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Blog de Jean-Claude Grosse

la merveille et l'obscur / Christian Bobin

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #poésie, #écriture, #notes de lecture

un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
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un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

un envol d'âme-d'ange et l'ange en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! - se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin, l'écrivain à la pure écriture / Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

« J’ai la très grande tristesse de vous faire part du décès de Christian Bobin, survenu le 23 novembre, des suites d’une grave maladie.
Christian Bobin, à travers son œuvre, nous invite avec une belle générosité à comprendre la part manquante de notre vie, celle qui relève du merveilleux et de l’obscur.
Lisons Bobin, il nous soigne de la tristesse et du scepticisme, il nous invite à une quête de la joie avec ses mots empreints d’une grande sensibilité.
Comme ce grand peintre disparu, il fait jaillir la lumière de l’obscurité « Entre la vie et la mort s’installe un rideau de neige », nous dit-il.
Son sourire, sa joie, son humanité vont nous manquer. »
Antoine Gallimard

 

Natif du Creusot, Christian Bobin a publié ses premiers livres à la fin des années 70. Georges Lambrichs l’a accueilli dans la collection « Le Chemin » en 1989 avec La part manquante et J.-B. Pontalis dans la collection « L’Un et l’Autre » avec Le Très bas. 

 

Vient de paraître Le muguet rouge en octobre dernier ; aujourd’hui une grande partie de son œuvre est disponible dans la collection Quarto.

Ma contribution : actualiser "mes" articles sur des oeuvres de Christian Bobin

 

 
 
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
"Mourir, c'est comme tomber amoureux : on disparaît, et on ne donne plus de nouvelles à personne."
"L'Amour comme la mort simplifie."
"Il y a un instant où la mort a toutes les cartes et où elle abat d’un seul coup les quatre as sur la table."
"La vie écrit au crayon. La mort passe la gomme."
 
JCG : les expériences de John Wheeler, appelées gomme quantique, témoignent que l'on peut changer des événement passés par l'observation du phénomène réalisé dans le présent. 
 
" La mort se cache derrière nos fêtes comme un enfant se cache derrière un arbre. On voit toujours le bout de ses souliers."
"Dans la mort, le chemin devient d'un seul coup si étroit que, pour passer, on doit se laisser tout entier."
"Ma fin n'est pas plus bruyante que mon début. Après ma disparition mon chant demeure. Il est plus juste car il est délivré de moi." 
Christian Bobin
 
Personne n'a une vie facile. Le seul fait d'être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès la première brûlure de l'âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n'est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte. La vie n'est rien de prévisible ni d'arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t'accommoder une fois pour toute de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l'être, ton génie est d'avancer dans la déchirure, ton génie c'est de traiter avec l'amour sans intermédiaire, d'égal à égal, et tant pis pour le reste. D'ailleurs quel reste ?"
La plus que vive de Christian Bobin.
 
