— C’est ton corps, dit-il (Fabien, son petit ami). Je te suivrai quelle que soit ta décision.
Claire est au lycée. Elle tombe amoureuse et enceinte de Fabien, qui est aussi amoureux d’elle mais pas vraiment prêt à affronter ce qui leur arrive. Claire entame alors un processus d’avortement…
« C’est ce processus que je vous propose de suivre sans manichéisme : le positionnement des proches, l’efficacité des médecins, les doutes et les certitudes qui se mélangent, le tout entrecoupé de flash-back sur l’histoire d’amour, la naissance du désir et ce premier émoi entre Claire et Fabien.
« Je suis pour l’avortement. Je suis pour que les femmes disposent de leur corps. Je suis pour le fait que la décision d’avorter leur appartienne.
Je pense aussi qu’il est des cicatrices que l’on ne regrette pas, mais que l’on n’oublie pas pour autant." écrit C.V. comme Claire Valège, C.V., comme C.V., Curriculum Vitae.
Ce spectacle se vit en immersion sonore, casque sur la tête, sauf à la fin, 1° cachet abortif absorbé.
C'est très bien joué par Juliette Allain qui a, à son actif, au moins 80 représentations.
Dispositif simple, une table, une chaise.
Des techniques d'acteur également simples mais efficces pour les changements de personnages (il s'agit d'un solo d'actrice jouant tous les personnages).
Metteur en scène Johanny Bert, Théâtre de Romette (Auvergne).
Le débat avec le public et le planning familial, avec lecture de textes datant du manifeste des 343 (1971), du manifeste des 331 (1973) et de la loi Simone Veil (17 janvier 1975) a été centré sur les motivations de l'autrice-auteure, sur le personnage de Claire et son choix (c'est mon corps, c'est ma vie), sur la qualité de l'interprétation et sur le dispositif avec casque permettant d'être en direct et de façon intime avec Claire.
L'auteure-autrice a signalé l'importance pour elle d'éviter les clichés, de renverser la relation habituelle mettant l'intime sous la coupe du politique (on se sent et on se met sous le regard et le pouvoir de l'Autre, la pharmacienne, la mère, le médecin, le petit ami, les copines...), elle cherchant plutôt à montrer l'impact possible de l'intime sur le politique (je tiens à décider par moi-même, même si j'ai des doutes, des hésitations, des peurs, je tiens à les gérer moi-même ; les autres, l'Autre, les dispositifs légaux d'aide à l'avortement se mettant au service de mon choix).
Ce débat m'a fait remonter aux années 1974-1980 (retour à Toulon) parce qu'Annie Grosse-Bories a été longtemps secrétaire bénévole au Planning familial 83, avant de devenir assistante sociale, éducatrice spécialisée, puis psychologue clinicienne au CMPP de La Seyne, formatrice à l'école d'assistantes sociales de la Croix-Rouge et enfin psychanalyste (je cite ce parcours parce que révélant sa force d'engagement). C'était rue Peiresc sous la houlette de Jeanine Braendlin à l'époque.
C'est dire si j'ai suivi les luttes du planning familial. Et bien sûr, j'ai soutenu les interventions d'éducation sexuelle du Planning familial au Lycée Rouvière, avec humour déstabilisateur parfois quand par exemple j'ai fait croire que le sida, très destructeur, était renforcé par une autre maladie, le stob, attrapé quand on fait l'amour sans amour.
Dois-je dire que je perçois aujourd'hui le poids terrible de l'initiation sexuelle sur les jeunes, et ce de plus en plus jeune, dès 7 ans, garçons mais aussi filles (on se provoque, alors tu t'es branlée cette nuit...), parce que l'industrie pornographique (particulièrement florissante, entre les mains de mafias) est à l'oeuvre au travers des réseaux sociaux, parce que les réseaux pédophiles, pédo-criminels sont particulièrement puissants et opaques, parce que le tourisme sexuel et la prostitution sont pratiques courantes, ouvertes ou cachées, parce que tellement de possibilités sont proposées, y compris de changements de sexe (homo, lesbienne, drag-queen, bi, trans, woke, cancel-culture), parce que tout semble devenir possible (PMA, GPA grâce aux ventres ukrainiennes, clones, chimères...). Avec l'homme augmenté, l'intelligence artificielle, on va être pucé, prothésé, bionisé, remisé à l'éternité.
La vie comme la mort sont devenues de vastes champs d'expérimentations, de manipulations (suicide assisté, éternité par cryogénisation... ; film Soleil vert)
En écoutant ce qui se disait, j'ai soudain pris conscience que cette soirée était sous le signe d'une idéologie scientiste, d'un matérialisme dogmatique, d'un athéisme réducteur.
