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Blog de Jean-Claude Grosse
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Mayacumbra / Alain Cadéo

28 Mars 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

Mayacumbra / Alain Cadéo

Mayacumbra

Alain Cadéo

Editions La Trace, 2019

 

La lecture de ce roman d'Alain Cadéo, 417 pages, m'a pris environ quinze jours mais j'ai lu en un jour les 150 dernières pages. Parce que ça s'emballe. Un mauvais pressentiment. Et il suffit de penser mauvais pressentiment pour que ça arrive. Car le réel n'est que la projection, la réalisation de nos pensées, désirs, rêves. On est en pleine moussemouise aussi, quantique. Ce qui n'était pas se met à exister parce qu'un désir le fait exister. Désirs de vie, désirs de mort, éros et thanatos. 

Mayacumbra est le roman d'un éveillé. Cela est rare. Cela donne lieu à des bonheurs d'écriture innombrables. Un éveillé c'est-à-dire un homme qui sent, éprouve, vibre, au plus intime, du plus infime à l'infini, du moment présent, ici et maintenant à l'éternité installée dans ce moment présent, un homme qui ressent combien tout est relié parfois en harmonie, en grâce, en beauté, parfois en chaos, en conflit, en violence. C'est la qualité d'éveil de l'homme qui est le tremplin de l'écriture, inspirée, traversée de l'écrivain. Qui écrit ? L'homme, l'écrivain, la Voix derrière, la Source, la Bouche d'Ombre, la Bouche de Lumière, le Vide à haut potentiel d'où tout jaillit en fragmentation comme lave d'un volcan, la corne de Dieu.

Mayacumbra c'est une géographie à 4 niveaux, 

  • la forêt humide où vivent les hommes invisibles, sans doute une tribu primitive, très organisée, adaptée à ce milieu, ce climat d'insectes, de serpents, d'animaux venimeux et d'oiseaux comme les ibis, aux environs de 1000 mètres d'altitude

  • la zone tampon, faite d'arbustes, buissons, herbes de toutes sortes, une sorte de bush entre 1000 et 1500 m

  • la zone du volcan éteint, la corne de Dieu, entre 1500 et 2300 m avec 3 étages / l'étage de la source qui, abondante, transforme le bas en bourbier, on patauge dans la boue à Mayacumbra, / la plateforme à 2000 m, où le jeune Théo, 27 ans, va s'installer, construire sa cabane, son refuge en bois puis l'habiller de pierres du volcan, choisies et jointées par ses mains et au-dessus jusqu'au sommet, jusqu'au cratère, / une zone de laves sèches, sans végétation

  • et si avec un camion, on descend la piste sinueuse puis la route droite, on arrive à la ville à environ 50 kms de Mayacumbra, fin de piste, rien après, cul de sac ; la ville et ses trafics, ses marchés, ses plaisirs monnayés, ses tentations, ses mystères et secrets (celui de Lisbeth)

Mayacumbra, ce sont de drôles de zozos, de drôles d'oizeaux, des hommes cabossés, en fuite, au bout du rouleau, au bout de la piste, en quête d'absolu, d'argent, d'émotions fortes, d'invisibilité, d'amour, de chair humaine ; s'y côtoient les contraires qui s'assemblent, les semblables qui se supportent jusqu'à ce que ça craque ; je ne donnerai pas leurs noms ; il y a une vraie jubilation à les découvrir ainsi que leur portrait, leurs actions, leurs interactions ; il y a deux femmes, la chinoise et Lita, la magnifique Lita, jeune femme entre trois mondes, médiatrice entre la forêt et le volcan, entre le marais et le bush, femme entre deux hommes, parlant d'elle à la 3°personne quand elle monte à la cabane voir celui qui se considère comme le gardien du volcan, Théo, le bâtisseur, contemplatif et actif « tu lui liras ? tes mots lui font du bien ; elle se souvient de tes phrases ; en bas elle se les récite ; c'est comme une prière »là-haut, à 2000 m, sur une plateforme protectrice, la solide cabane qu'a construite Théo, 27 ans ; il cultive son jardin, cherche des pierres, aime Lita (il la rêve, elle viendra à lui), il tient son cahier de formules comme Montaigne en sa librairie, il sculpte érotiquement les poteaux porteurs de son refuge en compagnie de Ferdinand, l'âne; il est le facteur Cheval, le Gaudi du volcan.

Mayacumbra, c'est un roman de confinés aux confins du monde quand la vie, résumée aux petites habitudes, aux détails du quotidien pesant, soudain devient Vie par la part divine en nous, la part du jeu, de l'invention, de la créativité, la part du rêve éveillé, la part d'une graine qui envahit tout (le corps, le coeur, l'âme, l'espace) puis disparaît aussi vite qu'elle est apparue, la joie, quand aussi se déchaîne le Mal, la violence, la mort atroce, infligée par des hommes, quand enfin le feu, destructeur et salvateur à la fois, du volcan, bien vivant, de très ancienne mémoire, se déverse en lave en fusion emportant tout sur son passage, y compris la cabane et statufiant Théo. 

C'est un roman de vibrations (p. 248) et pour l'écrire, il faut être un diapason et au diapason.

retour sur Mayacumbra : on ne se débarrasse pas d'un tel roman en une note de lecture puisque lire c'est écrire l'oeuvre 
la mort est fort présente à la fin et c'est par ce thème que se termine le roman
Mayacumbra se termine par la lavification, la pétrification de Théo, gardien auto-proclamé du volcan et qui avait su, pu tisser des liens (vibratoires, au diapason) avec lui
avant l’éruption, une série d’assassinats particulièrement cruels, à froid, sadiques au possible, 3 assassins, 3 sortes d’assassins, Arnosen, le muet, Solstice, trois sortes de motivations
le nettoyage a été fait par Solstice, on peut penser que l’écrasement du muet libèrera le village mais l’absence d’Arnosen prive le village d’une sorte de régulateur, protecteur
survit Solstice qui, sûr, va se barrer; il a l'étoffe pour une nouvelle vie
Théo, le poète, le bâtisseur, statufié par la lave en fusion, se retrouve vite au milieu d’un petit jardin fertilisé par la lave (c’est toujours les fougères qui apparaissent en 1°, 3-4 ans après, vu à La Réunion)
par sa mort, il devient légende et protecteur bien plus efficace de cette zone entre 1500 et 2300 m car hommes invisibles de la forêt et petits blancs du village craignent les légendes, toujours chargées de menaces
l’éruption n’est pas rétablissement d’une justice immanente, elle coïncide avec des événements humains, une séquence violente et cruelle, l’éruption détruit et fertilise; le poète-bâtisseur est victime consentante par son obstination à monter, comme un sacrifice
il acquiert une dimension de légende par la parole d’autrui; d’être de chair, de poète avec ses mots, de bâtisseur avec ses mains, il devient poète de légende, porté par les mots des survivants et de leurs descendants, il s’est multiplié (il est multiplié) comme les petits pains; sa légende est à l'opposé de ce qu'il a été; vivant, c'est un voyant; pétrifié, c'est un rebrousse-chemin, un épouvantail
le paradoxe de ce roman est que ça finit « mal » alors qu’on avait affaire à un personnage fabuleux Théo, nous faisant aimer, la Vie, la Joie, l’infini, l’éternité, le présent et la présence, amoureux délicat, presque à l'ancienne; et tout bascule suite à un mauvais pressentiment, tout bascule dans la mort donnée à coeur joie et dans la mort donnée sans état d’âme (quoique) par le volcan
le roman nous laisse sur un mystère, le sort de Lita, la femme magnifique parlant d’elle à la 3° personne, comme absente d’elle-même alors qu’elle est si présente, si vivante au contact de Théo; on a aimé, on aimera encore cette chimère; bienvenue Lita dans les rêves où je t'inventerai

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Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or / Pacôme Thiellement

23 Février 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse

Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or / Pacôme Thiellement

Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or

Pacôme Thiellement

Massot Éditions, 16 janvier 2020

 

Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or de Pacôme Thiellement est un récit initiatique nourri des souffrances de l'auteur, en amour, en amitié, professionnellement, politiquement, dans le milieu familial, dans son corps, sa sexualité, ses voyages hors du corps, dans ses rêves et cauchemars … souffrances provoquées par ce paradoxe : nous aimons ce que nous n'aimons pas, nous voulons ce que nous ne voulons pas, nous savons ce que nous ne savons pas... ; nous sommes complètement à l'ouest, complètement à côté de la plaque, nourrissant les riches, les politiques, les célébrités, les journalistes main-stream qui nous chient dessus et nous bouffent et avec nous, les animaux, les végétaux, la Terre, en bouffant leur bouffe industrielle et empoisonnée, en allant voter, manifester, en regardant leurs émissions débiter leurs mensonges, en les enviant tout en leur en voulant. Focalisés sur ce qu'ils nous présentent, proposent, nous passons à côté de l'essentiel, notre pouvoir, le pouvoir d'aimer ce que l'on aime, de vouloir ce que l'on veut, de savoir ce que l'on sait, de faire ce que l'on fait, d'être ce qu'on est. S'appuyant sur l'art de la guerre de Sun Tzu, sur les 36 stratagèmes (Traverser la mer sans que le ciel le sache,  Assiéger Wei pour secourir Zhao, Assassiner avec une épée d'emprunt,  Attendre en se reposant que l'ennemi s'épuise, Profiter de l'incendie pour piller et voler, Bruit à l'est / attaque à l'ouest), sur les textes de la bibliothèque Nag Hammadi, découverts en 1945, écrits gnostiques fondant ce qu'il appelle la révolution gnostique ou La Victoire des Sans Roi (titre paru aux PUF en 2017), il décrit comment petit à petit, il s'est construit comme un guerrier d'un type particulier parce que le bonheur est un art de la guerre mené pour devenir comme dit Krishnamurti, mais aussi l'ami Marcel Conche dans son dernier livre La nature et la beauté p.30-31, indifférent, je me fiche de ce qui peut arriver, apprendre à « se foutre des choses sans cynisme, sans désespoir, avec une gentillesse sincère, une générosité authentique, une bienveillance totale » (pour Marcel, la bonté est la vertu suprême p.31), que cela arrive dans le monde ou nous arrive, rupture d'amour, d'amitié, échec professionnel, fin du monde en cours, politique du désastre et du chaos... ; sur fond de ce détachement, de cette indifférence peut se développer notre capacité à transformer, à transmuter la crasse en or ; un échec amoureux étant transmuté en amour de l'Amour (c'est moi qui brode), de multiples non-bandaisons ou troubles de l'érection étant transmutées en accueil de la part féminine (voilà une dimension qui semble avoir échappé à Pacôme, je la lui signale), des trahisons d'amitié étant transmutées en vigilance (de quels amis ai-je vraiment besoin, très rares nécessairement ; là encore, une dimension me semble lui échapper, la nécessaire solitude tendant vers le silence / apprendre à fermer sa gueule / Pacôme est pour le moment intarissable)... L'arme du combat avec et contre le monde du miroir, le monde du Démiurge, le monde de la culpabilité, de la participation à la mise à mort du vivant (entendre les cris des animaux conduits à l'abattoir devrait suffire à nous faire renoncer à la viande, manger cette vie violentée puis transformée en mal bouffe c'est accepter de devenir viande violentée à son tour), de la vie dont la nôtre, c'est le boycott, en premier de la télé, éteindre sans chercher à justifier, à sauver quelques émissions, boycott de la viande, de la mal bouffe, boycott du vote et de tout combat soi-disant politique ; ne pas ajouter de la violence à la violence ; non-violence, désobéissance. 

Dans ce récit très intime, convoquant de grandes traditions spirituelles et guerrières, il y a deux moments particulièrement forts et émouvants, la mort de sa chatte, Yume et celle de son père. Par le fait de les avoir vus, après leur mort, il est amené à donner une interprétation de l'expression « ressusciter dans la vie ». Dans l'évangile de Philippe, Jésus dit « ceux qui disent qu'on va mourir et ressusciter ensuite sont dans l'erreur ; celui qui n'est pas ressuscité avant de mourir ne connaît rien et il mourra. » Il continue de parler à sa chatte, avec son père ; ce dialogue vivant avec les morts est l'occasion si on aime ceux qu'on aime de transmuter la souffrance du deuil en amour car ce que les morts nous transmettent, c'est de l'amour, ils sont devenus amour, force agissante, de l'or.

Pacôme Thiellement a 45 ans. Son univers est foisonnant, ses références surprenantes ; c'est un enfant de certaines BD, de Twin Peaks, des Beatles ; c'est un touche à tout, musique, écriture, cinéma. Il a une bonne pratique des réseaux, de certains médias, pas main-stream, il sait faire parler et parler de ce qu'il fait. Son livre me propose une vision du monde et de ce que nous pouvons y faire qui ne correspond pas à ce que je suis devenu avec presque 35 ans de plus mais à celui que j'ai été, un guerrier pour ce qui me semblait juste, que ce soit comme professeur de philosophie ou comme directeur d'un projet artistique ou comme citoyen engagé dans la vie publique (jusqu'en 2008). 

Le projet de transformer la merde en or, la crasse en or, la boue en or (Baudelaire dans l'épilogue de Mon coeur mis à nu)  suppose 

d'abord de croire que le monde est de la merde (je l'ai cru jusqu'à il y a peu, l'arrivée de mic€on, de trump, bolsonaro au pouvoir me renforçant dans mon dégoût de ce monde mais je ne vois plus les choses ainsi; arrivés au pouvoir par des élections, ils y sont avec le soutien des gens les ayant choisis; les souffrances infligées au corps social, à la planète, volontaires, peuvent, doivent être conscientisées individuellement et collectivement pour une élévation de conscience), suppose 

ensuite un changement de regard, un changement de vision, une exégèse de la vie, de sa vie qui met l'accent sur un combat, nécessaire, vital, donnant sens, direction à la vie, à sa vie; le bonheur est un sport de combat, la justice, l'égalité sont des sports de combat avec leurs règles, leurs objectifs... 

Il me semble que mon cheminement spirituel, plus récent que le sien, a pris d'autres voies. Appuyé sur ma « compréhension » de la métaphysique de la Nature de l'ami Marcel Conche, presque 98 ans, sur les connaissances apportées par la science la plus récente en lien avec l'épigénétique (je suis une master-class de Bruce Lipton, La biologie des croyances, passionnante) et surtout interpellé par la question transmise par l'épousée dans son testament oral le 29 octobre 2010 « je sais que je vais passer, où vais-je passer ? », c'est métaphysiquement que j'ai cherché ; de l'évidence du never more (ce qui est passé est passé) se transformant en for ever (il sera toujours vrai que ça a eu lieu), je suis allé vers l'éternité d'une seconde Bleu Giotto, j'ai rencontré par livres et méditations Deepak Chopra, Eckart Tolle et d'autres pour m'intéresser aujourd'hui aux enseignements de Jean Yves Leloup qui lui aussi a une grande connaissance des textes gnostiques et en fait un usage différent de Pacôme. 

Mon renoncement définitif à la radio, à la télé remonte au 11 septembre 2001. J'ai compris dans les 5' aux commentaires de France Inter qu'on était en pleine manipulation. J'ai écrit un théâtre à vif là-dessus. Mon militantisme révolutionnaire a duré 12 ans (1969-1981). J'ai pratiqué l'abstention deux fois (2° tour de 2002 et 2° tour de 2017). Ce sera systématique dorénavant. J'ai mis trop de temps à admettre que la politique est ce qu'elle est, le lieu des luttes de pouvoir toujours au service des riches, des puissants, élites, oligarchies, les valeurs et programmes ou promesses ne servant qu'à gruger les gogos que sont les électeurs votant pour des représentants donc se dépossédant de leur pouvoir constituant. Je suis devenu favorable au RIC. Le renoncement à la viande, au foie gras remonte à 2015. Très méfiant vis à vis du veau d'or, l'argent, ce que j'ai aimé, voulu, réalisé, je l'ai fait bénévolement, création du festival de théâtre du Revest-direction artistique de la Maison des Comoni (1983-2004), Les Cahiers de l'Égaré depuis 1988 en lien avec deux mandats de conseiller municipal (1983-1995). Sur le plan amoureux, j'ai opté pour la durée, la fidélité (46 ans de vie commune, sans ennui, avec hauts et bas, petites trahisons, pardons, mises en mots des malaises...)

Marcel Conche va vers 98 ans. Jean Yves Leloup a 70 ans. Je vais sur 80. Pacôme qui a déjà beaucoup cheminé, cheminera encore, vers une vision moins dualiste, plus Une. Et vers le silence dans la solitude. Guerre ou paix.

Jean-Claude Grosse

23 février 2020


 

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Le Consentement / Vanessa Springora

18 Février 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #JCG, #notes de lecture

Le Consentement / Vanessa Springora

Le Consentement

Vanessa Springora

Grasset 2 janvier 2020

 

Ce récit de 210 pages, je l'ai lu en deux jours, les 17 et 18 février.
J'ai laissé passer l'effet médiatique en lien avec la sortie du livre, le 2 janvier et l'émission de La Grande Librairie du 6 janvier, entièrement consacrée à l'auteur et à son récit. Émission très digne.

Depuis la sortie du livre, dans la bataille engagée entre autres par les féministes contre la domination du mâle, contre le patriarcat, il y a eu la démission collective de l'académie des Césars. À quand la démission des dirigeants de la cinémathèque française ? Ce qui est en jeu, là, c'est l'explosion en cours du statut hors-normes de l'artiste.