Les femmes viennent du plus lointain de la vie des hommes, elles sortent de l’enfance des hommes, 
on dit qu’elles gouvernent cette enfance mais ce n’est pas vrai,
il suffit de regarder dans les jardins publics,
les mères avec leurs enfants : elles ne gouvernent pas.
Elles veillent. 
Elles veillent sur l’incendie naissant d’enfance, 
elles aident le feu de vie à prendre.
Plus tard, beaucoup plus tard, elles regardent ceux qu’elles ont fait rois et qui ne savent plus leur parler.
Les hommes, ce sont les devinettes qui les rassurent – devinettes du pouvoir, de la force.
Devant les femmes ils disent :
je ne devine rien,
c’est un mystère.
Ce qu’ils appellent mystère, 
c’est la simplicité des femmes et c’est leur solitude, 
cette force de solitude en elles, en chacune d’elles, 
cette manière qu’elles ont de tenir leurs enfants, leurs maris, leurs amants, le bleu du ciel et l’ordinaire des jours à bout de bras. 
Les femmes sont seules au début, 
au milieu et à la fin de leur vie. 
Elles reçoivent de cette solitude le sacre d’intelligence. 
Christian Bobin.
Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas.
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
Le Quarto Les différentes régions du ciel de Christian Bobin est paru le 6 octobre 2022
"Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. Je m'assieds devant la table d'écriture et je laisse venir à moi les différentes régions du ciel."
Né en 1951, Christian Bobin bâtit depuis près d'un demi-siècle une oeuvre poétique inclassable qui au cours du temps réinvente ses formes. En privilégiant une écriture concentrée, tantôt faite de notes brèves prises sur le vif comme dans un carnet de peintre, tantôt de visions poétiques très denses, creusant au plus profond de la psyché humaine, il aborde des thèmes universels comme l'amour, la mélancolie, l'absence. Touchant les âmes simples comme les érudits, son écriture lumineuse est un rempart contre le désenchantement, mais aussi contre l'irrésistible prolifération d'une "pensée" unique. Il nous parle des voix singulières, des pensées à contre-courant, de visages qui nous rendent vivants, des sourires "ces plus beaux exploits du monde". 
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entretien paru dans La Vie du 20 otobre; merci à Jean Lavoué via Annie Bergou
En exergue du nouveau livre de Christian Bobin, Le muguet rouge, ces mots de Nadejda Mandelstam : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour la première fois le mot « progrès » à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux. »
Christian Bobin à son tour dans son livre sonne le tocsin : « Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un “Progrès” qui va résoudre les problèmes du “Progrès” ? Comment demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ?… L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien… Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ?… L’âme est une espèce à protéger. »
CHRISTIAN BOBIN
La Vie 20 octobre 2022
« L’âme est une espèce à protéger »
INTERVIEW MARIE CHAUDEY
PHOTO DENIS MEYER / HANS LUCAS
Le poète du Creusot revient avec le Muguet rouge, un recueil plus mordant que jamais sur notre modernité. Et un Quarto Gallimard regroupe 17 œuvres de ce rebelle contemplatif.
Le Muguet rouge, au titre énigmatique, est un petit livre aiguisé comme une lame, qui rentre dans le dur de notre modernité. Le poète en colère y moque les économistes – ces « bouilleurs de chiffres », fustige la folle vitesse qui régit nos vies. Dans le collimateur de Christian Bobin : les écrans qui absorbent notre temps de cerveau disponible, happent nos esprits mais aussi nos cœurs. Les métaphores s’enchaînent – « l’œil du cyclope », « le Gutenberg du diable », « le miroir des aveugles »… Haro sur « les chiens électroniques » qui nous tiennent en laisse au quotidien. L’heure est grave et le poète, plus vigilant que jamais.
LA VIE. Votre recueil porte une férocité nouvelle, pourquoi ? 
CHRISTIAN BOBIN. Parce que le temps presse. Les cavaliers de l’Apocalypse sont arrivés à notre seuil, ils attendent que l’on ouvre. Et même à travers le bois de la porte, ils nous regardent… Je souligne que, dans son sens originel, l’apocalypse n’est pas une fin du monde, mais d’abord un dévoilement. Et précisément, c’est celui-ci que nous refusons : nous ne voulons pas voir ce que nous avons fait à cette terre et ce que nous sommes devenus. La situation a été tenable un moment, mais désormais elle se retourne contre nous. Dans la Bible, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du texte de Jean (Apocalypse 6) amènent la guerre, les épidémies, le désordre financier et le feu de la nature… N’avons-nous pas chacun de ces maux devant les yeux tous les jours ? Nous en sommes arrivés à un abaissement spirituel, l’âme est devenue une espèce à protéger. Je me suis dit qu’il était peut-être temps, au moins une fois, au moins dans ce recueil, de voir au mieux, et d’aider le lecteur à voir lui aussi. Simplement voir. Loin de moi l’intention de faire un livre de morale – je n’aime pas ça de manière générale : le confort des sièges bien rembourrés pour le bien, et l’inconfort du petit tabouret boiteux pour le mal. Ce recueil n’est pas non plus un condensé d’opinions et de pensées. Je nourris juste l’ambition que le langage, en se densifiant jusqu’à son point de brûlure, ait une chance de réveiller quelque chose chez quelques-uns.
« La mort devenait de plus en plus miniaturisée, des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendre » : vous y allez fort !
C.B. Je ne souhaite pas non plus que l’on sorte déprimé de cette lecture. Car la fin du monde, c’est à chaque seconde, depuis que nous sommes nés, depuis toujours pour toute l’humanité. Pour l’homme des cavernes, la fin du monde commence par un grognement qui sourd du noir de la grotte où il a cru trouver refuge. Aujourd’hui, pour nous, la fin du monde est en jeu dans le dialogue des êtres et dans le maintien de l’humain à l’intérieur de l’humain. Elle n’est pas tant dans les machines, même si celles-ci aident beaucoup à notre destruction, mais elle est d’abord dans le face-à-face – comme aurait pu le dire le poète Jean Grosjean : est-ce que toi qui me parles tu es là ? Est-ce que moi qui te réponds je suis là ? Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ? La chance de créer cette brèche est toujours possible, mais il y a urgence. J’ai écrit ce livre en croisant deux sortes de paille : la paille sombre d’aujourd’hui – on nous fait avaler par jour l’équivalent d’un siècle entier de poison et de désastre – et puis la paille toujours existante, parce qu’invincible, de l’invisible : celle de l’amour quand il est à son point d’envol entre deux êtres ou celle d’un poème qui est encore vivant alors qu’il a été écrit il y a quatre siècles – les absents aussi peuvent nous aider. Mais il faut d’abord voir en face le mal qui vient : pour se sauver, on doit reconnaître son étendue.
N’y a-t-il pas deux visages différents de la mort, que vous opposez dans le Muguet rouge ?
C.B. En effet, il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature. Une fleur éclôt sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt. Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose. C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet. Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible. Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré. Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus. Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge. C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur.
