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Blog de Jean-Claude Grosse

notes de lecture

Trotskisme, de Lambert à Mélenchon

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #agoras, #SEL

couverture de 68, et après de Benjamin Stora

couverture de 68, et après de Benjamin Stora

68, et après

Les héritages égarés

Benjamin Stora

collection un ordre d'idées, Stock

 

Après avoir lu et commenté La dernière génération d'octobre, consacré aux années de militance de Benjamin Stora au sein de l'OCI devenue PCI (le parti trotskiste dit lambertiste), j'ai apprécié que l'auteur poursuive son bilan en reprenant son parcours, pouvant ainsi comparer avec mon propre bilan puisque j'ai passé presque 12 ans au PCI (dans le nord, puis à Toulon). Benjamin Stora a occupé des fonctions importantes dans l'appareil du PCI, ça n'a pas été mon cas. Il a quitté le PCI vers 1985 pour aller vers le PS avec Cambadélis qu'il avait recruté via l'AJS, entraînant derrière eux, dans ce mouvement, 400 militants regroupés dans Convergences socialistes. Moi, j'ai été exclu en 1980 avec d'autres puis après recours auprès de la commission des conflits, réintégré. C'était le temps des affaires, des exclusions (Charles Berg en 1979, Stéphane Just en 1984, Pierre Broué en 1989, et d'autres en 1991, 1992), des mesures incompréhensibles dont je ne comprends pas qu'on ait pu collectivement les accepter même si des « explications » étaient données, déviationnisme, trahison, agent provocateur de la CIA ou de l'URSS... Après mon passage au PCI (1969-1980), 12 ans au conseil municipal du Revest (1983-1995) qui ont permis l'émergence du festival de théâtre du Revest puis du théâtre, la Maison des Comoni. En 2006, je rentre au PS pour en interne soutenir la candidature de Ségolène Royal. Je quitte le PS après la présidentielle de 2007, ayant compris que son échec était dû avant tout à l'appareil du PS, aux éléphants hostiles à cette femme (propos sarcastiques de Fabius).

Deux traits du lambertisme semblent décisifs pour comprendre les exclusions :

- le verticalisme (la direction décide, les militants exécutent ; la réalité de cette organisation basée sur le « centralisme démocratique » c'est dans les faits l'absence de démocratie, le centralisme l'emporte. La direction ce sont les permanents du parti, vivant sur les cotisations, les phalanges des militants (10% du salaire plus abonnement au journal plus campagnes financières plus participation aux meetings à financer, aux manifestations à financer),

- le fonctionnement des cellules dites amicales est quasi-militaire (réunions hebdomadaires, présentation par chacun de ses résultats, comparés à ses objectifs, définis la semaine d'avant ; l'analyse de la situation, la révolution est imminente, justifie le harcèlement des militants dans ces réunions ; c'est le taylorisme, j'appelle ça le tayrorisme, capitaliste au service de la révolution = de la direction = bureaucratisation du Parti).

- Verticalisme et fonctionnement militaire expliquent le décalage entre sommet et base, les luttes intestines au sommet (on l'a vu assez récemment après la scission au sein du POI, avec procès engagé pour savoir à qui reviendrait le local de la rue du Faubourg Saint-Denis et le butin-le patrimoine du PCI, archives, fonds …)

 

 

 

http://www.lacommune.org/Parti-des-travailleurs/archives/CCI-POI-et-TCI-POid/Lambertisme-d-hier-et-d-aujourd-hui-i1678.html

http://www.gauchemip.org/spip.php?article12858

http://www.gauchemip.org/spip.php?article28296

http://www.gauchemip.org/spip.php?article25497

http://www.clubpolitiquebastille.org/spip.php?rubrique1

http://www.luttedeclasse.org/dossier44/oci_112016.pdf

le PDF de 422 pages rédigé par Pierre Salvaing est à récupérer par le lien ci-dessus

https://www.workersliberty.org/story/2017-07-26/pierre-broue-1926-2005

 

 

 

Les documents que j'ai sélectionnés peuvent sembler « surréalistes » mais on ne peut pas faire l'impasse sur le bilan du lambertisme d'où sont sortis Jospin, Cambadélis, Mélenchon, Stora, sur le bilan des autres courants trotskistes (Julien Dray, Harlem Désir viennent de la LCR) car ces mouvements ont joué des rôles non négligeables dans toutes sortes de conflits, dans des moments « historiques » et cela non seulement en France mais en Amérique centrale et latine, aux USA, à l'est du temps du stalinisme brejnevien...

Ce qui ressort tant du livre de Benjamin Stora que de ces documents, c'est la facilité avec laquelle les petits enjeux personnels prennent le pas sur l'accompagnement de l'émancipation des travailleurs. Un exemple : lors du passage au PS en 1986, Cambadélis fait adhérer une centaine de militants dans le 19° arrondissement. Cela lui permettra d'obtenir l'investiture pour être candidat aux législatives et d'être élu député (début de sa carrière politique avec ironie de l'histoire, lui sort par la droite du PCI en 1986, Valls tire vers la droite le PS dirigé par Cambadélis ce qui va provoquer le délitement du PS à la présidentielle de 2017).

Ce qui est frappant à la lecture de ce livre, ce sont les illusions qui ont aveuglé des responsables aguerris aux analyses et aux pratiques politiques susceptibles d'agir sur le réel. On entre au PS, soit. C'est quoi le PS ? Ils répondent : Un parti moderne, social-démocrate. Comment y entre-t-on ? Entrisme, travail de fraction ? Pour Cambadélis, gagner des postes dans l'appareil, changer le parti de l'intérieur. Pour Stora, créer une tendance, développer des idées qui nourrissent le débat, font évoluer.

Cambadélis a fait carrière dans l'appareil de 1986 à 2017. Voir sa proposition de garde nationale le 12 janvier 2016

 

https://lundi.am/retour-garde-nationale

 

Stora a quitté l'activité militante en 1988. Faiblesse du raisonnement, découverte après coup : le PS n'était pas un parti moderne, social-démocrate déjà en 1986, c'était un parti de notables, de professionnels de la politique, de gens vivant sur les subsides de l'état, n'ayant jamais travaillé pour la plupart, donc une forme de corruption liée aux privilèges des élus de la République, parti sclérosé incapable de comprendre les évolutions de la société, les nouvelles demandes politiques venues des jeunes des quartiers, venues des migrants, des précaires, venues des communautarismes, venues des femmes, incapable de proposer une offre politique à la hauteur des enjeux, un parti acceptant malgré le « coup d'état permanent » stigmatisé par Mitterrand, la constitution de la V° république, constitution anti-démocratique qui nous a conduit à la monarchie macroniste, un président, un parti aux ordres, une non-séparation des pouvoirs, le législatif inféodé à l'exécutif, le judiciaire sous contrôle, les médias devenus organes de propagande.

Deux phénomènes complètement occultés suite à cette impéritie :

  • la radicalisation des banlieues qui va devenir la radicalisation islamiste d'une partie de la jeunesse, les fameux beurs qui avaient fait la marche des Beurs du 3 décembre 1983 et la marche pour l'égalité des droits du 3 novembre 1984 ; à cette demande d'égalité des droits, on a répondu par SOS racisme (invention de Julien Dray et Harlem Désir, manipulation par le haut d'un mouvement d'en bas, spontané), le mythe de la France multi-culturelle incarnée par l'équipe de France de foot, de la fraternité ; par l'exclusion sociale, la ghettoïsation spatiale, on a favorisé la dérive vers l'islamisme de cette jeunesse, l'affaire du voile n'a pas été comprise dans sa signification profonde (pas seulement une remise en cause de la laïcité, mais un rejet du « modèle » proposé, la société du consumérisme qui les laisse sur le côté) ; la gauche n'a jamais accordé le droit de vote aux municipales pour les immigrés, vieille revendication, cela conforte le sentiment deux poids, deux mesures, sue le burnous, exerce les fonctions ancillaires dont notre société a besoin, tu n'as aucun droit à réclamer et à attendre. On comprend que le dégagisme ait été puissant en 2017 qui a balayé les caciques de droite comme de gauche via les primaires ouvertes (Sarkozy, Valls) entraînant le naufrage des Républicains, des Socialistes, l'émergence par défaut de Macron, sans parti, ne s'appuyant pas sur un appareil. La présidentielle 2017 a été un séisme politique, scission au FN, partis dominants laminés, mouvement conquérant de Macron, une France insoumise qui a les défauts lambertistes de son leader

  • la radicalisation des petits-blancs comme on dit aujourd'hui qui ont conduit Trump au pouvoir aux USA et qui conduiront l'extrême-droite au pouvoir chez nous. Macron lui ouvre une voie royale

  • D'autres aspects ont été négligés par ce parti (je ne parle pas des autres) : les enjeux écologiques, des enjeux de société : égalité femmes-hommes, réforme en profondeur de l'école devenue un ascenseur social en panne ou école à la maison, lire ci-dessous

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  • https://lundi.am/Une-liberte-de-plus-en-moins-1428

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  • N'a pas été mesurée l'offensive, la guerre de plus en plus féroce, cynique du néo-libéralisme contre les classes populaires (répression de la grève des contrôleurs aériens sous Reagan, surtout cassage de la plus grande grève de Grande-Bretagne, celle des cheminots sous Thatcher, en 1985-1986 ; les cheminots sont rentrés sans avoir rien obtenu et ce fut la privatisation des services publics de transport dont les Anglais voient aujourd'hui les effets néfastes) ; dans un contexte de guerre ouverte, déclarée, affichée des riches contre les pauvres, peut-on être conciliant, arrangeant avec le capitalisme mondialisé, peut-on être social-démocrate, réformiste avec les prédateurs, peut-on négocier et arracher des miettes à donner en pâture aux déclassés ? De là découlent normalement des analyses censées guider dans l'action : quel est le rôle des syndicats ? Peut-on faire confiance aux directions syndicales ? Quels rapports entre parti ouvrier et syndicats ouvriers ? Comment doit se pratiquer la tactique du Front unique ouvrier, tactique de libre discussion entre toutes les tendances du mouvement ouvrier (le journal Informations Ouvrières, tribune libre de la lutte des classes n'a jamais été une telle tribune ; doit-on s'étonner de la dérive bureaucratique de ce mouvement ?) L'exemple de la Grèce soumise au terrorisme de la troïka exigeant le remboursement de la dette (dont on sait que c'est une fabrication artificielle puisque on a obligé les états à ne plus battre monnaie mais à emprunter auprès des banques privées) montre assez que les peuples peuvent être saignés avec la complicité de leurs dirigeants « progressistes de gauche », devenant droitiers au pouvoir. La prise du pouvoir c'est une chose, on peut être radical dans les discours, le programme, les promesses. L'exercice du pouvoir c'est autre chose: on s'adapte, on se compromet, on trahit ses promesses. C'est le capital qui gagne toujours dans ces tentatives d'arrangement, l'Allemagne de la sinistre Merkel, la nouvelle Thatcher, étant le chef d'orchestre de cet alignement de tous sur une politique monétaire intransigeante et de fabrication de la dette qui profite aux actionnaires.

Benjamin Stora, devenu historien reconnu des deux guerres d'Algérie (celle de la France coloniale sous Mollet, Mitterrand jusqu'à De Gaulle ; celle de la décennie sanglante entre le FLN au pouvoir et le FIS- le GIA) montre très bien comment le travail de mémoire n'ayant pas été fait, la guerre des mémoires (souvent déformées, partisanes, idéologiques) a lieu, semant des germes de racisme, de violence, favorisant la montée de l'extrême-droite. La notion d'identité nationale est devenue un enjeu politique, expliquant en partie l'échec de Jospin à la présidentielle de 2002 ; satisfait de son bilan économique et social, il a sous-estimé les questions d'identité et de sécurité. L'espace politique pollué par un parti légal, le Front National, a vu émerger des débats auxquels la gauche sociale-démocrate n'était pas préparée, thèmes qui l'ont amené à se droitiser (Hollande et Manuel Valls ayant été l'illustration la plus nette de cette droitisation qui a provoqué l'effondrement du PS, en 2017). Non le PS n'a plus rien d'un parti ouvrier, même plus d'un parti des classes moyennes qui sont en pleine régression sociale, idéologique. La droitisation s'est faite sur la question de l'immigration.

Ce qui est incroyable plus de 55 ans après l'indépendance de l'Algérie, c'est la croyance de certains, les plus droitiers, les plus extrémistes de droite, que les immigrés algériens, tunisiens, marocains des années de la reconstruction, des 30 glorieuses reviendront au pays. Ils sont Français, ils ne reviendront pas « chez eux », ils sont chez eux chez nous et leurs enfants, petits-enfants ne sont pas prêts d'accepter ces « exigences » développées par une partie non-négligeable de la population blanche, raciste, les petits-blancs justement. La société française dérive-t-elle à droite ? En particulier la classe ouvrière ? C'est vers l'abstention qu'elle va surtout plus que vers le Front national.

Ce décalage entre la réalité et les prismes idéologiques dont les uns et les autres se servent (les lieux communs étant un indicateur de ces visions idéologiques, c'est-à-dire déformant, niant la réalité) a une autre raison, le rôle joué par l'ENA. « Depuis De Gaulle, les dirigeants de la V° République sont devenus une caste de gouvernement la plus hermétique qui soit dans le monde occidental. » écrit l'historien anglais Perry Anderson. Nous sommes gouvernés dans les domaines politique, administratif par une caste de hauts-fonctionnaires issus de cette école. Ce n'est pas avec cette « élite » s'auto-reproduisant que la société française ira vers l'apaisement, la réconciliation. Les germes de division, de violence, de guerre civile sont bien plantés, se développent. L'offensive idéologique contre les idées de mai 68, menée par la droite, l'extrême-droite dans les années 2000 (Sarkozy, Luc Ferry...) a permis de faire de 68, un mouvement d'énervement jeuniste exclusivement, un mouvement hédoniste-libertaire de la jeunesse ouvrant la voie à l'individualisme et au consumérisme.

C'est la génération des baby-boomers, accusée de tous les maux comme le montre la discussion que j'ai eu à propos de l'article consacré à la leçon de marxisme donné à Marlène Schiappa, secrétaire d'état macroniste à l'égalité hommes-femmes, par son père, trotskiste de l'OCI.

L'offensive anti-68 a eu pour objectifs de remettre en cause l'antiracisme accusé de faire monter le FN, de dénoncer l'antifascisme comme recyclage des partisans du communisme, le féminisme comme séparant hommes et femmes, l'antimilitarisme comme destructeur de la nation, de stigmatiser les immigrés parce qu'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, de remettre en question sans succès le droit à l'avortement, le droit à la retraite, à la sécurité sociale, ça c'est en cours. Sur notre passé colonial, pas de repentance mais une tentative de loi en 2005 sur la « colonisation positive ». Cette offensive idéologique n'empêche pas que se développent des idées dans la continuité de mai 68 : plus de démocratie participative voire directe, retrouver notre pouvoir constituant (le peuple souverain écrivant sa constitution comme ce fut le cas en Islande après la crise des subprimes, les ateliers constituants d'Etienne Chouard même si on a des réserves sur lui, ses propositions lui échappent si nous nous en saisissons) abandonné aux politiques, moins de verticalité autoritaire, du pluralisme partout et pas tout le pouvoir entre les mains d'un parti, pas de pouvoir personnel. Évidemment, avec Macron on est à l'opposé de ces aspirations héritées de 68. L'avenir nous dira si la gouvernance macroniste à double langage (c'est blanc et en même temps c'est noir à moins que ce soit en même temps l'inverse), à effets permanents de communication pour masquer la réalité (on dépense un pognon dingue pour les assistés) était ce dont le pays avait besoin ou voulait. L'avenir nous dira si des jeunes générations, des conjonctions de projets et de luttes sont en train de se lever pour éventuellement arrêter la course vers le mur. Pour ma part, je crois que nous ne croyons pas ce que nous savons : on va dans le mur, on le sait, on reste figé, l'exemple de la disparition des abeilles l'illustre parfaitement ; on sait, on ne fait rien, peut-être on ne peut rien faire, l'industrie agro-alimentaire nous empoisonne, la techno-science est devenue inhumaine ou l'a toujours été, contre l'humanité, contre la nature.

Ainsi soit-il.  Et c'est ainsi qu'Allah est grand, concluait Alexandre Vialatte.

Nathalie - Encore un arrogant pur produit du patriarcat qui se pense Marxiste. Comme on en a beaucoup au PS et à Gauche en général. Si sa fille avait été un fils il aurait probablement ravalé sa rancoeur. Le problème au 21e siècle est que l’on a patrons et patron ( l’économie est composée à plus de 80% de PMI PME ou indépendants contre 20 % de grandes entreprises ), on a travailleur/ses et de travailleur/se qui réclament la liberté de la main gauche et le paternalisme de la droite et on a fonctionnaires qui « servent » le service public et dysfonctionnaires qui se servent ( notamment dans les grands corps d’Etat mais aussi sur le terrain)... alors qui de l’exploité qui de l’exploiteur .... le manque d’éthique nourri chacun et chaque classe en souffre. Sauf pour le grand patronat qui fait l’unanimité : il est par essence un manque d’éthique. Ce que je vois moi, c’est que ce sont les femmes qui se tapent le sale boulot pour des salaires de misère et qui sont les premières pourvoyeuses d’économie vertueuses dans les quartiers. Jean-Marc Schiappa , est un bon mâle blanc de plus de 60 ans. Il aura essayé... par la libre pensée, et ça l’emmerde que sa fille tente depuis plus haut que lui. Depuis à place de père, je trouve très déplacé qu’il se serve de la place de sa fille pour être enfin entendu du public. La médiocratie se situe aussi ici.
 
 
JCG -  rien compris, leçon pas particulière STP
 
Nathalie -  Je suis heureuse de te faire rire Jean-Claude. Mais votre génération a mangé le pain blanc des nôtres et de celles de nos enfants. Plein emploi, pleine retraite, pleins congés , temps libre, bénéfices maximaux. Une Génération de baby-boomer « après moi le déluge ». De gauche comme de droite, tout le monde a mangé la soupe. Alors ce sera difficile de reprocher aux jeunes générations de tenter de rétablir une justice sociale avec ce qui nous est laissé . Et encore aujourd’hui, de nombreux retraités bénéficient de la solidarité des retraites payées par nos générations et prennent aussi des postes ou  ont leur entreprise sur le marché de l’emploi. Comment appelle t on ça ? Du marxisme ??? Le père de MS devrait se poser la question.
 
Nathalie - parfaitement compris : pour Jean-Marc Schiappa , comme pour beaucoup de « papy bedonnants de la ligue » que j’administrerai encore jusqu’à la semaine prochaine, le projet collectif est au dessus du projet individuel ... quand ça l’arrange. D’une part c’est le but de la république sociale et d’autre part, si la république n’utilise pas la ré mobilisation individuelle pour créer son projet collectif, on va encore ramer longtemps. La bourgeoisie et son conservatisme n’est pas forcément là où l’on croit. Le risque n’est pas la start up mais l’effondrement de la protection sociale qui est déliée  du modèle de gestion « auto entreprise » ou start up. Le risque est la glissade vers un système anglo-saxon pur. Il ne me semble pas que ce soit le cas avec la réforme des retraites.
 
JCG - on en parlera quand tu voudras, je ne me reconnais pas dans tes descriptions, je ne me sens pas concerné par la notion de génération, je suis JCG et qu'ai-je fait comme chemin, selon quelles valeurs, quel bilan puis-je montrer ? ai-je été un profiteur, un dysfonctionnaire, suis-je un retraité doré ?
 
Nathalie - ok pour en parler. Et tu vois, c’est ça le problème : on est qui on est , on a participé à un effet collectif générationnel sans en avoir conscience. On s’est battu pour un idéal mais sans voir que la technique desservirait l’autre qui vient, les siens, ses enfants , petits enfants. Génération gaspillage, ultra production, consommation, temps libre... parfait. Mais l’utopie sans technique pour l’ici et maintenant. Aujourd’hui c’est la technique stratégique et la prospective sans utopie. Je n’aime pas. Le manque d’idéal est inquiétant. Mais on aura du mal à le reprocher . Surtout à nos enfants.
 