Suite au Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust, on en est encore à dissocier l'artiste et l'homme, à donner un statut à part à l'oeuvre et à l'artiste, à placer l'artiste dans un monde soustrait aux normes juridiques, éthiques, morales, aux luttes politiques. 

Proust affirme qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices, reprenant le mot vices de Sainte-Beuve. " Quel était son vice ou son faible ? ". Le fait de savoir Proust homosexuel peut-il être absolument indifférent à notre lecture de La Prisonnière, à notre interprétation de ce que son narrateur dit des femmes, de l'amour, de la jalousie, etc. ? Proust par son entreprise de séparation entre le moi créateur et le moi social tente de barrer la route à une lecture de son homosexualité à l'oeuvre. 

Cet article est éclairant : 

https://www.fabula.org/atelier.php?Proust_contre_Sainte%2DBeuve

L'art pour l'art au XIX ° siècle refuse toute fonction didactique, morale, politique, utile de l'art. L'art est autotélique, il s'accomplit de lui même soit un poème s'écrit pour le pur amour de la poésie.

Matzneff écrit pour le pur amour des jeunes filles et des tous jeunes garçons.

Toute licence en art. Mot d'ordre du Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, rédigé par Trotski et signé André Breton-Diego Rivera, publié le 25 juillet 1938. Pas de censure en art. Pas d'objectif même d'édification révolutionnaire, genre réalisme socialiste. « Si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle elle doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. » Matzneff ne s'inscrit pas dans un dessein révolutionnaire, ce n'est plus à l'ordre du jour. Il est nettement anti-bolchevik en tant que descendant d'aristocrates russes blancs. Mais il est un anarchiste de la liberté individuelle. Il transgresse toutes limites, se cache et se montre, présente ses conquêtes en public et les étale à longueurs de pages après les avoir étalées sur son lit.

Si j'ai un peu rappelé ces données, c'est parce que ce sera et c'est encore la ligne de défense de Gabriel Matzneff. Le vice du moi social de l'homme Matzneff, sa pathologie, son addiction, c'est l'éphébophobie, la pédophilie, la pédocriminalité. Le moi créateur du grand écrivain, reconnu, primé, courtisé transmute ce vice en or, un peu comme Baudelaire dans Mon cœur mis à nu, Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or ou Pacôme Thiellement, Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or.

Il y a un contexte idéologique encore très fort qui permet au créateur-prédateur de s'exonérer de sa pédocriminalité au nom de son œuvre sublime, collection d'amours sublimes, même dans son Journal, collection d'abus sexuels sans consentement, qui a permis et permet aux lecteurs de ces œuvres de s'exonérer de tout jugement critique, de toute condamnation, de tout boycott, qui a permis jusqu'à il y a peu, l'édition sans censure de ses œuvres. La jouissance sans entraves de Matzneff avec des enfants et adolescents au nom de leur initiation sexuelle comme matière littéraire et au nom du statut à part du génie créateur transgressif n'est pas du seul fait de cet homme à pathologie grave. C'est tout un courant libertaire, d'anarchie sexuelle, toute une période de l'histoire contemporaine (années 1968-1990), toute une conception de l'artiste qui ont permis ce qui nous semble aberrant et condamnable aujourd'hui et qui a fasciné Vanessa Springora (le monde des écrivains) qui n'arrive pas à cette étape à dépasser son étonnement, ses questions sur l'impunité de Matzneff, la complaisance à son égard de tout un tas de milieux, édition, presse, institutions publiques, prix littéraires, intellectuels de gauche.

Évidemment, la lecture de son récit nous permet de comprendre pourquoi elle ne réussit pas à cette étape à saisir son histoire dans son contexte historique, idéologique. Elle a été séduite à 14 ans. Le contexte familial y est pour beaucoup, un père absent, démissionnaire, passé aux oubliettes. Une mère particulièrement laxiste, traitant sa fille comme une adulte, donc libre de ses choix et d'en assumer les conséquences. Une mère qui semble n'avoir pas changé sa position. Au moins demander pardon. Relation conflictuelle donc, non résolue. L'histoire de sa relation avec Matzneff est décrite avec précision. Pas de détails croustillants sur leurs ébats. Les passionnés du grand auteur ne trouveront pas matière à baver. Pas de détails non plus sur son éveil sexuel, sa sensualité, son initiation, son éducation inspirée selon l'initiateur par les Grecs de l'antiquité. Découverte progressive qu'elle n'est pas l'Unique, que l'hameçon pour toutes, ce sont les mots d'amour, les lettres. Découverte progressive des mensonges, manipulations, impostures. Peut-être même lettres de dénonciation pour pimenter la relation. Des moyens de l'emprise. Toujours là, sortie d'école, lettres, rendez-vous, rituels... Rupture définitive à 16 ans. Découverte du harcèlement sous toutes ses formes. Lettres envoyées à sa mère, à sa patronne. Usage sans autorisation de ses lettres, de ses photos. Dépossession totale, elle devient un personnage littéraire, immortalisé par l'écrivain, un être de papier et de mots, à l'opposé de leur histoire et barrant la route à sa vie à venir. Impossibilité d'acter en justice. Le site internet de l'auteur est basé en Asie, disparu depuis le 30 décembre. Pour les droits d'auteur il a un ténor du barreau en ce domaine. Efforts désespérés pour sortir de cette relation devenue toxique : dégoût des hommes, des rapports, errance, abandon de scolarité, drogue, alcool, cigarettes, thérapies. Implacable récit de ce que Matzneff se refuse à lire, à entendre, persistant dans son déni, incapable d'entendre les souffrances de sa victime, incapable de se reconnaître comme telle pendant des années (comment  admettre qu'on a été abusé quand on ne peut nier avoir été consentant) et pas encore libérée, réparée, reconstruite. Même si elle a trouvé l'homme avec lequel elle construit une vie de femme, de mère. Ce récit vaut par ses détails pour toute victime, dite consentante, se vivant même comme consentante puisque qui ne dit mot consent, consentir à quoi à 14 ans ? 30 ans pour réussir à mettre le mot victime sur ce qu'elle a vécu. Le prix payé par Vanessa et par les autres justifie l'emploi du mot vulnérabilité quand on parle d'enfant, d'adolescent, de leur sexualité, de leur difficulté à discerner, et des effets dévastateurs des abus sexuels. J'ai été touché par ce qu'a vécu Vanessa. Limite insupportable, l'épisode psychotique. Limite grotesque, ce que lui dit Cioran devant son désarroi, votre rôle est de l'accompagner sur le chemin de la création (page 141).

 Merci à elle au nom de toutes les victimes.

Page 150, une anecdote sans doute révélatrice dont s'est saisie Chantal Montellier pour écrire Dans la tête de Gabriel Matzneff.

À ma grande surprise, G. m'avoue que oui, il y a bien eu quelqu'un, une fois, quand il avait treize ans, un homme proche de la famille. Il n'y a aucun affect dans cette révélation. Pas la moindre émotion. (Et pas trace dans son oeuvre, cadeau dit-elle à celle qui peut l'entendre peut-être, sans le juger.)

Dans sa rencontre avec Nathalie, elles reviennent sur sa pathologie, quand il est avec des filles toutes jeunes, tu vois, il se sent comme un gamin de quatorze ans, c'est pour cette raison sans doute qu'il n'a pas conscience de faire quoi que ce soit de mal. (page 198)

En conclusion, je relève comme elle, la boucle réalisée par Vanessa, jeu de son inconscient. Piégée à 13-14 ans par le monde des livres, dans les livres d'un écrivain célèbre qui l'a charmée, qu'elle a aimé, après 30 ans de dégoût pour la littérature, elle est devenue  éditrice et l'auteure d'un livre qui piège son piégeur, démonte sa machinerie machiavélique, démasque son imposture.

Il est temps juridiquement de protéger enfants et adolescents, tous vulnérables, à considérer comme tels, de ces prédateurs.

Il est temps de s'éduquer à une sexualité respectueuse de l'autre, mais cette éducation demandera des millénaires.

C'est l'objet de mon texte Your last video (porn theater).

Lecture publique le vendredi 17 avril à 19 H 30 à la Maison des Comoi au Revest.

 

Le 18 février 2020

article important, 2003, pédophilie, sexualité et société de Cécile Sales

https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-1-page-43.htm#

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Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat

3 Janvier 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #poésie, #écriture, #notes de lecture

Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat


Une révolution sexuelle ?

Réflexions sur l'affaire Weinstein

Laure Murat

collection Puissance des femmes

Stock

 

Ce livre est sorti en décembre 2018. Il a été écrit entre Paris, 25 décembre 2017 et Los Angeles, 4 juin 2018, collant à l'actualité de l'affaire Weinstein, 5 octobre 2017 (révélations de plusieurs femmes sur les comportements sexuels et dominateurs de Harvey Weinstein, publiées par le New York Times) - 25 mai 2018 (arrestation d'Harvey Weinstein).

Laure Murat enseigne à UCLA (l'université de Californie à Los Angeles). Dans le cadre d'un séminaire De l'affaire DSK à l'effet Weinstein. Sexe et politique en France et aux USA, au printemps 2018, elle a échangé de nombreuses informations et discuté en profondeur avec ses étudiants.

Ce livre est donc l'occasion de comparer les réactions dans deux pays suite à ces révélations et procès et de confronter les points de vue de deux générations dont la génération 2.0, celle des réseaux sociaux sur les faits évoqués impliquant personnes influentes et institutions puissantes, faits sociaux globaux selon la définition de Marcel Mauss

(« Les faits que nous avons étudiés sont tous des faits sociaux totaux, c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions (potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions, en particulier lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt des individus. » Marcel Mauss, Essai sur le don)

Contexte de lecture. J'ai lu cet essai en 3 jours, fin décembre 2019, soit un an après la parution et en pleine activation de l'affaire Gabriel Matzneff, avec l'annonce de la parution du livre Le consentement de Vanessa Springora chez Grasset. Quelques semaines avant, c'était l'affaire Adèle Haenel suivie des réactions féministes contre les hommages à Roman Polanski avec la sortie de son film J'accuse et le comportement ambigu de Costa-Gavras, président de la Cinémathèque françaiseLe contexte, c'est aussi le combat contre les féminicides (149-150 en 2019 en France), le Grenelle contre les violences conjugales dont les résultats sont très en-dessous des attentes des associations oeuvrant sur le terrain. Je l'ai donc lu dans un contexte très agité, très polémique car les « accusés » ne sont pas sans réactions. Lire par exemple la lettre de Gabriel Matzneff à V., parue dans L'Express. Ils ne font pas amende honorable, ne s'excusent de rien, ne demandent pas pardon et semblent intouchables. Ils ont accès aux médias, trouvent des défenseurs.

 

https://www.lexpress.fr/culture/livre/gabriel-matzneff-ce-livre-je-ne-le-lirai-pas_2113239.html

 


 

 

 

A propos du cas Matzneff, j'ai publié ce matin sur Twitter un petit thread, en écho à la récente et utile chronique de Mathilde Serrell

https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-transition-culturelle-du-jeudi-26-decembre-2019

Comme il semble que les lectrices et lecteurs le trouvent utile, je me permets de le reprendre ici. 

Mathilde Serrell invitait donc, l'autre matin, à se pencher sur la manière dont l'éloge de la transgression aurait changé de camp, en devenant aujourd'hui l'étendard de la pensée conservatrice. Cela me suggère trois séries de remarques.

1. D'abord, c'est vrai : la critique de "l'ordre moral" est devenue l'un des arguments préférés de ceux qui défendent la préservation des hiérarchies et des dominations existantes. Dès lors, l'éloge de la transgression trouve facilement à s'insérer dans la rhétorique plus générale de "l'incorrection politique" dont se revendiquent les tenants du camp conservateur.

Pour autant, je ne crois pas qu'on puisse en déduire a contrario que la transgression ait été, dans les années de l'après-1968, un étendard progressiste ou une catégorie de l'émancipation. Pour le dire simplement : l'idée de transgression est inséparable d'une référence à la loi que l'acte transgressif vient à la fois briser et élever à une forme de dignité supérieure - si ma liberté consiste à transgresser, alors elle trouve la loi pour aiguillon et pour foyer. On trouve cela assez bien dit dans le texte "Préface à la transgression" que Foucault consacre à Georges Bataille, en 1963 (à une époque où pourtant Foucault est encore assez bataillien) : il y a un pas de deux entre transgression et limite qui ne se laisse pas dénouer. Et s'agissant de Foucault, on pourrait dire que La Volonté de savoir en 1977 est un livre entièrement consacré à la critique de l'idée selon laquelle l'émancipation pourrait s'exercer dans la forme de la transgression. En bref : si l'éloge de la transgression sert aujourd'hui à justifier les positions les plus indéfendables, ce n'est pas d'hier que cette catégorie apparaît suspecte, par les volte-face qu'elle autorise avec l'amour de la loi.

2. Si basculement historique il y a, je ne le situerais donc pas dans ce renversement où l'idée de transgression serait passée de gauche à droite. Il me semble que pour le décrire il faudrait retracer deux transformations profondes dans l'économie du discours. La première transformation concerne la relation entre les concepts de désir et de consentement, et la façon dont ils ont pu être politiquement mobilisés. a) Le discours sur la libération des moeurs auquel on reproche d'avoir rendu possible une forme de bienveillance envers la pédophilie ne s'articulait pas tant en termes de transgression qu'en termes de libération du désir (et d'un désir délié de la référence psy à la Loi). b) Et face à ce discours, la référence au consentement pouvait apparaître comme compromise avec un ordre juridique qui (il est important de le rappeler) différenciait la majorité sexuelle selon qu'elle concernait les relations hétéro- ou homosexuelles. A mon sens, on ne comprend pas comment l'éloge de la pédophilie a pu se placer dans le sillage de la lutte pour les droits des homosexuels, si l'on ne se souvient pas comment l'ordre juridique établissait une continuité entre homosexualité et pédophilie (selon une disposition de 1942 qui ne sera abrogée qu'en 1974, il ne pouvait être donné de consentement valable pour un acte à caractère homosexuel qu’à partir de l’âge de 21 ans, alors qu’il était de 13 ans pour les actes hétérosexuels). C'est pourquoi la revendication d'abaissement de l'âge du consentement était l'un des chevaux de bataille de la lutte pour les droits des homosexuels, en France comme au Royaume-Uni (cf le 1er album de Bronski Beat : "The Age Of Consent")

On voit assez bien malheureusement comment, de cette affirmation du désir contre les restrictions abusives que le droit imposait au nom du consentement, certains ont pu glisser vers l'idée que la satisfaction du désir pouvait se passer de l'épreuve du consentement.

3. Deuxième transformation : les années 1970 sont, me semble-t-il, traversées par une critique des effets répressifs de la notion d'enfance, au nom d'une affirmation de la jeunesse comme sujet politique. L'idée est alors que l'enfance, et l'assignation à l'enfance, est une façon de renvoyer toute la jeunesse à sa minorité politique et de la condamner au silence (Lyotard le rappelle souvent : l'infans, c'est celui qui ne parle pas, etc). Là encore, on voit bien comment la critique de la catégorie d'enfance au nom du droit de la jeunesse à s'exprimer, à vivre et à agir, a pu être instrumentalisée et devenir une sorte de blanc-seing pour se comporter, vis-à-vis d'enfants, comme vis-à-vis d'adultes.

En bref, à mon sens, sur leur versant progressiste les années 1970 ont été non vouées au culte de la transgression, mais traversées par une double référence au désir et à la jeunesse, et par une double défiance envers l'encadrement juridique du consentement et l'instrumentalisation politique de l'enfance. C'est cet héritage problématique qu'il nous faut aujourd'hui réévaluer profondément - parce que d'abord, et comme en boomerang, la parole des concerné.e.s vient poser tout autrement la question du consentement et celle de l'enfance, interroger la façon dont l'éloge du désir peut verser dans le monologue, se renverser en injonction et présumer du désir de l'autre.

Et l'on voit bien comment, pour cette tâche, la vitupération qui fait de la pédophilie la métonymie des errements des années 1970, et l'éloge de la trangression ou de la part maudite que l'on ne saurait plus aujourd'hui accueillir, sont l'avers et l'envers d'une même médaille ternie, inutile et fossile.

https://journals.openedition.org/clio/12778

Valérie Marange : Merci pour cette analyse.Je me demandais ce que devenait actuellement la notion de "pédérastie", si courante encore dans ces années et qui indiquait un rapport entre un initiateur et un initié, , lié à une forme de transfert pédagogique sur le modèle grec, et qui est en partie ce à quoi s'en prenaient les lois anti-homosexuelles du 20 eme siècle, les homos étant accusés de pervertir la jeunesse. Que fait on aujourd'hui de cette notion de "jeunesse" dont tu parles, si les pubères sont considérés comme des "enfants" et les majeurs qui ont des relations avec des mineurs comme des "pédophiles"? Si d'autre part cliniquement il est bien clair que la "séduction" infantile ne saurait être considérée comme appelant autre chose que de la tendresse, que dire de la séduction adolescente, vis à vis des enseignants par exemple? Les années 70 sont aussi celles de l'affaire Gabrielle Russier pour laquelle les notions de "sexe" et d'"emprise" ne semblent guère appropriées.

sur l'affaire Gabrielle Russier

http://les4saisons.over-blog.com/article-19639102.html

Cet essai m'a révélé des histoires sordides, des affaires à grand retentissement. Je ne fais que les nommer, l'affaire Larry Nassar, l'affaire du docteur Tyndall. Ce qui est à noter, c'est le fonctionnement de la judiciarisation de la société américaine au travers des clauses de confidentialité dans les contrats privés (dont Weinstein a su faire une arme ; tenues à la confidentialité, les actrices, devenues victimes, ne pouvaient révéler ce qui leur arrivait) et de la gestion des dommages potentiels (dont la finalité est la protection des institutions et non des victimes, ce qui fait qu'une université verse 500 millions de dollars aux 332 victimes déclarées de Nassar, ainsi l'université échappe au procès et à ses responsabilités).