Votre ville du Creusot est une cité marquée par l’épopée industrielle : avez-vous ressenti ses méfaits dès votre jeunesse ? Vous mettez un P majuscule ironique au mot progrès…
C.B. Le « Progrès » a pris la place de Dieu. Il y a cette croyance absurde et morbide qu’il suffit de continuer sur sa lancée pour s’en sortir : qu’en élargissant la tache, on va la faire disparaître ! Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un « Progrès » qui va résoudre les problèmes du « Progrès » ? Comment peut-on demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ? Durant mon enfance, au long des années 1950-1960, l’épopée industrielle et technique commençait déjà à s’essouffler. J’ai senti le poids des choses en train de s’effondrer sur elles-mêmes. C’est en en prenant le contre-pied que j’ai voulu écrire. Ce n’est pas un hasard si j’essaie de faire de l’écriture un rameau aérien, quelque chose de plus léger que la légèreté même. Parce que j’ai baigné dans cette atmosphère d’une cité dite « ouvrière », presque pharaonique à l’époque : je voyais les esclaves égyptiens défiler sur leur vélo pour répondre à l’appel des usines. Ils avaient une fierté – que je comprends d’ailleurs, parce qu’on leur donnait encore à l’époque une reconnaissance pour ce travail. Et en échange, on leur offrait une protection – tout cela a disparu très vite. J’ai connu cet univers par sa surface très pesante et par son dogme du travail – un monde qui nous empêche d’être… C’est parce que j’aime les gens que je n’aime pas le monde. J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie.
« L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien », affirmez-vous…
C.B. Ces choses-là sont la source de la beauté. C’est de nos nuits de désespoir que va fleurir une glycine qui se penche par-dessus un mur. C’est de nos déchirures, de nos doutes et de nos manques que naissent des palais dans les cieux et toutes sortes de printemps imaginables. Si nous nous coupons de ces racines profondes, alors nous nous coupons des fleurs et des fruits qui viennent après et naissent d’elles. Il y a un lien entre la plénitude et le manque, entre le visible et l’invisible. Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante.
Votre recueil ouvre sur ces mots : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Pourquoi cette couleur ?
C.B. Je ne suis pas l’auteur de l’expression, c’est bien mon père disparu qui m’a nommé cette merveille dans un rêve que j’ai fait. Tout vient d’une parole, comme une étoile descendue dans le puits du sommeil et qui m’a donné ce cadeau incroyable du livre entier, en fait. Car mon père m’invite ensuite à chercher ceux qui cultivent le muguet rouge : ils sont de sa famille et il me pousse à les reconnaître. Une fois éveillé et me mettant à écrire, le muguet rouge m’est apparu comme un paradoxe vivant. Dans l’imaginaire, le muguet est nécessairement vert et blanc. Mais qu’est-ce qui existe et qui n’existe pas ? C’est Dieu, c’est l’amour et c’est le muguet rouge… C’est une grande vertu tantôt de ne pas être là, et tantôt d’être là, cela permet d’échapper à toute incarcération dans un dogme, dans une définition et un confort. J’ai reconnu que ceux qui étaient porteurs du muguet rouge, ce rouge battant du cœur, sont pour la plupart des inconnus qui aident à maintenir le monde à flot, à ne pas avoir le souffle complètement brisé, et peut-être même à commencer un début de réenchantement. La confrérie du muguet rouge est une sorte de compagnie secrète…
… qui seconde le poète ?
C.B. Si le poète a un rôle, c’est de rehausser le langage à son point d’incandescence. C’est par les yeux du langage que nous voyons. S’ils se sont fermés à force de publicité et d’abrutissement, qu’au moins quelqu’un ici ou là redonne à ce langage sa splendeur native, et nous remette au premier matin du monde, qui peut toujours venir. La fin du monde est juste à côté du premier matin du monde. Ce n’est pas si compliqué de tenter un pas de côté : il peut être fait à tout moment, même aujourd’hui alors que nous commençons à payer le prix fort. Comment ne pas voir le paradis à côté de l’enfer ? Mais désormais, l’enfer est tellement ronronnant que nous perdons même de vue son voisin. Au fond, sans lâcher une seconde un instinct contemplatif, c’est pour donner à la douceur réelle des choses sa vraie lumière qu’il m’a fallu éclairer aussi la face sombre du monde. Mais les choses d’esprit sont vivantes à jamais et pour toujours. Le sourire de mon père, qui a déjà eu lieu il y a plus de 20 ans, hante mes livres. Les vrais instants ne sont jamais pris par le temps, car ils étaient déjà saisis par l’éternel. Écrire, c’est travailler du côté de l’éternel, je suis un petit soldat au service de l’invisible, un simple maquisard.
À vos yeux, « cimetières et librairies sont les derniers endroits civilisés ». Pour quelles raisons ?
C.B. Pour une revue de bibliophiles, j’ai écrit un jour un petit texte que je n’ai d’ailleurs pas retrouvé. J’ai inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livre s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres, et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir…
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
interview pour Le Monde des religions, en 2007, republié par Le Monde, ce 25 novembre 2022
Vous êtes un écrivain célèbre mais rare, volontairement très discret dans les médias. D’où vient votre désir de retrait ?
Comme souvent dans cette vie, les choses sont mélangées : il y a, dans ce que vous appelez joliment mon retrait, une part de caractère, une sorte de pudeur, et la crainte que la parole, en s’exposant trop souvent en plein jour, perde de sa vitalité. Rien n’est plus éblouissant que des traces de pattes de moineau dans la neige : elles permettent de voir l’oiseau tout entier. Mais pour ça, il faut la neige. L’équivalent de la neige dans une vie humaine, c’est un silence, une discrétion, cette distance qui permet le vrai lien.
Mon retrait n’est pas une misanthropie, c’est ce qui me donne un lien plus sûr au monde. En écrivant, je me sens comme un enfant qui, laissé dans sa chambre, se met à parler seul, un peu plus fort qu’il n’est raisonnable, pour être entendu de la salle à côté où se trouvent peut-être les parents ou les gens.
Cette image vous ramène à votre propre enfance. La solitude du petit garçon que vous étiez vous a-t-elle jamais quitté ?
J’ai une sensation enfantine de la vie qui perdure : je suis attiré depuis toujours par ce qui est apparemment inutile, faible, laissé dans les ornières pendant que passe le grand carrosse du monde. Un enfant est rarement curieux de ce qui préoccupe les adultes. Il va exercer son attention sur ce qui leur échappe ou ce qui, de peu de poids, lui ressemble.
Par exemple, je peux faire une danse de derviche tourneur autour d’un pissenlit toute une après-midi pour arriver au texte qui me convient, qui exaucera ce pissenlit et en fera ce que je l’ai vu être, c’est-à-dire un soleil descendu près de nous.
Ces états vous sont-ils donnés par la contemplation de la beauté ou bien par une méditation ?
Je suis incapable de séparer la pensée de la beauté. Elles ont pour racine commune le réel. Les petits astres que forment les pissenlits au mois de juin sont beaucoup plus réels et éclairants que toutes les lampes de nos savoirs.
« La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille, fugace, infime »
Ce que je recherche, et que j’ai du mal à nommer, ne se trouve pas dans les endormissements théoriques, pas plus que dans les agacements de l’économie ou le bruit machinal du monde. Cette chose me concerne personnellement et, je crois, concerne chacun de nous. J’essaie de faire des petites maisons de livres assez propres pour que l’invisible qui me semble donner le sens de toute vie y entre, et s’y trouve accueilli.