Pris de je ne sais quelle émotion devant l'ampleur de ce que je ressens comme un désastre, j'ai failli ne pas intervenir.
Je l'ai fait tout de même en tentant de socratiser le débat : qu'est-ce qui permet à Claire de dire avec cette certitude, cette assurance qu'à un jour près le cœur du foetus ne bat pas, donc pas de vie, donc pouvant se dédouaner, je ne tue pas.
L'affirmation c'est mon corps et j'en dispose comme je veux, aujourd'hui, me paraît d'une démesure, d'un orgueil décalés par rapport à ce qui m'apparaît comme mystère et miracle.
Ton corps est mystère parce qu'il est une incarnation de la Vie qui te le reprendra puisque naître c'est être voué à la mort, elle-même mystère.
Bienheureux ceux qui savent ce qu'est la mort, néantisation par exemple.
Ta liberté sera le suicide ou l'euthanasie.
Ton corps à naître, ta naissance est miracle même avec le soutien du corps médical, d'une science médicale devenue domination sanitaire d'experts sur les patients (voir avec la Covid).
Il y a un processus en cours bien plus mystérieux que le simple récit qu'en fait un cours de SVT, une rencontre entre spermatozoïde et ovule, division cellulaire, spécialisation cellulaire... Aujourd'hui, on sait que le fameux ADN, (1%), la soi-disant identité infalsifiable, génétiquement immuable (avec maladies génétiques prévisibles) de chacun est un dogme scientiste battu en brèche par les découvertes de l'épigénétique et par les travaux sur les 99% d'ADN dits poubelle, méprisés par les chercheurs américains et étudiés avec succès par les chercheurs russes.
Pour complexifier le tableau, je rajouterai que nous sommes mémoires, que ce sont toutes les mémoires de ce qu'on appelle évolution qui nous constituent, par exemple, l'extraordinaire parcours de l'atome de fer depuis l'explosion d'une super-novae jusqu'à ce qui caractérise notre sang, l'hémoglobine, en passant, oui, oui par le magma terrestre (une molécule d'hémoglobine qui se trouve à l'intérieur d'un globule rouge, ce sont 10000 atomes dont 4 de fer pour capter 4 atomes d'oxygène, transporté par circulation sanguine à chaque cellule du corps).
ou autre fantaisie, les 50000 milliards de bactéries, vieilles de 3,5 à 4,5 milliards d'années et qui colonisent notre ventre, le 2° cerveau, et sans lesquelles il n'y aurait aucune transformation de ce que nous mangeons.
Donc, il y a de quoi même avec la science s'émerveiller et se dire, on ne sait rien car savoir c'est savoir que ce qui reste à trouver est de plus en plus difficile à percer.
Allant ailleurs vers des traditions spirituelles fort anciennes et quasi-universelles (présentes dans toutes les aires et sociétés), ne peut-on supposer, poser qu'une âme vient s'incarner dans un corps, le temps d'une vie, d'une réincarnation, d'une résurrection et que la mort c'est rendre l'âme, l'âme hors pour une nouvelle réincarnation.
Prolongeant cette intervention, je pense qu'il y a deux approches que je ne souhaite pas opposer, n'invitant personne à faire un choix plutôt qu'un autre
- une approche scientiste qui se sert de la science pour séparer : ça c'est la vie, ça c'est la mort; ça c'est vivant, ça non; distinguer le plaisir et la procréation, ça c'est le propre de l'homme, ce n'est pas le propre des animaux qui rutent par nécessité de reproduction (moins le propre de la femme, dans une société patriarcale mais aujourd'hui elles revendiquent et pratiquent de plus en plus le droit de jouir sans entraves, de vivre leur plaisir clitoridien en solitaire ou pas avec godes ou pas), baiser ou faire l'amour pour le plaisir et par plaisir à 99,9999 % pour deux enfants dans une vie (on peut en devenir addict sans doute), abstinence, beurk, sublimation, késako, satisfaction immédiate, oui, oui, ça urge (d'où viols, forçages de toutes sortes, chantages, méprises sur le consentement non-consenti-consenti-consentant, la fameuse zone grise) ; on le devine : l'éducation sexuelle pour gérer toute cette complexité seulement physique, épidermique (qui ne prend pas en compte, émois, émotions, sentiments, désirs, fantasmes, résistances, réticences, rythmes...) n'est pas une éducation sentimentale, encore moins une éducation à l'amour.
- une approche spirituelle où je considère ma vie comme un cadeau, un don, gratuit fait par la Vie (le contraire du je n'ai pas demandé à naître), cadeau fait par la Vie, sans jugement, par amour inconditionnel, m'aimant aussi bien salaud que saint, héros que bourreau, avorteuse de « mon » fœtus que jeune mère accueillante du fœtus dont une légende raconte que quand un bébé vient au monde, il connaît les mystères de la création. Mais juste avant sa naissance, un ange pose le doigt sur sa bouche : « chut ! » et l’enfant oublie tout, il vient ainsi au monde innocent…
C’est pourquoi nous avons tous un petit creux au-dessus de la lèvre supérieure, signe de L’Empreinte de l’ange.