 
JCG -  les effets secondaires, tertiaires et pervers sont-ils contenus dans les données initiales ? et de quelle milliardième de fraction suis-je responsable des dégâts évoqués, 5 voitures dans une vie, 2 aspirateurs, 3 frigo à obsolescence programmée, un ordi depuis 10 ans... bref, ce genre de responsabilités, je m'en fous mais comment je te parle, quelle relation j'ai avec toi, ça je me sens responsable à 100% et suis prêt à évoluer, changer
 
 
Nathalie - je ne parle pas vraiment des actes de la vie courante bien qu’ils engagent aussi et sont effectivement des actes politiques. Je parle de politique du 20 e siècle qui n’ignorait pas la cata post baby boom- ni la gauche ni la droite- et qui n’a rien anticipé et je parle de politique du 21 e siècle qui doit se débrouiller avec de nouveaux paradigmes d’environnement mondialisé et de responsabilités, la durabilité... Sais tu quand mes amis de gauche ont commencé à me vivre comme un danger ? Quand j’ai mis leur place en jeu en réclamant l’égalité hommes-femmes dans les instances décisionnaires ( des partis, des associations d’éduc pop, du CESER... ). Quand j’ai réclamé que l’on cesse de couper la parole aux femmes et que l’on cesse de faire des moues dubitatives chaque fois qu’un jeune ou qu’une femme s’exprimait.
Donc ma tolérance avec le patriarcat virilocrate est proche de zéro. 30000 ans que l’on en mange et franchement il est temps de passer à autre chose. Voilà pourquoi cet encart « Schiappapa » dans le Monde est bien plus profondément Anti-Marxiste que la bourde de la secrétaire d’Etat à propos de Marx.
 
 
Nathalie - Après.... je ne sais pas comment tu as fait avec seulement deux aspirateurs... tu me diras la marque ?
Amitiés et bonne nuit.
 
 
JCG - je ne m'en sers pas; balai sait
 
 
Frank -  Finalement, les bons mâles de plus de 60 ans qu'en fait-on? Moi je dis ça parce que, vous allez voir c'est ballot, j'ai un peu le mal des transports et je souhaiterai savoir si je dois prendre une petite laine et éventuellement du singe...
 
 
Nathalie - Mal des transports, mâle des trans-porcs (porcs en transition?), malle de transport ... Ce qui n’est plus supportable, c’est le degré de la misogynie que l’on peut, à ce titre, comparer à la connerie, au racisme et même à la mort: Quand on est dans cet état, nous ne le savons pas et ce sont les autres qui souffrent. Les révolutionnaires trotskistes, les Proudhons ... n’ont pas échappé à la contagion. Les plus fort en gueule encore moins. Les « bons mâles », l’humanité les somme de se transformer ou de périr. Pas physiquement bien sûr, mais symboliquement et surtout, dans les instances de pouvoir. Les hommes eux, adviennent en toutes qualités : empathie, amour, tendresse, soins, durabilité, utopies ... prêtées jusqu’ici à la féminité, ou plutôt au féminin: le seul avenir valable. C’est probablement un commencement du surhumain. Après, sinon, pour la petite laine, nous ne pouvons que la conseiller. Quand au singe ... ça fait belle lurette que ça ne se mange plus... ça siège !
 
 
Frank -  Et ben... On est pas sorti du sable.....
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La vie la poésie

Rédigé par grossel Publié dans #Emmanuelle Arsan, #SEL, #agoras, #amour, #développement personnel, #engagement, #essais, #notes de lecture, #pour toujours, #poésie, #vide quantique, #vraie vie, #écriture, #épitaphier

La vie la poésie

Des 100 plus beaux poèmes du monde (édition de 1979)

(merci à Alain Bosquet de proposer 1/3 de poètes inconnus car nous sommes trop occidentalocentrés)

je retiens le troisième Cosmogonie dans l’Atharva-Veda (14°- 10° siècle avant J.C.). Il correspond à là où j’en suis aujourd’hui de mon cheminement.

C’est ce qui s’est dit de plus précis et de plus déroutant sur la Création.

(Voir la question du 7° paragraphe : celui qui veille sur elle au plus haut du ciel le sait sans doute... ou s’il ne le savait pas ?)

 

Et surtout ne pas chercher à confirmer par la physique quantique.

J’en ai produit une version dans Et ton livre d’éternité ?, page 639, L’hymne à la création.

 

Version de l’anthologie d’Alain Bosquet

1-

Ni le non-Être n’existait alors, ni l’être.

Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà.
Qu’est-ce qui se mouvait puissamment ? Où ? Sous la garde de qui ?

Etait-ce l’eau, insondablement profonde ?

2-

Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort;

Il n’y avait de signe distinctif pour la nuit ou le jour.
L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il y ait de souffle.
En dehors de Cela, il n’existait rien d’autre.

3- 4- 5- 6- 7-

(Pages 16-17, traduction Louis Renou)

 

Et page 639 de Et ton livre d’éternité ?

 

L’Hymnne à la création

(Nasadiya Sukta. Rig Veda, X, 129)

Il n’y avait pas l’être, il n’y avait pas le non-être en ce temps. Il n’y avait espace ni firmament au-delà. Qu’est-ce qui se mouvait ? Où, sous la garde de qui ? Y avait-il l’eau profonde, l’eau sans fond ?

Ni la mort n’était en ce temps, ni la non-mort, pas de signe distinguant la nuit du jour. L’Un respirait sans souffle, mû de soi-même : rien d’autre n’existait au-delà.

A l’origine les ténèbres couvraient les ténèbres, tout ce qu’on voit n’était qu’onde indistincte. Enfermé dans le vide, l’Un, accédant à l’être, prit alors naissance par le pouvoir de la chaleur.

Il se développa d’abord le désir, qui fut le premier germe de la pensée ; cherchant avec réflexion dans leurs âmes, les sages trouvèrent dans le non-être le lien de l’être.

Leur cordeau était tendu en diagonale : quel était le dessus, le dessous ? Il y eut des porteurs de semence, il y eut des vertus : en bas était l’Énergie spontanée, en haut le Don.

Qui sait en vérité, qui pourrait l’annoncer ici : d’où est issue, d’où vient cette création ? Les dieux sont en deçà de cet acte créateur. Qui sait d’où il émane ?

Cette création, d’où elle émane, si elle a été fabriquée ou ne l’a pas été, – celui qui veille sur elle au plus haut du ciel le sait sans doute... ou s’il ne le savait pas ?

Rig Veda, X, 129, 1. Trad. Louis Renou, La poésie religieuse de l’Inde antique. 1942

 

la couverture évoque la libellule et le piment rouge des deux haïkus, de Kikaku et de Bashô que je donnais en pâture à mes élèves Kikaku une libellule ôtez-lui les ailes un piment rouge  Bashô un piment rouge  mettez-lui des ailes une libellule

la couverture évoque la libellule et le piment rouge des deux haïkus, de Kikaku et de Bashô que je donnais en pâture à mes élèves Kikaku une libellule ôtez-lui les ailes un piment rouge Bashô un piment rouge mettez-lui des ailes une libellule

Des cent tankas 5/7/5/7/7 (la forme la plus ancienne) et haïkus 5/7/5 (la forme la plus aboutie et la plus connue) de Poèmes de tous les jours (1993 chez Picquier-Unesco),

Je note d’abord, l’excellente préface d’Ôoka Makoto qui depuis 1979 tient une rubrique de poésie en 1° page d’un journal tirant à 10 millions d’exemplaires

Et j’en retiens deux,

j’ai évité les plus connus Bashô, Issa, Buson, Tu Fu, Li Po, Po Chû I et les 4500 poèmes du recueil des dix mille feuilles, vieux de 1300 ans :

L’arc-en-ciel lui même

Pense que le temps existe

Abe Seiai né en 1914 page 77,

commentaire d’Ôoka Makoto, page 76

———————————————

Joignant les mains devant cet homme nu, brûlé, perdu

Je partis en courant

Yamamoto Yasuo (1902-1983) page 213

Tanka tiré d’un recueil de tankas sur Hiroshima,

Yamamoto y ayant perdu son fils :

Le cadavre du petit ficelé à la charrette

Ma femme et moi poussions à tour de rôle

Commentaire d’Ôoka Makoto, page 212

coquelicots by ab

coquelicots by ab

on ignore l'impact profond d'un mot sur l'autre comme sur soi pris comme esprit-corps, on ignore l'impact profond d'une chose du monde sur soi  et sur l'autre pris comme corps-esprit; 

nos outils de perception sont les sens, mais il est évident que les illusions sensorielles sont nombreuses, qu'on croit réel ce qui souvent ne l'est pas; il en est de même des sentiments; dire je t'aime à quelqu'un, le plus vivant des poèmes, est peut-être un délire, né d'un désir, d'où ce titre ambigu Parole dé-s/l-irante, s/l = est-ce elle ? tout désir n'est-il pas délire, toute parole délirante n'est-elle pas parole désirante ? la confusion par projection ou tout autre processus est au rendez-vous; il faut donc une grande prudence là où l'exaltation nous saisit; ce je t'aime dont je me dois de douter, une fois dit, chemine en l'autre vers un coeur qui bat la chamade, un esprit qui s'emballe, dans un corps qui s'émeut, au plus profond, le message pensé et émis, une fois reçu par l'autre devient milliers de messages chimiques, hormonaux, moléculaires, quantiques dont j'ignore la réalité et les effets, seule la personne réceptrice perçoit quelques effets, coeur qui bat plus vite, rêves érotiques, organes sexuels en émoi, appétit moindre...; n'est-il pas clair que prendre conscience de cette complexité peut nous inciter à plus de responsabilité, à accepter d'être responsable d'effets imprévus, secondaires, tertiaires et pervers; je peux même en arriver à bouger le moins possible pour déranger le moins possible l'ordre des choses car en fin de compte, on est toujours dérangeant, semeur de désordre; vivre en poète c'est déranger le moins possible et prendre son temps, vivre en poète c'est vivre sobrement, c'est réduire sa surface, son empreinte, c'est ne pas vouloir embrasser l'infini, c'est ne pas vouloir être éternel, c'est voir un monde dans un grain de sable, un ciel dans une fleur sauvage, tenir l'infini dans la paume de la main et l'éternité dans une seconde comme le dit William Blake dans Augures d'innocence, le plus fort programme que je connaisse

j'ai bien raison de prendre mon temps, j'ai tout le temps qui m'est compté (à condition de ne pas le décompter, c'est ainsi qu'il compte, qu'il est vivifiant) pour insuffler la vie à quelques mots pouvant toucher quelques belles personnes. Je laisserai 10 poèmes intitulés Caresses. Caresses 1 et Caresses 2 existent déjà. Les autres Caresses sont à venir, le moment venu, un moment inattendu. Il y aura aussi les 12 Paroles dé-s/l-irantes. Parues dans La Parole éprouvée, le 14 février 2000.

si j'inverse, soit non une pensée d'amour adressée à l'autre mais la vue d'un champ de coquelicots du côté de Lourmarin; ça fait longtemps que je n'ai vu autant de profusion de rouge, de rouge vivant, se balançant dans le vent léger, un vent solaire, autant de rouge habité par la lumière, je prends des photos, je filme pour prolonger mon émotion, mon plaisir; ces coquelicots sont impossibles à cueillir, se refusent au bouquet, trop fragiles; ces coquelicots qui m'éblouissent se resèment d'eux-mêmes, je ne peux les semer, ils refusent la domestication; ces coquelicots fragiles résistent aux grands vents du midi; je perçois, ils me touchent au profond par leur beauté éphémère, impermanence et présence, insignifiance et don gratuit sans conscience du don (quoique sait-on cela ?) et ils me font penser, leur vie me vivifie, m'embellit, je me mets à chanter une rengaine venue d'un vieux souvenir, un petit bal perdu, je m'allonge, me livre au soleil, caresses qui font du bien, pas trop longtemps, messages héliotropiques envoyés aux niveaux les plus infimes, les plus intimes en toute inconscience même les yeux fermés et en méditation visualisante

voilà deux brèves tentatives de mise en mots pour conscientiser (c'est notre privilège) ce que nous éprouvons, pour vivre à la fois plus pleinement (c'est autre chose que l'aptitude au bonheur, au carpe diem, non négligeable) de plus en plus en pleine conscience (et là je m'aventure, si tout ce qui vit est échange, circulation, énergie, information, tout ce qui vit est peut-être aussi conscience ou dit autrement, une conscience, la Conscience est à l'oeuvre dans tout ce qui se manifeste, elle serait l'unité de et dans la diversité, elle serait la permanence sous l'impermanence; ne pas se laisser duper par le côté automatique, bien régulé de notre corps-esprit ou des systèmes univers, multivers avec leurs constantes universelles jusqu'à dérèglements et entropie croissante remettant les pendules à l'heure

(j'ai découvert un livre au titre révélateur : La "Conscience-Énergie", structure de l'homme et de l'univers, du Docteur Thérèse Brosse, paru en 1978 à Sisteron, ça semble du solide !); évidemment, sur ce chemin, je me laisse accompagner par Deepak Chopra qui réussit à articuler approche scientifique et approche ayurvédique

La vie la poésie

Au plus près : entretiens avec Philippe Djian par Catherine Moreau, La passe du vent, 1999

De ces entretiens déjà anciens, j’ignore donc si Djian s’y reconnaîtrait aujourd’hui, 25 ans après, et 40 ans après son entrée en écriture au plus près, je retiens quelques propos :

  • séduire, c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre

Ce propos vaut tant pour la séduction de l’autre que pour l’auto-séduction; ajoutons qu’étymologiquement une des significations de seducere serait détruire.

  • partagez-vous la proposition de Rimbaud Je est un autre ? - Je dirai plutôt Je est tous les autres. Et ce à partir du moment où je me rends compte que ma personnalité est tellement multiple. Plus, il y a de rapports avec les autres, plus elle devient riche et vaste…
  • c’est un gros problème que de se demander si le monde qui nous entoure n’est pas une vision de notre esprit. Et par quelles expériences, pouvons-nous confirmer ou infirmer cette sensation ?
  • On m’a demandé pourquoi il y a toujours du sexe dans mes livres. Je trouve que c’est une manière de définir les personnages mis dans ce genre de situation avec plus de finesse et d’exactitude que si je les décris. Un salaud qui est en train de faire l’amour à une femme, ça se voit si c’est un vrai salaud. Ce sont donc des situations susceptibles d’éclairer les personnages. Ce n’est pas simplement le plaisir de raconter ce genre de scènes.

 

La vie la poésie

J’en arrive à La jouissance et l’extase de Françoise Rey, un roman pornographique sur les relations entre Henry Miller et Anaïs Nin, de 1931 à 1934.

Henry Miller m’a passionné il y a longtemps avec sa trilogie Sexus Nexus Plexus, Hamlet, Le temps des assassins. Je ne sais pourquoi, j’ai ignoré les deux Tropiques. Peu importe.

J’ignore tout d’Anaïs Nin. Je dois bien avoir son journal sur un rayon. Pas La maison de l’inceste.

Y a-t-il des raisons à ces choix de lecture où le sexe est mis en scène et en jeu (Gabriel Garcia Marquez, Jean-Paul Dubois, Juan Rios, Philippe Djian, Françoise Rey) ?

J’ai conscience d’être un obsédé sexuel, sans remords, sans culpabilité, avec plaisir à l’être car je sens bien que c’est la pulsion de vie, celle qui affronte la mort. Bataille « de l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'affirmation de la vie jusque dans la mort. » Et ce désir est universel, cosmique, tous règnes minéral, végétal, animal, humain, toutes espèces, tous genres, féminin, masculin, hermaphrodite, androgyne. Obsédé sexuel à plus de 82 ans, je me sens bien vivant, traversé, habité par la Vie. Je ne laisse plus entrer le vieux comme dit Clint Eastwood.

En me plongeant dans ce genre de lectures, cela m’amène aussi à voir comment je sépare, combine amour et désir, comment j’ai vécu mes histoires d’amour et de désir, comment j’ai privilégié le sentiment sur le désir, avec des épisodes très sexuels, comment dans le désir, j’ai vécu la limite de la jouissance masculine et féminine exception de quelques femmes accédant à l’extase, comment j’ai privilégié dans mes histoires la durée, la fidélité avec coups de canif dans le contrat et métamorphose de la relation, de l’amour ou de la pulsion à l’amitié amoureuse…
Je ne suis pas un spécialiste en sexologie, ça ne m’intéresse pas plus que cela mais je ne suis pas un ignorant. J’ai été et je me suis initié. Je ne tourne pas en ridicule le petit cornac qui nous fait primate et primaire selon Rezvani, cet organe qui nous domine et fait de nous des dominants, des prédateurs. Le petit cornac est l’outil de la perpétuation, de l’onto et de la phylogenèse, lignée, espèce.

Le plaisir vient après dans l’histoire de l’évolution et de la perpétuation des espèces et seulement pour l’humanité semble-t-il. C’est par la perpétuation de l’espèce, de la lignée que chaque espèce, chaque lignée combattent la mort, chaque individu meurt, chaque lignée meurt mais non l’espèce qui se rend ainsi ou croit se rendre éternelle.

Vue à cette altitude, l’obsession sexuelle est questionnement sans fin sur la création, sur la vie, sur la mort, sur l’éphémère, la fragilité, sur l’éternité. Je continuerai donc à être un obsédé sexuel.

Le roman de Françoise Rey m’a dans un premier temps, plutôt déplu. Les scènes pornographiques sont crues, détaillées, longues, avec un lexique obscène, varié dans l’obscénité et l’ordure.

Tantôt du point de vue d’Henry, tantôt du point de vue d’Anaïs. Là, ça commence à devenir intéressant car impossible de savoir ce que l’autre pense de ce qu’on lui fait, impossible de savoir, de connaître, de ressentir  ses réactions. On est dans le malentendu absolu, dans l’opacité même quand on croit être dans la fusion, la communion, l’évidence, la transparence. D’où le côté dérisoire de celui qui se croit l’initiateur d’Anaïs. D’où le côté inconséquent de celle qui croit maîtriser la situation.

Si on ajoute à cette histoire d’un couple qui en est et n’en est pas un, qui va très vite se désunir, les histoires d’Anaïs avec son mari banquier, avec son cousin homosexuel Edouardo, avec son psychanalyste impuissant Allendy, avec Antonin Artaud, homosexuel et impuissant, avec son père Joachim, incestueux, avec le psychanalyste Otto Rank, avec la femme de Henry, June, on comprend que ce roman est foisonnant, déstabilisant, que ni l’un ni l’autre n’ont de boussole. Ils pataugent dans le foutre et le méli-mélo des pulsions.

Henry est faussement amoureux d’Anaïs, il veut l’épouser mais cela est un alibi, ne l’entretient-elle pas,  ne favorise-t-elle pas toutes ses frasques chez les putes, ne paie-elle pas l’édition du Tropique dont la couverture est un cancer sortant d’un vagin ?

Anaïs veut tout essayer qu’il s’agisse de positions, de pratiques, de transgressions, de scandales, de provocations; c’est une femme de tête qui croit maîtriser mais ballottée, écartelée entre des désirs inconciliables, une femme du cul, nymphomane, alcoolique (a manqué la drogue mais elle y a pensé, elle serait aujourd’hui chemsex), qui note tout dans son journal, ses cahiers, cahier vert, cahier rouge, tissus de vrai et de faux selon le destinataire du cahier: mari, Henry), qu’Henry est un faible, idem pour son père très dominateur et autoritaire.

Je ne sais pas comment caractériser cette femme, ni s’il le faut, laissons-là à sa complexité, à son ambigüité insondables, femme sans doute traumatisée petite fille par ce père la prenant en photo, nue, dans son bain et la caressant.

Les deux psychanalystes qu’elle séduit l’ont-elle aidée, l’un en la fouettant ou la fessant jusqu’au sang, l’autre en se faisant sucer ?

La fin est surprenante avec la découverte du cancer d’Anaïs, cancer de l’utérus ?, ignoré d’Henry mais non du mari.

Je ne regrette pas ma lecture mais pour en conclure que je ne me sens pas du tout de ce monde, de ces amants qui croient accéder à l’infini, vivre pleinement la vie par la pornographie perverse et la multiplicité des partenaires.

Ils ont osé, sans aller jusqu’à la mort par épectasse comme un président et un cardinal, sans aller jusqu’à la mise à mort comme dans Matador de Pedro Almodovar.

Parlant pour moi, j’ai dit oui à l’obscénité, oui à la pornographie, oui à l’érotisme, oui aux variations, dans l’intimité, dans un couple s’aimant et consentant. Ce fut je crois ce que nous avons vécu pendant 46 ans, l’épousée et moi, évoqué avec force entre Vita Nova et Lola, fille de joie dans Et ton livre d’éternité ? J’ai dit oui, je dis toujours oui.

Je me sentais plus d’affinités avec Emmanuelle Arsan et son érotisme. Bonheur et Bonheur 2.

Je renvoie à l’essai de Camille Moreau, publié à la Musardine Écrire, lire, jouir, quand le verbe se fait chair.