Cet invisible a-t-il rapport au divin ? Au moins, lui donnez-vous un nom ?
Paradoxalement, cet invisible n’est fait que des choses visibles. Mais délivrées de nos avidités, de nos volontés et de nos soucis. Ce sont ces choses familières qu’on laisse simplement être et venir à nous. Dans ce sens, je ne sais pas de livre plus réaliste que les Évangiles. Ce livre est comme du pain sur la table : le quotidien est le foncier de toute poésie.
Leur message a-t-il une résonance particulière dans vos livres ?
La lumière la plus profonde, je l’ai tirée d’un auteur que j’estime plus que tout, Jean Grosjean, et en particulier de son livre L’Ironie christique, qui est une lecture d’abeille de l’Évangile de Jean : c’est un livre majeur du XXe siècle. L’auteur fait son miel de chaque parole du Christ, il entre dans chacune d’elles comme une abeille s’engouffre dans chaque fleur d’un rosier, pour en surprendre toute la pensée.
À la fin de l’Évangile, il est dit qu’« il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; si on les écrivait une à une, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait ». J’ai pris cette parole à la lettre : j’essaie d’avoir le souci du présent, de qui me parle ou de ce qui se tait devant moi ; je cherche dans le plus tremblé du présent ce qui ne glissera pas comme tout le reste dans les ténèbres. Le ciel est ce qui s’éclaire dans le face-à-face. Le fond de la vie, et c’est le fond même des Évangiles, c’est que tout ce qui compte se passe toujours entre deux personnes.
Dans l’enfance ou à l’âge adulte, avez-vous connu des moments d’illumination, des expériences d’ordre mystique ?
Ce n’est pas vraiment une illumination mais un sentiment plus souterrain, diffus, que je pouvais parfois croire être perdu et qui revenait toujours : la sensation d’une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien. Cette sensation n’a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues, les lassitudes et même les désespérances. Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal.
Qu’avez-vous traversé qui vous a le plus profondément heurté dans votre vie ?
Incontestablement, la perte d’êtres chers. On s’aperçoit qu’on devient désert quand quelqu’un que l’on aime meurt. Qu’on n’a pas d’autre sens que d’être habité par des gens dont la présence nous réjouit ou dont le seul nom nous éclaire. Et quand ces présences s’éteignent, que les noms s’effacent, il y a un moment étrange et pénible où l’on devient à soi-même comme une maison vidée de ses habitants. On n’est propriétaire de rien au bout du compte.
L’épreuve du deuil se traverse. Elle est une épreuve de pensée vécue à son maximum. En refoulant ces choses qui arriveront forcément, on enlève le terreau de la pensée la plus profonde. On risque de se vouer à l’irréel qui me semble être le plus dangereux dans ce monde.
C’est-à-dire ?
L’irréel, c’est la perte du sens humain, c’est-à-dire la perte de ce qui est fragile, lent, incertain. L’irréel, c’est quand tout est très facile, qu’il n’y a plus de mort et que tout est lisse. Contrairement aux progrès techniques, les progrès spirituels sont équivalents à un accroissement des difficultés : plus il y a d’épreuves, plus vous vous rapprochez d’une porte paradisiaque. Alors que l’irréel vous décharge de tout, y compris de vous-même : tout circule merveilleusement, mais il n’y a plus personne.
N’est-on pas aussi dans l’irréel en étant trop religieux, en vivant par exemple dans l’évidence qu’il y a une vie après la mort ou que Dieu est bon ?
On peut faire avec Dieu ce que les enfants font avec un arbre, c’est-à-dire se cacher derrière. Par peur de la vie. Les pièges dans cette vie sont innombrables, comme penser qu’on est du bon côté, qu’on a vu et recensé tous les pièges, ou qu’on sait ce qu’il en est une bonne fois pour toutes du visible et de l’invisible. Ça ne marche pas comme ça.
« Les religions sont analphabètes de leurs propres écritures »
Les religions sont lourdes. Elles reposent sur des textes qui sont des merveilles. Mais elles sont d’abord les analphabètes de leurs propres écritures. Elles n’oublient jamais leur puissance. Elles veulent détourner à leur profit le cours ruisselant de la vie. Au fond, il faudrait débarrasser Dieu de Dieu. On pourrait parler d’un Dieu athée de ses propres religions.
Vous parliez tout à l’heure des « endormissements théoriques ». La connaissance est-elle une barrière à un chemin spirituel ?
C’est difficile de répondre. Kierkegaard parlait de communication directe et communication indirecte. Pour le dire simplement, la communication directe, c’est quand vous transmettez un savoir : vous le donnez comme vous donnez un objet. La communication indirecte, d’après lui, est la seule qui convienne aux choses de l’esprit : il ne faut rien donner directement. La vérité n’est pas un objet mais un lien entre deux personnes.
C’est pourquoi le Christ parle en parabole et rarement tout droit. Sa parole est chargée d’images, avec ce qu’il faut d’énigme pour que le chemin se fasse dans la tête de son interlocuteur, pour que cet interlocuteur accomplisse son propre travail mental. C’est l’origine de toute poésie vraie : il faut que quelque chose manque pour espérer goûter à un peu de plénitude. Le problème avec ce qu’on appelle le savoir, c’est que tout est fait, cuit et même mâché.
« Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd’hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu’il s’est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce. » C’est une phrase tirée du recueil La Présence pure, publié en 1999. Comment prolongeriez-vous aujourd’hui cette réflexion ?
Pardonnez-moi d’être banal, mais on n’a jamais plus conscience de la vie que lorsqu’on sait qu’à chaque seconde elle peut vaciller et tomber en poussière. La mort est une excellente compagne, très fertile pour la pensée de la vie. Si on expulse l’une, on condamne l’autre à s’épuiser dans le bagne d’une distraction perpétuelle.
La claire conscience de la vie, amenée par la calme pensée de sa fragilité, est la grâce même. La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille : quelque chose de fugace, d’infime, qui ne demande surtout pas à être retenu, et qui coïncide avec l’incorruptible joie d’être vivant. Emily Dickinson écrit dans l’une de ses lettres : « Le simple fait de vivre est pour moi une extase. »
Sur la mort, avez-vous une espérance, une intime conviction ?
J’éprouve que le meilleur de nous, quand nous réussissons à le faire vivre, ne sera pas bruni, emporté par la mort. Je ne peux guère dire plus. Ou plutôt si : les nouveau-nés, je l’ai souvent écrit, sont mes maîtres à penser. Le bébé à plat dans son berceau, avec le ciel étonné de nos yeux qui lui tombe dessus, est la figure même de la résurrection. C’est beau, le front dénudé des nouveau-nés. C’est la confiance qui remplace le crâne. La confiance est le berceau de la vie.
Cet entretien a initialement été publié dans « Le Monde des Religions » n° 25,
septembre/octobre 2007.
Frédéric Lenoir et Karine Papillaud.
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018 il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule / Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Pierre, de Christian Bobin, je l'ai lu entre le 23 et le 24 décembre 2019, un an après le « voyage » de Christian Bobin, du Creusot à Sète, le 24 décembre 2018, voyage de nuit, pour apporter deux exemplaires de La nuit du cœur (consacré à l'abbatiale de Conques) à Pierre Soulages et à Colette.

