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Blog de Jean-Claude Grosse

François d'Assise / Bobin / Delteil

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

en chemin
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une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

Deux François d'Assise

Joseph Delteil (1960)

Christian Bobin (1992)

 

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.) André Comte-Sponville

 

Les livres de Christian Bobin que j'ai lus en premier ont tous été édités par de petits éditeurs. Puis Gallimard a publié Le Très-Bas, un succès confirmé par les succès qui ont suivi les parutions régulières chez Gallimard et quelquefois, parutions dans de petites maisons. Changement de statut de l'auteur, d'abord bien accueilli par la critique (puisqu'il est l'auteur de lecteurs avertis) puis rangé au rang des écrivains à succès pour large public (pour accéder au grand public, il faut du savoir-faire, du savoir-dire et savoir le dire).

Avec Le Très-Bas, on est au moment de la bascule quant à la réception de Bobin, schisme entre critiques et publics. Peut-être aussi pour l'auteur, passage à une posture et en littérature, ça peut s'appeler une imposture quand il est difficile de parier sur la sincérité, l'authenticité du formulateur de paroles inouïes. Le poète de la solitude comme grâce plus que comme malédiction semble moins solitaire qu'il n'en a l'air ; poète disparaissant derrière sa parole pour qu'elle devienne nôtre, il écrit plus de 60 ouvrages remplis de formules que beaucoup s'approprient pour leur cheminement personnel, spirituel ; sans vouloir être guide, gourou, ne se met-il pas dans cette position par son abondante production ?

Le Très-Bas se veut un récit peu (voire non) documenté sur François d'Assise. Peu de références aux textes de et sur François, aux récits de la vie de François. François est un enfant puis un adolescent puis un guerrier. La trajectoire de François est décrite à la fois dans son temps et en comparaison avec notre temps. Enfants du 13° siècle, enfants du 20° siècle. Pauvres et puissants du 13° siècle, pauvres et puissants du 20° siècle.

N'émerge pas la conscience écologique – la collapsologie n'a pas encore fait son apparition. Le livre Effondrement de Jared Diamond n'est paru qu'en 2005. Depuis le succès des livres de Pablo Servigne et d'autres, la question de l'effondrement de la planète par épuisement, empoisonnement, pollution, prédation, catastrophes diverses, dérèglement climatique, celle de la disparition de l'humanité par famines, pandémies, migrations, guerres, faillites, crises boursières sont au cœur des préoccupations (mais pas des actions tant individuelles que collectives).

Christian Bobin n'en est pas là dans Le Très-Bas mais avec François s'expose tout de même une alternative à l'esprit de possession. Le respect, l'amour de tout ce qui vit est avant l'heure, une écologie intégrale incluant une dimension spirituelle et des passages à l'acte, quand il se dépouille de ses vêtements lors du procès public que lui fait son père et qu'il part, renonçant à être le fils de son père parce qu'il est le fils d'un autre Père, universel celui-là, un Père d'Amour inconditionnel pour toute la création, quand il serre dans ses bras et embrasse sur la bouche ce qui lui fait le plus peur, le lépreux, quand il choisit la liberté par un nouveau rapport à la vie, pour la vivre la vie, ne vivre que la vie, toute la vie, en changeant radicalement de vie, en rejetant la vie formatée depuis la naissance jusqu'à la mort avec ses étapes. François opte pour la cabane, la hutte, le sac de bure, la corde pour ceinture, le bâton de pèlerin ou de vagabond, l'aumône, la grappille, le glanage.

L'ordre qu'il crée se veut pauvre, humble, pas d'études, de livres, d'argent, de maison. François est homme à prendre au pied de la lettre, une parole (il n'est pas de ceux qui au nom de l'esprit d'un texte, le détourne de son vrai sens par leurs interprétations, lui prend à la lettre): Va et répare ma maison qui tombe en ruine. Il croit que la maison c'est l'église de pierre et le voilà réparateur d'édifices. Fausse route. La vraie route, il la trouvera sur les chemins et sentiers, dans les forêts, dans les champs, aimant d'amour d'enfant tout ce qui se présente, invitant à l'amour tous ceux qui se présentent. Ça ne fait pas un enseignement. L'amour, ça se dit, je t'aime, je te loue, je te remercie d'exister tel, et ce n'est guère original, mais c'est vrai, c'est agissant. L'amour est plénitude du manque, ça semble paradoxal, incompréhensible mais ce qui est impossible à comprendre est tellement simple à vivre.