La comparaison entre les deux pays après #metoo peut se ramener à la question : y a-t-il une exception française ? La galanterie à la française autoriserait-elle ce que semble interdire le puritanisme américain ? Le déclencheur fut une tribune dans Le Monde du 9 janvier 2018 « Nous défendons la liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle » signée par 100 femmes issues du milieu de la culture dont Catherine Millet et Catherine Deneuve. Tribune de revendication bourgeoise d'une liberté individuelle face aux accidents de la galanterie et aux risques du libertinage, parue juste après la célèbre déclaration d'Oprah Winfrey aux Golden Globes le 7 janvier 2018, déclaration universaliste et humaniste, dénonçant un système politique et une structure d'oppression (des femmes, des travailleuses, des noirs et ethnies minorées). 

La galanterie française fait partie d'un mythe, l'art de vivre à la française, attrape-nigauds pour touristes dévastateurs, Paris étant la 1° destination touristique du monde mais aussi Toulon, sa rade pour croisiéristes et tout un tas de coins touristiques de France. Mythe donc pour vendre les produits français, remplir des hôtels, des restaurants...

L'art de vivre à la française, c'est la douceur de vivre, la gastronomie, la qualité des vins et fromages, les arts de la table, la haute couture, l'élégance vestimentaire, le raffinement des moeurs, le commerce de l'esprit, la courtoisie, l'exceptionnel patrimoine. Cet art de vivre est un peu passéiste, nostalgique d'hier, méfiant de demain, partisan du présent, du feu de la conversation et du plaisir partagé de la table (surtout avec des homards et de grands vins).

Ce mythe, toujours actif car un mythe national est fait pour produire des effets dans le réel, envie d'agir et confiance dans ces valeurs, est balayé dès qu'on regarde la réalité historique et sociologique.

La France est un des derniers pays à donner le droit de vote aux femmes (1944) qui resteront mineures jusqu'en 1965 dans la loi matrimoniale. Les conquêtes des femmes dans la société française ont été laborieuses et justifient ce questionnement : et si la galanterie française était une habile façon de mettre sous tutelle les femmes, de les maintenir en situation d'infériorité alors même que cette fameuse galanterie se résume à l'homme propose, la femme dispose. 

L'art de vivre à la française ne concerne pas l'ensemble de la société, trop disparate, trop divisée, clivée. L'art de vivre à la française concerne surtout la bourgeoisie, les classes supérieures, les « élites », culture de distinction au sens de Bourdieu.

La culture populaire, chansons, cinéma, théâtre de boulevard véhicule une toute autre image de la femme et les féministes s'en donnent à cœur joie avec par exemple le sexisme de la langue française que l'académie française ne s'empresse pas de changer, de féminiser ou et de démasculiniser (le masculin l'emporte sur le féminin dans les accords depuis 1647).

La langue est de toute évidence un véhicule structurant des inégalités. Les femmes sont facilement traitées de putes, de salopes, les hommes sont des séducteurs... Vaste chantier.

Comme elles s'en donnent à coeur-joie avec un malin qui lui aussi s'en donne à coeur-joie, Orelsan (chapitre 4 où il est aussi question de Bertrand Cantat), auteur d'un rap Sale pute dont il est difficile de dire si c'est du lard ou du cochon, du 1° ou du 2° degré, ambiguïtés entretenues par le chanteur ce qui rend difficile toute action en justice. Il a gagné contre les féministes en appel.

La différence des sexes, butoir ultime de la pensée selon Françoise Héritier, théorisée par Lacan naturalise ce qui n'est peut-être qu'une fabrication culturelle, idéologique, justifiant ainsi l'inégalité des sexes, leur asymétrie et leur impossible rencontre.

L'entretien avec François Héritier ci-dessous est fort éclairant. Claude Lévi-Strauss et Françoise Héritier, différences d'approches

 

https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2009-1-page-9.htm#

 

(parenthèse sur deux formules de Lacan : « La Femme n’existe pas » et « il n’y a pas de rapport sexuel ». Conclusion « L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas »

Un mot de chacun d’eux. « La Femme n’existe pas » : on remarque qu’à strictement parler, ça ne peut pas se dire, mais seulement s’écrire – la preuve, je dois vous l’épeler. C’est ce qui signe qu’on est dans la dimension d’une formulation logique, et qu’on n’a plus affaire à une proposition de la langue commune. Car ce qui est nié, ce n’est évidemment pas le sexe féminin, mais la possibilité que ses représentantes puissent se subsumer sous un concept qui aurait une prétention à l’universalité. Il n’y a pas de trait sous lequel nous pourrions rassembler toutes les femmes pour en faire un « La Femme ». Pour l’homme, en revanche, ce trait, nous l’avons : c’est qu’il n’est pas possible pour l’homme de se soustraire à sa soumission à la fonction phallique ; tous les hommes sont strictement cantonnés dans ce champ de la jouissance phallique. Les femmes, non. Elles peuvent, dit Lacan, pour une part, s’en extraire. C’est pourquoi Lacan dit aussi de la femme qu’elle est « pas-toute », ce qui signifie : pas toute soumise à la fonction phallique. Cette part de jouissance qui ne s’enrôle pas sous la bannière phallique, Lacan la nomme : jouissance supplémentaire. Nous allons y venir, car c’est elle que Lacan essayera de cerner dans le séminaire Encore qui sera notre prochaine étape.

Quant au « il n’y a pas de rapport sexuel », il signifie que cette dissymétrie foncière entre les sexes que l’on vient d’énoncer interdit toute mise en rapport – au sens logique du terme, encore une fois – de complémentarité entre deux sexes, dont la définition est si insaisissable et dont les jouissances sont à ce point incommensurables. Impossible avec ces deux-là que ça fasse Un, le Un de l’union sexuelle.

Bref, l’essentiel à retenir, c’est que, pour ce qu’il en est du rapport entre les sexes, c’est toujours de l’ordre de l’incomplétude, de l’aléatoire, de la boiterie, dans ce rapport au leurre qui est le lot de l’être parlant. Ça n’empêche certes pas de continuer à faire courir le monde, mais ça ne cesse pas tout en même temps de faire demander autre chose. 

Là où le sexe ne peut pas faire Un avec deux, l’amour ne le pourrait-il pas ? 

Mais L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.

Paul Ricoeur

https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2007-3-page-5.htm#)

Le chapitre III, Le syndrome Ansari ou le problème de la « zone grise » est d'après moi, le chapitre le plus dérangeant et le plus susceptible de nous faire cheminer car il porte sur la question du consentement au travers du récit d'une jeune femme de 23 ans, sous le pseudonyme de Grace, paru le 13 janvier 2018 sur le site babe.net. La jeune photographe raconte sa première grande mésaventure sexuelle : je suis sortie avec Aziz Ansari ou la pire soirée de ma vie. 

Ce récit paraît 6 jours après que Aziz Ansari, arborant le badge Times'Up est récompensé par le Golden Globe du meilleur acteur de série dans Master of None, série très populaire décrivant la vie sentimentale et sexuelle de la génération 2.0. 

Grace a rencontré Aziz à la cérémonie des Emmy Awards en 2017. Elle a pris le prétexte de la photographie pour le brancher (on dit comme ça). Flirt sur la piste de danse lors de la soirée, N° de portable donné à Aziz qui propose quelques jours après un verre chez lui à Manhattan avant d'aller dîner. Elle accepte la proposition et (je ne développe pas la suite, celle d'un homme pressant, pressé, Quand veux-tu que je te baise ? Où est-ce que tu voudrais que je te baise ? le sexe sur ses fesses, celle d'une femme qui dit je ne veux pas me sentir forcée sinon je vais te haïr ce qui ne serait pas souhaitable... qui par divers signaux corporels de rétractation, d'inconfort signifie son refus mais qui n'est pas un non catégorique ; aujourd'hui, le slogan NON c'est NON est revendiqué par les féministes parce que pour trop d'hommes NON c'est OUI ; il y a cunnilingus, fellations, doigts en forme de V dans la gorge et dans le sexe). Ils regardent un épisode d'une série et là, déclic, elle prend conscience qu'elle a été violentée. 

La parution de ce témoignage anonyme a suscité un débat très houleux aux USA, ce qui est arrivé de pire au mouvement # metoo titre le New York Times ; ce n'était pas un viol ni une agression sexuelle tranche une avocate. Evidemment, la carrière d'Aziz a explosé en plein vol.

À chacun de se demander comment il caractérise ce récit et ce qui y est raconté.

La « naïveté » de Grace, son flottement, ses questions à ses amies sur ce qu'elle a vécu révèlent la complexité de qu'on appelle la zone grise du consentement. Car à la différence des médias abominant Grace, celle-ci reçut le soutien de milliers de jeunes filles, se reconnaissant dans son récit d'une histoire boiteuse, douloureuse où les désirs n'étaient pas accordés. 

Le monde ne marche que par le malentendu. C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde. Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s'accorder.

Charles Baudelaire, Mon coeur mis à nu

Pour les générations nées entre 1950 et 1970, la dissymétrie provoquée par le comportement du mâle sûr de ce qu'il veut et empressé pour l'obtenir, sourd aux attentes ou non de la femme est la norme et ce flou renvoie à une conception de la relation comme séduction induisant des rapports de défi et de jeu dont il faut assumer l'inconfort éventuel, une sorte de lutte provocante et complexe faisant le sel, l'excitation de la rencontre (tribune des femmes de renom revendiquant la liberté d'être importunées).
Pour les générations 2.0, cette 
norme n'est plus acceptable. Les filles et femmes de 18 à 35 ans réclament la prise en compte de leur désir, de leur plaisir, de leur corps, de leur rythme, une vraie conversation charnelle et verbale avec les hommes qui n'ont pas à se sentir castrés par cette écoute.  Le consentement ça semble simple, OUI c'est OUI, NON c'est NON. La zone grise ce sont toutes les pressions, hésitations, zones de flous qui peuvent entourer la personne et brouiller la « validité » de son consentement.

de Sylvia Bagli

Sérieux les filles c’est un monde comme ça que vous voulez ? Un monde où on devra sortir les contrats au bar avant le premier baiser ? Un monde où on discute indéfiniment sur la définition du mot consentement ? 

Sérieux les filles, vous voulez pas aussi prendre vos responsabilités ? La case « mauvais souvenir » vous connaissez ? La case j’ai fait le mauvais choix, j’assume, ça vous dit rien ? Faut-il toujours parler de viol ? Faut-il toujours que l’autre soit responsable de tout et nous de rien ? Sommes-nous de petites proies chétives qui ne savent pas ce qu’elles font ? Des Nora dans une maison de poupée ? 

Parce que c’est cela que vous sceller entre les lignes, c’est cela que vous mettez en place dans votre nouveau contrat social. 

Et le désir ? Etes-vous devenues de pauvres petites créatures sans fous désirs, sans pulsions, sans sensations, sans défense ? Ne prenez-vous jamais l’initiative ?

Et le sexe c’est quoi pour vous ? Un mauvais moment à passer ? Une monnaie d’échange pour avoir la paix ? Un contrat de couple ? Un acte qui vous horrifie ?

Comment comptez-vous susciter le désir avec ça ? Avec ces données là ? Quand les hommes seront dressés à l’éteindre ce désir ? Des couples sans sexe qui vivent côte à côte malheureux comme des pierres ?

Allez, parlons tabous : combien de couples encore sexuellement actifs au bout de 3 ans, 7 ans, 10 ans de vie commune ? Comment envisagez-vous la responsabilité de celui qui trompe alors que vous vous refusez à lui depuis si longtemps ? Parce que, qui l’a dit que celui qui souffre le plus c’est celui qui est trompé ? Ah oui, le contrat encore, le contrat de divorce ! 

Quand j’entends des hommes de ma génération se plaindre que leurs jeunes amoureuses se couchent sur le dos inertes et qu’ils se trouvent en difficulté devant des corps incapables d’être dans le partage parce qu’elles ont dans l’idée que le consentement est la part de leur contrat, je pleure. 

Sachez qu’au-delà de ce qu’il en sera légalement, le consentement sera toujours un glaçon dans le dos s’il n’est pas doublé de votre désir, si vous ne voulez pas qu’il vous touche qu’il vous embrasse qu’il vous éveille qu’il vous enlasse qu’il vous prenne vous pénètre jusqu’à la racine de vous-même !

Et les menteurs ? Oui, il y a des menteurs. Oui il y a des menteuses. C’est inique mais ça fait partie de la vie. Rien ne nous protègera des déceptions, alors justice dites-vous ? Ou bien vengeance ?

De grâce ne mélangez pas le viol et la mauvaise expérience !

Est-ce aussi simple ? 

C'est une question qui me travaille depuis longtemps au travers de mes rares histoires d'amour (aucune histoire de Q) ? Je ne vais pas faire le récit de ces histoires, juste évoquer où j'en suis. Et que je développe dans une écriture en cours, Your last video (porn theater) où un vieil homme comme celui de La dernière bande de Samuel Beckett fait le point, non sur son premier amour comme dans Beckett mais sur son dernier amour, 10 ans après la perte de l'amour de sa vie qui dans sa chambre d'hôpital, lui faisant un testament, osa évoquer leurs sexualités différentes avec une belle lucidité. (L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto)

Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat

extrait de L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto, intrusion personnelle dans une note de lecture

LE PÈRE – ne me dis pas que tu ne t’en souviens pas, cet instant de félicité, au Baïkal, le 14 juillet 1970, quand on l’a conçu en le sachant, ce qu’il a confirmé en arrivant neuf mois après, un jour en avance

LA MÈRE – je m’en souviens, tu te souviens de quoi 

LE PÈRE – c’était le soir, on avait allumé un feu pour faire griller les omouls qu’on avait péchés, on avait porté deux toasts de kedrovaïa au lac, à l’amour, ça nous avait émoustillés, nous avons fait l’amour sur le plancher de l’isba de rondins blonds

LA MÈRE – j’aurais voulu que tu me baises
LE PÈRE – je t’ai fait l’amour
LA MÈRE – tu ne m’as pas baisée, tu m’as fait l’amour, pas comme j’attendais
LE PÈRE – tu m’as surpris, tu n’avais jamais été aussi ouverte
LA MÈRE – tu t’es retiré
LE PÈRE – tu m’as ramené en toi, tu l’as eu, ça ne te suffit pas
LA MÈRE – je n’ai plus jamais été Ouverte comme ce soir-là
LE PÈRE – je suis désolé, j’avais envie de m’abandonner, de me livrer à ton étreinte,
ça s’est bloqué
LA MÈRE – chez moi aussi
LE PÈRE – te plains-tu de nos étreintes
LA MÈRE – on fait l’amour comme tu dis, on ne baise pas, j’étais Ouverte par l’Appel de la Vie, ça pouvait ressembler à de l’indécence, 
je me suis sentie jugée, quelle violence, cette impression, pour la vie. Tu vois, mon sexe n’a pas oublié l’obscénité de ton retrait
LE PÈRE – je regrette vraiment de m’être refusé, peut-être par trop de respect pour ton corps 
que je ne voulais pas outrager
LA MÈRE – c’est ça, mon p’tit chat ; depuis, tu es le maître de cérémonies minutées avec paliers et plateaux, plus de place pour les effondrements dionysiaques, pour les envols mystiques. Tu ne ressentiras jamais où t’aurait mené une plongée sauvage, sans calculs, dans ma béance
LE PÈRE – tu as quand même du plaisir
LA MÈRE – plaisir, plaisir, petit mot qui convient bien à une pâle jouissance, sans retentissement au profond du corps et de l’âme. Fusionner avec le Tout, des Femmes rares connaissent.
Aurais-je pu connaître la Grande Vie Cosmique, pas la petite mort orgasmique
LE PÈRE – pourquoi avoir mis si longtemps à en parler 