Ce 24 décembre 2019, Pierre Soulages a eu 100 ans. En 2018, Bobin « improvisa » ce voyage, apparemment sans prévenir Soulages, impulsion venue du cœur, pour offrir deux exemplaires de ce livre consacré à l'abbatiale et aux vitraux.

Voyage effectif ou songe d'une nuit d'hiver, voilà un voyage signé si je puis dire, chargé de signes. Un 24 décembre, pour un anniversaire, vers les outrenoirs de Soulages, l'homme de la lumière par le noir, dans le noir, sur le noir, sous le noir. Dans un train presque sans voyageurs, dans la nuit noire. Avec les bruits à l'intérieur du train et le bruit solidien des roues sur les joints des rails, ta dak, ta dak, métronome mesurant le temps et l'espace. Avec un taxi pris à la sortie de la gare vers 22 H 30 pour monter l'auteur de cette unique escapade, de cette escapade unique vers l'impasse du Mont Saint-Clair où s'est retiré le peintre ;  « ah ! vous allez voir le peintre ». Avec l'attente patiente devant la porte fermée, le domestique Mohammed étant allé prévenir ses maîtres.

Ce voyage initié par un mouvement du cœur, par l'amour, chargé de signes a-t-il confirmé ces signes venus du noir lumineux du poète de l'obscur et de la merveille ou a-t-il été aussi fournisseur de la quête de l'auteur de la part manquante, le surgissement d'une présence, surgissement inattendu, imprévu, non voulu, non préalablement désiré, défini.

Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Christian Bobin est l'auteur prolixe de la mise en déroute des certitudes, des raisons, l'auteur prolixe de la dissolution du réel auquel on s'accroche ; il est l'auteur prolixe de la nécessité de l'attente, de la patience, du silence, du vide en quelque sorte d'où va surgir peut-être la présence pure engendrant l'enchantement simple. Pas de projet, pas de cheminement vers un éveil spirituel, une pleine conscience, une volonté de puissance du genre le monde est le produit de ma conscience. Ce n'est pas lui qui va vers la présence, c'est la présence qui vient à lui, s'offre à lui dans la mesure où il est disponible, ouvert sur l'Ouvert.

Comme il s'agit d'expériences intimes d'accès à des outre-mondes quasi-indicibles, il me semble qu'en aucun cas, Christian Bobin peut être un guide spirituel, un transmetteur, un passeur.

Le bon usage de Christian Bobin est d'après moi de deux sortes : savourer les bonheurs d'écriture, fulgurances, éclairs ramenés de l'au-delà et oser sa propre aventure du sur-place, de l'immobilité ; devenir l'araignée dont la toile est tissée par des fils venus d'ailleurs ou du bon usage des signes venus d'ailleurs.

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.)

