La Deltheillerie
La Deltheillerie
Hyacinthe Tranquillin Joseph Delteil
Grasset 1968
Une journée grise et fraîche, pluie en attente, ce n'est apparement pas le temps qui convient pour lire La Deltheillerie, livre lumineux, joyeux, heureux. Mais c'est la plage de temps qu'il m'a fallu pour savourer ces 250 pages en 8 chapitres.
C'est un récit de vie écrit à plus de 70 ans dans lequel Delteil s'explique sur sa fuite. Il fuit Paris, la gloire, le scandale, les querelles littéraires, la société de consommation, l'industrialisme pour vivre la vraie vie, au plus près de la nature, comme un simple, un simple d'esprit, comme une plante, comme un animal, comme un arbre. « Et je suis parti... J'ai quitté Paris, j'ai quitté le monde pour un monde meilleur. Je suis parti pour les îles, pour les déserts, pour le Harrar, pour le Tuamuta de Gauguin, pour le pays des Dogons ou des Pitjantjara. Pour la paléolithie. (1° paragraphe de La Deltheillerie, Joseph Delteil (de Tilleul), Grasset 1968.)
« J'ai voulu tout simplement rejoindre la nature, cette "première nature" dont parle Milosz. J'ai voulu vivre la vie naturelle, "la vraie vie", j'ai voulu vivre innocemment, j'ai voulu vivre hors de la société, hors de la civilisation, hors du Mal. » p.20. « Il s'agit de faire peau neuve, de pied en cap, dépouiller le vieil homme. Faire table rase de toute la civilisation, fouler aux pieds toute la condition humaine, tout l'appareil social, toute éducation, culture, usages, habitudes, modes, rites, mythes, mimétismes, psittacismes, fouler aux pieds toutes bonnes manières, situations sociales, honneurs, titres, galons, argenterie et tutti quanti, strip-tease ! Il s'agit de redevenir le premier homme. » p.20. L'homme innocent, l'homme paléolithique, l'homme des cinq sens. Mais ce dénudement vers le dénuement demande de regarder d'où on vient. Pour ne plus subir le poids de ses origines familiales et sociales, les revisiter, faire un droit d'inventaire. Maman et Papa, Mère et Père ont leur juste place dans ce récit, une place d'amour, il fut aimé, il les aima. Ils sont saisis dans leurs activités de paysans parlant patois (dont il usera pour ses inventions de vocabulaire), le mameillage ou ramassage des grappillons, la saignée et la mise en charcutaille du porc, une fois l'an, le cérémonial du cèpe (p.174)... Droit d'inventaire également sur sa montée à Paris, seul, sans appui avec soudainement la gloire et le scandale à la parution de Sur le fleuve Amour, publié par Pierre Mac Orlan et que Valéry Larbaud lut à voix haute, dans l'hilarité générale, une nuit durant, chez Adrienne Monnier pour une quinzaine d'habitués dont Paul Valéry et Léon-Paul Fargue. Beaux portraits avec pointes si nécessaire de noms illustres dont il finit par se lasser et s'éloigner, trop de jalousies, trop d'egos, trop de talents, trop de styles, trop d'esbroufe, trop de postures, lui-même inventant l'oeillisme, le sensationnalisme, le delteillisme.
Redécouvrant la nudité, la vérité de la nudité dans sa crudité. « Le monde était naturel, matinal, je peignais les bêtes nues, les prairies nues, les femmes nues, les bœufs sortant de l'étable nus comme des soleils, les pommiers, les merles, les truites étaient nus, Dieu allait d'un nuage à l'autre, tout nu. » p.142. Dans un tel monde, sexualité, sensualité, sensibilité sont l'instrument idéal du plaisir qui est le climat naturel de l'homme, le plaisir total, le contentement absolu du corps, du cœur et de l'âme, indivisibles. p.146. Cette morale du plaisir qu'il revendique est à l'opposé de ce qui fonde la société industrielle, la société de consommation, le travail. « L'essentiel de la civilisation, c'est le travail... C'est la pire invention, c'est la grande aliénation de l'homme, la parfaite mystification. » p.198.
Avant son installation à La Deltheillerie, encore à Paris, auréolé par l'édition de sa Jeanne d'Arc, on est en 1925, il rencontre Caroline Dudley, la créatrice de la fabuleuse et célèbre La Revue nègre avec entre autres Joséphine Baker. Caroline a lu Jeanne d'Arc en Amérique, elle a aimé le personnage, le style, l'auteur ?, avant sa venue en France avec sa troupe. Entre eux, amour et mariage. « Des épousailles de contrastes, des noces d'antithèses, des embrassements d'antipodes, le mariage le plus absurde, le plus abracadabrant, le plus hallucinant, le plus fou du monde, bref le mariage parfait. » p.161. Mariage civil à Surrey en Angleterre, en 1937, mariage religieux, 25 ans plus tard, à Roquefort-les-Pins. Pour la vie. Loin de Paris, loin des tintoins, amateur de coins comme le parcours de la Rigole de Riquet depuis le lac du Lampy, sur 22 kilomètres. (p.94).
Je confirme la fabulosité pour l'avoir vécue, à pieds, en vélo, en camping-car, une fois, tout le monde aoûtien rentré à Paris et dans les banlieues, pendant une dizaine de jours, du Lampy au canal du Midi, séjournant à Le Somail et sa librairie de livres anciens (50000), Capestang, Salleilles d'Aude, canal devenu hihi, patrimoine mondial.
Le 8° chapitre Weltanschuung, le plus long, est un peu la profession de foi de Delteil, ce qu'il récuse, ce contre quoi il est, ce pour quoi il est. Dirai-je l'actualité de ce chapitre, de ce livre. Paru en 1968, il est du temps de cette révolution qui n'ayant pas abouti a engendré des régressions par réaction, présentées comme progrès. Il est aussi du temps de ceux qui 50 ans après remettent en cause, pressés par l'effondrement en cours, le modèle dominant d'exploitation de la planète, des hommes, modèle incapable de s'auto-corriger, qui ira au bout de sa logique folle de prédation et de destruction.
Le paléolithisme, le delteillisme sont des voies expérimentées par un homme, un couple. Elles ont valeur pour qui pratique, elles n'ont pas valeur de salut du monde.
« Pourquoi changer le monde (trois milliards d'hommes) quand il me suffit d'en changer un seul, moi-même. » p.23
« Un jour à table, avec Henry Miller, nous évoquions ces choses-là. Si je connais le gué, disais-je tout feu tout flamme, je l'enseigne aux hommes, voyons. Miller restait sceptique.
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Et si malgré tout, ils ne veulent pas de votre gué et se noient ?
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Alors, dis-je, j'éclate de rire...
Il se leva soudain, tout debout et me tendant les mains par-dessus la table à travers assiettes et bouteilles, avec une espèce d'effusion, il s'écria :
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Voilà ! » p.54
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Joseph Delteil (Radioscopie du 4 avril 1977)
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