême de l'existence et de l'activité universelles c'est le principe énergie, un principe infini, éternel, impersonnel, il y a l'énergie, principe unique faisant apparaître, disparaître toute chose, tout « être », en nombre indéfini, soit un nombre fini qui aussi grand qu'il soit ne rejoindra jamais l'infini, nombre indéfini d' « êtres », nombre incommensurable mais jamais infini, sans origine ni fin car le temps est éternel.

Marcel Conche a de nombreuses fois montré les impasses où nous conduit l'usage du mot « être », la confusion entre « être » et « exister ». À l'Être, il substitue le Il y a. L'Être n'est pas Dieu. Il y a l'Énergie. La créativité hasardante (hasardeuse) de la Nature, créativité depuis toujours et partout, ce qui veut dire que ce qui « est », qui « existe » ne vient pas de rien et ne retourne pas au rien, au néant . Cette créativité aveugle est le fait de l'Énergie perpétuelle, de la Vie éternelle qui fait que toute chose créée est bonne, faite pour la vie, pour vivre son temps de vie fini. Les choses, les êtres créés, livrés à la vie, à la mort ne forment pas dans leur incommensurable, leur indéfinie diversité, un ensemble ordonné, cohérent, un monde. Chaque être a son monde, le monde de l'abeille, le monde de la mouche, ces mondes sont en quelque sorte inaccessibles à toute connaissance, l'abeille ne peut accéder au monde de la mouche et l'homme pas davantage. Et ces mondes sont inassemblables. Il n'y a pas l'ensemble de tous les mondes. On ne peut trouver un ordre, un sens à toutes ces créations. Seulement qu'issues de la Vie éternelle, elles sont vivantes, éphémères, changeantes, de la jeunesse à la vieillesse et à la mort. Mais à la différence des religions, la signification de la mort ne nous est pas donnée. Anaximandre, le premier philosophe, ayant intuitivement compris que le fini ne peut engendrer le fini, pense que seul l'infini peut engendrer l'indéfini des finis. La mort s'expliquant par une sorte de justice cosmologique, un rendu pour un donné. On meurt parce qu'on a eu du pot d'apparaître, faisant injustice à ceux qui n'ont pas eu ce pot (un spermatozoïde accrocheur s'accrochant bien à un ovule mais SVP ne me réduisez pas à ce hasard et ne développez pas non plus la chaîne causale, spermato paternel, ovule maternel et en remontant), réparation de l'injustice première pour d'autres chances, d'autres malchances. Quand on pense que ça date de 2700 ans, que ça tient dans une phrase, remarquablement commentée par Marcel Conche dans son Anaximandre (PUF).

L'homme comme création de la Nature a comme caractéristique, que n'ont pas les autres êtres, d'être dans l'Ouvert, il l'est quand il échappe aux soucis de son monde de paysan, quand il est homme naturel qui contemple, qui pense, qui juge, qui éprouve. Cet homme peut donner à sa vie, un sens, une valeur, librement, alors que sa vie est éphémère, qu'il n'emportera rien, que tout ce qu'il aura réalisé sera oublié, disparaîtra. S'il veut le meilleur de ce qu'il est capable de créer, créateur un peu à l'image de la Nature (créer c'est ne pas savoir à l'avance ce qu'on va créer), il vivra comme un sage tragique, voulant le meilleur qui par la mort ne vaut pas plus que ce qui ne vaut rien. Cette indifférence de la Nature à la valeur est essentielle à éprouver. Le choix de nos valeurs, choix qui fonde notre éthique, notre manière de vivre nous appartient, les uns pour l'argent, les autres pour le pouvoir, d'autres pour la gloire, d'autres pour le bonheur, un peu pour la vérité. Nous pouvons aussi vivre comme les feuilles au vent d'Homère ou jouer aux dés ou à la roulette russe (chargée si possible) les moments clefs de notre vie, APBLC.

