Disparaître dans le blanc
Michel Bories dit Pof, inventeur du Pof Art, consistant à se maculer le plus salement possible puis à s'immaculer dans un linceul blanc, Vénus Africa et Disparition dans le blanc, l'olivier Pof planté par Annie Bories, le gisant de Victor Noir au Père Lachaise, le Suaire de Turin; 3 photos de Pof en Grèce; installation au Revest en 1988 pour le spectacle FEU; lecture à l'IF à Elne avec Cyril Grosse; le couple; le maire des USA
Ultime performance
disparaître dans le blanc
Salvad'or (galeriste barcelonais, Eat Meat, Carrer Alzina 20, dans le quartier branché de Gràcia) – Tu dois me confier ton travail; je ferai de toi le plus grand performer vivant.
Pof (artiste cérétan, Le Casot, Saint-Jean-Pla-de-Corts) – Tu devras exposer mon corps mord. C’est mon nouveau sue porc. Je me peins à l'huile, à l'eau, à l'acrylique, au pinceau, à la bombe, au couteau, je dilue à la térébenthine, je me barbouille au gazoil, au goudron, je me griffe, me scarifie. Tout ce qui me tombe sous la main est convoqué pour la noce, terre, sable, boue, ciment, paille, feuilles mortes, herbes sèches, fleurs fanées, bois flottés, fils de fer barbelé, merde, sang, sperme, urine, purin, fumier puis je laisse agir les pluies, le soleil, les vents, de la tramontane au vent d'autan, je me brûle au sel de la Méditerranée, Collioure et Sète, exclusivement. Après quelques semaines de ce traitement, sans me laver une seule fois, je me roule dans un immense linceul blanc mouillé par toutes les femmes qui mouillent pour moi.
Salvad'or – T'es même pas sorti que tu te vois lustré comme Victor Noir au Père Lachaise (il rit)
Pof – Le mors humide des nymphes sur un corps sale, sali, encorpsunchaud. Célébration du mariage de l'homme, de la femme, magnifiques ordures et parures, avec la nature, nourriture et pourriture. En des lieux improbables. Jamais annoncés. Qu’en dis-tu ?
Salvad'or – Performance sur la ruine et la déchéance, en ce temps de décadence, c'est parfait, tu n'es pas trop gourmand, j'espère
Pof – La vie n'a pas de prix. Le coût de la mort est exorbitant. Casque d'or pour ma mort.
Salvad'or – Putain, il va me ruiner ce cinglé ! t'es vraiment cintré !
Pof – Prochain essai, Cuba, le pays des ouragans, ça dévaste, ça nettoie, départ le 11 septembre 2001. Disparition…dans le blanc... Ce qu'il y a de plus mystifiant. On voit la mort en noir. Je la vois en blanc, une mariée avec sa robe de mariée blanche, modèle Mouette, son voile blanc, ses gants blancs, son teint blanc, son bouquet d'oeillets blancs, s'allongeant dans les draps blancs du lit nuptial, noces blanches de la vie et de la mort.
Salvad'or – C'est ton rite de passage ? Faire le mort, mettre en scène ta mort avant de franchir le pas ?
Pof – Non ! Prendre la place d'un mort, se mettre à la place d'une ou d'un qui vient de partir, vivre au plus intime, le saut, le pas, quand tu es au bord de la falaise, le pas en avant, le saut de trop, le pas en arrière, le salto réflexe du dernier sursaut.
Salvad'or – Ah là, tu fais fort, tu piques l'idée d'Annie Bergougnous qui fait un tabac en ce moment à la MEP.
Pof – Elle appelle sa série Le bord des falaises. Sauf qu'il n'y a pas de falaises. Il n'y a qu'un lit défait. Tu as remarqué comme tout est inexpressif dans ces photos. La mort de substitution - elle pour son fils - comme retrait des émotions, comme absence des expressions, ça fait froid le regard.
Salvad'or – Cette absence d'expression, c'est un miroir qu'elle nous tend, qui nous renvoie à notre propre ressenti. C'est fort. J'ai bien vu tes larmes quand t'as regardé, tétanisé, les photos.
Pof – Je vais faire spectaculaire et scandaleux. Je ne veux pas d'un rapport sage à ma performance mortelle. Celles et ceux, rares, qui seront témoins de ma mise à mord, au Triangle du mors, à Jaguëy-Grande, le 19 septembre 2001 à 16 H, seront témoins d'un imprévu, une érection par entortillement dans un linceul qui m'aura bien roulé, une ascension par pendaison, une élévation avec éjaculation. Merde à la mort !