La règle de vie de l'ordre religieux qu'il a créé sans le vouloir mais que des intrigants détournent de ses fondements est simple : jubilation de l'âme, insouciance du lendemain, attention pleine à toutes vies. Jouissance de ne tenir à rien, merveille de toutes présences. Il écrit vers la fin son Cantique du soleil où il loue la terre et tout ce qui y vit, le soleil qui fait tout vivre. Après plusieurs semaines de silence, il rajoute Loué sois-tu pour notre sœur la mort. Il a bouclé la boucle, aimer toute la vie, incluant la sœur la mort et ainsi rejoindre la vie éternelle, éternellement recommencée, ressuscitée. Le samedi 3 octobre 1226, il ferme lentement les yeux comme sous le charme d'une pensée profonde, si profonde qu'il en retient son souffle.

François est-il un modèle possible de radicalité pour notre époque ? En suivant la règle de vie de François, la vie pauvre, la vie faible, en étant des millions à vivre dans les forêts, dans les campagnes, mettra-t-on à bas le système prédateur qui s'appelle capitalisme et qui se met en place déjà au temps de François ? François est-il un SDF ne se souciant pas du lendemain, est-il un zadiste quasi-autosuffisant, est-il un migrant par choix au gré des territoires résilients à futur désirable, un pèlerin du refus de la consommation, un décroissant, un colibri faisant sa part et se satisfaisant de sobriété heureuse ? On est tenté de dire OUI

OUI MAIS

Un auteur italien, Giacomo Todeschini, s’est préoccupé des conceptions économiques élaborées par des Franciscains soucieux de conjuguer les affirmations du Poverello avec la situation économique des cités italiennes au Moyen Âge. L’ouvrage de Giacomo Todeschini a rencontré un écho certain en France. Voici quelques citations relevées dans la presse française. «Pauvreté, marginalité, richesse : tels sont les débats qui, dès la fin du XIIe siècle, agitent les cités italiennes et, bientôt, les grands centres urbains de la chrétienté. Au cours du Moyen Âge naissent en Occident la question sociale et les théories économiques. (Jean‐Michel de Montremy, «François d’Assise en inventeur du capitalisme», Le Journal du dimanche, 21 décembre 2008). «Parmi les grandes figures du Moyen Âge, François d’Assise (1182‐ 1226) est assurément l’une des plus vivantes aujourd’hui. Le marchand devenu ermite charismatique, qui fit de la pauvreté une valeur cruciale de la communauté, inspire autant la pensée sociologique que la scène théâtrale.[...] Tout le propos du livre de Giacomo Todeschini est de montrer comment, à partir de réflexions sur la pauvreté, la pensée franciscaine a contribué à façonner le langage et les pratiques économiques de l’époque, en particulier à propos du marché.»

extrait de l'essai de Gérard Poulouin, Le Très-Bas, un livre de pauvre, université de Caen : voir le PDF ci-dessous

 

Une évidence: pour être un pauvre, un mendiant, un décroissant ne faut-il pas aussi des gens qui donnent, des gens qui possèdent et qui se délestent, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie comme François, peu importe leurs motivations, "mes" pauvres, solidarité spontanée, solidarité organisée, associative, étatique. Peut-être le tiers-ordre de François suppose des formules comme le revenu universel de base, le salaire à vie.

Jean-Claude Grosse, dimanche 4 août 2019, avant l'abolition de mes privilèges

J'ai abordé Joseph Delteil, j'avais 24 ans, avec son roman Sur le fleuve Amour. Une secousse. Je dois mon attachement à la Sibérie en partie à ce roman.

François d'Assise, je l'ai abordé d'abord par un spectacle que j'ai fait venir deux fois à la Maison des Comoni au Revest, adaptation et mise en scène Adel Hakim, jeu habité Robert Bouvier. Créé en 1994, j'ai dû accueillir le spectacle en 1995 et 1996. Public ravi. Le Très-Bas était paru deux ans avant. Il n'aurait pas donné à mon avis ce spectacle jubilatoire qui tourne encore 25 ans après, avec le même acteur habité, Robert Bouvier, Adel Hakim ayant quitté ce monde le 29 août 2017 après avoir laissé une lettre particulièrement émouvante, Libre adieu.

La préface au texte (écrit en 1959, paru en 1960 et republié dans les Oeuvres complètes en 1984) est significative du projet de Joseph Delteil : Ensainter les hommes.

 

Un saint qui « ensainte les hommes »

 

Je suis chrétien, voyez mes ailes. 