Cette sagesse tragique voulue par Marcel Conche me semble être issue de sa 1° métaphysique, celle de l'apparence absolue. Tout est voué à disparaître sauf le Tout, le Il y a. Mais on voit bien qu'il y a une inégalité, la mort est la destination de toute chose, de tout être, elle n'est pas la destination du Tout. La Vie éternelle, l'Énergie perpétuelle ne sont pas mortelles. Le Temps éternel n'est pas l'ennemi mortel de la Vie éternelle. Si dans le monde des apparences, dans la nature naturée, la guerre est père de toutes choses selon Héraclite, la guerre n'est pas le principe à l'oeuvre par et dans la Nature. Le principe Énergie (qui donne Vie) crée des êtres bons pour la vie, c'est-à-dire équipés pour vivre. Une vie saine favorisera une espérance de vie plus grande qu'un vie d'excès. On peut décliner chacun pour soi ce que suppose au quotidien, de vivre selon sa nature, sa singularité, son unicité. C'est créer en quelque sorte sa vie et non pas suivre un chemin écrit d'avance, suivre des préceptes inculqués par une éducation qui conforme. Une vraie éducation laïque, éducation à l'universel, favoriserait ce devenir ce que l'on est. Mais on peut aussi vivre APBLC, se livrer à l'aléatoire ; je crois qu'il faut une sacrée force, un sacré détachement pour vivre ainsi SDF, précaire quand c'est par choix ce qui doit être rare. Il y en a d'autres qui utilisent le détachement à des fins spirituelles mais ne pratiquant pas la méditation transcendantale, je fais silence, le propre du sage que je suis en train de devenir.

L'énergie évoquée par Marcel Conche a un statut de principe, d'évidence ; elle n'est pas définie. Je pense qu'il faut éviter de la voir comme la voit les savants (e = mc2) mais aussi comme la voit des traditions spirituelles fort anciennes.

Il me semble que la 2° métaphysique de Marcel Conche, sa métaphysique de la Nature, avec son principe Énergie peut ouvrir une autre perspective que la sagesse tragique telle que conçue, pratiquée par lui : faire ce que je peux de meilleur même si cela doit disparaître. Cette sagesse tragique se vit dans le temps rétréci, le temps des projets, le temps court de nos vies. Elle ne se soucie pas du temps infini, éternel qui est celui de la Nature et dans lequel nous sommes inscrits, comme un éclair dans la nuit éternelle dit Montaigne.

Certes, je suis mortel, je le sais et philosophe, sage plutôt, je l'accepte. Mais mon corps mort ne va pas au néant, au rien, il n'y a pas de rien ; il n'y a pas Rien puis quelque chose ; la question pourquoi quelque chose plutôt que rien n'est pas une question métaphysique ; il y a depuis toujours et partout et ce il y a qui engendre ce qu'il y a, tout ce qu'il y a, dans sa diversité indéfinie, c'est le principe énergie ; mon corps mort se dégrade en un degré inférieur de la matière, non matière vivante et pensante, mais matière inerte. Comme le mot matière me parle peu, je préfère dire que mon corps mort revient au grand brassage particulaire, revient à l'énergie. Venu des poussières d'étoiles, il retourne aux poussières d'étoiles, restitué à la Vie comme énergie pour d'autres usages au hasard.

Incidente : les sciences tentent toujours d'expliquer le supérieur par l'inférieur. En ce sens, elles dégradent les spéculations élevées en spéculations grossières mais l'homme expliqué par l'animal n'est plus l'homme, l'âme expliquée par le corps n'est plus l'âme, la pensée expliquée par le cerveau n'est plus la pensée, la vie expliquée par la matière n'est plus la vie (page 199).

Quant à ce que nous avons pensé, éprouvé, nos productions immatérielles, en même temps qu'elles passaient, nevermore, elles devenaient vérités éternelles, forever, en ce sens que rien ne peut faire que ce que j'ai dit, pensé, éprouvé à tel ou tel moment n'ait pas été dit, pensé, éprouvé. Dans la mesure où ces productions immatérielles sont en nombre indéfini, de notre naissance à notre mort, on peut dire que toute notre vie s'inscrit comme vérité éternelle dans le « monde des vérités », que notre livre d'éternité s'écrit au fur et à mesure de notre vie, enregistrant tout, fidèlement, sans falsification possible, que ce livre d'éternité n'est pas écrit d'avance, qu'il ne servira à aucun jugement dernier puisque sont enregistrées aussi bien nos bonnes pensées, nos bonnes actions que les mauvaises.

Ma métaphore du livre d'éternité de chacun est à prendre avec des pincettes. Ce livre enregistre-t-il au fur et à mesure dans un ordre chronologique ? Ce livre est-il une suite aléatoire de feuillets sans queue ni tête à notre image , suite même pas reliée mais feuillets volants livrés aux vents des univers ? Il faudrait un vrai nouveau Cyrano de Bergerac pour imaginer ça.

Évidemment, j'ignore si le temps utilisé dans ce livre relié ou délié est le temps qui se compte en secondes Bleu Giotto, temps linéaire. Est-ce un temps circulaire, celui des cycles menstruels pour les dames ou celui du rythme priapique saccadé pour les messieurs, celui des saisons ? Il y a là un petit problème que je laisse aux génies.