LA MÈRE – je n’aime pas les mots sur ça, ma sexualité s’est mutilée avec sa conception, ma vie s’est arrêtée avec sa disparition, je veux regarder sans terreur cette horreur
LE PÈRE – moi, je ne peux pas

extrait de Your last video (porn theater) en cours d'écriture depuis septembre 2016, intrusion personnelle dans une note de lecture
lecture publique de ce texte, le vendredi 17 avril à 19 H 30 à la Maison des Comoni au Revest
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Samuel Beckett – conclusion de cette histoire d'amour sans Q / pages inutiles ! à supprimer !
LUI – quand Samuel, tu dis règle 4 son corps son corps son corps ton corps et du temps du temps du temps du printemps du contre-temps / caresses et lèches /  ce sont les mots d'un technicien qui sait faire monter le désir / provoquer les jouissances / je crois d’ailleurs que t’as pas pratiqué ce que tu préconises / t’as renoncé à ton premier amour pour te consacrer à l’écriture du vide / bref, tes mots, je les reçois, différemment / ELLE, physiquement, un peu impressionnante pour le gabarit que je suis / aucune pratique de ce genre de femmes / je savais que je ne pourrais être un modèle de mâle viril / j'aurais donc été d'une infinie patience / écoute d'un corps / découverte d'un corps / apprivoisement d'un corps / au Bar de la Pipe, j'ai osé lui parler de ma sexualité de vieillissant qui serait ce qu'elle serait, sans recherche de performance / qui serait une sexualité limitée en tant que sexualité masculine / découverte d'une sexualité féminine et masculine
Samuel Beckett – là parle le Q / là parle la bête la bite la vie le vit / le Q c'est sans imagination le Q c'est corps à corps 
É Say Salé – t'es cru Samuel ! LUI, préfère le cuit, le réchauffé / LUI, as-tu une vision de cette sexualité féminine-masculine inventive ?
LUI –  le présent et l'avenir de l'humanité sont dans le féminin que chacun porte en lui pour pacifier le masculin guerrier ou le féminin cannibale ; le masculin, même chez la femme, est dominant et donc féminiser c'est tenter de rééquilibrer
É Say Salé – ça reste au niveau des idées / en pratique ? / est-il vrai que le Q c'est corps à corps ? / peut-on entendre des voix de Femmes avec F majuscule s'il vous plaît ? / je me suis donné le droit de convoquer d'autres Femmes que LUI connaît
une voix de 70 ans, la Visionnaire, ouvreuse de voies et de voix – les années Marilyn et BB ont marqué le corps des adolescentes, deux registres opposés et complémentaires, l'artifice débouchant sur la grâce, le charme et le naturel débouchant sur le rejet avec légèreté des corsets ; les hommes, eux, sont demeurés dans un corps ancestral, transmis par les mères à l'ancienne ; le féminin réel leur est inabordable, illisible à partir des archétypes appris, incarnés, désirés. Les femmes d'aujourd'hui sont en pleine construction d’un « féminin », d'une Histoire des femmes tandis que les hommes, collectivement, n’ont pas encore fait le premier pas qui les sortirait de leur Préhistoire
Samuel Beckett – neurones mâles concentrés en bas (rire)

une voix de 46 ans, la Femme cosmique – j'ai cheminé dans mes pratiques d'amour sublime ; aujourd'hui, je peux faire l'amour à la roche, au ciel, à l'arbre, je peux être bête à quatre pattes et belle au bois endormie, j'ai un goût prononcé pour la vieille sorcière cachée dans une grotte, je peux faire l'amour à mille guerriers casqués se jetant d'une falaise avec leurs chevaux. Dans ce cheminement d'amour incarné, je me sens plus intime avec mon masculin. J'aime faire l'amour pour de l'inédit et pas seulement pour passer mon excitation

 

La voix – mais c'est de l'érotisme panique que tu nous proposes (rire)
Samuel Beckett – neurones hormones femelles concentrés là où ça palpite, variable selon les humeurs variables des femmes = femmes agitées = impossibles à tranquilliser (rire)
É Say Salé – en disant Point, vous avez eu le dernier mot, ELLE ; la réciprocité en amour est une condition de sa réalité et de sa durée ; vous n'avez pas voulu être sa réciproque. Point. Mon rôle d'hétéronyme est terminé. Point.
Samuel Beckett – cette histoire d'amour à sens unique débouchant sur un sens interdit / (rire) fiasco foirade / histoire de rien texte pour rien / 

Le vieil homme – pas texte pour rien / comment faire l'amour de manière divine / ça que lui voulait LUI / pas clair faire l'amour de manière divine = amour inclusif de tout et non passion exclusive d'un, d'une = amour de la création, de Ça créé d’avant, de ça que tu vas créer = amour du minéral, du végétal, de l'animal, de l'humain = inspiré par la Beauté, en recherche de la Vérité agissante = le Monde = oeuvre de l'Amour selon les 10 échelons à la sauce Platon, (au public) allez répétez avec moi : porneia, pothos, mania, eros, philia, storgè, harmonia, eunoia, charis, agapè ; devenez grecs, pas nippons

 

Samuel Beckett – ton idéal ? le yaourt-amour à la grecque (rire) ? Connerie ! Sois homme, simplement = sexe-sexe terre à terre  (rire)

La voix – 3 personnages pour représenter le même : le vieil homme, É Say Salé, LUI, des états quantiques de l'auteur ? (silence) et moi ?

 

Le vieil homme – c'est le même à des places et moments différents = superposition des identités à la sauce quantique ou botanique ; toi ?

 

La voix – là pour te stimuler le bulbe ? ton livre d'éternité s'imprime à tout instant, indépendamment de ta volonté, 

dans tes neurones hippocampiques mais long temps ne fait pas éternité 

mort de ton corps = mort de ton cerveau / plat l'électro / 

mort de tes neurones même si ADN vit encore 1 million d'années après toi / 

donc clonable le vieil homme = éternité enfin trouvée ? 

clone c'est toi mais pas à l'identique donc pas toi, sauf erreur

est-ce la fin des questions ?

s'il est vrai que le passé ne s'efface pas, sauf erreur

il y a bien alors des traces éternelles de ce qui s'est passé, sauf erreur – 

tu as accepté d'appeler ce livre d'éternité âme, ton âme 

âme que tu acceptes de rendreque la faucheuse te prend serait plus juste

l'âme tu pourrais l'appeler aussi la conscience 

il y a tant à dire sur la conscience – savoir polémique en cours d'élaboration –

je choisis le silence – 

que la lumière te vienne, archer aveugle 

de l'intérieur, du noir du crâne 

il n'y a pas d'extérieur, tout y est noir sans ton cerveau qui voit 

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photo fournie par Bruno Boussagol, Gregory Peck et Ingrid Bergman ? pas sûr du tout, impossible de trouver trace d'un film avec cette photo; illustration superbe de nouvelles relations à inventer à 2, par des milliers de duos sans duels

photo fournie par Bruno Boussagol, Gregory Peck et Ingrid Bergman ? pas sûr du tout, impossible de trouver trace d'un film avec cette photo; illustration superbe de nouvelles relations à inventer à 2, par des milliers de duos sans duels

Le chapitre le plus long, le V, The elephant in the screennig-room, traite de la représentation de la femme dans le cinéma qu'il soit d'auteur ou de grand public et de la quasi-absence de femmes dans la profession à tous les niveaux mais d'abord comme réalisatrices comme dans les récompenses. Le cinéma est sous domination masculine. Et ce constat révèle que le patriarcat est un système d'oppression, pas prêt de se remettre en question puisque c'est l'ensemble des pouvoirs qui sont entre les mains des hommes d'où le titre du chapitre 1 sur l'affaire Weinstein : révolte ou révolution ? Les mouvements # metoo, # balance ton porc sont des mouvements de révolte qui feront changer, à terme, peut-être, avec bien des polémiques, de la violence, dans la longue durée, des comportements individuels et collectifs. 

Un autre volet de ce chapitre est le statut de l'oeuvre, les rapports entre l'oeuvre, le créateur et l'homme. En France, c'est Proust qui donne le la avec son Contre Sainte-Beuve. Roland Barthes tente la déconstruction de cette conception avec son texte La mort de l'auteur. Je renvoie à deux articles éclairants ci-dessous. L'idée de la séparation de l'homme et de l'artiste d'une oeuvre, position encore très majoritaire, mérite d'être interrogée. Personnellement, je me suis séparé d'auteurs dont le comportement éthique était discutable, genre être payé pour une écriture et ne pas rendre de texte; ça m'est arrivé avec deux auteurs. Je pense qu'éditeur depuis 1988, je n'aurais pas édité du Matzneff. J'ai par contre commandé, demandé des textes sur l'affaire Gabriel Russier ou sur l'affaire Agnès Marin.

https://www.fabula.org/atelier.php?Proust_contre_Sainte%2DBeuve

https://www.fabula.org/compagnon/auteur1.php

http://les4saisons.over-blog.com/article-19639102.html

http://les4saisons.over-blog.com/2016/02/elle-s-appelait-agnes.html

 

En conclusion de cette note de lecture que je pense fidèle et en même temps personnelle parce que je me suis senti interpellé entre autres par le chapitre sur le consentement, 

(est-ce l'effet de vie théorisé par Marc-Mathieu Münch
La théorie de l'effet de vie est une théorie des arts fondée sur la découverte d'un invariant mondial. On le trouve dans les textes des grands artistes de tous les arts et de toutes les cultures.
Il implique l'existence d'une aptitude d'homo sapiens à l'art. Il affirme qu'une œuvre d'art est réussie lorsqu'elle crée dans le corps-esprit d'un récepteur un "effet" qui n'éveille pas seulement les affects, mais toutes les facultés et ceci dans la cohérence.
Une œuvre réussie est donc une œuvre vivante et une œuvre de vie. Il faut, pour l'étudier, une science humaine spécifique fédérant le riche apport des autres sciences qui s'intéressent à l'art et étudiant de près les corollaires de l'invariant de l'effet de vie
),

je dirai que ce livre doit faire l'objet de discussions apaisées si possible entre femmes et hommes de bonne compagnie, soucieux de fonder de nouveaux rapports entre H et F, 

inventeurs de nouvelles façons d'aimer 

en renonçant à notre pouvoir sur l'autre

il semble plus facile d'être aimé que d’aimer,

donc, au lieu de tenir l'amant ou l’amante déclaré(e) en haleine, 

ne vaut-il pas mieux cheminer avec lui-elle, 

par le dialogue et les actes, les gestes, 

construire ensemble une histoire d'amour 

par approximations, ajustements, transparence progressive,

et ainsi de proche en proche, 

diminuer la violence, la souffrance 

née des amours mortes en un jour, 

dispenser et accroître l'Amour, 

une évolution, une révolution pacifique, 

de l’intime 

vers l’extime

(voeux pour 20vin à décliner en mode perec, prévert, oulipo et personnel)

 

Jean-Claude Grosse, Le Revest, le 3 janvier 2020

 

Je renvoie à un livre de Catherine Millot.

En 2015, elle tente, en publiant La logique et l'amour, de relancer le projet de Lacan 

de faire de la psychanalyse le lieu de l'invention d'un nouvel art d’aimer courtois.

Evidemment depuis l'affaire DSK puis l'affaire Weinstein, depuis metoo, balance ton porc, depuis la tribune dite Deneuve en défenseur de l'art de séduire à la française, avec l'affaire Polanski, l'affaire Gabriel Matzneff, l'affaire Adèle Haenel, on peut se demander si c'est possible dans un monde à domination patriarcale. 

Le livre de Laure Murat, Une révolution sexuelle ? Réflexions sur l'après-Weinstein, chez Stock, me paraît essentiel pour faire le point et habiter la contradiction, à conscientiser si possible, qu'est le "consentement".

 

On en parlera lors de la prochaine réunion du groupe penser, écrire, agir l'avenir, dimanche 9 février 2020, salle des mariages de la mairie du Revest. Et on mettra en lecture un livre important d'Yvan Jablonka: Des hommes justes, du patriarcat aux nouvelles masculinités

pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...
pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...

pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...

une question non abordée par Laure Murat dans son livre est qu'est-ce qui est condamnable? et comment ? elle montre les effets pervers de la judiciarisation de la société américaine (confidentialité dans les contrats privés, gestion des dégâts potentiels) mais n'aborde pas vraiment la question des normes ; il y a à distinguer l'éthique (à définir comme fondant les choix personnels de style de vie, de sexualité, de rapport aux autres, au monde; Marcel Conche en distingue un certain nombre, éthique de la gloire, éthique de la fortune, éthique du courage, éthique du mieux...), la morale (à définir comme fondant les valeurs communes à tous, Kant est essentiel à cet égard ou Marcel Conche avec Le fondement de la morale...) ; Yvon Quiniou, philosophe, évoque une troisième voie entre éthique et morale, le devoir de vertu à travers deux essais sur l'éloge de la prostitution par Emma Becker, paru dans Le Monde, il y a peu et dont il juge qu'elle est condamnable, pourquoi et comment

https://blogs.mediapart.fr/yvon-quiniou/blog/231219/lamour-ou-le-libertinage-contre-la-prostitution

https://blogs.mediapart.fr/yvon-quiniou/blog/020120/au-nom-de-quelles-normes-peut-ou-doit-condamner-la-prostitution

un livre majeur, passé aux oubliettes; que nous dit la biologie sur le viol

un livre majeur, passé aux oubliettes; que nous dit la biologie sur le viol

Auteurs de nombreuses publications qui font autorité, Randy Thornhill enseigne la biologie à l'Université du Nouveau-Mexique et Craig Palmer l'anthropologie à l'Université du Colorado. Dans ce livre, publié en anglais par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), les auteurs, par une approche socio-biologique, élucident enfin le problème du viol pour lequel on n'avait, jusque-là, que des réponses insuffisantes, tant pour le prévenir que pour aider les victimes. 325 pages, livre paru en 2002

À la sortie du cinéma, une femme suit jusqu'à sa voiture l'homme qui l'a invitée. Au lieu de la ramener chez elle, ce dernier verrouille les portières et la viole. Pourquoi cet acte répugnant qui laissera une victime traumatisée et un agresseur probablement honteux ? La psychologie et la psychiatrie traditionnelles ne manquent pas d'explications l'homme a violé peut-être parce qu'il déteste sa mère, ressent le besoin de dominer les femmes, est adepte de pornographie violente, a été élevé dans une culture patriarcale, a été lui-même objet d'abus sexuel, était ivre, etc. Ces explications, si pertinentes qu'elles soient, nous éclairent uniquement sur les causes proches du viol. Pour mieux prévenir cet acte horrible, il faut aussi en comprendre les causes premières, qui sont biologiques. Alors seulement la victime peut s'expliquer certaines réactions étranges liées au viol, par exemple pourquoi même son partenaire ne la soutient pas sans réserve comme il l'aurait fait dans le cas d'une agression non sexuelle. Le viol fait des ravages en dépit de toute culture, morale et religion : près d'une femme sur six en est l'objet, 60 % des victimes ont entre 11 et 29 ans, et il est probable que trois victimes sur quatre ne le déclarent pas, gardant pour elles un terrible fardeau qui les marque à jamais. Thornhill et Palmer s'élèvent contre cet échec avec une explication scientifique du viol qui peut enfin nous permettre de comprendre et d'agir. Des faits, pas d'idéologie.

Réaction à la note de lecture de Jean-Claude Grosse

 

J’ai apprécié les réflexions que nous livre J.-C. Grosse à propos du livre de Laure Murat sur l‘affaire Weinstein, ce qui suscite mes propres réflexions rapides, en écho. Dans l’ordre, donc.

1 Il a raison de souligner l’opposition entre le traitement des affaires de mœurs aux Etats-Unis et en France. Là-bas un puritanisme officiel d’origine religieuse, mais qui se double d’une judiciarisation hypocrite puisqu’on permet aux auteurs d’agressions sexuelles de payer leurs victimes pour qu’elles ne portent pas plainte – ce qui évite les scandales publics qui pourraient porter atteinte à l’image de leur nation. La France a une tradition bien plus ouverte ou libertine/libérale dans ce domaine, au point que des femmes connues ont pris position pour ne pas condamner trop vite les sollicitations des femmes par les hommes, ce qui n’est pas aberrant. Sauf que ces militantes féministes d’un nouveau genre, devraient s’inquiéter aussi de la réalité sociale de la prostitution dans notre pays, que Grosse rappelle justement, comme elles pourraient dénoncer ce qui demeure de la domination de l’homme sur la femme ici.

2 Cela suscite normalement une question délicate, celle de la différence entre l’homme et la femme, différence au nom de laquelle on a pu justifier leur inégalité sociale. Il évoque avec faveur, apparemment, l’idée qu’il y aurait là une construction culturelle, s’appuyant sur Lacan affirmant d’une manière provocante que « La Femme n’existe pas », ce qui rejoint, semble-t-il, F. Héritier. Je n’irai pas jusque là, quant à moi. Je suis attaché à la féminité, je dois l’avouer, il est possible que cet attachement renvoie à mon histoire affective personnelle et il est dangereux de théoriser à partir d’une disposition individuelle ! Mais outre que je ressens d’emblée cette différence (avec des degrés bien entendu, car il y a des femmes « masculines » !) et que j’ai donc une attirance pour LA Femme, je pense vraiment qu’il y a un noyau minimal de différenciation qui tient à la différences des sexes et cela n’interdit en rien leur égalité, qui n’est pas l’identité. Et s’agissant de l’égalité/identité je n’aimerais pas que les femmes acquièrent les défauts insupportables des hommes… au nom de l’égalité ! Je préfèrerais que les hommes deviennent davantage « féminins » et j’adhère à la formule d’Aragon, en la modifiant un peu : « La femme devrait être l’avenir de l’homme ».

3 Le thème du consentement est un thème terriblement actuel quand on sait que nombre d’agresseurs sexuels prétendent ne pas avoir été des agresseurs étant donné que leur victime aurait été consentante. Et l’on sait tout particulièrement ce qu’il en a été avec le cas de G. Matzneff en dehors même de sa pédophilie assumée. Je renvoie à ce qu’en dit avec précision Grosse et Laure Murat, et je suis d’accord pour affirmer que la notion de « consentement » est bien trouble et bien pratique –« zone grise » est-il dit – pour les agresseurs supposés puisque les victimes sont souvent soumises à un effet d’« emprise » qui les amène à dire « oui » à ce qui leur arrive. Reste qu’on ne peut pas exclure totalement que, dans certains cas, il puisse arriver que la victime nie après-coup un consentement auquel elle s’est laissée prendre et ce pour des raisons « intéressées ». D’autant que la séduction est en jeu et qu’il est parfois difficile d’avouer que l’on a été « séduite » et, donc, que l’on « s’est laissée séduire » ! Mais je passe car la question est délicate et je partage les hésitations de Grosse à se prononcer radicalement.