André Comte-Sponville

la merveille et l'obscur / Christian Bobin
« Je voudrais vous parler de celle dont tout le monde parle et qui échappe à tout le monde. Je voudrais vous parler de Marilyn. Sa folie a régné sur le monde et c’était un règne sans mauvaiseté. Mais de folie quand même. Elle est une preuve de Dieu. N’importe qui et n’importe quoi est une preuve de Dieu sur terre. La preuve — Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n’est-ce pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs et de nos croyances. (…) Marilyn suivait l’étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d’une poupée papillonnant des yeux et de l’âme, souriant à ses assassins. La folie est un mécanisme d’horlogerie très fin. On n’en voit les rouages que lorsqu’il se brise. Marilyn sait que l’humanité a faim, plus encore que de pain ou de sexe, d’une vraie gaité, d’une gaité profonde accordée au secret des fleurs, du ciel, des anges. Nous recherchons le paradis. Nous ne sommes jamais très loin de lui. La gaité — la pure, pas la marchande : comment vivre une seconde sans elle, sans son secours, sans au moins sa nostalgie ? Les saintes du cinéma brûlent dans le noir. Leurs chevelures luisent comme des méduses. Rien ne s’éteint plus vite que l’incendie de l’irréel. Marilyn tendait une gaité volatile sur la petite assiette de son visage. Mangez-moi. Ceci est ma folie, ceci est ma perte. Je suis des vôtres. Simplement j’ai dans les paillettes de mes yeux et sur la charité de mes lèvres les stigmates du paradis, l’ombre portée de la lumière éternelle. Elle affolait les hommes, mais aussi bien les femmes ou le soleil. Sa fragilité était invulnérable. Elle n’arrêtait pas de souffrir et de sourire. Ces deux passions n’en faisaient qu’une. (…)
Qu’elle dorme en paix, la martyre du sourire. Qu’elle soit remerciée de son dévouement de folle. Comme Einstein a donné son nom à la loi de relativité, que je suis heureux de ne pas comprendre, Marilyn a donné le sien à la loi inexorable de la chute des cœurs. »
Christian Bobin, La grande vie, Gallimard, 2014, pp. 95-98
Photo de Milton Greene, pendant la séance « Ballerina setting », 1954
via Thierry Di Manno sur la page FB Christian Bobin
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

 

Christian Bobin

La merveille et l'obscur

suivi de

La parole vive

entretiens 1990-1994

La passe du vent

imprimé par Horizon à Gémenos

 

85 pages d'entretiens, 4 entretiens, le 1°, le plus long avec Charles Juliet, le 4°, La parole vive, avec deux collaborateurs de la revue Esprit.

Ces entretiens éclairent d'une part les thèmes récurrents des livres de Christian Bobin, la solitude, l'enfance, l'amour et d'autre part la manière d'écrire du poète.

Il y a du paradoxe chez Christian Bobin. Il affirme que peu de paroles vraies s'échangent chaque jour, il dénonce les paroles mortes chez la plupart des gens, paroles empruntées, véhiculées, fabriquées, paroles des professeurs, des dogmatiques, des fonctionnaires de la langue. Il devrait être peu prolixe de paroles vraies, vives, opter pour le silence, la souveraineté du vide or il a écrit une soixantaine de livres, jamais épais il est vrai et si on parcourt internet, on trouve entre 600 et 800 citations de Bobin.

Voilà un poète riche de bonheurs d'écritures. À chacun, en lisant, de goûter « ses » bonheurs, ceux qu'il trouve, ceux sur lesquels il s'attarde, quittant la page pour aller vagabonder dans la réalité, celle qui l'entoure et qui soudain retrouve éclat, vivacité, simplicité. Lire Bobin, c'est avoir comme dit le poète Lorand Gaspar, le regard soudain lavé. Ce n'est plus seulement voir, voir vraiment, c'est recevoir, être traversé par la richesse infinie de la vie simple, de la vie faible comme il dit quelque part, la vie faible, la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible, d'éphémère. (L'inespérée, p.130)

On voit bien en quoi, une telle formule ne demande qu'à sortir de sa page d'encre pour que nous en fassions l'expérience concrète, perdre la seconde qui va, sans projet, sans regret, sans jugement, sans culpabilité, comme un chat qui a tant à nous apprendre, en toute fraîcheur, innocence, pureté, naïveté, comme un idiot, un ravi émerveillé par tout ce qu'il voit, entend, sent, goûte, touche.

Un moment : une amie me rend visite à Corsavy, je la promène en voiture et l'arrête à une fontaine, une source qui coule faiblement mais coule, s'écoule, doux bruit d'eau et une éclaboussure de verts, fraisiers, fougères petites, mousses, lichens. Photographe ou peintre en saisirait peut-être l'éternité, en tout cas, elle est manifeste, il n'y a qu'à se laisser traverser, prendre son temps, laisser le temps s'écouler comme l'eau, se laver de toute précipitation, de toute impatience, de toute attente, rien ne presse, être présent à ces présences et remercier, dire merci, à voix haute, en chantant puisqu'on est enchanté. Il me semble qu'il dit à un moment que les pouvoirs (dont le plus pesant, le pouvoir économique) ne peuvent rien contre le chant, contre la parole enchantée, enchanteresse. Aujourd'hui encore on retrouve une telle tension entre les deux inconciliables, l'or et le chant, l'utile et l'inutile. Entre ces deux langues, pas de compromis, une lutte à mort. Soit l'argent, soit le chant. Soit le monde, soit l'amour. On ne peut servir les deux à la fois. C'est ce que j'aime chez les troubadours, c'est ce que j'aime dans toute vraie écriture, une force d'insurrection, une source de vie immense, un goût indéracinable de l'éternel. (p.31)

Il y a quelque chose comme ça qui s'est inventé, qui s'invente et s'inventera chez certains groupes de Gilets Jaunes qui ont le sens de la vie, de sa beauté, sa fraternité et un beau goût pour l'humour.
Autre moment : rite d'une jeune femme, longtemps mariée, séparée depuis un an, avant de se coucher ; elle monte l'escalier menant à sa chambre ; à chaque marche, enlève un vêtement, le jette par dessus l'épaule, entre nue dans la chambre, se met nue au lit et éclate de rire. Se défaire de tous vêtements, de tous masques. Tout est là : l'ascension – vers un repos. Le rire – dans le dépouillement. L'abondance – dans la solitude.

On voit bien comment de tels rites, renouvelés, improvisés peuvent nous rendre bienheureux c'est-à-dire nous couler dans la « sainteté » de la vie.

Jadis, j'avais 24-25 ans, j'avais imaginé toutes sortes de jeux pour poétiser la vie, le cahier existe toujours, le programme s'appelait : pour une réduction des horaires de banalité, pour une augmentation raisonnée des horaires de folie douce. C'était juste et prétentieux : il n'y a pas à poétiser la vie quotidienne, elle est poésie permanente, elle est miracle en toute manifestation et n'a pas besoin de poète déclaré ni de programme ostentatoire.