J'ignore où se situe ce « monde des vérités », cette bibliothèques des idées dont Marcel Conche dit qu'elles sont éternelles, indépendamment de la langue, mortelle, dans laquelle elles sont formulées (page 46). J'ignore dans quel espace-temps nos productions immatérielles retournent, sont enregistrées pour l'éternité, un peu à la manière de nos traces ineffaçables sur internet.

J'ignore si cette bibliothèque avec tous nos livres d'éternité est bien rangée, j'ignore si des usages sont faits et par quoi, par qui, de nos idées, de nos émotions, de nos sentiments mémorisées.

C'est peu probable que ce soit bien rangé dans la mesure où nos vies sont assez peu ordonnées, sensées. Nos vies sont largement gouvernées par le hasard, au petit bonheur la chance (la martingale APBLC existe en Bourse ; il a été montré qu'un Parlement travaillerait mieux si une fraction importante des représentants du peuple était tirée au sort dans la population puisque ces députés ou sénateurs aléatoires obligeraient les professionnels de la politique à oeuvrer dans l'intérêt du plus grand nombre et non pas pour leur seule clientèle).

Nos décisions, des milliards de décisions, de choix, sont rarement pensées, elles sont irrationnelles pour la plupart, hasardées comme le fait la Nature, à la différence que nous, nous choisissons ou hasardons des coups de dés à effets secondaires imprévisibles, bénéfiques ou maléfiques car nous ne décidons pas pour que ça vive, que ça favorise la vie mais pour que ça rapporte, que ça nous mette en avant. Nos milliards de coups de dés, nos milliards de coups de roulette russe (à blanc ou chargée) pour vivre au jour le jour comme nos plans de carrière, nos plans d'épargne, nos plans de retraite pour vivre rassuré, assuré, tout ça semble produire un patchwork indescriptible, un désordre généralisé, universel, du mouvement brownien indéfini, non saisissable même par les machines statistiques les plus sophistiquées, les plus puissantes. C'est le règne des processus stochastiques. On comprend que les savants préfèrent chercher et trouver des constantes universelles que les lois du chaos humain.

En tout cas, il me semble qu'on peut décliner des usages possibles dans notre vie de chaque jour de cette métaphore du livre d'éternité que nous écrivons, dans le plus grand bordel. On passe du nez dans le guidon qu'on contrôle, croit contrôler à une perspective sidérale et sidérante de schuss et de slaloms hors-piste sur poudreuse imprévisible et avalanches pressenties.

La science peut-elle nous éclairer ? Il me semble que le savoir, les connaissances scientifiques, innombrables, non connues, non maîtrisées, mal articulées par la plupart des gens ne peuvent nous servir à voir vraiment, d'autant que ce que l'on sait accroit exponentiellement ce qu'on ne sait pas.

Comment voir le ciel si on essaie de le voir comme univers avec ce que l'on sait aujourd'hui de l'univers. Cet univers des savants est un objet intelligible, difficilement intelligible d'ailleurs et cela est vrai de toutes les disciplines, comprises de quelques-uns seulement ; ce n'est pas un univers que je vois. Et toutes les animations en 3D qu'on me présente ne me font pas voir. Je vais éprouver de l'émerveillement ou de la terreur devant les chiffres proposés, les images présentées. Mais je ne vois plus le ciel sans voir pour autant l'univers.

Pareil pour le corps devenu planches anatomiques et animation des minuscules qui nous colonisent, de quoi te foutre la trouille tellement ce savoir te disperse quand toi tu te vois un.

Le savoir va complexifier, peut-être même dissoudre notre vision. On perdra le regard naïf, le regard étonné qui fut celui qui inaugura la philosophie, le regard de l'homme naturel, de l'homme dans l'Ouvert. Ce savoir n'est pas propice à vivre en vérité dans la mesure où ce savoir se veut pouvoir sur la nature et sur l'homme selon le projet de Descartes (devenir maître de la nature), projet qui nous conduit dans le mur.