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Les carnets de Lula / Danièle Rezvani

Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #amour, #ateliers d'artistes, #engagement, #notes de lecture, #pour toujours, #écriture, #vraie vie

248 pages 10 Illustration(s) Livre broché 15.1 x 21 cm 10 illustrations L'Exception N° dans la collection : 14 Parution : 18/02/2022

248 pages 10 Illustration(s) Livre broché 15.1 x 21 cm 10 illustrations L'Exception N° dans la collection : 14 Parution : 18/02/2022

le 23 mars 2023
100 ans moins 5 pour Rezvani
le 24 mars
sortie de deux disques chez Canetti dont l'un de Léopoldine HH
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50 ans de félicité avec Lula, dit-il dans un entretien sur TV5
50 ans à La Béate (La Garde-Freinet) puis plus tard, aussi, Venise
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ayant apprécié Beauté, j'écris ton nom où on trouve des extraits des Carnets de Lula, je ne pouvais manquer de les lire en entier
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cela fut fait lors d'un voyage en TGV, le train qui, dit Bobin, avec son museau allongé, révèle son destin de couteau enfoncé dans le vide, donc lecture fut faite lors d'un voyage au couteau de 4 H 07' pour 800 kms, le 3 juillet 2022
et j'ai retrouvé ma note
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le TGV en duo vis à vis avec la fetite pille, c'est bien
presque personne
bonjour et échanges avec le voisin derrière, la chef de bord...
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tu lis Les Carnets de Lula (Danièle Rezvani 1931-2004)
déjà dans Beauté, j'écris ton nom, Serge Rezvani fait place à quelques pages de ces carnets découverts tardivement
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publiés pour la première fois, ces carnets nous donnent à vivre leur histoire d'amour-fusion de 50 ans dans le miroir de Lula; 
souvenirs d'enfance et d'adolescence, 
déménagements multiples, Toulon, Brest, Cherbourg, Bourgogne, Paris, 
un père autoritaire, "monstrueux" nourrissant une révolte en Danièle qui y puisera la force de le fuir 
et de fuir la grande ville 
et la grande vie frivole pour le paradis de La Béate
découverte progressive de la sensualité, 
multiplicité des émois amoureux, des flirts à la limite, 
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la plume de Danièle est fluide, précise
- sensible au côté lumineux de la rencontre et de la répétition créative de la fusion elle-lui-lui-elle, 
je rajoute numineux mais elle n'en a pas conscience, n'en ayant pas le mot bien que l'expérience
- et sensible aussi aux côtés sombres, hérités de leurs passés et appréhensions quant à l'avenir (du monde plus que du leur) même si à La Béate, ce qu'ils vivent, c'est la volupté du présent
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je relève page 83, le récit d'un mariage à Port-Cros à laquelle elle participe, finissant dans les bras de Pierre, que je ne peux manquer de reconnaître
page 87, ce constat : à cause de cela (n'être pas des parents), nous ne nous sommes jamais sentis des adultes...; /
je n'ai pu manquer de penser à la question posée par Danièle à Annie le 2 août 2001 : Avez-vous des enfants ? Comment cela se passe-t-il ? 
L’épousée répondit en mère aimante et en psychologue. 
Deux réponses opposées. 
En tant que mère, on fait ce qu’on peut, on donne le meilleur. 
Mais pour les enfants, on ne sera jamais les bons parents qu’ils voulaient. 
Freud disait De quelque manière qu’on s’y prenne, on s’y prend toujours mal. 
Un courant de sympathie s’était installée entre elles. 
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Lui- Je sentit comme un regret chez Lula de n’avoir pas eu d’enfant. 
(récit de la rencontre du 2 août 2001 dans Et ton livre d'éternité ? page 122)
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quand Lula tente de comprendre le mystère de leur rencontre, page 100, elle a ses mots : 
"comment m'expliquer à moi-même aujourd'hui ce qui m'avait attirée en lui, sinon qu'il était dans une certaine mesure le contraire des hommes...que j'avais pu aimer ou de l'homme que je m'attendais à aimer ?...
devant lui, ce fut justement le dépourvu, l'inattendu, le non-rêvé qui me détourna vers un vide, un risque où je basculai d'un coup, corps et âme, fascinée, comme infiltrée par un sort auquel je ne pouvais résister"
magie et la révélation par expérience que 
- l'attendu ne s'accomplit jamais
- à l'inattendu un dieu ouvre la voie 
(la coryphée à la fin de Médée d'Euripide)
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le TGV passant devant Tricastin, la fetite pille se demande si une centrale nucléaire, c'est dangereux; 
je lui parle de Chernobylhome, 26 avril 1986, 
du nuage arrêté à la frontière par les douaniers, 
des cancers de la thyroïde
- y a-t-il des livres sur Tchernobyl ?
- il y a de très bons documentaires
- et des livres ?
- sans doute
- j'aimerais en lire un
- il y a le chapitre 16, pages 481 à 490 de Et ton livre d'éternité ?; tu en as un exemplaire
- je sais; j'en veux un autre
à suivre
 
les pages photographiées donnent envie donc bonne lecture
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer
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mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer

mariage en 1952 (ils se sont rencontrés à Paris en 1950, lui, 22 ans, elle, 19 ans) / elle cesse ses carnets le 10 mars 1999, elle meurt de la maladie d'Alzheimer en décembre 2004 / récit dans un livre chirurgical L'éclipse / les 20 pages sur les feux sont à relier au roman de Rezvani, Feu / La béate a été détruite par les feux de 2000 / le procès intenté au Testament amoureux est très instructif / quant à Jeanne Moreau, on ne peut que croire à la véracité de ce portrait et continuer à l'aimer

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la merveille et l'obscur / Christian Bobin

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #poésie, #écriture, #notes de lecture

N° d'avril 2023 de la Revue des deux mondes
cadeau 
CHRISTIAN BOBIN (décédé le 22 novembre 2022)
Dernière conversation en Saône-et-Loire
propos recueillis par Sébastien Lapaque
Le mercredi 23 juin 2021, j'ai retrouvé Christian Bobin au Creusot où Le Figaro m'avait envoyé l'interroger sur son pays d'enfance et d'écriture. À la gare Le Creusot-Montceau-les-Mines-Montchanin TGV, l'écrivain m'attendait en début d'après-midi à bord de sa vieille voiture au beau milieu d'une campagne baignée de lumière verte. Il m'a conduit dans son modeste appartement du boulevard Henri-Paul-Schneider où il résidait avec sa compagne, la poétesse Lydie Dattas, en face de la mairie, après avoir vécu quinze ans dans une ancienne bergerie de Saint-Firmin, une petite commune rurale des environs du Creusot. J'avais peu de questions à lui poser pour mon texte, mais notre conversation a duré trois longues heures. Révélé au grand public par Le Très-Bas, paru chez Gallimard en 1992 et couronné à la fois par le Prix des Deux-Magots, le Prix Joseph-Delteil et le Grand Prix catholique de littérature, Christian Bobin s'exprimait comme il écrivait, affectionnant les mots rares, les paradoxes, les silences, les fulgurances et les tournures précieuses. Pour ne pas perdre l'or de ses mots, j'ai enregistré la totalité de notre conversation, en songeant au plaisir que j'aurais de la réécouter. Cette heure est venue plus tot que prévu. Christian Bobin est mort dix-sept mois, jour pour jour, après m'avoir laissé à la gare TGV où m'attendait le train de 18 h 47.
En apprenant sa disparition, je me suis souvenu de notre dernier au-revoir aux abords des voies de chemin de fer et des ultimes lignes du Christ aux coquelicots, comme une promesse: « Tu me reconnaîtras sur le quai de la gare: j'aurai mon cœur dans mes mains jointes - un gros hortensia bleu donnant sa lumière jour et nuit, en toutes saisons. »
Christian Bobin Je vous propose de partir de Clermont-Ferrand...
Revue des Deux Mondes - Parce que c'est la ville de Pascal ? Vous avez beaucoup écrit sur Pascal, notamment dans Les Ruines du ciel (1), votre livre consacré à Port-Royal. Lui avez-vous dédié un travail singulier au cours de vos études de philosophie à l'université de Bourgogne, à Dijon ?
Christian Bobin Je l'aime infiniment, mais je ne lui ai pas consacré de
travail specifique. Il ne se passe cependant guere de semaines sans que j'ouvre un de ses livres. C'est un compagnon dont la noirceur, par instants. m'illumine. Paradoxalement. Mais revenons à Clermont-Ferrand. Je vous propose de partir de la cathédrale, qui est en pierres de lave noires, où j'ai découvert qu'on avait retrouvé sur le fronton. et intelligemment mainte nue, la plaque reproduisant la formule de Robespierre: « Le peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme. »
J'ai trouve cela d'une intelligence incroyable, de la part des gens de Clermont, des puissants de Clermont, de ne pas avoir détruit cette plaque et de l'avoir laissée, si je puis dire vivante, sur le flanc de la cathédrale Je sais tres peu de choses de cette ville, sinon la présence, évidemment, de Pascal. Pascal toujours... Mais il n'est d'aucun lieu, d'aucun temps, donc il est partaitement contemporain. Il est notre contemporain absolu.
Et puis il y a les volcans, comme des nourrices portant un bonnet de forêt, des nourrices toujours capables de se révéler orageuses.
Revue des Deux Mondes - De Clermont, filons vers Le Creusot...
Christian Bobin Oui, prenons maintenant le train, quittons cette très belle ville de Clermont, avec sa mairie que j'ai pu voir aussi, dont les escaliers semblent mener à une salle d'opéra. C'est un train régional. C'est-à-dire que c'est un acheminement de la lenteur. Vous vous installez à l'interieur et a la sortie vous etes repu de lenteur, mais d'une lenteur merveilleuse. magique. Les paysages vous sont donnés par les grandes vitres. Ils ne sont pas chassés par les ballets de la vitesse, par le diable à sept queues de la vitesse. Vous avez le temps d'accueillir le paysage. De l'accueillir et de vous recueillir. Et même d'avoir une pensée pour lui et d'accueillir la pensée qu'il a pour nous. Tout le long
du traiet. c'est une succession très lente d'images d'une France dont on ne sait plus parler, mais qui existe pour autant. Cette France a été rendue muette, comme évacuée du langage efficace et administratif. Mais dans un train dont la vitesse est à peine plus grande que celle d'une carriole à cheval (j'exagere, mais on ne dit rien si on n'exagère pas), dans ce train qui m'a souvent ramené de Clermont au Creusot, en passant par Nevers. vous recevez beaucoup d'informations sur ce pays, sur sa resistance. Car je crois que les arbres sont des résistants, je crois que les rivières sont des messagères qui passent la ligne de démarcation plusieurs fois dans la journee. On ne parle plus de cette France des gares minuscules, mais on peut la regarder, elle n'est pas tissée de ressentiment, c'est un très beau pays calme, quasi eternel. ... (encore 8 pages)

 

un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
un envol d'âme-d'ange et l'ange  en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! -  se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin,  l'écrivain à la pure écriture /  Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

un envol d'âme-d'ange et l'ange en surplomb sans qu'on s'en aperçoive sauf à lever la tête via a.b., Annie Bergougnous / aujourd'hui 25 novembre - délibérément en voyant l'ombre portée de l'oiseau - un anonyme pigeon citadin s'amuse à faire des ombres chinoises avec le soleil ! - se transformer en "ange", - à la disparition de Christian Bobin, l'écrivain à la pure écriture / Laissez-moi rêver, libre d'interpréter. Et de voir un signe ! Annie Bergougnous / Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

« J’ai la très grande tristesse de vous faire part du décès de Christian Bobin, survenu le 23 novembre, des suites d’une grave maladie.
Christian Bobin, à travers son œuvre, nous invite avec une belle générosité à comprendre la part manquante de notre vie, celle qui relève du merveilleux et de l’obscur.
Lisons Bobin, il nous soigne de la tristesse et du scepticisme, il nous invite à une quête de la joie avec ses mots empreints d’une grande sensibilité.
Comme ce grand peintre disparu, il fait jaillir la lumière de l’obscurité « Entre la vie et la mort s’installe un rideau de neige », nous dit-il.
Son sourire, sa joie, son humanité vont nous manquer. »
Antoine Gallimard

 

Natif du Creusot, Christian Bobin a publié ses premiers livres à la fin des années 70. Georges Lambrichs l’a accueilli dans la collection « Le Chemin » en 1989 avec La part manquante et J.-B. Pontalis dans la collection « L’Un et l’Autre » avec Le Très bas. 

 

Vient de paraître Le muguet rouge en octobre dernier ; aujourd’hui une grande partie de son œuvre est disponible dans la collection Quarto.

Ma contribution : actualiser "mes" articles sur des oeuvres de Christian Bobin

 

 
 
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
"Mourir, c'est comme tomber amoureux : on disparaît, et on ne donne plus de nouvelles à personne."
"L'Amour comme la mort simplifie."
"Il y a un instant où la mort a toutes les cartes et où elle abat d’un seul coup les quatre as sur la table."
"La vie écrit au crayon. La mort passe la gomme."
 
JCG : les expériences de John Wheeler, appelées gomme quantique, témoignent que l'on peut changer des événement passés par l'observation du phénomène réalisé dans le présent. 
 
" La mort se cache derrière nos fêtes comme un enfant se cache derrière un arbre. On voit toujours le bout de ses souliers."
"Dans la mort, le chemin devient d'un seul coup si étroit que, pour passer, on doit se laisser tout entier."
"Ma fin n'est pas plus bruyante que mon début. Après ma disparition mon chant demeure. Il est plus juste car il est délivré de moi." 
Christian Bobin
 
Personne n'a une vie facile. Le seul fait d'être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès la première brûlure de l'âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n'est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte. La vie n'est rien de prévisible ni d'arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t'accommoder une fois pour toute de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l'être, ton génie est d'avancer dans la déchirure, ton génie c'est de traiter avec l'amour sans intermédiaire, d'égal à égal, et tant pis pour le reste. D'ailleurs quel reste ?"
La plus que vive de Christian Bobin.
 