4 Le malentendu. La citation de Baudelaire, que je ne connaissais pas, est magnifique dans son pessimisme même et elle est aussi terriblement déstabilisante, surtout pour quelqu’un comme moi qui croit fortement, heureusement ou malheureusement, je ne sais, à l’amour. Elle a une extension universelle qui interdit de la réduire au domaine amoureux et elle m’interpelle dans mon optimisme foncier quant à l’homme et aux rapports interhumains, tant je pense, avec Marx, que l’histoire façonne les êtres humains sur le plan psychique et moral. Quant au plan de l’amour, qui est en jeu ici, je ne peux réagir au récit que nous donne Jean-Claude, inspiré de Beckett, mais qui fait écho, si j’ai bien compris, à ce qu’il a réellement vécu avec sa première femme qu’il a beaucoup aimée, mais d’une manière un peu douloureuse puisque liée à une espèce de malentendu sexuel entre eux, à « leurs sexualités différentes ». Ce genre de malentendu existe fréquemment, surtout dans les sociétés ou les milieux sociaux où le mariage en couple ne repose pas sur un « consentement libre » (c’est le cas de le dire) de part et d’autre. Mais il peut aussi exister dans des couples authentiques, du fait du conditionnement culturel ou de la biographie qui ont pu façonner un rapport différent, moins intense à la sexualité chez la femme, par comparaison avec l’homme. Comme il est dit, souvent « l’homme propose et la femme dispose ». 

Reste que, partisan inconditionnel de l’amour tel que je me le représente et tel que je l’ai vécu longtemps, je penserais volontiers que l’amour peut être un domaine où le malentendu n’a pas lieu, où il peut être évité. Je pense ici très précisément à la manière dont René Guy Cadou et sa femme Hélène ont vécu leur amour sous une forme profonde et authentique, où c’était la réciprocité parfaite, apparemment, qui se réalisait. Les poèmes de Cadou et certains écrits d’Hélène sur lui en sont un remarquable témoignage, y compris sur le plan de la relation charnelle ! L’amour, donc, comme solution possible au malentendu déclaré universel par Baudelaire.

5 Reste la question subtilement abordée du rapport d’une œuvre à son créateur. Je dirai simplement que je suis contre le  Contre Sainte Beuve de Proust… surtout si l’on pense à quel point il s’exprime dans son œuvre en évoquant son enfance (rappelons-nous la scène du baiser de la mère, le soir, au début de La recherche). Mûnch, cité avantageusement par Grosse, a ici totalement raison d’enraciner l’œuvre d’art, spécialement littéraire, dans la subjectivité concrète de l’auteur, d’y voir donc un « effet de vie », un effet de sa vie, dès lors qu’on admet aussi, comme le fait Münch, que le fond vital lié à l’auteur est mis en forme selon des règles ou des critères formels justement, esthétiques, donc sublimé, transposé par l’imagination aussi, ce qui fait qu’on ne peut pas le deviner d’emblée. C’est pourquoi il faut également dire que la musique est expressive, qu’elle n’est pas seulement un jeu de formes sonores, qu’elle a un contenu affectif latent et qu’elle est donc un langage, ce qu’une certaine mode idiote ou, en tout sa superficielle, prétend !

6 Quant à Lacan, je m’abstiens : je l’ai lu, mais je ne suis pas « lacanien ». Je trouve que c’est un imposteur, un phraseur maniéré, même s’il peut avoir des formules séduisantes, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient justes. Sur le plan théorique, il a enfermé la psychanalyse dans le langage et tiré Freud vers une sorte d’idéalisme linguistique. Or la conception de Freud est matérialiste et il accorde une importance considérable à la dimension biologique des pulsions, le ça, base des autres instances de l’appareil psychique construites avec l’aide de l’éducation. !

 

Merci donc à J.-C. Grosse de m’avoir permis de dire tout cela, même rapidement, en écho à ses commentaires d’un livre que je n’ai pas encore lu !

Yvon Quiniou

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Comme un enfant qui joue tout seul / Alain Cadéo

5 Novembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

Comme un enfant qui joue tout seul / Alain Cadéo

Comme un enfant qui joue tout seul

Alain Cadéo

Éditions La Trace, 2019

 

D'abord, noter la qualité du livre. L'éditeur aime le beau livre, belle couverture à rabats, belle photo aux beaux bleus, comme aquarellée, papier ivoire, caractères lisibles et aérés. Invitation à la lecture avec un livre bien en mains et marque-page indispensable pour un voyage qui a duré presque un mois. Refus de crayonner, d'éterniser ce qui s'offrait dans l'instant. Ô mémoire quels tours vas-tu me jouer ?

 

En 4° de couverture : Il faut peut-être des millénaires de gestation pour fabriquer une Rencontre...
Un sacré coup de pouce du destin pour la favoriser...
Un seul instant pour s’en saisir...
Une seule seconde pour passer simplement à côté. 

Raphaël, Eléna... ou le destin croisé de deux âmes errantes. 

Il y a ainsi, toujours, si vous cherchez, aussi minime, aussi lointaine soit-elle, une histoire en commun entre deux êtres qui finissent par se trouver..

 

Au sortir de son travail, dans un bureau d'un grand ministère, un homme, un cadre, un homme du pouvoir est apostrophé par un clochard qui, lui demandant une cigarette, lui crache au visage : pourquoi es-tu si dur ? Le clochard se retire sans autre mot d'explication. Cette question portée par cet anonyme, ce vagabond de la grande ville amène l'homme du pouvoir anonyme, lui-même anonyme mais se croyant indispensable, à quitter du jour au lendemain, sa carrière, son confort, ses certitudes et à partir à l'aventure, avec sa voiture, direction ? 

Une petite ville de province, ville d'enfance, retour en passé mais depuis ici et maintenant, réappropriation, revisitation de souvenirs, de sensations, d'émotions, de sentiments, rencontres d'anciens, de voisins, de connaissances qui racontent. Remontées au présent dans le passé vers celles et ceux qui ont compté, galerie de portraits reconstitués à partir de photos, d'un tableau, de lettres ou billets, d'objets aussi reçus comme talismans, scapulaires, porte-bonheur, fétiches chargés de sens, d'émotions, de souvenirs et Retour par étapes vers l'océan, l'Océan, cette mémoire immémoriale d'où vient la Vie, où se noie les vivants, en passant par le restaurant Roméro, bien planté dans le sable à quelques pas de l'océan, mugissant sur tous les registres et s'y attardant parce qu'il y a Eléna. 

Deux corps, deux cœurs, deux histoires, deux âmes se trouvent, se retrouvent près de l'étang aux carpes. Étaient-ils destinés l'un à l'autre ? Deux itinéraires, à un moment, le bon moment ? le kaïros ? se croisent, auraient pu ne pas se croiser. L'improbable est devenu l'évidence. Le hasard fait bien les choses dit-on. Il s'agit plutôt du cheminement spirituel de chacun, se saisissant ou pas d'événements, d'incidents, de mots, de signes, d'objets pour se relier à ce qui existe de toujours, l'éternité de nos récits imbriqués, réels, imaginés et participant d'un grand Tout, mouvant, remuant, vivant, chaotique et ordonné. Retrouvailles (ou trouvailles, enfin on voit, les yeux se décillent) avec les arbres-mères, avec le scarabée, la carpe guetteuse, la mésange et l'alouette, les saisons, les pluies et tempêtes.

Roman composé en récits alternés, Barnabé Raphaël, Eléna, pour finir par Raphaël, Eléna, enfin réunis au bord de l'océan dont les vagues ne jouent plus comme un enfant qui joue tout seul. 

Roman qui donne envie de goûter instants et gens, rencontres et solitude. 

Roman qui fait du bien, loin du bruit urbain, du gouvernement imbécile, calculateur des choses et des gens. 

Roman du détail qui donne sens, prend sens, fait signe, roman du mot juste, qui alerte, provoque l'arrêt-sur-image.

Jean-Claude Grosse, 5 novembre 2019

 

 

EXTRAIT :

p.12/13

(…)

Mon premier prénom, celui que j'ai longtemps refoulé dans le grenier des oubliés, me revient aujourd'hui en fanfare : Barnabé. Le second, Raphaël, fut plus facile à porter. Prénom si répandu de nos jours, comme un lâcher de pauvres archanges ne sachant plus voler. Mais Barnabé me plaît. Sa double labiale me rappelle «A.O. Barnabooth», ses «borborygmes», Valéry Larbaud, dont j'ai toujours aimé le dandysme, son regard fiévreusement mélancolique, sa nonchalance de gosse de riches à bord de paquebots et des grands trains de luxe.

On fait tous sa vie. Moi, j'ai défait la mienne. Maille après maille. Jour après jour. Sans calculs ni trompettes. J'ai désappris, tout désappris, et «je suis un berceau qu'une main balance, au creux d'un caveau : Silence, silence».

J'ai désappris ou je me suis défait, lambeau par lambeau, de tout ce qu'on m'a enseigné.

Et j'en suis là, désincarné, marchant sur un trottoir bordé de tulipiers.

Dans cette ville de province du sud-ouest, vieillotte et surannée aux maisons basses, avril offre à mes yeux neufs, la couleur blanche de toutes les naissances.

Oui, j'ai trente-sept ans, toutes mes dents et l'énergie d'un condottiere. J'ai sillonné le monde à grandes enjambées. J'ai travaillé comme un bourricot, noria des forçats de l'ère post-moderne. J'ai séduit, intrigué, connu l'ivresse du pouvoir, pauvre de moi... Et la voix d'un clochard un jour m'a remis à ma place : «Pourquoi es-tu si dur ?» Je me souviens toujours de cette voix. Elle fut le déclencheur de ma dégringolade ou de mon ascension. C'est selon.

(...)


Petite note sur Mots de contrebande d'Alain Cadéo

ce matin, j'ai fini les mots de contrebande d'Alain Cadéo, 105 mots et ce qui émergeait c'était ce que j'étais en train de devenir, assis devant mon grand bureau, sans ordi, avec une grande feuille de papier canson et une plume à tremper dans l'encrier, le grand bureau soudain barque, pirogue pour aventures sur des rives éblouies et des captures d'argent-vif frétillant puis le grand bureau soudain traineau pour glissades infinies sur lac gelé et flambées jusqu'au ciel sans risque d'incendie se propageant sans limite; bref, avec Alain Cadéo et ses mots prenant au lasso les cavales des désirs inconfortables, toujours insatisfaits, pour les apprivoiser, je me sentais grandi avec humilité, essentiel, sans enflure nombrilique, apte à prendre toutes les dimensions (nain, géant, famélique, efflanqué, obèse) pour avec les mains, les dents, mordre, mâcher, palper les beautés du monde, du cosmos sous les moisissures, les putréfactions organisées par ceux qui prétendent savoir; je redevenais un chasseur, pêcheur, cueilleur, un sauvage, un primitif en connexion avec le Mystère, ce qui a été avalé par les trous noirs, pas prêts à rendre la Lumière (4% de l'univers est composé de matière lumineuse donc observable)

Jean-Claude Grosse

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La Nature et nous / Marcel Conche

12 Septembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse

paru en septembre 2019

paru en septembre 2019

 

La Nature et nous

Marcel Conche

HD essais 2019

 

Marcel Conche, âgé de 97 ans, aveugle d'un œil, diminué de l'autre œil, écrit presque chaque jour, à la main, à l'aide souvent d'une loupe mais aussi en sentant le tracé des lettres et leur succession. Il livre ses pages d'écriture à une amie lointaine qui les relit, les déchiffre et les tape à l'ordinateur. C'est elle qui lui a proposé ce service.

De quoi s'agit-il ? D'une discipline d'écrivain ? D'une hygiène intellectuelle ? D'une envie de poursuivre une œuvre très abondante ? D'un besoin de continuer à user de sa raison en vue de la vérité ? D'un désir de se souvenir, de se raconter, au fil des humeurs ?

Marcel Conche est conscient que son œuvre est derrière lui, que quelques livres resteront parce que ce sont des références, ses Fragments d'Héraclite traduits et commentés 1986, son Anaximandre 1991, son Parménide 1996, son Héraclite recomposé 2017. Viennent après, dans son jugement, son Lucrèce, son Épicure, ses 2 Montaigne. Il n'évoque pas sa propre philosophie dont Orientation philosophique 1974 et Présence de la Nature 2001 renvoient à ses deux métaphysiques.

Depuis quelques mois, après la série des Journal étrange (6 volumes) où déjà l'écrivain prenait le pas sur le philosophe, Marcel nous livre des essais de 1 à 3 pages dans l'esprit de Montaigne, « c'est moy que je peins » : Regain en août 2018, Regard(s) sur le passé en février 2019, La nature et nous en août 2019. 82 essais pour ce livre plus L'empreinte d'Émilie de 40 pages.

Comme je ne manque pas de lire tout ce que je reçois de Marcel, je suis bien obligé de constater que reviennent les mêmes souvenirs, les mêmes personnes, les mêmes épisodes, les mêmes récits, les mêmes lieux, les mêmes rêves, les mêmes désirs, les mêmes regrets. Radote-t-il ? Se répète-t-il ? Non, il n'y a pas deux feuilles d'un arbre identiques. Il n'y a pas deux Marcel identiques d'un récit à l'autre qui semble lui ressembler. Ressemblance mais aussi dissemblance, le Marcel qui écrit étant dans deux états d'esprit différents à deux ou quelques jours d'intervalle. On n'est plus au niveau d'idées qui s'exposent, s'articulent, on est en présence d'un homme toujours le même et à chaque fois différent. Si on est sensible aux humeurs qui sous-tendent ces récits, toujours très courts, c'est comme si on était plongé dans le fleuve héraclitéen de la vie et que parfois, on ressorte la tête pour une bouffée d'air, pour un regard sur tel aspect autour de soi ou en soi, le cerisier en fleurs, la rivière dans laquelle il trempe ses pieds nus, une pluie de baisers. L'écriture de ces moments captés est tenue, agrémentée parfois de termes de patois corrézien, de termes techniques employés par les paysans d'il y a 60 à 80 ans.

Pour ma part, je prends un vif plaisir à lire ces courtes chroniques, livrant un homme dans son irréalité dirait Émilie parce qu'éphémère, dans sa réalité d'être changeant je dirais car comme le dit Montaigne, se peignant, il peint non l'état mais le changement.

Je laisse à chacun des lecteurs le soin de vivre ses propres humeurs au contact des humeurs de Marcel, humeurs qui le mènent sur des chemins qui ne mènent nulle part comme il les affectionne. Aucune utilité à ces livres. Aucun apport au monde des idées. Des instants de vie d'hier revivifiés sur papier d'aujourd'hui avec l'humeur d'aujourd'hui. De la fugacité à tous les étages, passé, présent, futur. Quid d'un baiser échangé avec une telle ? Qu'aurait-il pu se passer avec telle autre le temps du tunnel dans le train de la peur du manège à Beaulieu sur Dordogne ? Le pétillant de muscat en apéritif le 27 mars ? Comment se suiciderait-il ? Comment ne se suiciderait-il pas ? Les cris de l'anguille jetée dans l'eau bouillante ?

 

L'essai occupant un statut à part consacré à L'empreinte d'Émilie reprend la 1° rencontre entre Émilie et Marcel, rencontre provoquée par une lettre sublime d'Émilie, rencontre et discussions ayant lieu à Treffort en 2001 puis par échanges téléphoniques et épistolaires, du 1° juillet au 18 décembre 2001. 7 ans ensuite de silence jusqu'au départ de Marcel en Corse pour un séjour qui durera un an et dont certains essais font le détail minutieux car Marcel tient carnets et agendas qui lui permettent de réactiver les souvenirs, d'en assurer l'authenticité.

La première rencontre avec Émilie est une rencontre de nature spirituelle. Marcel est emporté par un élan d'enthousiasme envers cette jeune femme de 40 ans de moins que lui et qui par son mysticisme l'entraîne vers des horizons qu'il ignorait. Elle lui fait découvrir la littérature persane, le soufisme. Émilie est de ces femmes qui s'engagent corps et âme dans une quête pour se débarrasser de l'ego, le moi souvent exacerbé, trop soucieux de son unicité, se vivant et se voulant séparé de tout ce qui n'est pas lui, pour se centrer sur la Vie créatrice, s'immerger dans l'Infini et l'Éternité de la Nature. Le soleil, le ciel, l'air, l'eau, le feu, la terre, les arbres, tout le vivant, tout ce qui existe, créations de la Nature, elle veut ne plus en être différenciée. Elle veut s'indifférencier mais pas dans un mouvement de néantisation (la mort est peut-être cela), dans un mouvement au contraire d'élévation et d'expansion aux dimensions de l'univers, du Tout.