Jean-Claude Grosse

Marcel Conche et JCG à Beaulieu; Marcel à la foire du livre de Brive 2014
Marcel Conche et JCG à Beaulieu; Marcel à la foire du livre de Brive 2014
Marcel Conche et JCG à Beaulieu; Marcel à la foire du livre de Brive 2014
Marcel Conche et JCG à Beaulieu; Marcel à la foire du livre de Brive 2014

Marcel Conche et JCG à Beaulieu; Marcel à la foire du livre de Brive 2014

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Rêve d'une école de la vie/J.C.Grosse

Rédigé par JCG Publié dans #jean-claude grosse

Rêve d’une école de la vie
Pour Marcel Conche
 
Je rêve d’une école de la vie de trois classes.
Une classe pour apprendre à raconter. Pour seize enfants de 6 à 9 ans.
Une classe pour apprendre à s’émerveiller. Pour seize adolescents de 11 à 14 ans.
Une classe pour apprendre à penser et à vivre vraiment. Pour seize jeunes gens de 16 à 19 ans.
Des gosses des rues. Pas voulus.
Des survivants du travail précoce, du sida général, de la guerre perpétuelle.
Des adolescents à la dérive sur l’amertumonde.
Bref, tous les jeunes pourraient avoir accès à cette école.
Ont-ils été voulus les ballottés des familles éclatées ?
Ne sont-ils pas livrés au biberon télévisuel ? à la consolation virtuelle ? à la rue commerçante et bruyante ?
Ne sont-ils pas entraînés à s’absenter d’eux-mêmes et de leur vie ?
Se veulent-ils un passé ? un avenir ? Veulent-ils même un présent ?
Veulent-ils une vie autre que celle de soumis volontaires qui refusent d’être cause d’eux-mêmes ?
La classe des petits serait confiée à un aède, Homère par exemple. Ils seraient assis en rond, huit garçons et huit filles. De toutes les couleurs. Ça commencerait par des questions. Pourquoi le soleil ne fait pas le jour toujours ? Pourquoi quand il y a le soleil, il n’y a pas la lune ? Pourquoi la lune n’éclaire pas comme le soleil ? Pourquoi les étoiles brillent la nuit ? C’est quoi la nuit ? Pourquoi il y a la pluie ? le vent ? les nuages ? D’où vient la mer ? Pourquoi les vagues inlassables ? C’est quoi le temps ? Pourquoi on ne chante pas comme les oiseaux ? Pourquoi volent-ils ? Pourquoi les roses ? Pourquoi elles fanent ? Homère leur raconterait des histoires. Les enfants seraient ravis, auraient peur. Ils riraient, pleureraient. Ouvriraient grands les yeux, comprendraient, resteraient bouche bée. Ils parleraient des histoires, les raconteraient à leur tour, en inventeraient. Il y aurait des livres où sont écrites les histoires racontées. L’Iliade 2. L’Odyssée 3. Des livres sans images. Parce que les mots, ce sont des images. Et maintenant, questionnez. Puis racontez, inventez.
La classe des moyens serait confiée à un poète, Linos, Orphée, Sappho, et à un peintre, celui de la grotte Chauvet, vieux de 33 000 ans. Ils se promèneraient, huit garçons et huit filles de toutes les différences. Ils feraient des promenades d’abord longues, deux mètres en une heure, s’arrêtant au gré de leurs intérêts. Linos ferait entendre un chant très ancien sur le soleil de ce matin-là. Orphée inventerait un poème d’éternité pour un sourire derrière une fenêtre. Avec Sappho, ils goûteraient à l’inachevé : Il faut tout oser, puisque. Les promenades deviendraient plus courtes, quelques centimètres au gré de leurs émerveillements. L’homme de Chauvet les aiderait à impressionner les murs, à faire vibrer la lumière, à donner corps à l’esprit. Ils rempliraient leurs cahiers de peintures rupestres et urbaines, de poèmes des quatre saisons pour leurs enfants dans cent générations : La neige, le vent, les étoiles, pour certains… ce n’est pas assez. Et maintenant, émerveillez-vous. Puis chantez, créez.
La classe des grands serait confiée à un élu, battu aux élections, à un chef d’entreprise, en faillite, à un directeur de pompes funèbres, en retraite et à un philosophe très ancien, Anaximandre, Héraclite, Parménide, Empédocle. Huit filles et huit garçons en quête de soi, de l’autre et d’une place se poseraient de vraies questions : qu’est-ce que l’homme ? qu’est-ce que la nature ? quelle est la juste place de l’homme dans la nature ? qu’est-ce que vivre vraiment ? qu’est-ce que devenir soi, cause de soi ?
En quelques semaines, ils se sèvreraient de la télévision et des jeux vidéo, ils se purgeraient des modes alimentaires, vestimentaires, langagières et comportementales. En quelques mois, les multinationales de la mal-bouffe, de la fringue clinquante, du divertissement formaté, les médias du prêt-à-ne-pas-penser et de la manipulation des cerveaux, les partis de l’immobilisme seraient en faillite et sans influence.