Les femmes viennent du plus lointain de la vie des hommes, elles sortent de l’enfance des hommes, 
on dit qu’elles gouvernent cette enfance mais ce n’est pas vrai,
il suffit de regarder dans les jardins publics,
les mères avec leurs enfants : elles ne gouvernent pas.
Elles veillent. 
Elles veillent sur l’incendie naissant d’enfance, 
elles aident le feu de vie à prendre.
Plus tard, beaucoup plus tard, elles regardent ceux qu’elles ont fait rois et qui ne savent plus leur parler.
Les hommes, ce sont les devinettes qui les rassurent – devinettes du pouvoir, de la force.
Devant les femmes ils disent :
je ne devine rien,
c’est un mystère.
Ce qu’ils appellent mystère, 
c’est la simplicité des femmes et c’est leur solitude, 
cette force de solitude en elles, en chacune d’elles, 
cette manière qu’elles ont de tenir leurs enfants, leurs maris, leurs amants, le bleu du ciel et l’ordinaire des jours à bout de bras. 
Les femmes sont seules au début, 
au milieu et à la fin de leur vie. 
Elles reçoivent de cette solitude le sacre d’intelligence. 
Christian Bobin.
Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas.
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
Le Quarto Les différentes régions du ciel de Christian Bobin est paru le 6 octobre 2022
"Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. Je m'assieds devant la table d'écriture et je laisse venir à moi les différentes régions du ciel."
Né en 1951, Christian Bobin bâtit depuis près d'un demi-siècle une oeuvre poétique inclassable qui au cours du temps réinvente ses formes. En privilégiant une écriture concentrée, tantôt faite de notes brèves prises sur le vif comme dans un carnet de peintre, tantôt de visions poétiques très denses, creusant au plus profond de la psyché humaine, il aborde des thèmes universels comme l'amour, la mélancolie, l'absence. Touchant les âmes simples comme les érudits, son écriture lumineuse est un rempart contre le désenchantement, mais aussi contre l'irrésistible prolifération d'une "pensée" unique. Il nous parle des voix singulières, des pensées à contre-courant, de visages qui nous rendent vivants, des sourires "ces plus beaux exploits du monde". 
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entretien paru dans La Vie du 20 otobre; merci à Jean Lavoué via Annie Bergou
En exergue du nouveau livre de Christian Bobin, Le muguet rouge, ces mots de Nadejda Mandelstam : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour la première fois le mot « progrès » à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux. »
Christian Bobin à son tour dans son livre sonne le tocsin : « Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un “Progrès” qui va résoudre les problèmes du “Progrès” ? Comment demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ?… L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien… Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ?… L’âme est une espèce à protéger. »
CHRISTIAN BOBIN
La Vie 20 octobre 2022
« L’âme est une espèce à protéger »
INTERVIEW MARIE CHAUDEY
PHOTO DENIS MEYER / HANS LUCAS
Le poète du Creusot revient avec le Muguet rouge, un recueil plus mordant que jamais sur notre modernité. Et un Quarto Gallimard regroupe 17 œuvres de ce rebelle contemplatif.
Le Muguet rouge, au titre énigmatique, est un petit livre aiguisé comme une lame, qui rentre dans le dur de notre modernité. Le poète en colère y moque les économistes – ces « bouilleurs de chiffres », fustige la folle vitesse qui régit nos vies. Dans le collimateur de Christian Bobin : les écrans qui absorbent notre temps de cerveau disponible, happent nos esprits mais aussi nos cœurs. Les métaphores s’enchaînent – « l’œil du cyclope », « le Gutenberg du diable », « le miroir des aveugles »… Haro sur « les chiens électroniques » qui nous tiennent en laisse au quotidien. L’heure est grave et le poète, plus vigilant que jamais.
LA VIE. Votre recueil porte une férocité nouvelle, pourquoi ? 
CHRISTIAN BOBIN. Parce que le temps presse. Les cavaliers de l’Apocalypse sont arrivés à notre seuil, ils attendent que l’on ouvre. Et même à travers le bois de la porte, ils nous regardent… Je souligne que, dans son sens originel, l’apocalypse n’est pas une fin du monde, mais d’abord un dévoilement. Et précisément, c’est celui-ci que nous refusons : nous ne voulons pas voir ce que nous avons fait à cette terre et ce que nous sommes devenus. La situation a été tenable un moment, mais désormais elle se retourne contre nous. Dans la Bible, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du texte de Jean (Apocalypse 6) amènent la guerre, les épidémies, le désordre financier et le feu de la nature… N’avons-nous pas chacun de ces maux devant les yeux tous les jours ? Nous en sommes arrivés à un abaissement spirituel, l’âme est devenue une espèce à protéger. Je me suis dit qu’il était peut-être temps, au moins une fois, au moins dans ce recueil, de voir au mieux, et d’aider le lecteur à voir lui aussi. Simplement voir. Loin de moi l’intention de faire un livre de morale – je n’aime pas ça de manière générale : le confort des sièges bien rembourrés pour le bien, et l’inconfort du petit tabouret boiteux pour le mal. Ce recueil n’est pas non plus un condensé d’opinions et de pensées. Je nourris juste l’ambition que le langage, en se densifiant jusqu’à son point de brûlure, ait une chance de réveiller quelque chose chez quelques-uns.
« La mort devenait de plus en plus miniaturisée, des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendre » : vous y allez fort !
C.B. Je ne souhaite pas non plus que l’on sorte déprimé de cette lecture. Car la fin du monde, c’est à chaque seconde, depuis que nous sommes nés, depuis toujours pour toute l’humanité. Pour l’homme des cavernes, la fin du monde commence par un grognement qui sourd du noir de la grotte où il a cru trouver refuge. Aujourd’hui, pour nous, la fin du monde est en jeu dans le dialogue des êtres et dans le maintien de l’humain à l’intérieur de l’humain. Elle n’est pas tant dans les machines, même si celles-ci aident beaucoup à notre destruction, mais elle est d’abord dans le face-à-face – comme aurait pu le dire le poète Jean Grosjean : est-ce que toi qui me parles tu es là ? Est-ce que moi qui te réponds je suis là ? Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ? La chance de créer cette brèche est toujours possible, mais il y a urgence. J’ai écrit ce livre en croisant deux sortes de paille : la paille sombre d’aujourd’hui – on nous fait avaler par jour l’équivalent d’un siècle entier de poison et de désastre – et puis la paille toujours existante, parce qu’invincible, de l’invisible : celle de l’amour quand il est à son point d’envol entre deux êtres ou celle d’un poème qui est encore vivant alors qu’il a été écrit il y a quatre siècles – les absents aussi peuvent nous aider. Mais il faut d’abord voir en face le mal qui vient : pour se sauver, on doit reconnaître son étendue.
N’y a-t-il pas deux visages différents de la mort, que vous opposez dans le Muguet rouge ?
C.B. En effet, il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature. Une fleur éclôt sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt. Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose. C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet. Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible. Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré. Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus. Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge. C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur.
Votre ville du Creusot est une cité marquée par l’épopée industrielle : avez-vous ressenti ses méfaits dès votre jeunesse ? Vous mettez un P majuscule ironique au mot progrès…
C.B. Le « Progrès » a pris la place de Dieu. Il y a cette croyance absurde et morbide qu’il suffit de continuer sur sa lancée pour s’en sortir : qu’en élargissant la tache, on va la faire disparaître ! Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un « Progrès » qui va résoudre les problèmes du « Progrès » ? Comment peut-on demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ? Durant mon enfance, au long des années 1950-1960, l’épopée industrielle et technique commençait déjà à s’essouffler. J’ai senti le poids des choses en train de s’effondrer sur elles-mêmes. C’est en en prenant le contre-pied que j’ai voulu écrire. Ce n’est pas un hasard si j’essaie de faire de l’écriture un rameau aérien, quelque chose de plus léger que la légèreté même. Parce que j’ai baigné dans cette atmosphère d’une cité dite « ouvrière », presque pharaonique à l’époque : je voyais les esclaves égyptiens défiler sur leur vélo pour répondre à l’appel des usines. Ils avaient une fierté – que je comprends d’ailleurs, parce qu’on leur donnait encore à l’époque une reconnaissance pour ce travail. Et en échange, on leur offrait une protection – tout cela a disparu très vite. J’ai connu cet univers par sa surface très pesante et par son dogme du travail – un monde qui nous empêche d’être… C’est parce que j’aime les gens que je n’aime pas le monde. J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie.
« L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien », affirmez-vous…
C.B. Ces choses-là sont la source de la beauté. C’est de nos nuits de désespoir que va fleurir une glycine qui se penche par-dessus un mur. C’est de nos déchirures, de nos doutes et de nos manques que naissent des palais dans les cieux et toutes sortes de printemps imaginables. Si nous nous coupons de ces racines profondes, alors nous nous coupons des fleurs et des fruits qui viennent après et naissent d’elles. Il y a un lien entre la plénitude et le manque, entre le visible et l’invisible. Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante.
Votre recueil ouvre sur ces mots : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Pourquoi cette couleur ?
C.B. Je ne suis pas l’auteur de l’expression, c’est bien mon père disparu qui m’a nommé cette merveille dans un rêve que j’ai fait. Tout vient d’une parole, comme une étoile descendue dans le puits du sommeil et qui m’a donné ce cadeau incroyable du livre entier, en fait. Car mon père m’invite ensuite à chercher ceux qui cultivent le muguet rouge : ils sont de sa famille et il me pousse à les reconnaître. Une fois éveillé et me mettant à écrire, le muguet rouge m’est apparu comme un paradoxe vivant. Dans l’imaginaire, le muguet est nécessairement vert et blanc. Mais qu’est-ce qui existe et qui n’existe pas ? C’est Dieu, c’est l’amour et c’est le muguet rouge… C’est une grande vertu tantôt de ne pas être là, et tantôt d’être là, cela permet d’échapper à toute incarcération dans un dogme, dans une définition et un confort. J’ai reconnu que ceux qui étaient porteurs du muguet rouge, ce rouge battant du cœur, sont pour la plupart des inconnus qui aident à maintenir le monde à flot, à ne pas avoir le souffle complètement brisé, et peut-être même à commencer un début de réenchantement. La confrérie du muguet rouge est une sorte de compagnie secrète…
… qui seconde le poète ?
C.B. Si le poète a un rôle, c’est de rehausser le langage à son point d’incandescence. C’est par les yeux du langage que nous voyons. S’ils se sont fermés à force de publicité et d’abrutissement, qu’au moins quelqu’un ici ou là redonne à ce langage sa splendeur native, et nous remette au premier matin du monde, qui peut toujours venir. La fin du monde est juste à côté du premier matin du monde. Ce n’est pas si compliqué de tenter un pas de côté : il peut être fait à tout moment, même aujourd’hui alors que nous commençons à payer le prix fort. Comment ne pas voir le paradis à côté de l’enfer ? Mais désormais, l’enfer est tellement ronronnant que nous perdons même de vue son voisin. Au fond, sans lâcher une seconde un instinct contemplatif, c’est pour donner à la douceur réelle des choses sa vraie lumière qu’il m’a fallu éclairer aussi la face sombre du monde. Mais les choses d’esprit sont vivantes à jamais et pour toujours. Le sourire de mon père, qui a déjà eu lieu il y a plus de 20 ans, hante mes livres. Les vrais instants ne sont jamais pris par le temps, car ils étaient déjà saisis par l’éternel. Écrire, c’est travailler du côté de l’éternel, je suis un petit soldat au service de l’invisible, un simple maquisard.
À vos yeux, « cimetières et librairies sont les derniers endroits civilisés ». Pour quelles raisons ?
C.B. Pour une revue de bibliophiles, j’ai écrit un jour un petit texte que je n’ai d’ailleurs pas retrouvé. J’ai inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livre s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres, et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir…
la merveille et l'obscur / Christian Bobin
interview pour Le Monde des religions, en 2007, republié par Le Monde, ce 25 novembre 2022
Vous êtes un écrivain célèbre mais rare, volontairement très discret dans les médias. D’où vient votre désir de retrait ?
Comme souvent dans cette vie, les choses sont mélangées : il y a, dans ce que vous appelez joliment mon retrait, une part de caractère, une sorte de pudeur, et la crainte que la parole, en s’exposant trop souvent en plein jour, perde de sa vitalité. Rien n’est plus éblouissant que des traces de pattes de moineau dans la neige : elles permettent de voir l’oiseau tout entier. Mais pour ça, il faut la neige. L’équivalent de la neige dans une vie humaine, c’est un silence, une discrétion, cette distance qui permet le vrai lien.
Mon retrait n’est pas une misanthropie, c’est ce qui me donne un lien plus sûr au monde. En écrivant, je me sens comme un enfant qui, laissé dans sa chambre, se met à parler seul, un peu plus fort qu’il n’est raisonnable, pour être entendu de la salle à côté où se trouvent peut-être les parents ou les gens.
Cette image vous ramène à votre propre enfance. La solitude du petit garçon que vous étiez vous a-t-elle jamais quitté ?
J’ai une sensation enfantine de la vie qui perdure : je suis attiré depuis toujours par ce qui est apparemment inutile, faible, laissé dans les ornières pendant que passe le grand carrosse du monde. Un enfant est rarement curieux de ce qui préoccupe les adultes. Il va exercer son attention sur ce qui leur échappe ou ce qui, de peu de poids, lui ressemble.
Par exemple, je peux faire une danse de derviche tourneur autour d’un pissenlit toute une après-midi pour arriver au texte qui me convient, qui exaucera ce pissenlit et en fera ce que je l’ai vu être, c’est-à-dire un soleil descendu près de nous.
Ces états vous sont-ils donnés par la contemplation de la beauté ou bien par une méditation ?
Je suis incapable de séparer la pensée de la beauté. Elles ont pour racine commune le réel. Les petits astres que forment les pissenlits au mois de juin sont beaucoup plus réels et éclairants que toutes les lampes de nos savoirs.
« La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille, fugace, infime »
Ce que je recherche, et que j’ai du mal à nommer, ne se trouve pas dans les endormissements théoriques, pas plus que dans les agacements de l’économie ou le bruit machinal du monde. Cette chose me concerne personnellement et, je crois, concerne chacun de nous. J’essaie de faire des petites maisons de livres assez propres pour que l’invisible qui me semble donner le sens de toute vie y entre, et s’y trouve accueilli.
Cet invisible a-t-il rapport au divin ? Au moins, lui donnez-vous un nom ?
Paradoxalement, cet invisible n’est fait que des choses visibles. Mais délivrées de nos avidités, de nos volontés et de nos soucis. Ce sont ces choses familières qu’on laisse simplement être et venir à nous. Dans ce sens, je ne sais pas de livre plus réaliste que les Évangiles. Ce livre est comme du pain sur la table : le quotidien est le foncier de toute poésie.
Leur message a-t-il une résonance particulière dans vos livres ?
La lumière la plus profonde, je l’ai tirée d’un auteur que j’estime plus que tout, Jean Grosjean, et en particulier de son livre L’Ironie christique, qui est une lecture d’abeille de l’Évangile de Jean : c’est un livre majeur du XXe siècle. L’auteur fait son miel de chaque parole du Christ, il entre dans chacune d’elles comme une abeille s’engouffre dans chaque fleur d’un rosier, pour en surprendre toute la pensée.
À la fin de l’Évangile, il est dit qu’« il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; si on les écrivait une à une, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait ». J’ai pris cette parole à la lettre : j’essaie d’avoir le souci du présent, de qui me parle ou de ce qui se tait devant moi ; je cherche dans le plus tremblé du présent ce qui ne glissera pas comme tout le reste dans les ténèbres. Le ciel est ce qui s’éclaire dans le face-à-face. Le fond de la vie, et c’est le fond même des Évangiles, c’est que tout ce qui compte se passe toujours entre deux personnes.
Dans l’enfance ou à l’âge adulte, avez-vous connu des moments d’illumination, des expériences d’ordre mystique ?
Ce n’est pas vraiment une illumination mais un sentiment plus souterrain, diffus, que je pouvais parfois croire être perdu et qui revenait toujours : la sensation d’une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien. Cette sensation n’a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues, les lassitudes et même les désespérances. Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal.
Qu’avez-vous traversé qui vous a le plus profondément heurté dans votre vie ?
Incontestablement, la perte d’êtres chers. On s’aperçoit qu’on devient désert quand quelqu’un que l’on aime meurt. Qu’on n’a pas d’autre sens que d’être habité par des gens dont la présence nous réjouit ou dont le seul nom nous éclaire. Et quand ces présences s’éteignent, que les noms s’effacent, il y a un moment étrange et pénible où l’on devient à soi-même comme une maison vidée de ses habitants. On n’est propriétaire de rien au bout du compte.
L’épreuve du deuil se traverse. Elle est une épreuve de pensée vécue à son maximum. En refoulant ces choses qui arriveront forcément, on enlève le terreau de la pensée la plus profonde. On risque de se vouer à l’irréel qui me semble être le plus dangereux dans ce monde.
C’est-à-dire ?
L’irréel, c’est la perte du sens humain, c’est-à-dire la perte de ce qui est fragile, lent, incertain. L’irréel, c’est quand tout est très facile, qu’il n’y a plus de mort et que tout est lisse. Contrairement aux progrès techniques, les progrès spirituels sont équivalents à un accroissement des difficultés : plus il y a d’épreuves, plus vous vous rapprochez d’une porte paradisiaque. Alors que l’irréel vous décharge de tout, y compris de vous-même : tout circule merveilleusement, mais il n’y a plus personne.
N’est-on pas aussi dans l’irréel en étant trop religieux, en vivant par exemple dans l’évidence qu’il y a une vie après la mort ou que Dieu est bon ?
On peut faire avec Dieu ce que les enfants font avec un arbre, c’est-à-dire se cacher derrière. Par peur de la vie. Les pièges dans cette vie sont innombrables, comme penser qu’on est du bon côté, qu’on a vu et recensé tous les pièges, ou qu’on sait ce qu’il en est une bonne fois pour toutes du visible et de l’invisible. Ça ne marche pas comme ça.
« Les religions sont analphabètes de leurs propres écritures »
Les religions sont lourdes. Elles reposent sur des textes qui sont des merveilles. Mais elles sont d’abord les analphabètes de leurs propres écritures. Elles n’oublient jamais leur puissance. Elles veulent détourner à leur profit le cours ruisselant de la vie. Au fond, il faudrait débarrasser Dieu de Dieu. On pourrait parler d’un Dieu athée de ses propres religions.
Vous parliez tout à l’heure des « endormissements théoriques ». La connaissance est-elle une barrière à un chemin spirituel ?
C’est difficile de répondre. Kierkegaard parlait de communication directe et communication indirecte. Pour le dire simplement, la communication directe, c’est quand vous transmettez un savoir : vous le donnez comme vous donnez un objet. La communication indirecte, d’après lui, est la seule qui convienne aux choses de l’esprit : il ne faut rien donner directement. La vérité n’est pas un objet mais un lien entre deux personnes.
C’est pourquoi le Christ parle en parabole et rarement tout droit. Sa parole est chargée d’images, avec ce qu’il faut d’énigme pour que le chemin se fasse dans la tête de son interlocuteur, pour que cet interlocuteur accomplisse son propre travail mental. C’est l’origine de toute poésie vraie : il faut que quelque chose manque pour espérer goûter à un peu de plénitude. Le problème avec ce qu’on appelle le savoir, c’est que tout est fait, cuit et même mâché.
« Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd’hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu’il s’est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce. » C’est une phrase tirée du recueil La Présence pure, publié en 1999. Comment prolongeriez-vous aujourd’hui cette réflexion ?
Pardonnez-moi d’être banal, mais on n’a jamais plus conscience de la vie que lorsqu’on sait qu’à chaque seconde elle peut vaciller et tomber en poussière. La mort est une excellente compagne, très fertile pour la pensée de la vie. Si on expulse l’une, on condamne l’autre à s’épuiser dans le bagne d’une distraction perpétuelle.
La claire conscience de la vie, amenée par la calme pensée de sa fragilité, est la grâce même. La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille : quelque chose de fugace, d’infime, qui ne demande surtout pas à être retenu, et qui coïncide avec l’incorruptible joie d’être vivant. Emily Dickinson écrit dans l’une de ses lettres : « Le simple fait de vivre est pour moi une extase. »
Sur la mort, avez-vous une espérance, une intime conviction ?
J’éprouve que le meilleur de nous, quand nous réussissons à le faire vivre, ne sera pas bruni, emporté par la mort. Je ne peux guère dire plus. Ou plutôt si : les nouveau-nés, je l’ai souvent écrit, sont mes maîtres à penser. Le bébé à plat dans son berceau, avec le ciel étonné de nos yeux qui lui tombe dessus, est la figure même de la résurrection. C’est beau, le front dénudé des nouveau-nés. C’est la confiance qui remplace le crâne. La confiance est le berceau de la vie.
Cet entretien a initialement été publié dans « Le Monde des Religions » n° 25,
septembre/octobre 2007.
Frédéric Lenoir et Karine Papillaud.
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
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Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var
Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète  Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018  il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule /  Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Christian Bobin et Pierre Soulages / Pierre Soulages est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre, à 102 ans, à Nîmes il vivait en haut du mont Saint-Clair à Sète Pierre Soulages était né le 24 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans Christian Bobin lui avait rendu visite, une visite surprise le 24 décembre 2018 il en a fait le récit dans Pierre, avec virgule / Christian Bobin s'en est allé, moins d'un mois après Pierre, avec 31 ans de moins de vie / texte sur prier de Christian Bobin qu'on peut lire entre l'entrée de la chapelle et l'escalier menant aux ex-voto, sanctuaire Notre-Dame de Beausset Vieux Var

Pierre, de Christian Bobin, je l'ai lu entre le 23 et le 24 décembre 2019, un an après le « voyage » de Christian Bobin, du Creusot à Sète, le 24 décembre 2018, voyage de nuit, pour apporter deux exemplaires de La nuit du cœur (consacré à l'abbatiale de Conques) à Pierre Soulages et à Colette.

Ce 24 décembre 2019, Pierre Soulages a eu 100 ans. En 2018, Bobin « improvisa » ce voyage, apparemment sans prévenir Soulages, impulsion venue du cœur, pour offrir deux exemplaires de ce livre consacré à l'abbatiale et aux vitraux.

Voyage effectif ou songe d'une nuit d'hiver, voilà un voyage signé si je puis dire, chargé de signes. Un 24 décembre, pour un anniversaire, vers les outrenoirs de Soulages, l'homme de la lumière par le noir, dans le noir, sur le noir, sous le noir. Dans un train presque sans voyageurs, dans la nuit noire. Avec les bruits à l'intérieur du train et le bruit solidien des roues sur les joints des rails, ta dak, ta dak, métronome mesurant le temps et l'espace. Avec un taxi pris à la sortie de la gare vers 22 H 30 pour monter l'auteur de cette unique escapade, de cette escapade unique vers l'impasse du Mont Saint-Clair où s'est retiré le peintre ;  « ah ! vous allez voir le peintre ». Avec l'attente patiente devant la porte fermée, le domestique Mohammed étant allé prévenir ses maîtres.

Ce voyage initié par un mouvement du cœur, par l'amour, chargé de signes a-t-il confirmé ces signes venus du noir lumineux du poète de l'obscur et de la merveille ou a-t-il été aussi fournisseur de la quête de l'auteur de la part manquante, le surgissement d'une présence, surgissement inattendu, imprévu, non voulu, non préalablement désiré, défini.

Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Christian Bobin est l'auteur prolixe de la mise en déroute des certitudes, des raisons, l'auteur prolixe de la dissolution du réel auquel on s'accroche ; il est l'auteur prolixe de la nécessité de l'attente, de la patience, du silence, du vide en quelque sorte d'où va surgir peut-être la présence pure engendrant l'enchantement simple. Pas de projet, pas de cheminement vers un éveil spirituel, une pleine conscience, une volonté de puissance du genre le monde est le produit de ma conscience. Ce n'est pas lui qui va vers la présence, c'est la présence qui vient à lui, s'offre à lui dans la mesure où il est disponible, ouvert sur l'Ouvert.

Comme il s'agit d'expériences intimes d'accès à des outre-mondes quasi-indicibles, il me semble qu'en aucun cas, Christian Bobin peut être un guide spirituel, un transmetteur, un passeur.

Le bon usage de Christian Bobin est d'après moi de deux sortes : savourer les bonheurs d'écriture, fulgurances, éclairs ramenés de l'au-delà et oser sa propre aventure du sur-place, de l'immobilité ; devenir l'araignée dont la toile est tissée par des fils venus d'ailleurs ou du bon usage des signes venus d'ailleurs.

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.)

André Comte-Sponville

la merveille et l'obscur / Christian Bobin
« Je voudrais vous parler de celle dont tout le monde parle et qui échappe à tout le monde. Je voudrais vous parler de Marilyn. Sa folie a régné sur le monde et c’était un règne sans mauvaiseté. Mais de folie quand même. Elle est une preuve de Dieu. N’importe qui et n’importe quoi est une preuve de Dieu sur terre. La preuve — Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n’est-ce pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs et de nos croyances. (…) Marilyn suivait l’étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d’une poupée papillonnant des yeux et de l’âme, souriant à ses assassins. La folie est un mécanisme d’horlogerie très fin. On n’en voit les rouages que lorsqu’il se brise. Marilyn sait que l’humanité a faim, plus encore que de pain ou de sexe, d’une vraie gaité, d’une gaité profonde accordée au secret des fleurs, du ciel, des anges. Nous recherchons le paradis. Nous ne sommes jamais très loin de lui. La gaité — la pure, pas la marchande : comment vivre une seconde sans elle, sans son secours, sans au moins sa nostalgie ? Les saintes du cinéma brûlent dans le noir. Leurs chevelures luisent comme des méduses. Rien ne s’éteint plus vite que l’incendie de l’irréel. Marilyn tendait une gaité volatile sur la petite assiette de son visage. Mangez-moi. Ceci est ma folie, ceci est ma perte. Je suis des vôtres. Simplement j’ai dans les paillettes de mes yeux et sur la charité de mes lèvres les stigmates du paradis, l’ombre portée de la lumière éternelle. Elle affolait les hommes, mais aussi bien les femmes ou le soleil. Sa fragilité était invulnérable. Elle n’arrêtait pas de souffrir et de sourire. Ces deux passions n’en faisaient qu’une. (…)
Qu’elle dorme en paix, la martyre du sourire. Qu’elle soit remerciée de son dévouement de folle. Comme Einstein a donné son nom à la loi de relativité, que je suis heureux de ne pas comprendre, Marilyn a donné le sien à la loi inexorable de la chute des cœurs. »
Christian Bobin, La grande vie, Gallimard, 2014, pp. 95-98
Photo de Milton Greene, pendant la séance « Ballerina setting », 1954
via Thierry Di Manno sur la page FB Christian Bobin
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là
tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

tout est là, l'eau, les plantes (fraisiers, mousses, lichens, fougères à se rouler par terre), le chant, les abeilles, le présent, la présence, la seconde et l'éternité, l'absence même; un moment de contemplation au-dessus de La Preste, face à une ruine, face à des vies disparues, à une nature toujours là

 

Christian Bobin

La merveille et l'obscur

suivi de

La parole vive

entretiens 1990-1994

La passe du vent

imprimé par Horizon à Gémenos

 

85 pages d'entretiens, 4 entretiens, le 1°, le plus long avec Charles Juliet, le 4°, La parole vive, avec deux collaborateurs de la revue Esprit.

Ces entretiens éclairent d'une part les thèmes récurrents des livres de Christian Bobin, la solitude, l'enfance, l'amour et d'autre part la manière d'écrire du poète.

Il y a du paradoxe chez Christian Bobin. Il affirme que peu de paroles vraies s'échangent chaque jour, il dénonce les paroles mortes chez la plupart des gens, paroles empruntées, véhiculées, fabriquées, paroles des professeurs, des dogmatiques, des fonctionnaires de la langue. Il devrait être peu prolixe de paroles vraies, vives, opter pour le silence, la souveraineté du vide or il a écrit une soixantaine de livres, jamais épais il est vrai et si on parcourt internet, on trouve entre 600 et 800 citations de Bobin.