Émilie pourrait être une de ces Femmes qui courent avec les loups (livre de Clarissa Pinkola Estès sur l'histoire et les mythes relatifs à l'archétype de la femme sauvage) ou une de ses Femmes qui se réinventent (livre de Monique Grande), autrefois on disait sorcières, elles avaient d'autres connaissances et pouvoirs que les hommes, savoir immémorial de l'instinct féminin, ce qui s'appelle aujourd'hui le féminin sacré ou le divin féminin et où on est très à l'écoute du corps qui n'est pas, surtout pas une machine pouvant être traité séparément de l'esprit et de l'âme (je note au passage que Marcel n'a pas d'amour particulier pour le corps ; aujourd'hui toutes sortes de pratiques tendent à nous réconcilier avec le corps qui doit être aimé, bien soigné ; on a une vision globale, holistique de l'ensemble corps-esprit-âme où le pouvoir de l'intention est activé)

Je comprends que Marcel ait été fasciné par une telle personne qui lui ouvrait ce qu'aujourd'hui on appelle les voies du développement personnel, de l'éveil spirituel, de la pleine conscience (avec tout ce qu'il y a à boire et à manger dans ces domaines où des gourous auto-proclamés se font plein d'argent sur le dos des gogos ; pas facile de trier, de trouver ce qui convient à notre cheminement JUSTE). Mais à vouloir des justifications, des explications et pas seulement des assertions, il ne pouvait que provoquer le silence d'Émilie. La vie spirituelle est semble-t-il voie d'accès à des formes de connaissance et d'expérience extra-neuronales, hors conscience cérébrale. Il faut renoncer à l'ego, aux pouvoirs de la raison analytique. La méditation que ne pratique pas Marcel est peut-être une voie à pratiquer pour accéder à ce qui animerait tout ce qui vit, des pierres aux arbres, des insectes aux hommes, à ce qui unifierait la diversité de ce qui est créé, qui ferait que nous appartenons à un univers fait de liens, d'inter-actions, d'énergie, d'informations. Tout est dans Tout, tout et réciproquement. La nature est en nous. Nous sommes des êtres de Nature, reliés à tous les autres, pas au-dessus ni en dessous, à égalité de considération, de respect, d'amour et de compassion. On sent à travers ce que dit Marcel (à l'attention qu'il porte aux araignées ou aux cerises aigre-douces par exemple) qu'il est proche de tout ce qui vit et qu'il pourrait aller jusqu'à une forme d'animisme.

Après un vagabondage inachevé vers le soufisme, il va de lui-même vers le taoïsme, sans l'influence d'Émilie mais c'est bien elle, en dehors de Heidegger, qui a marqué de son empreinte Marcel, lequel était dans l'Ouvert, disponible. Il avait 80 ans.

Le dernier mot du livre est Merci, Émilie.

 

Jean-Claude Grosse, 11 septembre 2019

un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement
un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement

un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement

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Regard(s) sur le passé/Marcel Conche

23 Mars 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture

couvertures des deux derniers livres de Marcel Conche; photo à l'origine de la couverture de Regard(s) sur le passé, prise près de la chapelle des pénitents à Beaulieu sur Dordogne, photo François Carrassan (droits réservés)
couvertures des deux derniers livres de Marcel Conche; photo à l'origine de la couverture de Regard(s) sur le passé, prise près de la chapelle des pénitents à Beaulieu sur Dordogne, photo François Carrassan (droits réservés)
couvertures des deux derniers livres de Marcel Conche; photo à l'origine de la couverture de Regard(s) sur le passé, prise près de la chapelle des pénitents à Beaulieu sur Dordogne, photo François Carrassan (droits réservés)

couvertures des deux derniers livres de Marcel Conche; photo à l'origine de la couverture de Regard(s) sur le passé, prise près de la chapelle des pénitents à Beaulieu sur Dordogne, photo François Carrassan (droits réservés)

Regard(s) sur le passé

Marcel Conche

HD Diffusion 2019

 

À quelques jours de ses 97 ans, Marcel Conche publie Regard(s) sur le passé chez HD Diffusion où il a précédemment publié Regain (« L'âge me laisse des regains de jeunesse » Quinault).

Ses regards sur le passé prennent des titres surprenants du genre Rêver dans le passé (2001-2002-2005-2006-2007-2008-2009-2010-2012-2015), Dans mes carnets.

Il s'agit d'inventaires, occupant l'année entière ou seulement une partie, d'envois de livres, de visites, de coups de téléphones, de lettres. On peut se demander qui ça peut bien intéresser en dehors de Marcel et des personnes citées. En tout cas, c'est très précis ce qui signifie que Marcel note dans agendas ou carnets, tout ce qui constitue rencontres et partages, noms des personnes et titres des œuvres. Et cette précision, paradoxe, lui sert à rêver sur les événements ou personnes évoqués mais il ne nous dit rien de ses rêves.

On connaît les imprévisibilités du rêve comme de la rêverie. On est dans d'autres temps (l'inconscient ne distingue pas le passé, le présent, le futur; le Unus Mundus de Jung est le Monde Un des alchimistes du Moyen-Âge, dans lequel espace et temps ne sont pas séparés, esprit et matière non plus; l'inconscient collectif de Jung est un champ matriciel de possibles d'où naissent et agissent les synchronicités, concept élaboré par Jung à partir de ses rencontres avec Einstein et Pauli en particulier), d'autres espaces (avec Einstein, l'espace est devenu comme élastique, modifiable en fonction de l'action des forces à l'oeuvre dans l'univers dont l'électro-magnétique; dans le rêve, on peut se voir voler, non soumis à la gravité), d'autres logiques (acausale par exemple où il n'y a aucun rapport causal, aucun lien logique entre un événement et un autre, c'est ce qui est arrivé lors de la 1° rencontre de 13 H entre Freud et Jung pendant laquelle Jung annonça par deux fois qu'il allait y avoir un craquement, ce qui se produisit, ce que Freud ne pris pas au sérieux d'où à terme, la rupture entre les deux hommes et les recherches jungiennes sur les symboles, archétypes universels de l'inconscient collectif, de l'Unus Mundus qui a une existence objective, encore faut-il ne pas chercher dans une synchronicité une relation de cause à effet mais se laisser guider par ce que la synchronicité signale d'un sens possible), dans des mondes autres (on peut au cours d'un rêve, d'une durée très brève qui nous semble longue, voyager au milieu de créatures imaginaires; les métamorphoses y sont légion; en général, on ne prête pas attention à nos rêves; si on ne fait pas l'effort de les noter ou raconter, ils disparaissent dès le sursaut dans un cauchemar ou dès le réveil; Jung, Fellini ont su s'imposer ce travail;à partir du livre de mes rêves, Fellini a fabriqué tout son univers de personnages et décors; Jung avec son livre rouge/récits d'un voyage intérieur, retrouver son âme, a analysé, décrypté des visions, des symboles et archétypes souvent obscurs).

Dommage que Marcel Conche qui ne croit pas à la psychanalyse mais qui sait parfois raconter et décrypter ses rêves ne nous en dise pas plus. Les rêves, rêveries qu'il fait sont-ils une restitution à l'éternel de ce qui a été passager, fugace et qui s'oublie ou pas ? (lire plus bas le CR de l'atelier de lecture du 23 mars au Revest)

En tout cas, par sauts d'escalier qui me sont habituels, idée, élan créatif m'a été apportée sur un plateau de cochonnailles par deux amis qui apprenant ma mésaventure avec la publication du livre Le bord des falaises ou comment se relever de ses morts ? m'ont clairement dit de refaire en rêverie éveillée les 16 promenades faites avec la photographe du livre. Ainsi donc, une histoire que je n'ai pas vécu comme échec, comme gâchis, dont je n'ai pas cherché à expliquer la rupture brutale aura donné un livre pluriel, Le bord des falaises, une pièce de théâtre, The last video (porn theater) et un récit de promenades (Retours de promenades ou 16 promenades revisitées, à écrire mais le déclic a eu lieu en regardant mes agendas 2017-2018). C'est une rencontre heureuse avec des personnes amies à un moment festif et opportun de disponibilité qui a ouvert cette nouvelle perspective.

 

« Sans doute nos visions nocturnes ne sont-elles, pour la plupart, qu’un faible et imaginaire reflet de ce qui nous est arrivé à l’état de veille. D’après mon expérience personnelle, je ne puis douter que l’homme, quand il perd conscience de ses liens avec la terre, séjourne vraiment dans une autre vie incorporelle très différente de celle que nous connaissons, dont il ne garde, au réveil, que des souvenirs vagues et confus. Ces fragments estompés nous permettent de déduire bien des choses et d’en prouver fort peu. Nous pouvons deviner que, dans nos rêves, la vie et la matière, telles que nous les trouvons dans notre monde, ne sont pas nécessairement constantes ; que le temps et l’espace n’existent pas tels que nous les comprenons à l’état de veille. Parfois, je crois que la vie matérielle n’est pas notre vie véritable, et que notre futile présence sur le globe terrestre est un simple phénomène secondaire ou virtuel. »

H.P. Lovecraft, Par-delà le mur du sommeil.

On ne peut qu'être étonné de la richesse des rencontres de Marcel, de leur nombre. Marcel, le solitaire, ne l'est pas tant que ça. Et les visites qu'il reçoit semblent le satisfaire sauf une fois, « visite non souhaitée ». Dans les personnes nommées ou prénommées, beaucoup de femmes, quelques hommes. Envers les femmes, Marcel peut éprouver une gamme de sentiments et d'émotions manifestant sa grande sensibilité au charme féminin, à la Beauté. Envers les hommes, il s'agit d'amitié. En ce qui concerne le passé, Marcel distingue la mémoire de l'esprit qui oublie, la mémoire du cœur qui n'oublie pas. Mémoire de l'esprit en ce qui concerne événements, circonstances, propos. Mémoire du cœur en ce qui concerne l'essentiel, l'être de l'autre dans son entièreté.

Qu'est-ce qui pousse Marcel à travailler chaque matin, à écrire sa page ? Il distingue dans l'oeuvre, ce qui est créatif, qui restera pour l'éternité, Anaximandre, Héraclite recomposé et ce qui n'a pas ce statut. Mais dans les deux cas, ce qui compte c'est le souci de la vérité, vérité des situations, des personnages, vérité dans les choses, vérité dans les propositions car seule la vérité triomphe dit-il du temps éternel. La vie rajoute-t-il a un sens si gouvernée par la raison, elle mène au bien, donc au vrai, donc à l'éternel.

Il me semble que l'on peut reprendre autrement ces remarques. Quand Marcel note dans ses agendas ou carnets, un événement, une rencontre, c'est une façon de ne pas oublier. Reprenant l'agenda, retrouvant l'événement, sa date, il peut réactiver le souvenir et nuit venue ou sieste venant, il peut en rêver, indépendamment de sa volonté, de sa raison sauf s'il a appris à être acteur dans son rêve. Ce rêve, cette rêverie ne sont pas son œuvre. Il a fourni le matériau à une métamorphose proposée par le Monde Un, l'inconscient collectif, universel. Ce pourrait être quelque chose comme cela : « Les choses les plus ordinaires m'effraient. Le soleil. Des ombres sur l'herbe. Des roses blanches. » Rosemary Timperlay. Tout est effrayant, tout est source de peur, un peu ce que dit la 4° de couverture de mon livre Journal d'un égaré, sur l'opacité, l'étrangeté, la dureté de la nature loin de que l'on est tenté de nommer la beauté de la nature. Mais nous n'en saurons rien, à nous de rêver les rêves de Marcel.

Dit encore autrement, notant, il surligne si je puis dire le fait que ce qui est noté a eu lieu, never more, qu'il sera toujours vrai que ça a eu lieu, forever, et cela indépendamment du souvenir qu'on en garde.

Reprenant une métaphore mienne, j'en tire, depuis 2010, que nous écrivons un livre d'éternité de notre premier cri à notre dernier souffle, livre unique, non écrit d'avance, s'écrivant à chaque instant, et allant se ranger dans la grande bibliothèque du Monde des Vérités. Métaphore qu'il faut explorer, creuser, laisser parler.

Je n'ai guère avancé depuis L'éternité d'une seconde Bleu Giotto (2014). Mais je crois, sans preuves, que nos vies sont mémorisées comme « livres », que cette mémorisation n'est pas seulement en lien avec la subjectivité de la mémoire, plus ou moins fiable, que c'est une mémorisation objective dans le Monde des Idées comme est objective, agissante, vivante, active à tout moment, la mémoire inscrite dans notre ADN, vieille de 3 milliards d'années d'évolution et nous survivant un million d'années après notre « disparition ».

Voilà un thème qui mérite prolongement.
Pour conclure sur cette lecture, j'ai particulièrement apprécié la page sur le revolver (chapitre XXVI
Le regret, pages 65-66) qui lui permettrait, dit-il, de se libérer. J'ai senti la jubilation, qui s'est transmise à moi, qu'il a sans doute éprouvé à provoquer le lecteur avec la facilité du suicide, il suffit d'un revolver.

 

Jean-Claude Grosse

4° de couverture du Journal d'un égaré

4° de couverture du Journal d'un égaré

ce samedi 23 mars, 4° atelier de lecture du Revest de 18 à 21 H 30, nous sommes 5 (on est arrivé à être 10 au Cercle du Revest, très agréable lieu à l'accueil chaleureux et aux boissons goûteuses);

présentation du dernier livre de Pablo Servigne: une autre fin du monde est possible; décision est prise de mettre en place un atelier d'écriture d'un récit imaginé, très concret, de vie sur un territoire en transition ou en résilience selon les réalisations de Rob Hopkins qu'on pourra entendre à La Foire Bio de La Farlède dans deux conférences le 14 avril à 11 H et à 15 H; longue discussion sur les GJ, sur la mort du centre-ville de Toulon, doit-on en attribuer la responsabilité à 4 mois de manifestations qui tuent les petits commerces ?

nous avons consacré pas loin de 1/2 H sur les retombées négatives des manifestations qui depuis 4 mois perturbent le commerce local du centre-ville; ce fut chaud (par exemple, un  coiffeur « blanc » a fermé 3 jours en 5 jours 15-16 et 19 mars, trésorerie à sec, il envisage de fermer, avec les conséquences en cours au centre-ville depuis pas mal de temps: renouvellement de population, commerces de "luxe qui ferment", loyers payés rue des arts par la mairie); 
on doit être à l’écoute de tout cela et ne pas rester que sur nos actions qui ne sont pas sans conséquences; 
être responsable c’est aussi entendre les plaintes, les agacements et éventuellement corriger
certes il y a eu des opérations à Carrefour Ollioules et à avenue 83 mais suites judiciaires à Ollioules (3 condamnations, quelle solidarité avec eux ?

présentation du livre Les hasards nécessaires de Jean-François Vézina (la synchronicité dans les rencontres qui nous transforment), en quoi les synchronicités ne sont pas des coïncidences, comment ce sont des manifestations issues de l'inconscient collectif et qui sont des indications pour une transformation quand on est à un carrefour, dans une impasse (lorsque plus rien n'est possible, seul l'impossible peut survenir ou je n'ai aucune chance, je dois donc la saisir) et qu'il faut apprendre à déchiffrer avec prudence, en quoi le Yi King peut être un outil avec ce que disent (ce qu'on fait dire) les 64 hexagrammes chinois; l'une d'entre nous a jeté 6 fois les 3 pièces, émergence de l'hexagramme le K'ien, le créateur, l'élan créatif; a été abordé le rôle du rêve, un rêve est une actualisation au présent d'un problème du passé, une résolution au présent de ce problème, de cette souffrance, de ce poids; encore faut-il apprendre non seulement à retenir ses rêves mais surtout à être actif pendant le rêve, ne pas le subir, le vivre passivement mais être agissant, intervenir en conscience, sachant que la conscience qui agit n'est pas la conscience analytique cérébrale, la CAC 40 mais la Conscience universelle ou l'univers ou (peu importe le nom, le Soi, Dieu...); un exemple nous a été donné de rêve récent: dans le rêve, il arrivait à son cabinet qui était vidé de tout son matériel, angoisse, peur, prise de conscience de cette peur qu'il ne savait pas qu'il l'avait à l'intérieur de lui, pouvoir d'action sur cette peur identifiée; fut abordée aussi la nécessaire transformation de certaines habitudes, préalable à des transformations collectives: et si on supprimait le frigo, et si on supprimait la télé, et si dès 17 H, on stoppait tout écran, portable, tablette, ordi, et si on Qi Jonguer chaque jour, et si on méditait chaque jour, et si on réduisait les déplacements en voiture ...

Rêver dans le passé, voilà donc un titre qui fait fortement résonance; ce sera une des questions que je poserai à Marcel lors de notre visite pour ses 97 ans du mardi 26 mars au jeudi 28 mars avec l'ami F.C. (le 27, anniversaire de Marcel, le 28, anniversaire de Rosalie)

cliquer sur le lien pour accéder à un document remarquable sur le livre rouge de Jung

https://www.cgjung.net/livrerouge/livret-livre-rouge-musee-guimet.pdf

 

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Pour Maria Schneider

27 Novembre 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #pour toujours

le dernier tango ne fut pas ce que l'on a cru

le dernier tango ne fut pas ce que l'on a cru

article du 5 mai 2011, réactualisé avec la disparition le 26 novembre 2018, de Bernardo Bertolucci

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Avec 3 mois de retard, cet hommage à Maria Schneider disparue le 3 février 2011, à travers un article de Paris-Match,

un texte de Brigitte Bardot, lu par Alain Delon

et deux vidéos

Un petit travail de recherche sur et pour Maria Schneider, disparue à 58 ans d'un cancer généralisé.

Je ne peux pas ne pas faire le lien avec la mouette disparue à 62 ans d'un cancer foudroyant en un mois (29 octobre-29 novembre 2010).

Il y a des êtres en lumière qui aimeraient un peu d'ombre, de secret. Il y a des êtres secrets, de l'ombre qui ne demandent pas la lumière.

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L’épousé – mon p’tit chat, reviens ici-haut.
Tu m’as dit à Cuba : Mourir... dormir, rien de plus... peut-être rêver. Je te dis : Vivre... Dormir... Rêver, c’est bien séparé...
Ta chaise t’attend pour traverser notre seize mille huit cent trente-sixième nuit d’amour

L’épousée –... mon p’tit chat, pour sortir, mets-moi mes tennis blanches et dans le sac à dos, pour les mauvais jours, mes tennis noires.