En quelques siècles, ils renonceraient aux vains désirs : la richesse, le pouvoir, la gloire, aux valeurs qui ne valent rien : l’argent facile, la beauté trompeuse, la jeunesse éternelle, l’exploit éphémère, le voyage dépaysant, le progrès constant. En quelques millénaires, ils renonceraient aux illusions : l’amour pour toujours, le bonheur sans le malheur, la santé sans la maladie, le plaisir sans la douleur ; et aux croyances : à la vie éternelle, à l’âme immortelle, au retour perpétuel.
Ils repenseraient à leur éducateur de la première classe, Homère, et comprendraient enfin ses évidences :
– Ne vous leurrez pas. Il y a la vie. Il y a la mort. Rien après.
– Nous vivons pour rien, alors ?
– Oui.
– La vie ne vaut rien alors ?
– Les nihilistes, les décadents, les râleurs, les mécontents, les fatigués méprisent la vie, gâchent leur vie.
– Rien ne vaut la vie alors ?
– Les hédonistes, les jouisseurs, les rieurs des autres, les contents d’eux, les excités exaltent la vie, gâchent leur vie.
– Comment vivre alors ?
– Il y a la vie, il y a la mort. Nous n’avons que cette vie-ci, ici haut. Telles les générations des feuilles, telles celles aussi des hommes.
– Il faut se laisser vivre, alors ?
– C’est vivre comme une feuille, non comme un homme.
– La feuille ne sait pas qu’elle est mortelle. L’homme le sait. Il faut regarder la mort en face, alors ?
– Oui. Pour vivre vraiment.
– C’est quoi vivre vraiment ?
– Le tragique de notre condition nous donne paradoxalement la liberté. En toute liberté et responsabilité, nous pouvons vivre comme nous le voulons1. Le sens de la vie n’est pas donné ni écrit. À nous de faire qu’il y ait du sens à vivre, que notre vie ait une vraie valeur.
– Quel sens, quelle valeur lui donner ?
– Il nous appartient de mobiliser tout notre être, toutes nos ressources pour vouloir notre vie, avec ses bons et ses mauvais côtés, ses hauts et ses bas, sans plainte, ni récrimination, ni regret, ni prière. Avec gratitude.
– Même pour les morts prématurés ?
– La durée de la vie a, pour chacun, juste la longueur qu’il faut.
– Allez le dire à la mère qui pleure son enfant mort le jour de sa naissance, à celle qui pleure son fils mort à trente ans dans un accident.
– Je n’irai pas le lui dire. Je la laisserai à ses larmes pour ne pas ajouter ma plainte à sa peine. Je l’aiderai peut-être à faire son deuil. Mais le peut-on en pareilles circonstances ?
– Dire : (C’est possible) ça va, à tout ce qui arrive, ne suffit pas à faire sens. Qu’est-ce qui fait sens ?
– J’ai chanté la colère d’Achille sous les remparts de Troie. Je n’ai pas chanté la paix d’un village de vacances du Club Med.
– Mourir en héros pour donner une valeur à ma vie ? Je ne suis pas d’accord !
– Pas mourir. Vivre en héros. Conscient que tu es mortel, tu veux, malgré le néant final, œuvrer pour ceux qui viendront après toi.
– Vivre vraiment, être cause de soi, c’est se vouloir créateur, alors ?
– Oui. Poète de ce que tu croyais superflu :                
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ou poète de
L’aurore aux doigts de rose.
– Penseur ?
– Oui. Penseur de ce dont tu ne voyais plus l’importance parce que tu croyais que l’important, c’était l’homme. Quand c’est la nature. Infinie en grandeur, en durée, en nombre, en complexité, en diversité, en fécondité, en créativité.
– Le Grand homme est-il créateur ?
– À l’échelle de la nature infinie et éternelle, ce qu’il entreprend est inessentiel. À l’échelle de l’homme fini, c’est utile : artisan de la paix ici ou là, combattant de la liberté ici ou là, maître d’œuvre de l’égalité ici ou là, défenseur des droits de l’homme partout, facilitateur de la circulation des hommes et des idées partout, concepteur de projets de développement mutuel pour tous, chercheur somnambule, découvreur funambule pour tous.
Tout cela en sachant qu’aujourd’hui, il est peu évident de transmettre des signes, que le risque est grand de parler pour personne, de signifier pour rien.
Et que ce qui vaut meurt (moins vite peut-être, pas sûr ! mais meurt quand même) comme ce qui ne vaut rien. Suprême acceptation. Suprême héroïsme. Surtout si l’avenir ne dure pas longtemps. Car il y a la vie, il y a la mort. Des individus. Des civilisations. De l’humanité. Aussi. À l’horizon.
 