Voilà un poète riche de bonheurs d'écritures. À chacun, en lisant, de goûter « ses » bonheurs, ceux qu'il trouve, ceux sur lesquels il s'attarde, quittant la page pour aller vagabonder dans la réalité, celle qui l'entoure et qui soudain retrouve éclat, vivacité, simplicité. Lire Bobin, c'est avoir comme dit le poète Lorand Gaspar, le regard soudain lavé. Ce n'est plus seulement voir, voir vraiment, c'est recevoir, être traversé par la richesse infinie de la vie simple, de la vie faible comme il dit quelque part, la vie faible, la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible, d'éphémère. (L'inespérée, p.130)

On voit bien en quoi, une telle formule ne demande qu'à sortir de sa page d'encre pour que nous en fassions l'expérience concrète, perdre la seconde qui va, sans projet, sans regret, sans jugement, sans culpabilité, comme un chat qui a tant à nous apprendre, en toute fraîcheur, innocence, pureté, naïveté, comme un idiot, un ravi émerveillé par tout ce qu'il voit, entend, sent, goûte, touche.

Un moment : une amie me rend visite à Corsavy, je la promène en voiture et l'arrête à une fontaine, une source qui coule faiblement mais coule, s'écoule, doux bruit d'eau et une éclaboussure de verts, fraisiers, fougères petites, mousses, lichens. Photographe ou peintre en saisirait peut-être l'éternité, en tout cas, elle est manifeste, il n'y a qu'à se laisser traverser, prendre son temps, laisser le temps s'écouler comme l'eau, se laver de toute précipitation, de toute impatience, de toute attente, rien ne presse, être présent à ces présences et remercier, dire merci, à voix haute, en chantant puisqu'on est enchanté. Il me semble qu'il dit à un moment que les pouvoirs (dont le plus pesant, le pouvoir économique) ne peuvent rien contre le chant, contre la parole enchantée, enchanteresse. Aujourd'hui encore on retrouve une telle tension entre les deux inconciliables, l'or et le chant, l'utile et l'inutile. Entre ces deux langues, pas de compromis, une lutte à mort. Soit l'argent, soit le chant. Soit le monde, soit l'amour. On ne peut servir les deux à la fois. C'est ce que j'aime chez les troubadours, c'est ce que j'aime dans toute vraie écriture, une force d'insurrection, une source de vie immense, un goût indéracinable de l'éternel. (p.31)

Il y a quelque chose comme ça qui s'est inventé, qui s'invente et s'inventera chez certains groupes de Gilets Jaunes qui ont le sens de la vie, de sa beauté, sa fraternité et un beau goût pour l'humour.
Autre moment : rite d'une jeune femme, longtemps mariée, séparée depuis un an, avant de se coucher ; elle monte l'escalier menant à sa chambre ; à chaque marche, enlève un vêtement, le jette par dessus l'épaule, entre nue dans la chambre, se met nue au lit et éclate de rire. Se défaire de tous vêtements, de tous masques. Tout est là : l'ascension – vers un repos. Le rire – dans le dépouillement. L'abondance – dans la solitude.

On voit bien comment de tels rites, renouvelés, improvisés peuvent nous rendre bienheureux c'est-à-dire nous couler dans la « sainteté » de la vie.

Jadis, j'avais 24-25 ans, j'avais imaginé toutes sortes de jeux pour poétiser la vie, le cahier existe toujours, le programme s'appelait : pour une réduction des horaires de banalité, pour une augmentation raisonnée des horaires de folie douce. C'était juste et prétentieux : il n'y a pas à poétiser la vie quotidienne, elle est poésie permanente, elle est miracle en toute manifestation et n'a pas besoin de poète déclaré ni de programme ostentatoire.


Poète je suis l’homme qu’il vous faut

mon programme réclame pour chacun

la libre disposition des choses

la possibilité de jouir de leur séduction

de se méfier de leur érosion

la libre disposition de soi-même

la possibilité de développer son étrangeté légitime

d’aller jusqu’au bout de ses pentes quotidiennes

d’être aussi fou que son voisin

et plus fou que le divin dont la soif de création s’est arreêée à l’incréé

mon programme réclame pour chacun

une réduction des horaires de banalité

une augmentation raisonnée des horaires de folie douce

(La parole éprouvée, 2° partie, 8° mouvement, Ouvrir, Mésallier les mots, p. 138)

 

 

Autre moment : le soir avant le coucher, rite des lectures à voix haute ; je lis des passages du Très-Bas à Rosalie qui me lit des chapitres de Dis au revoir à ton poisson rouge. Hier soir, elle perd une dent de lait, la petite souris va-t-elle passer ? Qu'est-ce qu'elle fait la petite souris ? Elle emporte la dent et laisse à la place, un peu d'argent et des douceurs. Je lui lis le passage sur la différence entre les enfants du 20° siècle et les enfants du 13° siècle, p. 33-34. Petits enfants du 20° siècle (on est déjà au 22° siècle, l'effondrement a eu lieu), vos parents sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Ils vous demandent de les porter sur vos épaules, de leur donner cœur et force. Petits enfants des temps modernes, vous êtes des rois dans un désert. Petits enfants du 13° siècle, on vous accorde peu d'importance.

 

Puis je lui demande de me parler de son doudou. Il est important pour toi ? Oui, pour la nuit. Qu'est-ce qu'il fait la nuit ? Il me protège. Ah bon ! Oui, la nuit, je n'y suis pas. Lui, il est là. Pendant que je dors, il est là, il me protège. De quoi ? Ça, je ne sais pas puisque je dors. (Il y aura sans doute une suite)

 

Bobin parle très bien de l'enfance et de Hélène, une fillette dont il s'est occupé par intermittences, de quelques mois à deux ans puis jusqu'à huit ans. Hélène qui ne ressemble ni à sa mère, ni à son père, ressemblances les plus pauvres qui soient, Hélène qui ressemble à la vie, qui ne ressemble à rien, qui ne ressemble à personne. Elle m'a appris à trouver le centre de l'écriture, le monde tel qu'il est, tel qu'il court, dans la voix d'une enfant. Un beau livre, un livre nourricier, c'est un livre d'où l'auteur a su s'enlever complètement. Vous l'ouvrez, vous lisez. Il n'y a que vous là-dedans. C'est vous qui avez écrit ces mots-là.

 

Autre moment. À Rosalie   pourquoi ne m'aides-tu pas ?   tu as deux pieds, deux mains, tu peux te lever   mais je fais beaucoup, les repas c'est moi, la vaisselle, c'est toi   oui mais mon autre moi   quoi, qu'as-tu dis ?   rien laisse tomber   t'as parlé de ton autre moi, c'est qui lui   laisse tomber, je te dis... elle finit par me parler de tous "ses" moi, une ribambelle, l'imaginaire investissant toujours la réalité.

 

J'ai une amie, une femme qui aime la vie simple, faible, qui chaque jour ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci Annie Bergougnous pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

 

On comparera avec le chemin de méditation du père Séraphim, méditer comme une montagne, comme un coquelicot, comme un océan, comme une tourterlle...

 

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.
une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

une femme, une amie, Annie Bergougnous, aime la vie simple, faible, et chaque jour elle ramène un bouquet de photos du quotidien qu'elle partage sur sa page FB, coup d'oeil, moment juste, humour, c'est chaque jour, une leçon qui s'offre, voilà ce que je vous rapporte de mon amour de la vie, laquelle ne peut se vivre qu'en la sachant mortelle. Merci A. B. pour le bien, le beau que vous savez saisir, que vous savez partager. Vous faites du bien à qui veut.

- Beaucoup d’écrivains parlent des enfants de manière mièvre, alors comment en parler de manière haute, comme vous le faîtes vous-même, comme des métaphysiciens, des gens qui vous guident, qui vous éveillent, qui vous montrent une part de la réalité que vous ne voyez pas, sans du tout tomber dans le « Qu’il est mignon ce petit » ?

- Ah, bien oui, si on m’accorde qu’un nouveau-né, ou qu’un bébé est un métaphysicien, c’est à dire un grand sage, un sage tout proche du Dieu, si on m’accorde qu’un bébé est sage, on va pas dire « Oh ! Qu’il est mignon ce sage, oh ! Qu’il fait la risette, peut-être que certaines mères ont reconnu la grandeur de leur enfant, peut-être pas toutes, je le déplore, et que cette grandeur les dépassait de toutes parts, et qu’elle était bien autrement large que ce que pouvait en contenir un couffin, et une petite joliesse de dentelle et une boite à musique, quand certaines mères ont découvert ça, en tout cas, quand j’ai découvert ça, que les bébés étaient très proches de la sagesse la plus pointue, de la plus rude aussi, car je ne connais pas de regards plus dangereux à croiser que celui d’un nouveau-né, parce qu’il ne s’ennuie pas lui, il ignore toute convention, il vous fixe dans les yeux, ça ne se fait pas de regarder les gens dans les yeux très longuement, c’est dommage que ça ne se fasse pas, mais lui ça ne le gêne pas, il vous envisage comme un mystère, il a raison, vous êtes un vrai mystère, il a raison, on a tendance à l’oublier, bien avant d’être ceci ou cela, bien avant même d’être écrivain, on est un mystère, et le nouveau-né le sait d’instinct, peut-être parce qu’il s’éprouve lui-même comme un mystère, et bien quand vous avez cette gravité, cette beauté, c’est toute la grâce des anges, mais alors des anges dont leurs ailes sont en acier, quand vous voyez cette grâce dans les yeux des nouveaux-nés, vous êtes confondus comme devant la plus grande et la plus rude pensée, vous avez-là un mystère qui vous interroge et qui ne se contentera d’aucune réponse.

- Il n’y a pas un risque de projection ? De projeter son désir de réponse à travers justement celui qui ne peut pas répondre ?

- Je ne crois pas, parce que les nouveaux-nés ont cette qualité-là, mais les agonisants l’ont aussi, et les vieillards parfois, peuvent l’avoir, et ceux qui aiment, quand ils aiment d’un amour pur, très réel et très pur, ils ont aussi dans leur présence ce coté diamantaire, ce coté aiguisé, aigu, comme ça, donc je ne pense pas céder à une empathie ou à une projection, toute simple, et toute pauvre.

la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)
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la parole éprouvée (déjà 20 ans et plein de rides) / et ton livre d'éternité ? (encore tout frais sorti des très-fonds pour vivre ici-haut)

- Parce qu’il y a une époque, dans vos livres étaient présents des enfants, dont une petite fille d’une de vos amies, on l’a vu grandir, etc, qui avait quand même le langage, des réactions, des pirouettes, donc avec maintenant avec le nouveau-né, on se rapproche vers le centre, vers le plus incandescent, là on est sans parole, sans gestes, sans charme, alors je veux dire, sans séduction de sa part, lui il est là, brut, entier, mais proche de la source, parce qu’il en vient.

 

- Il en vient et il est encore trempé de…, au fond, le monde est à l’inverse de ce qu’il prétend être, il dit « regardez, je suis la lumière, regardez, je vais vous mettre plein de publicité, plein de bruits très attrayants, regardez, je vais vous mettre plein de couleurs, vous allez vous régaler, et puis, il y a un problème » nous dit le monde, "c’est qu’il y a la mort, on ne sait pas d’où l’on vient, de toute façon, il n’y a pas de réponse, c’est la nuit partout, c’est tout noir, c’est du néant, mais avec moi », dit le monde « qu’est ce que vous allez vous amuser ! Ça je vous promets, c’est lumière sur lumière ! ». On est bordé de nuit, mais à l’intérieur du monde, c’est la lumière, moi, je dis, c’est l’inverse, c’est l’inverse, c’est à dire que les nouveau-nés ils viennent de la lumière, et ils sont jetés dans notre nuit, c’est pour ça qu’ils sont éblouissants, c’est pour ça que leur regard est brûlant et que leurs visages sont dévorants comme ça, ils ont,… c’est une expérience très matérielle à quoi je vous renvoie, comparez, et vous verrez que la comparaison marche terme à terme, comparez l’attente ou l’attention portée à un visage d’un nouveau-né ou d’un tout petit enfant, à l’attention et au regard que vous allez porter sur un feu de cheminée, vous allez être comme hypnotisé, la chose va vous attirer à elle, parce qu’elle est violente, mais elle a une violence de vie, elle a une violence archaïque et éternelle, c’est la même chose, le feu et la petite pointe de brûlure bleue, dans les yeux des nouveaux-nés, ce bleu incroyable, qui tache les yeux des nouveaux-nés, après ils vont choisir leur couleur, ou quelque chose en eux va choisir leur couleur, parfois ils vont garder ce bleu, rarement, ils vont le garder, mais c’est la même chose, la même intensité, ils viennent de la lumière, ils sont jetés dans notre nuit, comment ne pas les vénérer, pas au sens bête de notre culture, qui adore les enfants stupidement, stupidement, stupidement, je dis bien, mais comment ne pas les respecter infiniment, comment ne pas respecter un vieillard aussi, pour ce qu’il commence à connaitre malgré lui de ce qui est de l’autre coté de la paroi ? Il commence à être touché un petit peu, par ce qui est intouchable, comment ne pas vénérer, respecter les plus faibles parce que dans l’ébranlement qu’il leur vient dans la chair et dans l’âme, il y a quelque chose de presque plus que la vie même, qui les touche et dont on peut voir sur eux les vibrations, comment ne pas être en silence devant ça ?

 

- Nouveau-né, vieillard, oiseaux, fleurs, on s’éloigne du langage ?

- Non, parce que le verbe des évangiles par exemple, et le verbe de certains poètes, peut avoir la force du silence d’un mourant ou de la vibration lumineuse d’une petite fleur. Le verbe de certains poètes, et parfois le verbe de certaines personnes dans cette vie pauvre, et qui ne se connaissent pas elles-mêmes comme écrivain ou comme poète, et qui n’écriront jamais, il suffit que la vérité les foudroie, et qu’elles acceptent ce foudroiement et vous avez devant vous une parole, comme on dit, on n'a la plus belle femme du monde, vous voyez, et donc le langage aussi peut nous amener à ce court-circuit, et à nous faire toucher cet au-delà de tout, le langage même, mais c’est rare, mais ça arrive, ça arrive.

- Je ne le vois pas dans vos derniers livres, Christian Bobin, comme vous conduisant vers, en tout cas aussi intensément, vers la vérité que vous conduise un enfant, un vieillard, des fleurs, des oiseaux, comme si dans ce mouvement qui est le votre aujourd’hui, vous n’aviez plus tellement besoin de la langue commune, cherchant peut-être autre chose que cette langue commune ?

- C’est vrai que le silence est…, là je vais rejoindre un savoir commun mais c’est un savoir vivant, un savoir vivace, que le silence est peut-être le plus haut point de la parole, quand la parole est menée par l’amour, il y a un moment où elle se tait, et c’est encore de la parole, mais c’est vrai que le silence, quand il est habité, quand il indique un travail intérieur, et non pas une mort, parce qu’il y toutes sortes de silences, mais un silence vivant, vibrant, et bien il disqualifie tous les livres et toutes les écritures et toutes les paroles.

Christian Bobin interviewé par Olivier Germain-Thomas, dans l’émission « For intérieur », diffusée le 31 mars 2002 sur France Culture, à partir de 44'55.

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir
Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

Christian Bobin le 11 septembre 2022 à Crans-Montana en Suisse disant un texte Les délivrantes; vidéo de la rencontre à venir

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Joseph Anton Salman Rushdie

Rédigé par grossel Publié dans #SEL, #agoras, #engagement, #essais, #notes de lecture, #écriture

 
Lus cet été à Corsavy
- Patries imaginaires de Salman Rushdie, chroniques, essais, discours des années 1980-1990 soit il y a presque 40 ans, articles écrits avant la fatwa de Khomeini du 14 février (Saint-Valentin) 1989 le condamnant à mort, et ayant engendré l'attentat du 12 août 2022...
articles qu'on peut lire dans le désordre; 
un régal; 
Rushdie est engagé, engagé comme écrivain, il se pense comme un écrivain de gauche, (laïque, pour la démocratie, le cosmopolitisme, les multitudes, contre le communalisme) créant, imaginant des univers dont thèmes, langues entrent en conflit avec les récits monolithiques politiques, religieux, historiques. Ses notes critiques sur pas mal d'écrivains sont passionnantes
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dans la foulée, j'ai pillé dans
- Les enfants de minuit, 1980; 
les enfants de minuit, c'est le roman échevelé des 1001 enfants nés à minuit, le 15 août 1947, nuit de l'indépendance de l'Inde; 
33 bocaux de chutney = 33 chapitres 
ça commence par le nez du grand-père dont Salman a hérité, truffe très vivante quand on le regarde lors d'un entretien; 
avec ce 1° roman, récompensé, Rushdie a usé de la voie du réalisme magique et comme Gabriel Garcia Marquez il cite Machado de Assis (1839-1908)
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il a su prendre son pif d'éléphant comme objet littéraire (Cyrano aussi mais c'est moins drôle) avec un feu d'artifice langagier qui ne se dément pas de tout le livre puisque c'est le pif qui guide aussi la fabrication des chutneys comme c'est le pif qui sert parfois à choisir
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable

Rushdie, survivant de l'attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable

Extraits du livre de Salman Rushdie
Langages de vérité. Essais 2003-2017
traduits de l’anglais par Gérard Meudal
(Actes Sud, novembre 2022)
“La littérature n’a jamais perdu de vue ce que notre monde querelleur essaie de nous forcer à oublier. La littérature se réjouit des contradictions et dans nos romans et nos poèmes nous chantons notre complexité humaine, notre capacité à être simultanément à la fois oui et non, à la fois ceci et cela, sans en éprouver le moindre inconfort. L’équivalent arabe de la formule « il était une fois » est kan ma kan, que l’on peut traduire par « C’était ainsi, ce n’était pas ainsi ». Ce grand paradoxe se trouve au cœur de toute fiction. La fiction est précisément ce lieu où les choses peuvent être à la fois ainsi et pas ainsi, où il existe des mots dans lesquels on peut croire profondément tout en sachant qu’ils n’existent pas, n’ont jamais existé et n’existeront jamais. À cette époque où l’on vise à tout simplifier, cette magnifique complexité n’a jamais été plus importante. […] Nous vivons une époque où l’on nous somme de nous définir de plus en plus étroitement, de comprimer notre personnalité multidimensionnelle dans le corset d’une identité unique, qu’elle soit nationale, ethnique, tribale ou religieuse. J’en suis venu à me dire que c’était peut-être cela le mal dont découlent tous les maux de notre époque. Car lorsque nous succombons à ce rétrécissement, lorsque nous nous laissons simplifier pour devenir simplement des Serbes, des Croates, des Musulmans, des Hindous, alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi, l’Autre de chacun de nous et tous les points cardinaux entrent alors en conflit, l’Est et l’Ouest se heurtent, ainsi que le Nord et le Sud.”
(extrait du chapitre “Eh bien, soit, je me contredis”)
***
“Nous nous croyions, ma génération, tolérants et progressistes, et nous vous laissons un monde intolérant et rétrograde. Mais le monde est un lieu plein de résilience et sa beauté est toujours époustouflante, son potentiel toujours étonnant ; quant à la pagaille que nous avons provoquée, vous pouvez y remédier et je pense que vous allez le faire. Je soupçonne que vous êtes meilleurs que nous, plus attentifs au sort de la planète, moins sectaires, plus tolérants, et vos idéaux pourraient bien résister mieux que les nôtres.
Ne vous y trompez pas. Vous pouvez changer les choses. Ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire. Voici le moyen d’y arriver. Remettez tout en cause. Ne tenez rien pour acquis. Discutez toutes les idées reçues. Ne respectez pas ce qui ne mérite pas le respect. Donnez votre avis. Ne vous censurez pas. Servez-vous de votre imagination. Et proclamez ce qu’elle vous dit de proclamer.
Vous avez reçu ici tous les outils nécessaires grâce à votre éducation sur ce magnifique campus. Servez-vous-en. Ce sont les armes de l’esprit. Pensez par vous-mêmes et ne laissez pas votre esprit suivre des rails posés par quelqu’un d’autre. Nous sommes des animaux parlants. Nous sommes des animaux rêveurs. Rêvez, parlez, réinventez le monde.”
(extrait du discours prononcé par Salman Rushdie à l’adresse des étudiants lors de la cérémonie de remise des diplômes à l’Université d’Emory en 2015)
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020
Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020

Joseph Anton 2012, Les versets sataniques 1988, Haroun et la mer des histoires 1990, Quichotte 2020

Quichotte : Inspiré par le classique de Cervantès, Sam DuChamp, modeste auteur de romans d’espionnage, crée Quichotte, un représentant de commerce à l’esprit nébuleux et raffiné, obsédé par la télévision, qui tombe éperdument amoureux de Miss Salma R., reine du petit écran. Flanqué de son fils (imaginaire) Sancho, Quichotte s’embarque dans une aventure picaresque à travers les États-Unis pour se montrer digne de sa dulcinée, bravant galamment les obstacles tragicomiques de l’ère du “Tout-Peut-Arriver”, cependant que son créateur, en pleine crise existentielle, affronte ses propres démons.