« Avant sa naissance, dit le Talmud, l'homme est un pur esprit et possède encore le savoir ultime de ses vies antérieures. C'est alors qu'un ange apparaît et lui enjoint de tenir ce savoir secret. L'ange pose son doigt sur la lèvre de l'enfant et à cet instant précis, le bébé oublie tout pour entrer dans la vie. Du geste de l'ange, il reste une trace: le petit creux qui dessine un fossé entre notre lèvre supérieure et la base de notre nez... Alors seulement, il peut pousser son premier cri. »
La tradition dit, en effet, qu'avant la naissance, l'âme "descendue" dans l'embryon connait "toute la Torah", qu'elle voit la vie qu'elle va mener lors de l'incarnation, les choix qu'elle devra faire et leurs conséquences....
Lors de la naissance, l'ange, en effet, lui pose le doigt sur la bouche afin qu'il oublie ce qu'il sait et ait le plaisir de le redécouvrir, de faire ses choix librement et la trace de ce doigt angélique est le sillon naso labial.
Cette tradition est parfaitement bien exploitée dans "Les bienveillantes" de Jonathan Little lorsque le "héros" rencontre ce vieux juif à qui il manque justement ce sillon naso labial, qui se "souvient" donc de tout y compris du moment de sa mort, et dont la rencontre donne lieu à un dialogue entre la "pensée occidentale" et la tradition juive.
Dit autrement et ça se dit aujourd'hui, ce ne sont pas les parents qui font les enfants mais les enfants (leur âme) qui choisissent leurs parents.
Avec le temps, à 80 ans passés, je suis passé d'une approche à l'autre.
Car la vie nous fait vivre, revivre des expériences. Par exemple Annie qui, entrée à l'hôpital en octobre 2010, revient sur la naissance de Sylvain-Katia et qui me dit un morceau de Sylvain se balade quelque part.
Elle croyait attendre un garçon, arriva une fille. Pas d'échographie à l'époque, en 1968. Et en 2022, je découvre que peut-être, elle attendait des jumeaux homo ou hétérozygotes et qu'un n'est pas apparu.
Voici de récentes découvertes sur ce qui se passe, le microchimérisme foetal-maternel
Pendant la grossesse, les cellules du bébé migrent dans la circulation sanguine de la mère et retournent ensuite dans le bébé, c'est ce qu'on appelle le « microchimérisme fœtal-maternel ».
Pendant 41 semaines, les cellules circulent et fusionnent et après la naissance du bébé, beaucoup de ces cellules restent dans le corps de la mère, laissant une empreinte permanente dans les tissus, les os, le cerveau et la peau de la mère, et y restent souvent pendant des décennies.
Chaque enfant laissera une empreinte similaire.
Des études ont également montré des cellules d'un fœtus dans le cerveau d'une mère 18 ans après son accouchement.
Des recherches ont montré que si le cœur d'une mère est blessé, les cellules fœtales se précipitent vers le site de la blessure et se transforment en différents types de cellules spécialisées dans la réparation du cœur.
Le bébé aide à réparer la mère, tandis que la mère construit le bébé.
C'est souvent pourquoi certaines maladies disparaissent pendant la grossesse.
C'est incroyable de voir comment le corps de la mère protège le bébé à tout prix, et comment le bébé protège et reconstruit sa mère - afin qu’il puisse se développer en toute sécurité et survivre.
Si vous êtes une maman, vous savez que vous pouvez ressentir intuitivement votre enfant même quand il n'est pas là ...
Eh bien, maintenant il y a une preuve scientifique que les mamans portent leurs enfants pendant des années et des années, même après qu'elles les aient mis au monde.
Pour conclure, à partir de là où j'en suis, je crois que tout est croyance, qu'il n'y a de preuve de rien, des arguments peut-être, que donc ce sont les mots que l'on emploie qui crée ce que l'on prend pour la réalité. Change de mots et tu changes la réalité. Change de mots et tes maux changent.
Dans cet état d'esprit, je trouve particulièrement beau, le récit d'Alain Cadéo, Le ciel au ventre, qui date d'avril 1993 et qui est le dialogue d'un père avec le foetus nautilus attendu par sa femme, foetus qui n'a rien d'inerte, de passif, riche déjà de toutes les convulsions galactiques, de toutes les incandescenses.
C'est aussi ce que j'ai tenté avec le texte Trois femmes (Le corps qui parle)
À Le Revest, le 8 avril 2022