Jean-Claude Grosse,
1er  mai 2003.
(Fête éternelle de la Nature)
dans Pour une école du gai savoir, Les Cahiers de l'Égaré, 2004


1. Nous pouvons vivre comme nous le voulons, cela veut dire que personne ne peut donner à notre place     le sens que nous voulons donner à notre vie, que personne ne peut nous empêcher de lui donner le sens     que nous voulons, y compris de la trouver absurde, de la vivre n’importe comment, en faisant n’importe     quoi, en la (en se) méprisant.
 

 
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les entretiens d'Altillac 1

Rédigé par JCG Publié dans #jean-claude grosse

Rencontre entre  un cosmologiste
et un philosophe

Marcel Conche et Edgar Gunzig
Altillac, Corrèze,
le 11 novembre 2009



 

Arrivés à 9 H 30, les échanges du matin ont duré jusqu’à 12 H 30. J’ai filmé.
L’après-midi, échanges entre 14 H 45 et 18 H 15. Je n’ai pas filmé.
Le matin, les échanges ont mis en jeu
le cosmologiste, Edgar Gunzig, excellent vulgarisateur, très clair dans ses explications, descriptions, très informé des derniers débats et développements en cosmologie
et le métaphysicien, Marcel Conche, excellent connaisseur des anté-socratiques, très précis dans ses argumentations, définitions, questions, objections.
De l’humour, de la cordialité. Bref, de quoi rendre cette rencontre exceptionnelle tout en restant simple, accessible.
Sur la table, le philosophe a sorti le N° des Dossiers de la Recherche : Le Big Bang, révélations sur les origines de l’univers, ouvert à l’article consacré au cosmologiste.

 

 

Le cosmologiste a sorti Présence de la Nature, essais du philosophe, ouvert au chapitre : Penser la Nature.

 
Il y a une sculpture d’Épicure, un portrait de Montaigne.

 

 

Pour résumer la matinée, il me semble qu’il faut comprendre que le discours scientifique et le discours métaphysique ne sont pas faits pour se rencontrer.

 

 

Le savant parle sur le réel commun, perçu par les sens ou par les sens technicisés permettant de voir ce que l’œil ne peut voir, d’entendre ce que l’oreille n’entend pas. Son discours devrait toujours commencer par Tout se passe comme si… Le savant a à sa disposition des concepts, des métaphores. S’il emploie le mot « énergie », au moment où il l’emploie, il l’emploie comme image et non comme équation mathématique. Le mot rend tangible une abstraction construite. Idem s’il emploie « champ électromagnétique ». Richard Feynman disait qu’il lui était impossible de répondre à la question : qu’est-ce qu’un champ électromagnétique ? Employer le mot « électron », c’est pour la plupart des gens, visualiser un corpuscule alors que l’électron est défini par une équation mathématique. Le cosmologiste a montré avec compétence et clarté comment il fallait comprendre les mots « position » et « vitesse » en mécanique quantique avec les relations d’incertitude ou d’indétermination. Ce qu’il faut assimiler c’est que la « position » ne peut émerger que d’un dispositif expérimental, la « vitesse » d’un autre dispositif expérimental car observer, agir à de si petites dimensions, c’est nécessairement interagir sur les phénomènes observés. En anthropologie, les ethnologues, Lévi-Strauss par exemple, ont aussi montré que l’observateur n’est pas neutre, que la société observée est modifiée par la présence de l’observateur. Comme on le voit, toute imprécision du vocabulaire, toute définition non explicitée, non expliquée va éloigner de la compréhension juste de ce dont parle le savant. Le quidam croira avoir compris, se fera une représentation nécessairement éloignée de la représentation du savant.

 

 