À la manière d’un Cervantès qui fit avec «Don Quichotte» la satire de la culture de son temps, Salman Rushdie, en prodigieux conteur, entraîne le lecteur dans un «road trip» échevelé à travers un pays au bord de l’effondrement moral et spirituel. Les vies de DuChamp et de Quichotte s’entremêlent dans une quête amoureuse profondément humaine et esquissent pour notre plus grand amusement le tableau d’une époque qui n’a de cesse de brouiller les frontières entre réalité et fiction.

Exubérant, drolatique et terriblement lucide, «Quichotte» est une bombe littéraire sur fond d’apocalypse.

septembre, 2020
14.50 x 24.00 cm
432 pages

Gérard MEUDAL

ISBN : 978-2-330-13942-1
Prix indicatif : 24.00€ 

 
Joseph Anton de Salman Rushdie (2012),
lecture commencée le 8 octobre 2022
découverte de Salman Rushdie ou à peu près;
tu t'es intéressé à lui au moment des Versets sataniques sans les lire, tu as soutenu ton fils soutenant Rushdie dès 1992 avec un texte Patries imaginaires, titre repris du recueil d'essais de Rushdie, tu as commencé Quichotte et c'est tout
la fiction ne t'était pas nécessaire; à la littérature, tu préférais les essais, la pensée philosophique à l'oeuvre (Marcel Conche par exemple)
un message sur FB, récent, t'a donné l'envie de lire Joseph Anton
 
Le Prologue : Le premier merle
tu es vite dans le bain de son réalisme magique
fatwa de Khomeini prononcée le 14 février 1989, un jour de saint Valentin
attentat au poignard par Hadi Matar le 12 août 2022, exécution de la fatwa, Hadi Matar plaide non-coupable
(le premier merle qui va devenir un fléau comme dans les oiseaux de Hitchcock, un premier oiseau puis des milliers qui depuis 40 ans humilient, battent à mort, violent, tuent femmes et filles d'Iran mais aussi opposants, résistants)
ce 14 février 1989, sortie de sa maison qu’il ne reverra plus, embarqué par une voiture de la BBC qui le sauve de la nuée-ruée paparazzi
assiste à la messe en souvenir de son ami Bruce Chatwin, mort le 18 janvier 1989 à Nice…
chapitre 1 : un pacte faustien à l'envers
13 ans, Salman convainc ses parents d'aller poursuivre ses études dans un collège anglais à Rugby; les mercredis après-midis sont consacrés au sport : coups, humiliations, bizutage; Salman va voir le directeur des études, en tant qu'issu d'un pays qui s'est libéré du joug britannique par la non-violence et la désobéissance civile, à minuit dans la nuit du 14 au 15 août 1947, je demande à être dispensé de ces pratiques; accordé; et Salman de passer ses mercredis en bibliothèque
entré à Kings'college à Cambridge en 1967, il choisit en option de sa licence d'histoire, un thème proposé pour la 1° fois : Mahomet, la montée de l'islam et le premier califat; il fut le seul à le choisir, l'enseignant responsable annula le cours, Salman exigea que le cours soit maintenu (c'était la règle), trouva le professeur qui le dirigerait et c'est ainsi que pendant 3 ans, il se coltina en athée passionné par la religion de sa famille à la Récitation reçue par Mahomet; il découvrit la double version (version angélique d'abord puis version satanique) de ce qui s'appelle les versets sataniques (sourate 53), pensa que cela ferait une bonne histoire, 20 ans après il écrivait Les versets sataniques et la fatwa fut prononcée peu après, le 14 février 1989
pourquoi Mahomet attribua-t-il dans un 2° temps, les versets incriminés au tentateur alors que dans leur version première, les déesses al-Lhat, al-Uzat et al-Manna étaient des oiseaux exaltés dont l'intercession était souhaitable ?
au retour d'un 2° séjour en montagne, il revint avec cette version : "connaissez-vous al-Lhat, al-Uzat et al-Manna; ce ne sont que des noms inventés par nos ancêtres et il n'y a en eux aucune vérité. Dieu aurait-il des filles tandis que vous avez des fils ? Ce serait un partage bien injuste"
il n'y a aucune explication historique à ce revirement, peut-être pour la 1° version, un compromis avec les familles au pouvoir à La Mecque profitant des offrandes des caravaniers aux 3 déesses alors que al-lah était trop généraliste, très peu populaire, peu sollicité...
Mahomet a préféré revoir sa copie et l'exilé, le persécuté a vu sa récitation se répandre vitesse grand V parmi les pauvres, les marginalisés...et triompher des marchands, païens polythéistes
on mesure où a conduit la disqualification des femmes (exaltées, folles) en terres d'islam
(en Europe aussi au temps de l'inquisition avec la chasse aux sorcières)
Joseph Anton de Salman Rushdie
le prologue a pour titre Le premier merle, tu ne le remarques pas, puis 2, 10, 100, 1000 et là tu te souviens du 1°, c'était le merle annonciateur du déferlement du fanatisme islamique-islamiste à partir de la fatwa du 14 février 1989
9 ans de planques (56 lieux à trouver, à sa charge), de protection policière (opérations du nettoyage à sec, bon pour écrire un polar ou un livre d'espionnage) jusqu'à l'arrangement entre l'Iran et la G.B. mais pour les fanatiques fanatiques, la fatwa existe toujours et le 12 août 2022, aux Etats-Unis, où il vit normalement, discrètement (à peu près, je suppose), l'attentat au poignard par un libanais américain Hadi Matar
les 9 ans de mort aux trousses auxquels il a été soumis ont provoqué des dizaines de morts et d'explosions dans le monde (librairies surtout), des autodafés de son livre, des manifestations particulièrement agressives avec mise au feu de son pantin...
Joseph Anton est le nom qu'il a fabriqué quand la police lui a demandé de s'invisibiliser d'après Conrad et Tchekhov
voici quelques moments de cette autobiographie, parue en 2012
page 240 "l'éclat du siècle des lumières est en train de s'éteindre dit un journaliste à Günter Grass, peut-être, répondit-il, mais il n'y en a pas d'autre"
moi - universalisme des lumières relativisme culturel : le débat est toujours très vif et nécessaire
page 312 sollicité par l'institut des arts contemporains pour s'exprimer, "il (il parle de lui, l'invisibilisé, à la 3° personne) sut immédiatement qu'il avait envie d'écrire sur l'iconoclasme, d'affirmer que, dans une société ouverte, aucune idée, aucune croyance ne pouvait être protégée, mise à l'abri des défis de toutes sortes, philosophiques, satiriques, profonds, superficiels, malicieux, irrévérencieux ou corrects. La liberté supposait avant tout que la possibilité du débat soit protégé. Le lieu même de la liberté, c'était le débat et non la solution du débat, la possibilité d'attaquer même les croyances les plus chères d'autrui; une société libre n'était pas placide mais turbulente. Le bazar des opinions conflictuelles était le lieu même de la liberté. Cette idée donnerait lieu à la conférence Qu'y a-t-il de sacré ?"
moi - la référence à une société ouverte me fait penser au livre en 2 volumes de Karl Popper La société ouverte et ses ennemis qui mériterait peut-être qu'on y retourne (avant Hannah Arendt, il analyse les sources du totalitarisme, Platon, Hegel, Marx avec pour celui-ci des aspects trouvant grâce aux yeux de Popper)
le récit de Joseph Anton, extrêmement précis, lieux, noms, dates, propos, mêlant grande et petites histoires, scènes de ménage, réconciliations, séparations et anecdotes (beaucoup avec les policiers) permet par exemple de voir comment en un an la vie de l'humanité engendre bas et hauts, horreurs et sursauts, avancées et reculs : fatwa, 14 février 1989, Tian'anmen, juin 1989, chute du mur de Berlin, nuit du 9 au 10 novembre 1989, libération de Mandela 11 février 1990
mais avant il y a Nouvel-An: il le passe chez Michael Herr (l'auteur de l'extraordinaire Putain de mort) et sa femme Valérie; tous deux s'appellent Jim
"Hey Jim ? Oui Jim bonne année Jim bonne année à toi aussi Jim je t'aime Jim moi aussi Jim.
1990 arriva dans un sourire en compagnie de Jim et Jim.
Et Marianne était là aussi. Oui, Marianne, aussi"
fin du chapitre 3 L'année zéro
chapitre 4 Le piège du désir d'être aimé
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en regardant l'entretien de 28' de 2016, j'ai vu un extrait de la comédie musicale sur les versets sataniques, jouée une fois seulement aux USA
je me demande sans doute inutilement quand des artistes se saisiront chez nous des Versets sataniques pour une interprétation décoiffante, pas décapitante ?
comme je me demande inutilement pourquoi, pas le Nobel de littérature en 2022 ?
l'année 1989 fut pour lui l'année de l'écriture de Haroun et la mer des histoires, écrite pour son fils de 9 ans; le déclic eut lieu quand il écrivit : "Il était une fois, dans le pays d'Alifbay, une ville triste, la plus triste des villes, une ville si épouvantablement triste qu'elle en avait oublié son propre nom. Elle se trouvait près d'une mer lugubre remplie de poissons-chagrin..."
texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...
texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...

texte écrit par Cyril Grosse, lecteur assidu de Rushdie, Joyce, Flaubert, Tolstoï, Shakespeare, Tchekhov, Céline, Hugo, Proust ...

en immersion dans Joseph Anton de Salman Rushdie
tu écris une histoire documentée et tu te retrouves sous le coup d'une fatwa le 14 février 1989 d'un ayatolla qui n'a ni vu ni lu ton roman
te voici désigné, accusé, montré du doigt, pleins feux sur toi
le terrorisme d'état iranien et islamique ne connaît pas les frontières
t'es obligé de te mettre à l'ombre, de t'enfermer de cache en cache, dans l'incapacité de prendre la parole, de te défendre;
tu dépends d'un service de sécurité, de la solidarité de tes amis, de la versatilité de tout un tas de faux amis, de la duplicité des gouvernements dont le décisif gouvernement britannique; tu découvres les retournements de veste, les manquements à la parole; tu suis les tentatives de négociations pour lever la fatwa, confirmée année après année avec augmentation de la prime promise aux tueurs
et tu fais l'erreur de te compromettre dans une déclaration "De bonne foi" parce que tu es tombé dans le piège du désir d'être aimé (chapitre IV)
l'avenir n'est plus ce qu'il était (chapitre V)
au fond du puits, tu comprends que "le compromis détruisait celui qui l'acceptait sans pour autant calmer l'adversaire sans concession. On ne devenait pas un merle en se peignant les ailes en noir mais une mouette mazoutée qui ne pouvait plus voler." page 502
tu ne peux que remonter ou t'effondrer, remonter (apparitions publiques très sécurisées, millimétrées, chronométrées) et parfois sombrer (à la maison, mauvaise humeur, déprime, boisson)
chapitre VI Pourquoi il est impossible de photographier la pampa, Joseph Anton décide de redevenir progressivement, en fonction des évolutions, des autorisations, des refus, des invitations, le romancier Salman Rushdie, un inventeur d'histoires et de poser la question Qui doit contrôler le récit ?
"dans son Aeropagitica, Milton chantait contre les oiseaux criards - celui qui détruit un bon livre tue la raison elle-même...donne-moi la liberté de savoir, de proférer, de débattre librement, selon ma conscience, au-dessus de toute autre liberté -"
et la réponse te paraît évidente : chacun doit être libre d'écrire, réécrire toutes les histoires car tout est histoire, récit, la nation est une histoire, la famille est une histoire, la religion est une histoire et chacun vit dans ces histoires et dans ces grands mythes et chacun doit être libre de prendre à partie ces récits, de les remettre en cause pour les obliger à changer et à s'adapter aux changements de l'époque, "notre capacité à redéfinir et à refaire l'histoire de notre culture est la meilleure preuve que notre société est libre. Dans une société libre, la mise en cause des grands récits est permanente. Et c'est cette discussion qui est la liberté." page 529
coincé de toutes parts alors que déjà des centaines de morts sont à déplorer, que faire ?
"il faut être sur tous les quais pour être là quand le train arrive mais certains quais n'avaient même plus de rails devant eux; c'était juste des endroits où rester debout." page 516
convaincu que la question de la liberté d'expression est centrale pour qu'une société soit ouverte, vivante, (je renvoie à Karl Popper La société ouverte et ses ennemis), Salman Rushdie va entreprendre "son long parcours à travers les couloirs du monde entier... et ainsi après avoir provoqué du désordre, il s'opposait au désordre qui s'en était suivi et demandait aux grands de ce monde de défendre son droit à être un fauteur de troubles... car quelque chose de nouveau était en train de se produire, la montée d'une nouvelle intolérance. Elle se répandait à la surface de la terre et personne ne voulait en convenir. Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l'islamophobie... le puritanisme c'est la peur terrible que quelqu'un quelque part puisse être heureux... le véritable ennemi de ce nouvel islam n'était autre que le bonheur lui-même pages 506-508
sortir de tes caches-cachots pour des lieux publics, symboliques, c'est vivre des moments invraisemblables, par où et comment le service de sécurité te sort de la cache, par où te fait-il rentrer dans le lieu symbolique (jamais par la porte principale ouverte à tous, parfois par le vide-ordure), à quel moment tu apparais, pour l'intervention terminée, disparaître à nouveau
le moins que je puisse relever c'est l'incroyable pugnacité de Salman Rushdie, apprenant que "les idées fortes accueillaient volontiers les opinions contraires. Celui qui lutte contre nous renforce notre résistance et accroit notre habileté. Notre adversaire nous rend service."
et plus loin de critiquer le relativisme culturel, de défendre l'universalisme de certaines valeurs, le multiculturalisme comme certaines sociétés ont su le vivre
Joseph Anton, qui raconte la période vécue par Salman Rushdie, au coeur d'une tourmente d'intolérance qui va du 14 février 1989 aux attentats du 11 septembre 2001, est un livre magistral et d'une actualité toujours aussi brûlante
voir les procès qui s'enchaînent sur les attentats terroristes islamiques en France, à Paris, Toulouse, Nice et autres villes, églises, villages;
voir la féroce répression meurtrière des mollahs et "gardiens de la révolution" contre ce qui est peut-être l'irrésistible révolution des femmes iraniennes soutenues par de nombreux hommes réclamant la vie et la liberté;
à l'intolérance meurtrière et mortifère islamique, d'abord appliquée contre les femmes de ces pays "religieux"
il faut aujourd'hui ajouter la nouvelle intolérance que constitue le déferlement de la religion woke venue des Etats-Unis, effet boomerang du succès de la French theory des années 70, religion pas encore meurtrière mais ça peut venir
sans oublier l'intolérance des vieux totalitarismes du XX° siècle, fascisme et soviétisme, reconfigurés
et les ingérences-interventions planétaires de l'impérialisme américain (le plus agressif des impérialismes depuis plus d'un siècle) sous l'habile déguisement des droits de l'homme et de la démocratie.
Ne pas être dans le rejet, mais dans le combat par le débat. Entendre les arguments souvent fallacieux style novlangue, inversion de la réalité, les démonter, ridiculiser, moquer et être ferme sur les principes universels, s'il y en a (pensons à l'héritage à contre-temps de Lévi-Strauss). Cela ne convaincra pas les fanatiques. Seuls les rapports de forces économiques, politiques, juridiques... décideront des issues des confrontations
Bref, "il n'y aura jamais assez de larmes pour que le monde change." Godard
Il change pourtant, très vite et nous sommes paumés, tentés par la frilosité, menés par les peurs.
une telle note de lecture (sur Le cartographe de l'absence de Mia Couto) résonne pour moi particulièrement avec le Joseph Anton de Salman Rushdie, contextes différents mais même interrogation pourquoi écrire des histoires ?
dans le chapitre VII une cargaison de fumier, je retiens quelques citations :
"la politique mondiale, le grand jeu malpropre, finissait toujours par se retrouver dans cette demeure relativement petite où un gros homme rose dans un bureau ovale tranchait à coups d'affirmations et de négations en dépit du bavardage assourdissant de ses conseillers qui ne cessaient de l'assommer avec leurs "peut-être".
"il s'obligeait à repenser aux règles les plus importantes qu'il s'était lui-même fixées. Ne jamais accepter la description de la réalité que donnaient les responsables de la sécurité, les hommes politiques et les prêtres. Insister au contraire sur la valeur de ses propres jugements et de son instinct.
Il était peut-être un "mort en sursis"... mais lui aussi referait le voyage depuis Le Livre des morts vers "l'éblouissant livre de la vie".
et page 611, je vous laisse découvrir sa déclaration quand il est élu président du Parlement international des écrivains à Strasbourg en 1994, déclaration insistant sur le territoire des langues et des littératures, infiniment plus vaste, plus imaginatif, plus créatif que toute puissance terrestre politique, économique, militaire, déclaration qui fut à l'origine de l'idée réalisée des villes-refuges (une trentaine de par le monde) pour les écrivains pourchassés, exilés ... les maires des villes pouvant plus aisément que les gouvernements pris la main dans le sac entre défense d'un principe et accords commerciaux, mettre à disposition un logement et une bourse

lecture des 915 pages achevée le mardi 8 novembre 2022 (1 mois)

pour des lecteurs entre 50 et 90 ans, ce livre citant lieux, noms avec précision renvoie à beaucoup de noms et de lieux connus; nous sommes à peu près en territoire connu surtout en ce qui concerne les hommes et milieux politiques sauf que nous entrons dans le coeur des pouvoirs; peu d'hommes d'affaires dans cette auto-biographie, sauf des éditeurs, distributeurs, beaucoup d'hommes de l'ombre des services secrets, des services de police, des hommes publics en vue mais vus dans une relative intimité, des portraits au vitriol ou comiques; Derrida, Chirac, Balladur, sauf Mitterrand, sans oublier Clinton, Thatcher, Blair (sa lettre à Tony Blair après sa réception à Chequers est d'une insolence particulièrement bien tournée, pages 780-783); on fait  le tour du monde des capitales européennes, américaines du sud et du nord, d'Afrique du Sud, d'Australie, en Inde à la fin où il revient; on est même invité par le comité Nobel (1992, pages 528-530) qui n'a toujours pas en 2022 attribué le Nobel à Rushdie, on déjeune avec les Nobels et on emporte la pièce d'or servant à payer le repas; on montre de quoi on est capable pour obtenir gain de cause contre les "pontes" du secret et de la sécurité

si vous faites cela, vous n'aurez pas le beau rôle lui dit-on mais vous savez vous non plus;  si vous laissez la lecture avoir lieu, aucun de nous deux ne perd la face, si vous l'interdisez, nous la perdons tous les deux, à vous de choisir

et la lecture est autorisée; il se comporte comme L'Innommable à la Beckett : je ne peux pas continuer, je continue

son désir et sa volonté de retrouver une vie libre, libérée des contraintes et consignes, des autorisations et interdictions, de cache en cache en passant à l'offensive par l'écriture, c'est-à-dire la liberté d'expression, d'imagination en acte (par exemple l'écriture en état d'anticipation de Furie qui sort le 11 septembre 2001) donc par l'édition, donc par la promotion, les lectures publiques et non par la défense abstraite de l'idée de la liberté d'expression, finissent par progressivement porter leurs fruits, cela avec beaucoup d'argent en jeu (les caches sont à ses frais, les déplacements aériens sécurisés donc privés aussi); on comprend  qu'au contrat dont il est l'objet, il répond par des exigences contractuelles envers ses éditeurs et diffuseurs (il lui faudra 5 ans pour obtenir la parution en poche de l'édition anglaise des Versets sataniques);

se libérer, se montrer c'est aussi en montrant qu'il n'a pas peur, inciter chacun à ne pas avoir peur, à vivre malgré tout comme on a envie de vivre; vous ne m'aurez pas à la peur; vous ne m'aurez pas à la haine; vous n'aurez pas ma haine

ou dit autrement, en me montrant comme écrivain face à mon public, je réfute en acte la posture de victime d'une fatwa pour les laïcs, la posture de blasphémateur d'une religion pour les fanatiques, deux impostures qui me sont imposées, l'une devant pourtant combattre l'autre

il apprend à travers des vacances régulières et déplacements non sécurisés aux USA, à apprécier ce pays et décide de s'y installer tout en conservant un pied à terre en Angleterre

cette période de 1989 à 1998 puis 2001 est bien sûr chaotique du point de vue personnel, affectif, sentimental mais en sachant que "le bonheur s'écrit à l'encre blanche sur des pages blanches" Montherlant

c'est la séparation et le divorce avec Marianne, la rencontre d'Elizabeth, la naissance de son second fils, Milan, leur mariage, les hauts et bas de leur histoire (elle veut rester en Angleterre, il veut vivre aux Etats-Unis), leur divorce difficile, leur réconciliation ensuite et l'amitié durable, le souci de l'éducation de son premier fils, Zafar, qu'il a eu avec Clarissa,  et qui perd sa mère d'un cancer en très peu de temps, l'aventure d'une nuit avec Caroline L. (elle est nommée, je ne le révèle pas), la rencontre avec L'Illusion au pied de la statue de la Liberté lors d'une fête somptueuse donnée par Harvey Weinstein (je vous laisse le soin de faire le people sur internet) et la vie avec L'Illusion dont il se séparera au bout de 3 ou 4 ans

cette autobiographie publiée en 2012 lui a permis de tourner la page de ces 10 ans, elle n'a pas empêché un fanatique de le poignarder en août 2022, il a perdu un oeil et l'usage d'une main (révélations datant d'octobre 2022) sans connaissance encore des séquelles des autres blessures, il se remet doucement dans le plus grand secret

il a eu le temps de faire paraître un ensemble d'essais Langages de vérité, chez Actes-Sud, le 2 novembre 2022, jour des défunts

en conclusion, je suis très content d'avoir renoué avec la fiction, ici l'auto-fiction

j'ai senti plus d'une affinité entre Joseph Anton et mon propre récit Et ton livre d'éternité ? alors que ma méconnaissance de Rushdie était quasi-totale

vies et mondes parallèles par exemple, pages non paginées 

ou le récit pages 315-338 : 