Je suis païen, voyez mon cul. 

« J’ai appelé ce texte François d’Assise et non pas Saint François. Vous remarquerez que je tiens à cette nuance. Je prétends toujours que tout homme, s’il le veut, peut devenir François d’Assise, sans être saint le moins du monde. J’imagine très bien un François d’Assise laïque et même athée, ce qui importe, c’est l’état d’esprit « françoisier » et non pas sa place réservée sur un fauteuil doré dans le paradis. Il faut un saint « utilitaire », un saint qui « ensainte » les hommes. Nous vivons une époque cruciale de l’Histoire, c’est un véritable match entre l’histoire et la nature.D’un côté une redoutable accélération industrielle, une montée en flèche de la civilisation atomique et de l’autre une fragile levée de sève ça et là dans le vaste monde, un appétit soudain de grand air, de soleil. L’humanité bureaucratique, métallique, aspire de nouveau à sa chair, elle veut se dénuder, prendre la clé des champs. François est de notre époque, il porte notre étendard. Ce qu’il rejette, en rejetant les grosses bâtisses de son temps, c’est les gratte-ciel d’aujourd’hui, ce qu’il bafoue en chantant la sainte ignorance, c’est notre froide intellectualité. Tout cela annonce un vaste mouvement de reconquête de la nature « à la françoise ». La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice, tout est falsifié, truqué, pollué. La nature est dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompues, les oiseaux infectés d’insecticides, les poissons empoisonnés par les déchets nucléaires, la levée des substances cancérigènes, partout la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes...Je ne m’adresse pas seulement au catholique mais à l’honnête homme de toute race et de toute religion : chrétiens, agnostiques, communistes, athées, blancs, rouges, afro-asiatiques, etc. Tout homme peut être franciscain, peut-être « françoisier », sans croire à la sainteté de François. Drôle de saint, dites-vous. J’avoue en tout cas que j’ai écrit ce texte dans une folle émotion tantôt criant de joie, tantôt ruisselant de larmes. Je crois au panthéisme, à cette respiration du corps accordée à celle du cosmos, cette foi, bras écartés, aux dimensions de Grand Tout. S’unir à la nature et à la divinité, c’est accroître le sens de l’homme jusqu’à l’absolu. Se fondre et s’incorporer dans l’univers, c’est devenir soi-même l’univers. » 

Joseph Delteil


 

 

 

Cette préface de 1960 a sans que le mot soit employé un fort contenu écologique et Delteil veut que nous devenions des « françoisiers », unis à la nature et à la divinité.

Fréquentant le Vallespir depuis l'été 1965, accroc au Banquet du Livre de Lagrasse où je suis allé plusieurs années d'affilée (durée entre 3 et 5 jours), profitant du pays cathare, visitant le village du livre de Montolieu, le lac du Lampy, les rigoles de Riquet, le canal du midi, je ne pouvais pas ne pas chercher quelques traces de Joseph Delteil. Outre une bouteille de vin étiquetée Joseph Delteil, précieusement gardée, je suis allé sur place, à La deltheillerie, (avec h), titre de son dernier livre (1968), la tuilerie de Massane à Grabels aux portes de Montpellier, dans un état d'abandon qui mobilise des amis de Delteil.

C'est donc à Corsavy que se trouvent les œuvres de Joseph Delteil. C'est là que j'ai lu et relu à 25 ans d'intervalle ce texte. Joseph Delteil est partie prenante du texte en tant que Je, en tant que Nous. De toute évidence, il s'est documenté. Il connaît bien son François, il s'identifie à lui comme François s'identifie au Christ. L'innocence de François s'exprime dans des inventions verbales tautologiques, les pigeons pigeonnent, les pinsons pinsonnent, les mouches mouscaillent, les fleuves vont fleuvant, les feuilles feuillant; cela donne un texte fluide, jubilatoire, jaculatoire qui donne envie de françoiser, de faire la révolution à la françoise. François est homme à prendre au pied de la lettre, les paroles d'évangile. N'est-ce pas ce que veut dire cette expression, une parole d'évangile ne peut être remise en question, c'est une parole indiscutable, une vérité absolue. Donc quand à la Portiuncule, il entend l'évangile selon saint Matthieu, XIX, 21 et qu'il fait répéter au prêtre ce qu'il lit, celui-ci insistant sur l'esprit de l'évangile, François répliquant à la lettre, l'évangile, le prêtre lui demandant quand il s'en va : où vas-tu ? Prêcher l'évangile, lui répond vivre l'évangile ! Vivre l'évangile ! Quelles paroles entre autres a -t-il retenu ?