(Noir ou pleins feux)

L’hôpitaL – La vie n’a pas de prix. Sauver ou pas une vie, a un coût. Votre Dette, madame, pour la période du 29 octobre au 29 novembre 2010 dans notre établissement s’élève à trente-deux mille neuf cent quatre-vingt-neuf euros et quatre-vingt-dix- neuf centimes d’euros, prise en charge par la Sécurité sociale.

(L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, Les Cahiers de l'Égaré, 2014)

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grossel

 

culture-match | Jeudi 3 Février 2011

Maria Schneider l'enfant perdue du cinéma
 

1972 : choisie par le metteur en scène italien Bertolucci, Maria Schneider est, avec Brando, la vedette du scandaleux "Dernier Tango à Paris". |

Emportée par un cancer à l'âge de 58 ans, Maria Schneider a passé sa vie à courir après un bonheur qui lui filait toujours entre les doigts. En juin 1978, Paris Match avait retrouvé l'actrice meurtrie du "Dernier Tango à Paris". "Révoltée contre tout elle s'était enfuie et se cachait dans la forêt nordique".

Ce sont deux mystérieuses divinités de la forêt cachées tout là-haut, dans un royaume du silence bleu. Autour d'elles une lumière d'or. Et sûrement la foule invisible de trolls qui peuplent les légendes de Suède. Maria. Joan. Là, à cinq cents kilomètres de Stockholm, à dix kilomètres du village le plus proche, au milieu des provinces les plus désertes de toute l'Europe septentrionale, elles sont venues se réfugier. C'est peut-être là que Maria Schneider a les meilleures chances de retrouver les forces de l'espoir de la vie. Rappelons-nous. Maria Schneider, ce fut le scandale mais aussi le fabuleux succès du «Dernier Tango à Paris».

Le visage et le corps d'une gamine inconnue la veille et qui brutalement s'envolait au sommet de la gloire, avec son charme acide et son auréole de perversité ingénue. On aurait dit qu'elle n'avait pas de biographie — sinon ce genre de biographie irréelle des possédés du cinéma, fabriquée de toutes pièces avec des ragots, des songes et des forfanteries. Son père est Daniel Gélin. A-t-il souhaité que sa fille entre, après lui, dans ce métier de détresse et de fascinations? On ne sait pas. A quinze ans, Maria quitte l'école, prend pour pseudonyme le nom de sa mère et débute au «Théâtre 347» dans «Superposition», de René Ehni, où elle joue le rôle d'une danseuse.

Elle est alors une sorte de Brigitte Bardot pour temps de contestation générale, seins encore enfantins sous la courte tunique, un érotisme de fruit vert, longues jambes de pensionnaire moulées dans les hautes bottes que chérissent les grisonnants amateurs de Lolita. Une biche impudique. Elle a été cover-girl, bien entendu. Elle tourne une poignée de films qu'il ne sert à rien de citer aujourd'hui. Elle attend. En peignant des toiles naïves. En se mêlant aux hippies de Chelsea, ou de la Costa del Sol. En 72, Bernardo Bertolucci, qui veut tourner «Dernier tango à Paris», cherche la partenaire idéale pour Marlon Brando. Bertolucci se rappelle que cette petite actrice, fille de Daniel Gélin, qui a été un grand ami de Marlon Brando. Maria éclate de rire.

– Brando, pour moi, c'était l'idole de ma grand-mère! Il avait 48 ans!

Un grand bonhomme, ce vieux Brando, quand même. Et pour tout dire: un géant. A l'idée de lui être présentée, elle est folle de panique.

- C'est lui qui est venu vers moi sur le plateau. J'aurais voulu disparaître sous la terre! Il m'a prise dans ses bras et m'a dit: “Allons, n'aie pas peur. Nous allons tourner deux mois ensemble, mais ça se passera très bien, tu verras…”»

Aujourd'hui, elle songe à ces instants-là. Elle a toute la durée des jours et des nuits pour revoir sa vie, essayer de mettre un peu d'ordre dans tout ce tourbillon qui l'avait saisie il y a six ans, qui l'a emportée, et où elle a failli se perdre.

AVEC JOAN ELLE CHERCHE À
OUBLIER LE CAUCHEMAR DU TANGO

- Ici, poursuit-elle, on n'entend que les oiseaux. On ne pense à rien. Boire du thé. Manger des fruits. C'est ça, la vie. Mais je me demande pourquoi je vous raconte tout ça. Je n'ai pas à me justifier. On pense de moi ce qu'on veut, que je suis une paumée, une droguée, une camée mal peignée, que j'ai mauvais caractère. Je m'en fous…» Mais les spectateurs n'ont pas besoin de savoir que la petite Maria, après le tournage de la fameuse «scène du beurre», a été se cacher au fond de sa loge, et a pleuré toute la nuit comme une enfant.

C'est loin. C'est tout proche. «Le dernier tango», elle a beau dire, l'accompagne ici, en Suède, au milieu de cette magie de feuillages, sous la clarté de l'été septentrional.

Parce qu'après le film, ce fut la curée. On se bousculait pour aller voir la scène graveleuse, en oubliant souvent ce qu'il y avait de transparent et de sublime dans le «Tango». A Rome, où elle était allée tourner «Jeune fille libre le soir», de René Clément, on l'insultait dans la rue, au restaurant. Un journal osa titrer: «Maria fait son beurre à Rome». Un fabricant de produits laitiers mit son portrait sur des paquets de beurre.

Elle se tint le front haut sous la provocation. Trop, au goût du public. On lui prêtait des aventures? Elle en revendiqua des dizaines. Avec des hommes? Oui, et de toutes les manières, et avec des femmes aussi, voyez le kamasoutra, et la drogue en plus si ça vous plaît! Toutes les drogues! Le haschich et même l'héroïne!

En plein tournage, elle se fait enfermer à l'asile psychiatrique de Rome, pour rejoindre une amie, une Américaine de 28 ans. Puis, tout à coup, l'envie de partir bien loin, dans un monde végétal, un conte à la Selma Lagerlöf. Elle est venue en Suède. Avec une amie, Joan Anderson, photo-modèle international. L'ex-femme du trompettiste Quincy Jones, celui qui a composé la musique du film «Racines». Joan est belle, douce. C'est la grande sœur raisonnable. Il y a de bons génies dans la forêt suédoise. L'armée immobile des arbres sait la légende du rameau vert qui donne le bonheur à celui qui le trouve – Tolstoï a voulu que près de sa tombe à Iasnaïa Poliana une phrase écrite sur un panneau rappelle cette légende. La verte paix, par-delà le bien et le mal.

Il était une enfant trop vite montée vers la gloire. Elle ne savait comme il est lourd le prix à payer, quand on a fasciné avec son corps, ses gestes, des millions de regards. A qui l'expliquer? Pour vous écouter, il n'y a que les arbres. Pour vous guérir aussi. 

Roger Chateauneu - Paris Match

 

Maria, un petit cœur perdu

Avec sa bouille d’éternelle femme enfant et son caractère de petit chat sauvage, elle a conquis le monde avec la fulgurance d’une météorite enflammée qui pulvérisa tout sur son passage ! Passage éclatant mais éphémère où, offrant son corps de velours à un Marlon Brando au faîte de sa gloire, elle choqua, scandalisa par son impudeur, mais marqua à jamais par son insolence une époque qu’elle a désormais personnifiée. Sous ces dehors, ces images, se cachait un petit cœur perdu, une gamine à la dérive, sans port d’attache, propulsée au plus haut sans y être préparée, redescendant forcément sans parachute et livrée à tous les excès pour combler les vides d’une gloire qui l’abandonnait.


Brigitte Bardot 4 février 2011

article  de Next du 3 février 2011

Clap de fin. Maria Schneider est décédée ce jeudi 3 février 2011 à 58 ans des suites d’un cancer. L’actrice était surtout connue pour pour son rôle au côté de Marlon Brando dans le Dernier Tango à Paris réalisé par l'Italien Bernardo Bertolucci.

Maria Schneider est la fille du mannequin Marie-Christine Schneider et de l'acteur Daniel Gélin (qui ne l'a jamais reconnue). L'actrice avait 19 ans quand elle a tourné le film de Bertolucci dont l'action se passait dans un appartement près du pont de Bir-Hakeim, à Paris.

Dans cette «aventure» relatée par Serge July dans un documentaire intitulé Il était une fois... le Dernier Tango à Paris, une grande partie de l'équipe du film se souvient d’un tournage éprouvant, d’une expérience folle et douloureuse, dont personne n’est sorti indemne. L'actrice reprochait au réalisateur italien cette scène de relation sexuelle forcée avec Brando :

Selon elle, ni Brando ni le metteur en scène ne l’avait prévenue de l’usage du beurre – destiné à faciliter une scène de sodomie qui l’a traumatisée. «Je me suis sentie violentée. Oui, mes larmes étaient vraies», a-t-elle déclaré à plusieurs reprises. «J’étais jeune, innocente, je ne comprenais pas ce que je faisais. Aujourd’hui, je refuserais. Tout ce tapage autour de moi m’a déboussolée», confiait-elle dix ans plus tard. Elle avouait alors avoir «perdu sept ans de (sa) vie» entre cocaïne, héroïne et dégoût de soi. A repousser des rôles directement inspirés de celui de Jeanne.

En 2001, alors qu’un hommage lui était rendu par le Festival du film de femmes, à Créteil, Maria Schneider confiait à Libération(http://next.liberation.fr/culture/0101368233-maria-schneider-l-insaisie) avoir revu le Tango deux ans auparavant et l’avoir trouvé daté. Et, en passant, tacle le réalisateur en affirmant que c'est Brando qui a réalisé une bonne part de la mise en scène, «dictant à un Bertolucci soumis ce qu’il devait faire».

Bernardo Bertolucci a affirmé mardi soir qu’il aurait «voulu demander pardon» à Maria Schneider. «Sa mort est arrivée trop tôt. Avant que je ne puisse l’embrasser tendrement, lui dire que je me sentais liée à elle comme au premier jour, et, au moins pour une fois, lui demander pardon», a déclaré le réalisateur à l’agence italienne Ansa.

«Maria m’accusait d’avoir volé sa jeunesse et aujourd’hui seulement je me demande si ce n’était pas en partie vrai. En réalité, elle était trop jeune pour pouvoir soutenir l’impact qu’a eu le succès imprévisible et brutal du film. Marlon s’était réfugié dans sa vie privée impénétrable et tout le poids de la promotion du film est retombé sur Maria et moi», a-t-il ajouté.

Le film sortit en salles en Italie le 15 décembre 1972 mais fut d’abord interdit puis, après de nombreuses péripéties judiciaires, condamné purement et simplement à la destruction – toutefois quelques copies sont conservées à la Cinémathèque nationale italienne.

Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a salué «l'image singulièrement forte» de Maria Schneider, «la partenaire à la fois séduisante, innocente et sévère de Marlon Brando, devenue une icône du cinéma».

Outre le Dernier Tango à Paris, Maria Schneider a joué dans Profession: Reporter de Michelangelo Antonioni (1973), Merry Go-Round de Jacques Rivette (1977), Voyage au jardin des morts de Philippe Garrel (1976) ou encore les Nuits fauves de Cyril Collard (1992).

L'actrice sera inhumée au Père-Lachaise après une cérémonie religieuse dont la date n'est pas encore connue.

article du Huffington Post du 26 novembre 2018

CINÉMA - Il était le réalisateur de films célèbres comme "Le Dernier Empereur", "1900" et bien sûr... "Le dernier tango à Paris". L'Italien Bernardo Bertolucci est mort ce lundi 26 novembre à l'âge de 77 ans. Et, au moment de faire le bilan de sa carrière, impossible de passer outre les révélations sur une scène bien particulière de sa filmographie: celle du viol de "Dernier tango à Paris" avec Maria Schneider et Marlon Brando.

Cette dernière décennie, Bernardo Bertolucci est passé du statut de cinéaste adulé (il reçoit en 2011 la Palme d'or d'honneur pour l'ensemble de son œuvre) à celui de réalisateur abusif et honni. Ce revirement de situation tient aux révélations autour de la scène de viol de son film culte et de la sombre histoire qui l'entoure.

Il a fallu 44 ans, plusieurs interviews et des réactions d'acteurs pour que, ce qui est réellement arrivé à l'actrice Maria Schneider, 19 ans à l'époque, refasse surface.

Dans ce film réalisé en 1972 par Bernardo Bertolucci, une jeune Parisienne (Maria Schneider) vit une relation charnelle et violente avec un Américain plus âgé (Marlon Brando). Classé X dans de nombreux pays et interdit aux moins de 18 ans en France, ce long-métrage est surtout entré dans l'histoire pour la scène où la jeune femme est violée, sodomisée dans une cuisine, avec l'utilisation d'une motte de beurre en guise de lubrifiant.

Cette scène et son histoire ont refait parler d'elles en décembre 2016, dans un article de la version américaine du magazine ELLE. "Bertolucci admet avoir scénarisé en secret la scène de viol du 'Dernier tango à Paris'", titre alors le magazine qui utilise comme preuve une vidéo datant de 2013.

ELLE ressort ainsi une interview du réalisateur, dans laquelle l'Italien admet avoir ajouté la scène de viol au tournage sans prévenir la jeune comédienne à l'avance, et avec la complicité de Marlon Brando.

"La séquence du beurre est une idée que j'ai eue avec Marlon la veille du tournage. Je voulais que Maria réagisse, qu'elle soit humiliée. Je pense qu'elle nous a haïs tous les deux parce que nous ne lui avons rien dit", reconnaît le cinéaste dans cette vidéo.

Au moment de la disparition de Maria Schneider (morte en février 2011), le réalisateur avait fait part de regrets. Il aurait "voulu demander pardon" à l'actrice, marquée à vie par cette scène dans laquelle elle finit en larmes.

En décembre 2016, alors que tout ceci refait surface, Bernardo Bertolucci s'est une dernière fois exprimé -dans un communiqué- sur cette fameuse scène: "Je voudrais, pour la dernière fois, clarifier un malentendu ridicule qui continue à être rapporté à propos de 'Dernier tango à Paris' dans des journaux du monde entier. Certains ont pensé et pensent que Maria n'avait pas été informée de la violence subie (dans la scène). Faux! Maria savait tout parce qu'elle avait lu le scénario où tout était décrit. La seule nouveauté était l'idée du beurre."

Une actrice traumatisée

Au cours de sa carrière, Maria Schneider est revenue plusieurs fois sur la scène qui l'a traumatisée. Il n'y a pas eu de réelles scènes de sexe dans "Le dernier tango à Paris" entre elle et Brando comme elle l'a expliqué dans une interview pour le Daily Mail en 2007. Pas de pénétration, mais ça n'a pas empêché la jeune comédienne de se sentir "humiliée" et "violée".

"Cette scène n'était pas dans le scénario original. La vérité c'est que c'est Marlon qui a eu l'idée, a déclaré l'actrice lors de cette interview. Ils me l'ont dit juste avant qu'on filme cette scène et j'étais révoltée. J'aurais dû appeler mon agent ou faire venir mon avocat sur le tournage car on ne peut pas forcer quelqu'un a faire quelque chose qui n'est pas dans le scénario, mais à l'époque, je ne savais pas. Marlon m'a dit: 'Maria, ne t'en fait pas, c'est juste un film'. Mais pendant la scène, même si je savais que ce que Marlon faisait n'était pas pour de vrai, mes larmes étaient vraies. Je me suis sentie humiliée et pour être honnête, j'ai eu un peu l'impression d'être violée, par Marlon et Bertolucci. A la fin de la scène, Marlon n'est pas venu me consoler ou s'excuser. Heureusement, une prise a suffi."

Après ce film, Maria Schneider n'est plus jamais apparue nue dans un film. Cette scène, le scandale autour du film et l'attention médiatique qui ont suivi ont fait des ravages chez cette jeune actrice. Tout ce cirque l'ont rendu "folle", a-t-elle déclaré. "Je suis tombée dans les drogues - marijuana, cocaïne, LSD et héroïne - c'était une façon de fuir la réalité."

Un autre regard juste avant #MeToo

 

Tous ces éléments tragiques étaient déjà sortis dans la presse. Mais le simple article de ELLE en 2016 a relancé la polémique et fait connaître cette histoire à des personnalités du monde du cinéma comme au grand public.

L'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo n'ont éclaté que plusieurs mois plus tard, en octobre 2017, mais à l'époque, nous sommes quelques jours après le suicide du photographe David Hamilton, accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes, dont Flavie Flament. Exhumée, les déclarations de Bertolucci trouvent un autre écho.

En découvrant le drame autour de cette fameuse scène de la motte de beurre, de nombreuses personnalités hollywoodiennes se sont offusquées.

"À toutes les personnes qui adorent ce film: Vous regardez une fille de 19 ans se faire violer par un homme de 48. Le réalisateur a planifié cette attaque. Ça me rend malade", écrit Jessica Chastain.