11 septembre 2001 / Frappe au Cœur du Monde / Le tayrorisme 

une différence notoire, tout de même; Rushdie traite tous les gourous indiens de charlatans (évidemment il ne cite personne, sinon, il se ridiculiserait : Tagore, Krishamurti, Ramana Maharshi, Sadhguru, Gandhi, Deepak Chopra, Eckart Tolle, Bruce Lipton...);

ce n'est pas mon cas; depuis 2019 j'ai lu énormément, suivi des master-classes mais avant j'avais déjà de l'intérêt sans que j'y attache d'importance (Krishnamurti lu très jeune, yoga, qi jong)

lui crée des passerelles entre modes très anciens de narration et monde moderne allant de plus en plus vite (si internet avait existé en 1989, la fatwa aurait provoqué un raz de marée, le basculement eut lieu en 2001; Google est créé en 1998) mais il n'y a pas eu chez lui le signal d'un éveil spirituel

il a formidablement géré sa situation d'exilé, de séquestré, en y intégrant les siens, ses proches, avec rigueur, droiture, honnêteté, humour mais son logiciel reste un logiciel de dualité;  même s'il refuse de décréter ceci c'est le bien, cela c'est le mal, ses valeurs, ses principes, universalistes, humanistes sont valeurs et principes d'une aire civilisationnelle s'étant imposée au reste du monde et de plus en plus massivement contestée, doublement contestée (par d'autres puissances, empires et par l'éveil spirituel, la métamorphose intime de plus en plus de gens)

la dimension spirituelle c'est la découverte et la pratique du travail sur soi, d'accueil de tout ce qui nous habite ombres (avec la lumière de l'outre-noir offerte à Pierre Soulages, et celle renvoyée par les trous noirs) et lumières (voir en infra-rouge et en vision normale, infra-rouge pour les guerriers, normale pour les normaux plutôt aveugles, aveuglés, voir en myope ou en presbyte, voir en regard éloigné ou en regard d'actualité...), de tout ce qui nous traverse (nous sommes des passants et des passeurs de ce qui nous dépasse, ne serait-ce que ce que nous appelons le temps : c'est quoi vivre son temps, vivre contre son temps, vivre l'impossible aujourd'hui ?) et le remplacement du vide incréé dont il parle une fois page 722 par le vide créateur, la transformation de la dualité (même sous le nom de l'unité des contraires héraclitéenne) en expérience de la non-séparation, de l'intrication, de l'effet papillon, de la masse critique faisant passer de la chenille urticante au papillon), expérience de l'Unité, du Un, du Soi

c'est à 80 ans que "ma" métamorphose a eu lieu, il en a 75, il a encore le temps, je le lui souhaite

dernière remarque et pas des moindres: le vide de l'incréé; il évoque la naissance de Milan, son deuxième fils; Elisabeth est atteinte de translocation chromosomique; bonheur, la première grossesse est viable (le hasard, une chance sur deux), voilà une façon très matérialiste de parler, réductrice,  scientiste; elle veut plusieurs enfants, deuxième grossesse, échec, fausse couche; elle renonce, il n'y aura que Milan

autre façon de faire récit, créant une autre réalité : et si la Vie - on peut dire aussi l'Amour - force cosmique -, si une âme en attente, avait choisi de s'incarner en Milan qui rendra l'âme hors, l'âme or quand sa mission de vie sera terminée 

 

une citation d'Albert Camus et deux autres d'Eckhart Tolle
1- Quoi que nous fassions, la démesure gardera toujours sa place dans le coeur de l'homme, à l'endroit de la solitude. Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n'est pas de les déchaîner à travers le monde; elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres. 
2- Les conflits dans le monde sont le miroir de nos conflits intérieurs non résolus.
Eckhart Tolle :
Au lieu de se demander « qu’est-ce que je veux de la vie ? », une question plus puissante est : « qu’est-ce que la vie veut de moi ? »
Rushdie parle de bonheur, il voit bien que ce sont de petits moments, de rares moments, et dont le prix est dans la réponse à la question : "jusqu'à quelle cruauté était-il prêt à aller pour poursuivre son bonheur personnel ?" page 850
page 644, il écrit : "la vie humaine prenait rarement une forme logique, elle n'avait de sens que par moments, ses maladresses étaient la conséquence inévitable de la victoire du fond sur la forme, du quoi et du quand sur le pourquoi et le comment."
pour que l'inverse prenne forme, pour que pourquoi et comment soient plus puissants que quoi et quand, il faut renoncer à une vision de la vie selon le hasard, les aléas de l'existence
on va du miracle de la naissance au mystère de la mort au travers d'épreuves nécessaires pour que nous puissions nous libérer de schémas répétitifs acquis dès avant la naissance et venus d'héritages familiaux, sociaux, civilisationnels qui nous font agir en état d'hypnose individuellement et collectivement au prix de grandes violences, de morts par millions (pensons aux deux guerres mondiales du XX° siècle)
page 841, il en a conscience en écrivant : "le schéma de sa vie amoureuse continuait à se répéter." mais il ne va pas plus loin
j'ai tenté après le livre d'éternité de faire le point dans le carnet l'amour de la vie
 
 

extrait  de Et ton livre d'éternité ? de JC Grosse et Vita Nova

pages 237 à 240 

*** note d’un chercheur :

chercheur en cherchologie, qu’est-ce ? Il s’agit d’un discours et d’une pratique visant à valider le travail du chercheur. Le travail du chercheur peut porter sur lui, il cherche le sens de la vie, le sens de la mort, il cherche le bonheur, il cherche des pièces de monnaie dans le sable, il cherche le graal, il cherche à se résilier, à se détruire, à se réaliser, à s’élever, à faire chier le monde, à dominer. Tout existe, vertus, vices, perversions, variétés des positions, des pratiques de n’importe quoi. Tout existe en nombre indéfini, incommensurable mais fini. L’infini n’est ni pour l’univers ni pour la terre ni pour la connerie. L’infini c’est la matrice qui engendre le fini. Nous sommes êtres finis, êtres de finitude, êtres de finité.

Le chercheur peut être humble dans sa cherche, il peut être hubrique, lubrique, brique. Bref, chaque chercheur est unique et sa cherchologie lui est personnelle, n’est nullement scientifique, objective. L’objet de sa cherche peut lui être extérieur, curieux qu’il est du monde, de tel ou tel illustre personnage, de telle ou telle belle anonyme.

Je suis donc chercheur en révélations sur Celui qui parfois se fait appeler Lui, qui parfois dit Je, hyérosolymitain d’Avers sous les eaux depuis le Déluge, d’Avers sur les eaux et de Corps Ça Vit, celui qu’on appelle communément J.C.

Pourquoi m’a-t-il tapé sur le système sympathique, celui du stress et des sentiments négatifs ? Parce que je sens dans sa volonté d’invisibilité, dans sa pratique du bénévolat un insatiable désir de reconnaissance faciale par les caméras urbaines installées dans le village qu’il prétend aimer.

Une étudiante en cherchologie, dents longues, se demande si j’ai des informations sur ce qui a poussé Lui-Je à écrire ces romans. La cherchologie ne peut exister que par l’existence de traces. Tout laisse trace et comme le passé ne s’efface pas, il est possible de retrouver des traces de tout ce qu’a vécu un vivant, traces matérielles mineures, genre déchets, rebuts, traces matérielles majeures, genre monuments, œuvres. C’est par l’interprétation subjective de ces traces matérielles qu’éventuellement on approche de l’âme : la sienne ou celle de l’ autre. Evidemment, faire parler les traces, c’est les faire parler au présent et du point de vue du chercheur. Aucun chercheur ne fait parler les traces en vérité. Tout chercheur falsifie donc en fonction de ses orientations conscientes et inconscientes. Il s’agit d’une pratique généralisée de la projection. Les chercheurs n’élaborent aucun savoir. Le travail d’un chercheur ne vaut que pour lui.

J’ai effectivement essayé de savoir ce qui avait conduit Lui-Je à écrire ce roman (fresque, épopée ?). J’ai découvert qu’il a suivi douze leçons gratuites de contentologie, douze leçons offertes par un contentologue sur comment écrire un roman. La contentologie c’est l’art d’être content par l’écriture. C’est aussi l’art de se contenter de ce qu’on est, de ce qu’on a, l’art donc de se résilier selon le neuro-psychiatre bienveillant, résilient et résistant des hauts-plateaux, Boris Cyrus de Niq.

Je soupçonne Lui-Je de se faire une cure de contentologie.

J’espère pour toi, lectrice, lecteur, étudiante en cherchologie que vous n’abandonnerez pas vos lectures après ces révélations.

Avouons-le : le roman de Lui-Je est particulièrement chaotique. Mais qu’à cela ne tienne, du chaos peut naître un nouvel ordre. Un ordre ancien s’effondre (ça dure, ça dure), chaos, un ordre nouveau émerge (ça dure, ça dure). Personne ne peut prédire la durée et les formes d’un effondrement, la durée d’un basculement et les formes d’une émergence. Personne, nihistorien, ni philosophe pré-socratique, ni scientifique nobélisé ne peut dire si ordre-chaos-ordre, c’est un cycle ou si c’est aléatoire, stochastique...

On peut dire que chaque chercheur trouvera dans ce roman ce qu’il y mettra.

Les rubriques de Sa vie antérieure se présentent selon un ordre chronologique concernant soit des périodes soit des événements. C’est un choix classique de construire sa vie antérieure, sa biographie, de façon chronologique. Sauf que Sa vie antérieure est une chronologie particulièrement trouée ou mitée. Aucune volonté de faire de sa vie antérieure, un tout, cohérent ou expression des hasards de sa vie. Sa vie antérieure par ses dites et redites semble moins le récit objectif (impossible, tout récit de vie étant une fiction, biographie fictionnelle ou fiction biographique) de sa vie que le miroir que se tend Je-Lui pour rendre sensible, perceptible son incommensurable commerie.

En montrant l’insistance dans ses « analyses » du monde, des bruits du monde à tel ou tel moment, des sempiternels lieux communs perroquetés cacatoétés par tout un chacun, croyant émettre une « analyse » personnelle, ne cherche-t-il pas à disqualifier l’indéfini bavardage commentant l’actualité.

On parle, on commente, on se croit personnel, original, on perroquette, on cacatoète.

Silence donc sur les bruits du monde. Parasitage universel, global dont les fonctions et effets sont la commerie, cette aptitude à faire comme, en croyant être singulier.
Sa vie antérieure est donc peut-être ce qui a permis à Lui-Je de se retourner, de retourner son regard vers l’intérieur, vers lui, vers qui suis-je ? Son nombril dit sa fille qui l’adore. De gagner en liberté intérieure en renonçant à toute « analyse », à toute « action » sur le monde. De renoncer par le silence au pouvoir dérisoire du faire et de gagner à être qui Je Suis. Cette libération du perroquetage, cacatoétage lui a demandé 60 ans.

Sa découverte récente de l’hypnose quantique (au sens de préfères-tu l’état ou le mouvement, la fixité ou la fluidité) lui a donné un outil fabuleux pour se reprogrammer. Tu es en colère contre le gouvernement. Tu ressens cette colère. Qui ne changera rien à l’état du monde et te rongera le foie. Hop, un pas de côté : Je suis en colère ou pas. Alors un deuxième pas. Je suis en colère ou pas. Ou pas. Tu sais plus dans quel état t’es. Ta colère s’est dissoute. T’es dans la mouvance de la vie, dans l’impermanence de tout « état ».

Il a même perfectionné l’outil. En changeant le temps du verbe. Je suis en colère, j’étais en colère, je serai en colère ou pas. Ou pas. En dansant le tango, il obtient des résultats pareils : ne pas rester dans un état morbide, une émotion négative, un sentiment paralysant. Pas de médoc.

De l’auto-suggestion, de la méthode Coué ridiculisée par le grand nombre mais si efficace quand on sait s’en servir pour prendre de la distance par rapport à soi comme et se trouver soi-s’aime.

*** note de l’auteur : la note du chercheur a été écrite alors que je n’avais pas encore décidé de la forme à donner à Sa vie antérieure. Le matériau était là. Me manquait la forme. C’est en lisant qu’on devient liseron. C’est en lisant les lignes suivantes que j’ai opté pour vies parallèles.

Les vies que nous n’avons pas vécues, les êtres que nous n’avons pas aimés, les livres que nous n’avons pas lus ou écrits, ne sont pas absents de nos existences. Ils ne cessent au contraire de les hanter, avec d’autant plus de force que, loin d’être de simples songes comme le croient les esprits rationalistes, ils disposent d’une forme de réalité, dont la douceur ou la violence nous submerge dans les heures douloureuses où nous traverse la pensée de tout ce que nous aurions pu devenir. Pierre Bayard, Il existe d’autres mondes. (Les Éditions de Minuit, 2014)

La physique quantique en révélant l’intrication, la superposition d’états des particules dont nous sommes composées nous invite à prendre en considération cette dimension d’états indéterminés, existant potentiellement et dont un devient réel par le simple fait de la présence d’un observateur. Je suis donc observateur et co-créateur des univers que j’observe et crée. Dans le même temps, les autres univers, les univers potentiels ne sont pas abolisbibelots.

À lire : La Théorie quantique (paru fin mai 2021) de John Polkinghome, physicien théoricien de Cambridge et père anglican. « J’ai personnellement appris la mécanique quantique directement de la bouche du cheval, de la source, de Paul Dirac qui l’enseigna 30 ans durant à Cambridge. Dirac prit un morceau de craie, le brisa en deux, plaça un des fragments d’un côté du pupitre, l’autre de l’autre côté. Dirac dit alors que pour la physique classique, il y a un état où le morceau de craie est « ici » et un état où le morcaeu de craie est « là ». Ce sont les deux seules possibilités. Si on remplace le morceau de craie par un électron dans le monde quantique, il n’y a pas seulement des états « ici » et « là » mais aussi toute une série d’autres états qui sont des mélanges d’un peu de ces possibilités, un peu d’ « ici », un peu de « là » qui s’ajoutent alors que dans la physique classique, ces deux états s’excluent mutuellement. Cette nouvelle possibilité est appelée le principe de superposition. » p.34

Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits
Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits

Furie sorti le 11 septembre 2001 qui sera lu comme le New York du 10 septembre, avant le basculement du monde; le livre dont Rushdie est le plus content, parce que le plus surréaliste avec mondes parallèles... c'est Deux ans, huit mois et vingt huit nuits

La furie s'est emparée du monde, de New York, du professeur Malik Solanka. Ce dernier a fui l'Angleterre, laissant derrière lui une femme et un enfant, et s'est établi à Manhattan pour « se déprendre et se refaire » . Mais recommencer de zéro est tout un art quand on est poursuivi par des spectres, des furies, des souvenirs. Délaissant l'histoire des idées qu'il enseignait dans le Vieux Monde pour la fabrication d'étranges poupées pensantes aussitôt médiatisées, Solanka découvre que d'autres poupées, de sang et de chair celles-ci, subissent la colère d'un mystérieux assassin, le Tueur au panama. Gravitant autour du Professeur, des femmes aussi ingénieuses que belles vont tenter de sauver Solanka de cette furie qui le dévore de l'intérieur : la mystérieuse Mila et ses jeux érotiques à la limite du pervers, et la somptueuse Neela, la plus belle femme du monde, qui se sacrifiera au bout de la planète pour que Solanka puisse retourner chez lui.

Quand il advient – tous les quelques siècles – que se brisent les sceaux cosmiques, le monde des jinns et celui des hommes entrent momentanément en contact. Venue une première fois sur terre au xiie siècle, Dunia s’est éprise d’Ibn Rushd (alias Averroès), auquel elle a donné une innombrable descendance dotée de l’ADN des jinns. Lors de son second voyage, neuf siècles plus tard, les jinns obscurs ont décidé d’asservir la terre. Pour assurer la victoire de la lumière sur l’ombre, Dunia s’adjoint le concours de quatre de ses rejetons et réactive leurs pouvoirs magiques afin que, pendant mille et une nuits (soit : deux ans, huit mois et vingt-huit nuits), ils l’aident à affronter un ennemi répandant les fléaux du fanatisme, de la corruption, du terrorisme et du dérèglement climatique…
Inspiré par une tradition narrative deux fois millénaire qu’il conjugue avec la modernité esthétique la plus inventive, Salman Rushdie donne ici une fiction époustouflante et saisissante d’actualité.

Langages de vérité : Dans ce recueil d’essais, articles et autres discours écrits sur une période de dix-sept ans, Salman Rushdie se fait historien, conteur, ami et critique de ses auteurs favoris, mais aussi guide pour écrivain en herbe. Ainsi navigue-t-il entre origine des contes et de la littérature, cours magistral d’écriture, anecdotes sur l’évolution d’une œuvre à travers les âges ou sur les liens entre tel et tel auteur, et analyse de ses propres romans. *Langages de vérité* jette une lueur sur “l’atelier poétique” de l’auteur, sublime caverne d’Ali-Baba. Réunis pour la première fois, ces textes entonnent un puissant hymne à la création et à la liberté de créer, dans un monde où la liberté d’être soi-même (quoi que cela recouvre) est de plus en plus menacée.

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Beauté j'écris ton nom / Serge Rezvani

Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #amour, #ateliers d'artistes, #notes de lecture, #pour toujours, #poésie, #vraie vie, #écriture

couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis
couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis
couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis
couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis
couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis

couvertures / Eluard sculpture en bronze d'Ossip Zadkine, sur la jambe, quelques vers du poème J'écris ton nom Liberté, au musée Paul Eluard de Saint-Denis

note de lecture sur Beauté j'écris ton nom de Serge Rezvani achevée à 00 H 00 ce 25 juin 2022
- voilà un récit polyphonique par la diversité des tons au gré de la plume avec pauses, distanciation quand le vieil homme se relit avec un sourire amusé
(lire donc aussi avec sourire amusé, le récit amusé du vieil homme, ce qui veut dire ne pas le prendre au pied des mots, il y a de la pose, de la posture et nécessairement de l'imposture; dans mon esprit, ce terme n'est nullement péjoratif ni dépréciatif; dès qu'on se met en mots ou en image, on se pose, s'impose, se fige; la vie va ailleurs)
- voilà un récit à strates, à boucles (on ne peut rajouter l'adjectif quantique, Rezvani voyant, nous voyant, se voyant  comme biologie, évolution génétique, matérialiste, déterministe ; il ne semble pas savoir, pouvoir aller jusqu'à une approche quantique, indéterministe de l'Émergence)
- un récit où on peut lire
des pages de Lula,
des pages-sédiments du Rezvani des années d'avant 50 à Paris quand il se marie avec Eva la suicidaire,
puis des années 50 avec Lula (venue à lui par sa peinture - le tableau fétiche de Lula L'oiseau du Mexique - et qui vécurent leur amour-fusion pendant 50 ans à La Béate)
puis des pages de 2007 dans la maison bleue de l'actrice adulée, en fin de carrière, et malade, sur la falaise de Bonifacio
et des pages de 2020 dans la maison-jardin en contre-bas qu'ils (lui le vieil homme amoureux et l'actrice amoureuse tentant d'approcher l'indicible de Lula, de s'approprier Lula) ont bâti à l'image de La Béate dans les Maures et où l'actrice retrouve sa nature de paysanne corse à même la terre,
- où sans arrêt Rezvani passe du jeune-peintre-de-16-ans au vieil homme-tout-en-un de 93 ans, avec son sourire amusé, sa mélancolie, sa tristesse, sa nostalgie
- ce récit constitue une contre-histoire personnelle de l'histoire de l'art dit contemporain parce que pour Rezvani et dès ses débuts l'acte de peindre est l'oeuvre des libertés de la main du peintre.
Oui, vraiment, avec Rezvani, on est ailleurs, du côté de l'absolu (mot qu'il n'emploie pas), quand c'est le tableau peint par la main des libertés du peintre (venues de très loin, de très profond, à la fois de l'inconscient, du subconscient personnel, de l'inconscient collectif et d'une histoire de l'art pluri-millénaire) qui regarde le peintre.
- Voilà un récit particulièrement riche, iconoclaste, à se prendre plein de claques remettant en cause, en ce qui me concerne, certaines références, "connaissances".
- Rezvani décrit de façon impitoyable le monde des marchands d'art, annonce clairement, non notre effondrement mais notre transformation en bio-masse où comme dans les fourmilières, termitières, il n'y a que la fonction qui compte, rendant indestructible la colonie, unicité et singularité étant éliminées. 
(bémol pour moi : je pense qu'un changement de paradigme est en cours, que de plus en plus de gens, de groupes se rendent compte de l'absurdité, du vide de sens  de la vie urbaine, virtuelle, optent pour des aventures humaines, signifiantes en solo ou en collectifs, en rhizomes, en hybridation avec une dimension spirituelle à rebours de ce qui nous tue: le consumérisme, le trop plein pour faire le vide, retrouver la plénitude créatrice du vide qui fait le vase, optant pour un "travail sur soi" d'élévation, de compassion, de solidarité, de mains dans la terre, la matière, de liens et connexions avec la nature, la VIE = vibrations, informations, énergies)
- Même s'il ne veut pas être anecdotique, les rencontres qu'il fait du Diable collectionneur d'Anvers ou  de Charles Michelson sont particulièrement évocatrices et on comprend qu'avec Duchamp et compagnie, on a rompu comme il dit la chaîne dont parlait Cézanne, la chaîne de la vraie-réelle histoire de la peinture, non déconstruite, non abstraite, non moderne parce que portée par une tension, l'art comme tension annonciatrice de Beauté, dépassement de l'homme du meurtre (le récit de son meurtre de la raie pastenague au cap Lardier alors miné par les mines allemandes est comme un exorcisme) par l'Homme (Nietzsche ?)
 