Le métaphysicien parle du Tout de la réalité. Il spécule sur ce Tout, emploie des mots qui sont ceux d’un poète, des images plutôt que des concepts. Le réel du métaphysicien n’est pas celui du sens commun. Pour le philosophe, l’accès au Tout de la réalité relève de l’évidence, une évidence non naïve, une évidence préparée par une contemplation de ce qui se présente, avant toute tentative de mise en mots, avant toute action sur ce qui se présente, contemplation qui n’est donc pas celle du paysan qui voit dans ce qui se présente devant lui, ce qu’il peut y planter, élever… par une méditation insistante, s’appuyant éventuellement sur les métaphysiques de prédécesseurs. Ce qui démarque le métaphysicien du savant, c’est que le métaphysicien saisit ce qui s’offre à l’évidence, ce n’est pas une construction de la pensée, de l’expérience. Le Tout de la réalité s’offre, s’offre à tous. Tout le monde peut en vivre l’évidence. Même si la plupart refusent cette offre. Le Tout de la réalité est d’abord donné avant d’être pensé. Pour le philosophe, le Tout de la réalité, c’est la Nature. Elle est Présence et de distinguer, les significations possibles : la Présence d’avant le temps, d’avant le temps ou étant le temps éternel, la Présence comme présent offert avant d’être l’instant présent, seule réalité du temps. Par la pensée, il peut préciser ce qui caractérise ce Tout, en quoi la Nature n’est pas un monde, n’est pas l’univers ou les multivers des savants, n’est pas un cosmos. Le métaphysicien ne peut qu’avancer des arguments pour disqualifier telle autre métaphysique, celle pour qui Dieu est le Tout, oui mais il y a Dieu créateur et le monde créé, donc Dieu ne contient pas tout. Cet argument convaincant pour le philosophe ne peut l’être pour un croyant d’où le scepticisme pour autrui, préconisé par le philosophe, pour laisser place au pluralisme des métaphysiques.


 

Pour le savant, les arguments sont des preuves : on prouve que la théorie n’est pas fausse à défaut de pouvoir prouver qu’elle est vraie. Le cosmologiste a bien montré que les théories cosmologiques récentes (théorie des cordes, théorie des boucles qui tentent de cerner une éventuelle théorie quantique de la gravitation) ne sont pas falsifiables, autrement dit n’ont pas encore pu accéder au statut de théories scientifiques. Ce sont souvent des théories mathématiques très sophistiquées qui ont permis aux mathématiciens d’aller explorer des domaines nouveaux et grâce à ces théories, les mathématiques sont en plein essor. Mais pour le moment, il est impossible de choisir parmi ces théories, celle dont la falsifiabilité établie la rendrait scientifique.
Malgré cette incompatibilité des deux discours, chacun ayant sa pertinence, sa nécessité, son domaine, son langage, ses démarches, le philosophe et le cosmologiste ont échangé. Ce fut surtout échange de précisions, chacun se mettant à portée de l’autre, au niveau de l’autre.


 

Cet échange permit au philosophe de faire des retours en arrière, d’aujourd’hui à Démocrite et son atome, vraisemblablement mathématique, géométrique mais on a perdu sous les cendres d’Herculanum, le traité démocritéen, d’aujourd’hui à Épicure et son clinamen, cette infime déviation de l’atome qui engendre la créativité de la Nature. Cet échange montra aussi des proximités saisissantes, à ne pas considérer comme des preuves en faveur de, seulement des constatations. Pour le cosmologiste, le vide quantique, source de gravitation répulsive, rejuvénélise l’univers localement, crée des bulles d’univers, à l’infini, dans l’infini toujours en expansion avec des accélérations, des décélérations, sans mort thermique de l’univers contrairement aux théories catastrophistes en vogue il y a quelques années.
Le philosophe fit remarquer que pour lui, la pensée doit s’exprimer dans une langue claire, accessible au plus grand nombre, cela parce que la démarche philosophique part de l’expérience de chacun, de ses intuitions, de ses évidences. La construction vient après : définition des mots, choix des arguments…
L’après-midi fut consacré à des sujets personnels.
Ont été abordés des sujets de société comme l’avortement. L’opposition de principe de Marcel Conche à l’avortement, non contradictoire avec la possibilité dans certains cas de le pratiquer, repose sur ce que dit la mère quand elle apprend qu’elle est enceinte. Elle dit : j’attends un enfant ; elle ne dit pas : j’attends un lapin, un embryon, un fœtus. Donc avorter c’est bien tuer la vie. Cela n’a rien à voir avec le désir ou non d’enfant, avec la possibilité ou non de l’élever : pour l’élever, il y a en général des solutions possibles.