Salvad'or – Ton ultime performance sera morte-de-rire (ils rient). Il en restera le Suaire, 2° du nom, avec l'empreinte vibrante du membre vivant. Je vais me faire des couilles en or. (excité) Vive le Culte du Vit ! de la Bit ! Vivre Vite ! Vive la Vie ! (ils s'étouffent de rire)
Jean-Claude Grosse, le 1° janvier 2018
paru dans le livre Le bord des falaises ou Comment se relever de ses morts ? 17 février 2018
Dialogue d’enfer
Pof – Tu vois, cette terrasse de gravier arrondi, là, ce massif d’hortensias, la fontaine, son bassin, plus loin les deux mûriers, et dans les verts tendres, la plongée vers la mer…
Bébé – douce, sensuelle…
Pof – sensuelle, oui.
Bébé – Avec de la gouache, tu aurais fait passer davantage de sensualité…
Pof – pas pour saisir cette lumière-là. C’est l’aquarelle qui te permet de la prendre, c’est tellement bref, quelques traits, la couleur. Une forme de rapt.
Bébé – Tu ne peins plus par effacement, blanchissement ?
Pof – Ça m’arrive encore parce que le blanc c’est la disparition et que ça, je n’arrive pas à m’en défaire, mais tu sais, je ne suis pas fixé; en ce moment je suis dans le noir, triomphe de la mort avec crânes, os, morceaux de squelettes; avant, j’ai fait des origines à tout va pour me dire d’où je viens, avant de m’égarer; avant encore, des horizons à ne plus savoir où regarder. Demain ce sera sûrement dans le rouge sang que j’irai frayer, ou dans le bleu à t’arracher-les-yeux, mais aujourd’hui, tu vois, c’est l’aquarelle; peut-être pour me rendre le plus transparent possible; après tu fais mieux sentir l’enchantement des couleurs et des formes du monde, quand je le sens harmonieux.
Bébé – Ça ne doit pas t’arriver souvent !
Pof – Tu exagères. C’est le monde habité par l’homme qui est rarement harmonieux, même s’il y a des artistes et des gens tout simples qui ajoutent de la beauté au monde.
Bébé – J’ai lu un article sur ton travail pendant ton séjour en Calédonie. On y reprend l’idée, qui ne m’a jamais convaincu, que tu veux désapprendre l’art occidental, redevenir un sauvage d’avant la rencontre avec les civilisés.
Pof – Anecdotique tout ça. Ce que j’aime c’est ce que le temps et la nature enfantent : les bois flottés de bords de mer, les nids d’oiseaux, les coquillages, les squelettes de mulots, et, bien sûr, tout ce que les hommes jettent; moi ça me vient facilement.
Bébé – Tu veux parler de tes récup’ et de tes détournements ?
Pof – Oui par exemple, ça me plaît bien tout ce qui est catalogué comme déchet.
Bébé – Tes supports ?
Pof – Oui, le carton, une bâche, des os, des fibres, des gazes, d’autres supports encore, mais pas seulement : une pierre, un os, une carcasse, à un moment ça m’interroge. Prends un bois flotté : tel que je l’ai ramassé, il a sa nécessité, c’est lui et pas un autre bois. Faut-il que je le montre tel quel ? Que j’intervienne ? Est-ce possible ? Comment ? Chaque bois appelle un esprit, une technique. Je travaille, vite. Et je sais aussi rapidement si je me trompe, si je maltraite le bois. Ce qui se joue toujours, c’est une rencontre avec l’objet, et on finit par se mettre d’accord sur une envie commune : peindre, coller, laver, imprimer, ficeler, estamper, gratter, griffer, superposer, arracher…
Bébé – Est-ce qu’un marchand d’art s’occupe de ton travail ?
Pof – J’ai beaucoup de mal avec les trafiquants.
Bébé – Tu pourrais me confier ton travail; je ferai de toi le plus grand peintre vivant.
Pof – Tu devras exposer mon corps. C’est mon nouveau support. Je me peins puis je laisse agir les pluies, les vents, le soleil, la mer. Alors, après quelques semaines de ce traitement, je me roule dans un linceul blanc. La mort sur un corps chaud. Resurgissement de la nature. Qu’en dis-tu ?
Bébé – À voir…
Pof – prochain essai, Cuba, départ onze septembre 2001. Et disparition…
Jean-Claude Grosse,
pages 197-198, dans Disparition Michel Bories (Les Cahiers de l'Égaré, 2007)
PS: le peintre Bébé est décédé le 19 décembre 2018, à Cassagnes (P.O.)
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Pensée pour Michel Bories (12/12/1949 - 19/9/2001) - Blog de Jean-Claude Grosse
3 horizons dont 2 au Musée de Collioure, 3 origines, le couple, effritement de la catalogne au CG 66, le maire des USA proposé à Barak Obama aujourd'hui, 19 septembre 2016, 16 H, heure de là-ba...
http://les4saisons.over-blog.com/article-pensee-pour-antonio-machado-michel-bories-37489667.html
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Michel Bories (12/12/1949 - 19/9/2001) à Collioure (2009) - Blog de Jean-Claude Grosse
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