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L'Origine du monde/ Le Jardin d'épices/ Le Jardin des Délices

23 Novembre 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #pour toujours

allez, je sors du purgatoire cet article du 27 janvier 2009, écrit 7 ans après la création de Père de Strindberg au Gymnase à Marseille le 22 février 2002, il y est question du Jardin des délices de Bosch, de l'Origine du monde de Courbet; j'ai rajouté des photos de Orlan (l'origine de la guerre, le baiser de l'artiste) et de Deborah de Robertis (le miroir de l'origine) et une captation de la rencontre entre Marina Abramovic et Ulay au MoMa en 2010; voilà de quoi inspirer les couples séparés

Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices
Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices

Courbet, Orlan, l'affiche de Père au théâtre 71 à Malakoff, Deborah de Robertis, Ya.Smine, le couple du Jardin des délices

performance initiée par Deborah de Robertis, le 15 décembre 2018 sur les Champs-Elysées; qui a la trique ?; le mot trique étant évidemment polysémique, offrant à chacun un petit miroir pour voir ce qu'il croit entendre; un face à face sans regard vers l'autre, deux mondes avant la guerre civile aboutissement de la guerre des classes que livre les hauts mineurs aux bas majeurs; imaginons comme en Russie, la Marianne a un miroir devant son visage, comment réagit l'effrontée qui lui fait face ?
performance initiée par Deborah de Robertis, le 15 décembre 2018 sur les Champs-Elysées; qui a la trique ?; le mot trique étant évidemment polysémique, offrant à chacun un petit miroir pour voir ce qu'il croit entendre; un face à face sans regard vers l'autre, deux mondes avant la guerre civile aboutissement de la guerre des classes que livre les hauts mineurs aux bas majeurs; imaginons comme en Russie, la Marianne a un miroir devant son visage, comment réagit l'effrontée qui lui fait face ?
performance initiée par Deborah de Robertis, le 15 décembre 2018 sur les Champs-Elysées; qui a la trique ?; le mot trique étant évidemment polysémique, offrant à chacun un petit miroir pour voir ce qu'il croit entendre; un face à face sans regard vers l'autre, deux mondes avant la guerre civile aboutissement de la guerre des classes que livre les hauts mineurs aux bas majeurs; imaginons comme en Russie, la Marianne a un miroir devant son visage, comment réagit l'effrontée qui lui fait face ?

performance initiée par Deborah de Robertis, le 15 décembre 2018 sur les Champs-Elysées; qui a la trique ?; le mot trique étant évidemment polysémique, offrant à chacun un petit miroir pour voir ce qu'il croit entendre; un face à face sans regard vers l'autre, deux mondes avant la guerre civile aboutissement de la guerre des classes que livre les hauts mineurs aux bas majeurs; imaginons comme en Russie, la Marianne a un miroir devant son visage, comment réagit l'effrontée qui lui fait face ?

L'Origine du monde/ Le Jardin d'épices/ Père

 

Voyant à l'occasion de mon dernier séjour au Maroc (octobre-novembre 2008) le tableau réalisé par Ya.Smine, pour un amateur d'art et d'érotisme vivant à Marrakech, Le Jardin d'épices, tableau inspiré par L'Origine du monde de Gustave Courbet, je n'ai pu m'empêcher de penser à l'affiche proposée par le Théâtre 71 de Malakoff, sous la responsabilité de Pierre Ascaride pour le spectacle que devait créer Cyril Grosse, Père d'August Strindberg, en février-mars 2002.
Le spectacle a bien été créé mais pas dans la mise en scène de Cyril, disparu le 19 septembre 2001 à Cuba.
Les comédiens choisis par Cyril, François Marthouret, Anne Alvaro, Éléonor Hirt, Frédéric Poinceau, Victor Ponomarev, ... qui avaient déjà fait un travail à la table de 3 jours avec Cyril,  début septembre 2001, n'ont pas renoncé au projet et Père a été créé comme prévu, joué dans la traduction de Cyril et Gunnila Nord, dans une mise en scène de Julie Brochen.
Plus de 70 représentations ont eu lieu dans une quinzaine de villes de France.
Merci à eux, 7 ans après.

 

 







Le Jardin des Délices ou le règne de l'amour
de Hieronymus Bosch

 


 

 

En lien avec cet article sur Le Jardin des Délices, je mets en ligne deux passages tirés du roman de Cyril Grosse: Le Peintre, consacrés au tryptique de Hieronymus Bosch.
Le Peintre a été édité par Les Cahiers de l'Égaré, le 22-02-2002, pour la création de Père au Théâtre du Gymnase à Marseille.
Jean-Claude Grosse

 

 

 

– J’ai ici une édition d’Art, particulièrement belle, consacrée au Jardin des délices de Hyeronimus Bosch. Voilà plus d’une semaine que j’y travaille. (Il ouvre le livre, page huit cent trois. Admiration prolongée.) Je ne me suis intéressé, moi, qu’à un seul couple, dans cette profusion. (Sourire de contentement, il observe les réactions de Joseph.) C’est – entre parenthèses – ce qu’il y a de plus frappant dans l’œuvre de Bosch, son sens du détail – avec, bien sûr, les détours de son imagination –. Mon couple se trouve au centre du panneau central, presque au milieu du lac, entre le Paradis et l’Enfer. L’eau est opaque, mais l’on distingue les cuisses – jambes en fuite – et leurs corps, roses et blancs, comme sculptés, avec couleur. Ventre limpide de la jeune fille, le sein posé contre lui, une ombre pour le duvet et ses cheveux qui ruissellent – mais est-ce le mot ? –, bruns et ors, en gouttes et en fils. Elle ressemble à l’Ève du Paradis, vous ne trouvez pas ? (Du coin de l’œil à Joseph, il sourit.) Ils sont enlacés, le jeune homme retient la main, étrangement ouverte, de sa maîtresse. Ils sont enlacés, mais ce n’est pas une étreinte. Elle, regarde droit devant elle, lui, fixe l’on ne sait quoi, avide et inerte à la fois. (Exalté.) Quelle est la cause de cette mélancolie ? Cet oiseau, œil noir, qui semble les narguer ? Cette figure, qui dépasse, ici, de ce vase bleu ? Ou est-ce cet homme sur les plumes du grand oiseau ? L’Art, ses détails, le silence, bruits. Voilà, mon cher, à quoi j’occupe mes journées. Et j’en suis arrivé à la conclusion que cette mélancolie, ce léger effroi, vient d’eux, d’eux-mêmes oui, et non des autres. Mais Hyeronimus Bosch ne s’est certainement jamais intéressé à ce couple…  (page 25)

Huit heures quarante. Zéro-huit-quatre-zéro. Il se souleva. Ses genoux lui faisaient de plus en plus mal. Articulations : métal rouillé qui pourrit. Il quitta la bibliothèque en boitant, traversa le couloir et pénétra dans son cabinet de travail. L’édition de luxe du Jardin des délices, ouverte à la page huit cent trois, l’attendait ainsi que ses lunettes, sur le bureau en chêne massif. Des corps nus et colorés grouillaient toujours dans l’eau du lac, mais ses yeux ne distinguaient que des taches, un mouvement abstrait. Il chaussa ses lunettes – car il goûtait l’expression – et fut surpris par le sexe des personnages, leurs ébats l’étonnaient. Peut-être parce qu’il était nu, et que son corps lui apparaissait dans sa réalité effrayante et sans appel. Alors qu’il avait passé de longues heures à scruter les détails de ce jardin, c’était la première fois qu’il le voyait avec une telle précision : corps blancs, corps sans âge, des sexes de bambins, un érotisme froid. Aucun homme ne bandait. Des peaux lisses, sans bourrelets, sans replis, sans veines ni sang, une jeunesse éternelle. Et il fixa encore son couple fétiche. Mélancolie oui, mélancolie de la vieillesse, peur de la mort. Une illumination matinale, fatigue, irrationnel. Voilà d’où vient leur effroi. Diurne, nocturne. Et sans s’en rendre compte, il ouvrit la bouche et se mit à respirer comme un cardiaque.   (page 64)
 
 

 

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Journal d'un égaré/Les promeneurs solitaires

17 Octobre 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #essais, #écriture

bulletin de souscription valable jusqu'au 31 octobre
bulletin de souscription valable jusqu'au 31 octobre

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Est paru le 17 octobre, Journal d'un égaré de Jean-Claude Grosse, 317 pages, 43 entrées.
En souscription jusqu'au 31 octobre.

Journal d'un égaré

Jean-Claude Grosse

Sommaire

 

1 – Que dire sur le commencement ?

2 – La vie des plantes (Emanuel Coccia) / La Réunion, le choc végétal /

3 – De la grotte de Lascaux à la grotte du Vallon Pont d'Arc

4 – Invitation à création : 1000 mots pour la grotte Chauvet et l'Ardèche méridionale

5 – Lettres familières de Pétrarque à son frère Gherardo, moine à la Chartreuse de Montrieux

6 – On donne quoi quand on ne donne pas son temps

7 – L'été du Léthé du 1° juillet 2017 : Marie Madeleine

8 – Colloque sentimental  (Paul Verlaine et Stefan Zweig)

9 – Propositions pour une pensée élaborée par frottements entre plusieurs corps et pensées

10 – La Liberté (Marcel Conche)

11 – Présentation de ma philosophie (Marcel Conche)

12 – Ultimes réflexions (Marcel Conche)

13 – Métaphysique (Marcel Conche)

14 – Penser encore (Marcel Conche)

15 – Épicure en Corrèze (Marcel Conche)

16 – Un peu de temps sur le Temps

17 – Un de mes voyages au Maroc

18 – Le dit des dunes de l'erg Chebbi à Merzouga

19 – Le dit de la petite pierre tirée de la mer à Port-Cros

20 – La vie / la poésie

21 – Exercices d'admiration

22 – La mort de la bien-aimée (Marc Bernard)

23 – Au-delà de l'absence (Marc Bernard)

24 – Tout est bien ainsi (Marc Bernard)

25 – Le corps quantique (Deppak Chopra)

26 – Le fabuleux pouvoir de vos gènes (Deepak Chopra)

27 – Albert Camus, l'engagement est-il absurde ?

28 – Marx, le retour (Yvon Quiniou)

29 – Marx (Yvon Quiniou)

30 – La dernière génération d'Octobre (Benjamin Stora)

31 – L'homme qui aimait les chiens (Leonardo Padura)

32 – Théologie de la provocation / Causes et enjeux du principe totalitaire (Gérard Conio)

33 – Le triomphe de l'artiste / La Révolution et les artistes / Russie 1917 – 1941 (Tzvetan Todorov)

34 – Le cauchemar de Don Quichotte (Matthieu Amiech et Julien Mattern)

35 – Internet, un séisme dans la culture ? (Marc Le Glatin)

36 – Nouveaux médias, nouveaux langages, nouvelles écritures

37 – Qui doit être au centre : l'élève ou l'enseignant ?

38 – Propositions sur l'éducation artistique, la culture et l'école

39 – Quel gay sçavoir pour le 3° millénaire ?

40 – Rêve d'une école de la vie

41 – Jeu de l'invitation à la vie

42 – Le cosmos et le lotus (Trinh Xuan Thuan) /

Opacité / Clarté, entretien entre une cosmologue et un philosophe

43 – Que dire sur la fin ?

1-2-3- Décroissez !

Changer la ville, changer la vie !

Tout commencement est arbitraire.
Il n'y a pas de point zéro

le point zéro de tout big bang est inaccessible.
Tu ne peux tout réinventer, tout recréer.
Pars de ce qui est donné
et que tu ne peux refuser.
Pars de cette violence qui t'est faite
et que tu peux organiser.

Dieu nous a donné la Terre.
Nous la lui rendrons retournée, cultivée.
Il a fait l'animal humain.
Nous lui rendrons l'Homme. (1966)


J'ai osé cela, il y a 50 ans. Osé mêler Dieu à notre aventure terrestre et cosmique. Osé évoquer par trois fois un "nous", espoir d'unité et d'élévation très affirmé. Deux ans après, c'était 1968. Beaucoup, aujourd'hui, critiquent les idées de 68. Je souhaite aux jeunes et moins jeunes de connaître ce que nous avons vécu: un temps de parole, de propositions, de décisions et d'actions. J'ai peut-être eu la chance d'être bien placé: professeur dans le nord et doctorant à Nanterre. Membre élu du comité de grève du lycée et membre du comité de grève de la ville, Le Quesnoy. Le nouveau pouvoir, pendant trois semaines, ce fut l'assemblée générale quotidienne rassemblant 700 personnes en moyenne et qui décidait des tâches du jour pendant qu'au lycée, on jetait les bases, on posait les principes d'autres relations professeurs-élèves  et aux savoirs dont on percevait avec acuité les contenus idéologiques. Et quand j'allais à Nanterre où j'étais doctorant sur une Sociologie des lieux communs, c'était pour retrouver un grand professeur, Henri Lefebvre (Critique de la vie quotidienne, Le droit à la ville, La somme et le reste) et quelques leaders du mouvement du 22 mars dont Daniel Cohn-Bendit que j'ai enregistré en interview pendant 2 H.

Qui oserait 50 ans après, croire au "nous" ? Je vois triompher le "moi". Du "nous" exacerbé au "moi" enflé, tel est notre trajet majoritaire. Je note cependant l'émergence des créatifs culturels. Ils produisent de l'innovation. Cela suffira-t-il ?

Dans l'état actuel des connaissances, il semble qu'aucun Dieu n'a de projet pour l'Homme, que la Terre et le Cosmos n'attendent rien de l'Homme. L'humanité est vouée à disparaître. Puis la Terre. Puis le Soleil. Règnent le hasard et le chaos, avec de ci de là, dans le désordre universel, quelques zones d'ordre éphémère. Cela, nous pouvons en être à peu près sûrs malgré tous les créationnistes.
Dans l'état actuel de la pensée, il semble que des preuves n'existent ni pour une philosophie (une métaphysique) ni pour une religion.
Pour une religion, on a affaire à des croyances intimes ou forcées par coutumes et traditions.
Pour une philosophie, on a affaire à des convictions argumentées mais qui ne peuvent convaincre que celui qui veut être convaincu.

Je préfère les convictions aux croyances, les arguments fondés en raison plutôt qu'une adhésion irrationnelle à des dogmes ou une adhésion intime, indicible.
Donc, ma recherche de la vérité, but de la pensée et expression de ma liberté, ne peut être qu'une recherche ininterrompue jusqu'à ma mort. Cela ne veut pas dire que je change de convictions (il y a des convictions vécues qui se renforcent avec le temps, d'autres qui perdent de leur vigueur) alors qu'il peut m'arriver de changer d'opinions, plus fluctuantes parce que sans doute assez anecdotiques et superficielles (il en est ainsi pour moi des opinions politiques, même si j'observe ma fidélité parfois contre vents et marées et désillusions amères aux choix politiques, aux valeurs dites de gauche ; la seule opinion dite de gauche ou républicaine que j'ai refusée par deux fois, faire barrage au FN, la manipulation était énorme, tant et tant sont tombés dans le piège). Aujourd'hui, je m'abstiens.

Il peut aussi y avoir des tournants dans notre manière de voir, de sentir, de penser le monde.....

Que dire sur la fin ?

La fin est connue :

Individuellement

ma mort, ta mort, sa mort, notre mort, votre mort, leur mort.
 

Cette destination ne décide pas du dessin

de ma vie, de ta vie, de sa vie, de notre vie, de votre vie, de leur vie.

Quand les dessins de vie sont devenus destins, je parle de FINS DE PARTIES.

Les FINS DE PARTIES des « miens »

je m'en fais l'épitaphier

pour mon père :

Sur la pointe du pied

je suis parti

Crainte de déranger

même en faisant si peu de bruit (7 février 1986)

 

pour ma mère :

 

Au secret

je pars à regret

Beau jeu de ma vie

par quelle sortie

pour quelle impasse (19 mai 2001)

 

Je ne publierai pas de livre ayant pour titre FINS DE PARTIES.

J'ai écrit des articles sur mon blog : Disparition du Père, Disparition de maman, L'Insolite traversée de Cyril Grosse, Pensée pour Antonio Machado et Michel Bories dit Pof, Ultime performance de la mouette à tête rouge et d'autres. D'autres sont à venir.

On les trouve dans la catégorie FINS DE PARTIES, POUR TOUJOURS sur mon blog.

Je trouve qu'internet est un outil à utiliser contre l'oubli, pour se souvenir, pour transmettre un peu de ce que furent nos aimés (ou pas), pour faire le point aussi sur nos relations, mettre des mots sur les maux, heurs, bonheurs, malheurs.


 

Collectivement

Imaginez la scène. L’espace vide envahi tout à coup par des balles de ping-pong, animées chacune de sa vitesse, qui se touchent, se heurtent, se frôlent. Rebondissent. Incohérentes. Incapables de trajectoires.
Toujours détournées, arrêtées, relancées. Un désordre perpétuel.

- Aujourd'hui nous sommes 7 366 305 303… il accélère  304 305 306… 7, 8 puis la gestuelle qui annonce les autres tout en poursuivant, balles de ping-pong, qui nous agitons dans le
bocal du loto pour faire de bons numéros.
Vous imaginez l’agitation ? Quelqu’un peut comprendre le présent et prédire
l’avenir avec une pagaille pareille ? Les expertises, c’est comme les médicaments. Ça a des effets secondaires prévisibles.

Nous sommes sur la pente :

je t'épuise, je m'épuise à t'épuiser,

tu l'épuises, tu t'épuises à l'épuiser, il l'épuise, nous l'épuisons, vous l'épuisez

quoi ?

La planète

Nous nous rendons très bien compte de la 6° extinction des espèces

et de notre disparition,

morts que nous sommes,

du bulbe, de la moelle, du cerveau, du cœur

depuis l'enfance.

Aucun sursaut.

Plus besoin de stimuli.


 

Achevés pour l'éternité ?

Ou ultime salto réflexe ?

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