 

 

Sur la disparition de Claude Lévi-Strauss, l’accord sur l’importance scientifique de son œuvre a été immédiat. Par sa recherche d’invariants, de structures communes à des corpus les plus larges possibles, regroupant le plus possible de cultures et leurs productions symboliques, Lévi-Strauss avait bien une démarche scientifique. Qu’il s’agisse des systèmes de parenté, de la position centrale de la prohibition de l’inceste pour assurer le passage de la nature à la culture, de la structure des mythes, il a réalisé avec d’autres un énorme travail d’inventaire de la diversité des productions symboliques humaines, avant disparition sous le rouleau compresseur de la technique et de la finance (300 langues disparaissent actuellement et annuellement). Je me souviens quand je faisais mes études d’ethnologie à la Sorbonne vers 1964 m’être intéressé aux Fuégiens de Patagonie et Terre de feu : il ne restait qu’une Fuégienne, questionnée par une ethnologue avant disparition de cette société et culture. En 2008, est paru : Quand le Soleil voulait tuer la Lune, rituels et théâtre chez les Selk’nam de Terre de feu d’Anne Chapman. Elle évoque Lola Kiepja, cette dernière fuégienne, morte en 1966. Par sa recherche sous cette diversité de ce qui est commun, invariant, Lévi-Strauss a montré si besoin était que même les hommes les plus démunis ont une pensée, une logique, que cette pensée sauvage a bien des points communs par ses opérations avec nos façons de penser. Autrement dit, il a dégagé pour une culture d’exclusion comme la nôtre, ce qu’il y avait d’humanité, d’universalité chez ceux que nous voulions exclure, exterminer. De cette œuvre se déduit éventuellement mais non nécessairement un relativisme culturel, une idéologie avec ses conséquences : si tout se vaut alors rien n’a de valeur mais ce n’était pas la position de Lévi-Strauss qui récusait notre prétention à la supériorité sur les autres et qui voyait dans cette prétention de supériorité de l’homme sur la nature, sur les animaux,  la matrice qui avait conduit à cliver les hommes entre eux jusqu’à éliminer ceux qui ne rentraient pas dans le cadre : nègres, juifs, tziganes… Lévi-Strauss était très pessimiste sur l’avenir de la Terre et de l’humanité, essentiellement à cause de la démographie galopante. Aujourd’hui, il semble que ce soit moins la démographie qui doive inquiéter que les conséquences écologiques de la prédation humaine.
Par suite en politique aujourd’hui, la question de la décroissance est centrale et applicable à chacun dès maintenant, le renoncement à tout ce qui est superflu relevant de notre responsabilité individuelle et pas seulement de décisions planétaires, de taxes carbone et autres mesures gouvernementales.
Je remarque au passage que les propositions de Solidarité et Progrès de Cheminade et LaRouche supposent une métaphysique (qu’ils explicitent d’ailleurs), avec laquelle ils justifient leurs grands projets (ils sont contre le mouvement écologiste, contre la décroissance) mais la pluralité des métaphysiques, l’impossibilité en métaphysique d’apporter des preuves, l’impossibilité donc de convaincre quelqu’un qui est convaincu par autre chose, tout cela fait que ces propositions qui leur paraissent évidentes, nécessaires ne le sont pas pour d’autres ce qui les conduit non au scepticisme pour autrui comme Marcel Conche mais à la polémique stérile, à des accusations légères ou lourdes sur Lévi-Strauss par exemple. Il serait bien que ce mouvement accueille le scepticisme pour autrui comme attitude politique.

 

 

Toujours en politique, Marcel Conche choisira toujours le grand homme qui œuvre pour la paix universelle. D’où son rejet de Mendès-France qui en Indochine signa une paix créant deux VietNam ce qui nécessairement allait conduire à une guerre interminable, terrible. D’où son rejet de Guy Mollet et de Mitterrand qui s’engagèrent dans la guerre d’Algérie, camouflée sous le nom d’opérations de police intérieure. D’où son admiration pour de Gaulle, l’homme inattendu du 18 juin 1940, l’homme de l’indépendance de l’Algérie, l’homme du discours de Phnom-Penh, non entendu par les Américains, l’homme de l’indépendance de la France par rapport aux Américains, par rapport à la Bourse, l’homme qui voulut avec son référendum de 1969 sur la participation partager les profits… Bref, le plus grand homme d’état que le monde ait connu, démoli par de l’anti-gaullisme primaire par les communistes, les socialistes et la droite réactionnaire.

 

 

Quant à la mort, Marcel Conche a eu cette question : que m’enlève-t-elle ? Elle m’enlève ce que je suis maintenant, en aucun cas ce que j’ai été, ce que j’ai fait. À 87 ans et demi, elle ne peut pas m’enlever l’œuvre accomplie dont mes traductions commentées d’Anaximandre, Héraclite, Parménide, Épicure, Lao-Tseu, mes études sur Pyrrhon, Lucrèce, Montaigne… La seule chose que je peux craindre c’est le mourir, comment vais-je mourir, dans la quiétude d’un sommeil, dans la souffrance d’une maladie. Il sera temps d’aviser.
 

Jean-Claude Grosse, le 15 novembre 2009

 
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