Allez libres et sans souci, sans rien emporter avec vous, ni or ni argent ni aucune espèce de monnaie, ni valise, ni linge, une seule tunique et pas deux, ni chaussures, ni bâton.

Comment François en est-il arrivé à vivre à la lettre ces paroles d'une simplicité extrême ? Le texte comprend 10 chapitres dont plusieurs de Découverte, découverte de la terre, découverte de l'homme, découverte de la liberté, découverte de l'évangile. Des chemins de découverte à commencer par la terre charnelle, nourricière. Rien à voir avec l'émerveillement devant la beauté mais l'absorption quasi-physique de la viridité de la nature, la nature c'est du vert, à foison. François quand il parle de frère, de soeur ne joue pas à humaniser ce qui l'entoure. Par ses chants spontanés, ses rires, son hilarité naïve, il s'identifie à frère oiseau, à frère loup, à soeur neige. À partir de ces découvertes successives, la vraie vie, les françoisiers car bientôt, ils sont une bande à suivre François, vivent d'amour et d'eau fraîche, prennent la clé des champs, ils ne se soucient pas du lendemain comme les oiseaux du ciel et parce que le Pater dit Donnez-nous aujourd'hui (deux fois) notre pain quotidien. C'est le chapitre le plus long, le plus exaltant pour aujourd'hui et qui s'achève par le nombre de françoisiers, la grande armée des franciscains en 1960, plus de 3,5 millions, tous niveaux confondus. Vient le chapitre sur le pur amour, sur les deux femmes dans la vie de François, Claire, la spirituelle, son imitatrice, fondatrice des Clarisses et Jacqueline Frangipani, frère Jacqueline, la femme à tout faire, qui élabore la frangipane.

François est évidemment trahi, détourné par des membres de son Tiers-Ordre (comme surgira plus tard un Tiers-État) dont la règle est : simplicité de vie, pauvreté d'esprit, non violence, interdiction du serment, interdiction de porter les armes. C'est le temps de La passion. Car en même temps qu'il est trahi, que la règle est écartée, le pape s'en mêle, pas question que le concentrisme de François (une fraternité par cercles concentriques de plus en plus larges, de plus en plus universels : les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les plantes, les eaux, les vents, les nuages, le soleil, les saisons, la vie sous toute forme et la mort - il l'intègrera à la fin de son Cantique du soleil, ma sœur, la mort) vienne mettre en cause la vision hiérarchique de l'église. François se soumettra hé bien faites ce qu'il vous plaît mais lui sera pèlerin, donc seulement de passage dans les églises où l'on doit obéissance, il sera le dernier franciscain, le premier franciscain. C'est le retrait dans la montagne, les 40 jours de jeûne dans le maquis de Dieu, les stigmates.

Le dixième chapitre s'intitule À Dieu qui est aussi l'adieu de François par le célèbre Cantique du soleil, qui est aussi ce que Delteil appelle la bataille du cadavre. Qui va accueillir ce saint avec tout le commerce à en faire ? Delteil est scandalisé par ce qui a été fait du pauvre corps de François au mépris de ce qu'il voulait, mort il est devenu la proie des hommes cupides d'église et des marchands. Il dit Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! C'est notre Pacte ! Un beau jour, un de ces quatre matins...

Un tremblement de terre en 1832 rasa Sainte-Marie des Anges, la somptueuse basilique qui enserrait la Portiuncule de saint François. Un autre tremblement de terre en 1996 remit à terre la basilique reconstruite.

Cela n'a pas suffi à libérer François. C'est notre travail, notre pacte. Car le libérer, c'est nous libérer, individuellement, par travail sur soi et choix d'une métaphysique (naturaliste à la Marcel Conche, spiritualiste) et collectivement (là, il suffit de voir l'état du monde, capitalisme ultra-libéral mondialisé où le pouvoir politique est au service des oligarchies, capitalisme d'état des ex-pays "communistes" où le pouvoir politique contrôle les oligarques, pour se dire prudence, méfiance, quelle solution ?, révolution mondiale ?, création d'une multiplicité d'îlots ?, avec, sans parti...) conscients que tout mouvement de libération est à un moment donné, dévié, récupéré, transformé en son contraire (toujours l'homme est à découvrir).

Jean-Claude Grosse, lundi 5 août 2019, après l'abolition de mes privilèges

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