Poète je suis l’homme qu’il vous faut

mon programme réclame pour chacun

la libre disposition des choses

la possibilité de jouir de leur séduction

de se méfier de leur érosion

la libre disposition de soi-même

la possibilité de développer son étrangeté légitime

d’aller jusqu’au bout de ses pentes quotidiennes

d’être aussi fou que son voisin

et plus fou que le divin dont la soif de création s’est arreêée à l’incréé

mon programme réclame pour chacun

une réduction des horaires de banalité

une augmentation raisonnée des horaires de folie douce

(La parole éprouvée, 2° partie, 8° mouvement, Ouvrir, Mésallier les mots, p. 138)

 

 

Autre moment : le soir avant le coucher, rite des lectures à voix haute ; je lis des passages du Très-Bas à Rosalie qui me lit des chapitres de Dis au revoir à ton poisson rouge. Hier soir, elle perd une dent de lait, la petite souris va-t-elle passer ? Qu'est-ce qu'elle fait la petite souris ? Elle emporte la dent et laisse à la place, un peu d'argent et des douceurs. Je lui lis le passage sur la différence entre les enfants du 20° siècle et les enfants du 13° siècle, p. 33-34. Petits enfants du 20° siècle (on est déjà au 22° siècle, l'effondrement a eu lieu), vos parents sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Ils vous demandent de les porter sur vos épaules, de leur donner cœur et force. Petits enfants des temps modernes, vous êtes des rois dans un désert. Petits enfants du 13° siècle, on vous accorde peu d'importance.

 

Puis je lui demande de me parler de son doudou. Il est important pour toi ? Oui, pour la nuit. Qu'est-ce qu'il fait la nuit ? Il me protège. Ah bon ! Oui, la nuit, je n'y suis pas. Lui, il est là. Pendant que je dors, il est là, il me protège. De quoi ? Ça, je ne sais pas puisque je dors. (Il y aura sans doute une suite)

 

Bobin parle très bien de l'enfance et de Hélène, une fillette dont il s'est occupé par intermittences, de quelques mois à deux ans puis jusqu'à huit ans. Hélène qui ne ressemble ni à sa mère, ni à son père, ressemblances les plus pauvres qui soient, Hélène qui ressemble à la vie, qui ne ressemble à rien, qui ne ressemble à personne. Elle m'a appris à trouver le centre de l'écriture, le monde tel qu'il est, tel qu'il court, dans la voix d'une enfant. Un beau livre, un livre nourricier, c'est un livre d'où l'auteur a su s'enlever complètement. Vous l'ouvrez, vous lisez. Il n'y a que vous là-dedans. C'est vous qui avez écrit ces mots-là.

 

Autre moment. À Rosalie   pourquoi ne m'aides-tu pas ?   tu as deux pieds, deux mains, tu peux te lever   mais je fais beaucoup, les repas c'est moi, la vaisselle, c'est toi   oui mais mon autre moi   quoi, qu'as-tu dis ?   rien laisse tomber   t'as parlé de ton autre moi, c'est qui lui   laisse tomber, je te dis... elle finit par me parler de tous "ses" moi, une ribambelle, l'imaginaire investissant toujours la réalité.

 

J'ai une amie, une femme qui aime la vie simple, faible, qui chaque jour ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci Annie Bergougnous pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

 

On comparera avec le chemin de méditation du père Séraphim, méditer comme une montagne, comme un coquelicot, comme un océan, comme une tourterlle...

 

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.
une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

- Beaucoup d’écrivains parlent des enfants de manière mièvre, alors comment en parler de manière haute, comme vous le faîtes vous-même, comme des métaphysiciens, des gens qui vous guident, qui vous éveillent, qui vous montrent une part de la réalité que vous ne voyez pas, sans du tout tomber dans le « Qu’il est mignon ce petit » ?

- Ah, bien oui, si on m’accorde qu’un nouveau-né, ou qu’un bébé est un métaphysicien, c’est à dire un grand sage, un sage tout proche du Dieu, si on m’accorde qu’un bébé est sage, on va pas dire « Oh ! Qu’il est mignon ce sage, oh ! Qu’il fait la risette, peut-être que certaines mères ont reconnu la grandeur de leur enfant, peut-être pas toutes, je le déplore, et que cette grandeur les dépassait de toutes parts, et qu’elle était bien autrement large que ce que pouvait en contenir un couffin, et une petite joliesse de dentelle et une boite à musique, quand certaines mères ont découvert ça, en tout cas, quand j’ai découvert ça, que les bébés étaient très proches de la sagesse la plus pointue, de la plus rude aussi, car je ne connais pas de regards plus dangereux à croiser que celui d’un nouveau-né, parce qu’il ne s’ennuie pas lui, il ignore toute convention, il vous fixe dans les yeux, ça ne se fait pas de regarder les gens dans les yeux très longuement, c’est dommage que ça ne se fasse pas, mais lui ça ne le gêne pas, il vous envisage comme un mystère, il a raison, vous êtes un vrai mystère, il a raison, on a tendance à l’oublier, bien avant d’être ceci ou cela, bien avant même d’être écrivain, on est un mystère, et le nouveau-né le sait d’instinct, peut-être parce qu’il s’éprouve lui-même comme un mystère, et bien quand vous avez cette gravité, cette beauté, c’est toute la grâce des anges, mais alors des anges dont leurs ailes sont en acier, quand vous voyez cette grâce dans les yeux des nouveaux-nés, vous êtes confondus comme devant la plus grande et la plus rude pensée, vous avez-là un mystère qui vous interroge et qui ne se contentera d’aucune réponse.

- Il n’y a pas un risque de projection ? De projeter son désir de réponse à travers justement celui qui ne peut pas répondre ?

- Je ne crois pas, parce que les nouveaux-nés ont cette qualité-là, mais les agonisants l’ont aussi, et les vieillards parfois, peuvent l’avoir, et ceux qui aiment, quand ils aiment d’un amour pur, très réel et très pur, ils ont aussi dans leur présence ce coté diamantaire, ce coté aiguisé, aigu, comme ça, donc je ne pense pas céder à une empathie ou à une projection, toute simple, et toute pauvre.

la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)
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la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)

- Parce qu’il y a une époque, dans vos livres étaient présents des enfants, dont une petite fille d’une de vos amies, on l’a vu grandir, etc, qui avait quand même le langage, des réactions, des pirouettes, donc avec maintenant avec le nouveau-né, on se rapproche vers le centre, vers le plus incandescent, là on est sans parole, sans gestes, sans charme, alors je veux dire, sans séduction de sa part, lui il est là, brut, entier, mais proche de la source, parce qu’il en vient.

 

- Il en vient et il est encore trempé de…, au fond, le monde est à l’inverse de ce qu’il prétend être, il dit « regardez, je suis la lumière, regardez, je vais vous mettre plein de publicité, plein de bruits très attrayants, regardez, je vais vous mettre plein de couleurs, vous allez vous régaler, et puis, il y a un problème » nous dit le monde, "c’est qu’il y a la mort, on ne sait pas d’où l’on vient, de toute façon, il n’y a pas de réponse, c’est la nuit partout, c’est tout noir, c’est du néant, mais avec moi », dit le monde « qu’est ce que vous allez vous amuser ! Ça je vous promets, c’est lumière sur lumière ! ». On est bordé de nuit, mais à l’intérieur du monde, c’est la lumière, moi, je dis, c’est l’inverse, c’est l’inverse, c’est à dire que les nouveau-nés ils viennent de la lumière, et ils sont jetés dans notre nuit, c’est pour ça qu’ils sont éblouissants, c’est pour ça que leur regard est brûlant et que leurs visages sont dévorants comme ça, ils ont,… c’est une expérience très matérielle à quoi je vous renvoie, comparez, et vous verrez que la comparaison marche terme à terme, comparez l’attente ou l’attention portée à un visage d’un nouveau-né ou d’un tout petit enfant, à l’attention et au regard que vous allez porter sur un feu de cheminée, vous allez être comme hypnotisé, la chose va vous attirer à elle, parce qu’elle est violente, mais elle a une violence de vie, elle a une violence archaïque et éternelle, c’est la même chose, le feu et la petite pointe de brûlure bleue, dans les yeux des nouveaux-nés, ce bleu incroyable, qui tache les yeux des nouveaux-nés, après ils vont choisir leur couleur, ou quelque chose en eux va choisir leur couleur, parfois ils vont garder ce bleu, rarement, ils vont le garder, mais c’est la même chose, la même intensité, ils viennent de la lumière, ils sont jetés dans notre nuit, comment ne pas les vénérer, pas au sens bête de notre culture, qui adore les enfants stupidement, stupidement, stupidement, je dis bien, mais comment ne pas les respecter infiniment, comment ne pas respecter un vieillard aussi, pour ce qu’il commence à connaitre malgré lui de ce qui est de l’autre coté de la paroi ? Il commence à être touché un petit peu, par ce qui est intouchable, comment ne pas vénérer, respecter les plus faibles parce que dans l’ébranlement qu’il leur vient dans la chair et dans l’âme, il y a quelque chose de presque plus que la vie même, qui les touche et dont on peut voir sur eux les vibrations, comment ne pas être en silence devant ça ?

 

- Nouveau-né, vieillard, oiseaux, fleurs, on s’éloigne du langage ?

- Non, parce que le verbe des évangiles par exemple, et le verbe de certains poètes, peut avoir la force du silence d’un mourant ou de la vibration lumineuse d’une petite fleur. Le verbe de certains poètes, et parfois le verbe de certaines personnes dans cette vie pauvre, et qui ne se connaissent pas elles-mêmes comme écrivain ou comme poète, et qui n’écriront jamais, il suffit que la vérité les foudroie, et qu’elles acceptent ce foudroiement et vous avez devant vous une parole, comme on dit, on n'a la plus belle femme du monde, vous voyez, et donc le langage aussi peut nous amener à ce court-circuit, et à nous faire toucher cet au-delà de tout, le langage même, mais c’est rare, mais ça arrive, ça arrive.

- Je ne le vois pas dans vos derniers livres, Christian Bobin, comme vous conduisant vers, en tout cas aussi intensément, vers la vérité que vous conduise un enfant, un vieillard, des fleurs, des oiseaux, comme si dans ce mouvement qui est le votre aujourd’hui, vous n’aviez plus tellement besoin de la langue commune, cherchant peut-être autre chose que cette langue commune ?

- C’est vrai que le silence est…, là je vais rejoindre un savoir commun mais c’est un savoir vivant, un savoir vivace, que le silence est peut-être le plus haut point de la parole, quand la parole est menée par l’amour, il y a un moment où elle se tait, et c’est encore de la parole, mais c’est vrai que le silence, quand il est habité, quand il indique un travail intérieur, et non pas une mort, parce qu’il y toutes sortes de silences, mais un silence vivant, vibrant, et bien il disqualifie tous les livres et toutes les écritures et toutes les paroles.

Christian Bobin interviewé par Olivier Germain-Thomas, dans l’émission « For intérieur », diffusée le 31 mars 2002 sur France Culture, à partir de 44'55.

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
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