Je me suis imaginé qu'il pourrait y avoir une manifestation à inventer entre le très étonnant musée Paul Eluard de Saint-Denis, lieu magique, ancien couvent de carmélites et Rezvani, graveur sur bois du poème d'Eluard, annonciateur de la rencontre de Serge et Danielle, la solitude artistique à deux.
 
- Mais l'essentiel de ce récit en méandres lents (rien du tourbillon de la vie ou de la mémoire qui flanche, sauf le temps d'une chanson, le temps d'un rire prolongé et partagé) c'est l'émergence des significations profondes de ce qu'il a vécu, de ce que l'attendu lui a réservé (ou pas) comme de ce que l'inattendu lui a offert, à l'image de ce que dit la coryphée à la fin de la Médée d'Euripide : 

LA CORYPHÉE

De maints événements Zeus est le dispensateur dans l'Olympe. Maintes choses contre notre espérance sont accomplies par les dieux. Celles que nous attendions ne se réalisent pas; celles que nous n'attendions pas, un dieu leur fraye la voie. Tel a été le dénouement de ce drame.

- pour comprendre le geste inouï de son abandon par sa mère juive russe pour le confier, circoncis à 9 ans à une institution juive américaine ce qui le sauve du camp quand sa mère, cancéreuse, charcutée y mourra, il lui faudra sa vie entière
et donc vivre sa vie dans ce sentiment d'abandon avec tous les effets en lui, dans son corps, dans sa sauvagerie, sa sexualité, sa solitude extrême, sa timidité, son refus de se mettre en avant, sa confiance instinctive dans l'intelligence du coeur (il n'emploie pas le mot mais aujourd'hui, ce langage parle à ceux qui ne dévient pas de leur axe, même s'il ne semble pas très visible ou perçu)
- une vie aussi pour saisir l'empreinte ineffaçable de celle qui lui a donné l'amour de la vie et du féminin par ce que j'appellerai son amour inconditionnel (mot qu'il n'emploie pas non plus mais qui parle aujourd'hui à nombre de gens) pour lui, pour le monde qu'ils se sont créés, se mettant au centre de l'univers, centrés égoïstement (mot à prendre en très bons termes, pas comme dénigrement, jugement moral dépréciateur) sur leur bonheur où tout est mis à sa place, apprécié, où sont aimés, soignés oiseux, plantes... la Femme-toutes-en-une, Lula, Lula qui avait le don d'être l'artiste originale d'elle-même, eux deux-un faisant de la vie, de leur vie une-à-deux une oeuvre d'art, vivante, ludique avec chansons en particulier, chansons de l'instant, pour l'instant, ceci, paradoxe, n'ayant été possible que dans et par leur dèche, leur acceptation débrouillarde de la vie au jour le jour sans trop d'appréhension du lendemain
- mais hors de ces présents (aux deux sens du mot) de félicité chantée, rieuse, joyeuse, dans l'atelier derrière la maison, Serge redevenait peintre, peintre  de peintures cauchemardesques comme en contre-point de l'idylle sans cesse renouvelée, de félicités en félicités, contre-point nécessaire, hérité du passé détraqué qui l'avait détraqué et de l'époque de Nagasaki, de la guerre du VietNam...
 
- mais comme un dieu (mot non employé par Rezvani) ouvre la voie à l'inattendu, l'inattendu sait réserver, proposer des surprises, des coïncidences,
- c'est l'ultime amour qui permet de voir enfin le dessin qui s'est dessiné dans le tapis de la vie avec la création de ce jardin en bas de la falaise où les deux vieux amants sous l'influence fantômatique de la morte sans cadavre que fut Lula en fin de vie redoublent avec des nuances, des différences mais dans les mêmes couleurs les années Lula
- ainsi Serge peindra quatre toiles de l'actrice dans sa nudité divine, pour exalter sa fascination du féminin face au levant sur la mer, face au midi sur la mer, face au couchant sur la mer et face à la nuit sur la mer, la vie en boucles, la vie en cycles, la vie en saisons, la vie en peintures, en écritures, en chansons pour l'actrice à la si belle voix. 
- ça donnera Pour une philosophie du jardin, 2019 : Evoquer le jardin, c'est descendre à l'être des choses, privilégier le détail sur l'ensemble, la fleur sur le massif, aller au coeur de la fleur, avec ses étamines, son pollen d'or fin, les délicates nervures de ses pétales retroussés, alors qu'une abeille aux besaces alourdies de cet or, pareille à un minuscule hélicoptère bourdonnant, descend d'un vol vertical se reposer quelques secondes sur la plage colorée du calice qui semble s'entrouvrir exprès pour elle. Une symphonie du jardinier poète Rezvani. L'amour du jardin, de la nature, de la Corse. De l'amour tout court.
 
- il me tarde de voir le film réalisé par Mireille Dumas avec le sacrifice artistique par le feu d'une centaine de toiles regardant et le peintre et les "spectacteurs" tendant vers la Beauté
 
merci Serge Rezvani d'oser être pluri-indisciplinaire
comme le fut mon ami, le philosophe Marcel Contre, pensant le devenir grec de la philosophie et l'infini de la Nature (dont j'ai édité une dizaine de livres) décédé à un mois de ses 100 ans, le 27 février 2022 (né le 27 mars 1922),
comme je pense l'être moi-même avec mes presque 82 ans
pour ma part, après le livre d'éternité, né de la question de l'épousée : je sais que je vais passer, où vais-je passer ? c'est à un nouveau défi que je suis convié, toujours par une remarque de l'épousée : il y a un morceau de Sylvain qui se balade quelque part
c'est une remontée inattendue d'une des dernières paroles d'Annie, le 29 octobre 2010 chimérisme foetal-maternel ?
attendant Sylvain, c'est Katia qui est arrivée 
jusqu'à ce que Magali B. me mette le nez dessus, le 21 mars 2022 : mais peut-être ils étaient deux ?
21 mars, jour du printemps, jour de Nowruz, de sainte Clémence (morte le 21 mars 1176), de la trisomie 21, pour l'élimination de la discrimination raciale (quelle légèreté une journée pareille)
vrai ou faux, impossible de trancher 
donc le défi des prochains mois, retourner dans le ventre porteur d'Annie et écrire la légende des jumeaux Sylvain (s'il vînt, il ne devait pas venir, avais-je répondu) et Katia (bien là)
que s'est-il passé entre eux ?
ça me permettra de me repencher vraiment sur son berceau
une boucle à l'envers, de la mort comme mystère, passage, pas-sage, l'âme-hors à la conception comme mystère, miracle, émergence de la vie, âme s'incarnant, aimer animer
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle
Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle

Rezvani et Danièle-Lula / l'actrice peinte par Serge regardant Veermer peignant son modèle

 
je pense que le Musée Paul Eluard de Saint-Denis devrait s'emparer de la rencontre entre Eluard et Rezvani en 1947 pour l'illustration par bois gravés du poème Elle se fit élever un palais
(poème annonçant - mais il ne s'en est rendu compte qu'après coup - la rencontre de Serge et de Danièle à Paris, elle avait 18 ans, avant la fuite dans les Maures, pendant 50 ans, Éclipse et disparition comprises avec la maladie d'Alzheimer)
 
Un taillis de nuages sur un rond-point solaire
Un navire chargé de paille sur un torrent de quartz
Une petite ombre qui me dépasse
Une femme plus petite que moi
Pesant autant dans la balance des pygmées
Qu'un cerveau d'hirondelle sur le vent contraire
Que la source à l'œil vague sur la marée montante
Un jour plus loin l'horizon ressuscite
Et montre au jour levant le jour qui n'en finissait plus
Le toit s'effondre pour laisser entrer le paysage
Haillons des murs pareils à des danses désuètes
La fin maussade d'un duel à mort où naissent des
retraites des bougies
La mise au tombeau comme on tue la vermine
Rire aux éclats une palette qui se constitue
La couleur brûle les étapes
Court d'éblouissements en aveuglements
Montre aux glaciers d'azur les pistes du sang
Le vent crie en passant roule sur ses oreilles
Le ciel éclatant joue dans le cirque vert
Dans un lac sonore d'insectes
Le verre de la vallée est plein d'un feu limpide et
doux
Comme un duvet
Cherchez la terre
Cherchez les routes et les puits les longues veines
souterraines
Les os de ceux qui ne sont pas mes semblables
Et que personne n'aime plus
Je ne peux pas deviner les racines
La lumière me soutient
Cherchez la nuit
Il fait beau comme dans un lit
Ardente la plus belle des adoratrices
Se prosterne devant les statues endormies de son
amant
Elle ne pense pas qu'elle dort
La vie joue l'ombre la terre entière
Il fait de plus en plus beau nuit et jour
La plus belle des amantes
Offre ses mains tendues
Par lesquelles elle vient de loin
Du bout du monde de ses rêves
Par des escaliers de frissons et de lune au galop
A travers des asphyxies de jungle
Des orages immobiles
Des frontières de ciguë
Des nuits amères
Des eaux livides et désertes
A travers des rouilles mentales
Et des murailles d'insomnie
Tremblante petite fille aux tempes d'amoureuse
Où les doigts des baisers s'appuient contre le cœur
d'en haut
Contre une souche de tendresse
Contre la barque des oiseaux
La fidélité infinie
C'est autour de sa tête que tournent les heures sûres du lendemain
Sur son front les caresses tirent au clair tous les mystères
C'est de sa chevelure
De la robe bouclée de son sommeil
Que les souvenirs vont s'envoler
Vers l'avenir cette fenêtre nue
Une petite ombre qui me dépasse
Une ombre au matin.
730 dessins de confinement, paru le 22 novembre 2022

730 dessins de confinement, paru le 22 novembre 2022

un titre, un livre de
Serge Rezvani, 94 ans
que j'ai eu la chance provoquée de rencontrer avec Annie, l'épousée
à La Béate, le 2 août 2001 
48 jours avant la disparition de Cyril G. et Michel B. à Cuba 
La Béate, nid de l'amour-fusion de Serge et de Lula
cette rencontre est racontée, fictionnée, légendée dans 
Et ton livre d'éternité ? pages 122-123
Rezvani fait partie de mes plus belles lectures
nombre de pages de mon blog sont consacrées à des notes de lecture d'une oeuvre personnelle, singulière
Beauté, j'écris ton nom
un auteur, pas de nom d'éditeur
bravo Rezvani et bravo l'éditeur
anecdote : jeune peintre fauché de 17 ans, Serge Rezvani se vit confier par Paul Eluard l'illustration par onze gravures sur bois d'un poème, Elle se fit élever un palais, édité en 1947 à 16 exemplaires par Maeght, réédité à l'identique pour la journée mondiale du livre le 23 avril 2019 à 28500 exemplaires offerts avec une rose par le syndicat des libraires francophones de Belgique
je le dis sans flagornerie; il y a beaucoup de similitudes entre le retour de Rezvani sur ses vies et la métamorphose en Vita Nova du hiérosolymitain J.-C.

je le dis sans flagornerie; il y a beaucoup de similitudes entre le retour de Rezvani sur ses vies et la métamorphose en Vita Nova du hiérosolymitain J.-C.

7 - La rencontre de Lola à La Béate, le nid d’amour fusion de Lula et Serge

Lui-Je, hiérosolymitain d’Avers sous les eaux depuis le Déluge, celui qu’on appelle communément J.C., a eu la chance de rencontrer à La Béate, dans la forêt des Maures, Serge Bassiak et Danielle-Lula.
Cyrus Rezvanupied était venu les attendre, l’épousée et Lui-Je, avec sa voiture décapotable, l’américaine rose, à Col’o’brière.

Ce fut un grand moment de partage : champagne et livres, le 2 août 2001, avec l’épousée, 48 jours avant la disparition du fils et du frère, le 19 septembre 2001 à Jaguëy-Grande, Cul-bas.
Rezvanupied leur dédicaça 
La Traversée des Monts Noirs (en supplément du Rêve de D’Alembert) (l’édition Stock de 1992) avec « un peu de Russie, un peu de Toulon ».

Et effectivement la Russie, indépendamment du roman, les habitait depuis 2000 et cela dura 10 ans encore pour l’épousée comme pour lui avec l’épisode Baïkalal.
Danielle-Lula était atteinte de la maladie d’Alzheimer, diagnostiquée le 11 août 1999. Cette fin d’après-midi là, ils ne s’aperçurent de rien, ils n’étaient au courant de rien. Elle posa une question à l’épousée 
Avez-vous des enfants ? Comment cela se passe-t-il ? L’épousée répondit en mère aimante et en psychologueDeux réponses opposées. En tant que mère, on fait ce qu’on peut, on donne le meilleur. Mais pour les enfants, on ne sera jamais les bons parents qu’ils voulaient. Freud disait De quelque manière qu’on s’y prenne, on s’y prend toujours mal. Un courant de sympathie s’était installée entre elles. Lui- Je sentit comme un regret chez Lula de n’avoir pas eu d’enfant.

Autour d’eux, discrète mais présente, Lola, une superbe métisse comme on les rêve, les imagine, ce qu’il faut là où il faut, (regard et parole de macho, connard !), qui semblait remplir toutes sortes de rôles dont infirmière. Lui-Je ne manqua pas de faire la conversation avec elle. Lola l’intriguait.

Après la disparition de Danielle, fin 2004, (le récit L’éclipse écrit en 2003 est le récit clinique de tout ce que Cyrus a tenté pour accompagner Lula), Lui-Je apprit que Serge avait donné La Béate à Lola.

À l’automne 2006, fut organisé un sentier littéraire, sentier saisonnier, celui d’automne consacré à Rezvanupied où Lui-Je lut des extraits de ses deux livres sur Les Maures et La Béate (Le roman d’une maison et Divagation sentimentale dans les Maures) en présence d’une vingtaine de randonneurs.page123image1674784 page123image1703072 page123image1675616

https://www.dailymotion.com/video/x15y1p

Lui-Je rendit visite à Lola après la disparition de l’épousée, en 2011. Elle avait installé une magnifique volière sur une des terrasses descendantes et elle prenait soin d’oiseaux malades, blessés, mutilés, pigeons atteints de trichonomase, coqs de combat mutilés, cacatoès abîmés. 6 ans après, Lui-Je comprendrait cette attirance pour les volatiles.

La Béate a été détruite par l’incendie qui a ravagé 8000 ha du massif des Maures entre le 16 août 2021 (17 H 45) et le 20 août. 

Lui- Je est sans nouvelles de Lola. Envolée sans doute.

Cyrus Rezvanupied avait écrit un roman Feu, paru chez Stock le 1° janvier 1977Ce feu qui vole de colline en colline, ravage les Maures et déferle vers le rivage, n’est pas seulement le sujet principal de ce roman : il est en quelque sorte son mouvement même. Dans ses tourbillons, c’est lui qui débusque, embrase, révèle chacun des multiples personnages. Dans sa fureur, c’est lui qui porte jusqu’à l’incandescence les secrets et les haines d’une population hétéroclite - forestiers et chasseurs, vieilles souches pastorales ou nouveaux nomades de la « beat generation ». C’est lui enfin qui donne à la phrase de Rezvani sa véhémence, son lyrisme parfois hallucinatoire. Ce livre au titre prométhéen - qui dans sa première édition s’intitulait Feu - n’étonne pas moins par sa qualité visionnaire.

Décrivant par avance le grand incendie qui dévasta les Maures quelque temps après sa parution, Le Vol du feu (Actes-Sud Babel 15/2/2000) est aussi une ample et tragique méditation sur les passions, sur l’animalité de l’homme et sur son inextinguible désir du divin.

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/pages- arrachees-aux-romans-de-serge-rezvani
le 17 mai 2021 https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/pages- arrachees-aux-romans-de-serge-rezvani-15-les-annees-lula-0

le 18 mai 2021 https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/pages-arrachees-aux-romans-de-serge-rezvani-25-le-vol-du-feu-0

évidemment, ces 3 liens ne fonctionnent plus

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note après 50 pages de lecture

Beauté, j'écris ton nom de Serge Rezvani 
collection L'exception aux Belles Lettres
 
Beauté, j'écris ton nom par un homme de 94 ans, 
peintre, écrivain, compositeur, 
amoureux fou de Lula (50 ans de délicieux bonheur à La Béate dans les Maures puis entre Venise et La Béate)
ou l'entrée en peinture, l'entrée en écriture de cet artiste d'indisciplines
il s'agit d'une plongée médiumnique dans le subconscient de l'artiste faisant retour non anecdotique, non biographique sur le sens de sa flèche dont il prend conscience qu'elle vole sans but, juste pour voler et que finalement ça lui convient
l'entrée en peinture comme recherche de l'indicible de l'art par des oeuvres inachevées, découragées, comme recherche de la Beauté, d'une fusion avec la Beauté au travers de la vision non érotique par l'artiste du nu qui pose, avec comme agent, les libertés de la main car c'est elle qui tente de rendre l'indicible, pas la pensée de l'artiste, 
recherche de la Beauté pour un dépassement humaniste (il emploie ce mot ridicule, c'est de lui) de l'homme prédateur vers l'Homme (Nietzsche ?)
livre (j'en suis à 50 sur 200) sur la mère, l'enfance, les galères, la faim, le froid, le corps-ami comme dédoublé (schizophrénie ?), le féminin quand il peint, le masculin-féminin quand il aime d'amour-passion non mortifère une femme-toutes-en-une; 
sur les deux médiums utilisés pour s'exprimer, tenter d'exprimer l'indicible sacré (il n'emploie pas le mot) avec des écarts inouïs par exemple entre les délicieuses journées à La Béate et ce qu'il y peint sur des toiles de 2 X 3 puis en série, absolument cauchemardesques
 
comme tu as tout lu de Rezvani, que les années-lumière (1967), les années Lula (1968), le testament amoureux (1981) t'attendent chaque année l'été, quand tu reviens au pays de l'épousée
tu n'as pu t'empêcher de commander Les carnets de Lula
livraison la semaine prochaine
tu auras fini Beauté, j'écris ton nom 
livre d'exception écrit par un homme qui à 94 ans s'interroge sur son entrée en peinture
j'espère que nous pourrons voir un jour le film que réalise Mireille Dumas avec la destruction par le feu dans une forêt des Alpilles d'une centaine de toiles conservées par Rezvani, artiste pluri-indisciplinaire, qui s'est payé le luxe de ne pas vendre ni de montrer ses toiles car devenant oeuvres elles se seraient dégradées en argent sale allant de collectionneurs (affairistes du béton, de l'armement, du pétrole, du luxe...) en expositions (dans leurs fondations), musées (rétrospectives de conservateurs et surtout de commissaires d'exposition, joli "commissaire" !) avec une cote montante, spéculative... 
oui, vraiment, avec Rezvani, on est ailleurs, du côté de l'absolu, quand c'est le tableau peint par la main des libertés du peintre (venues de très loin, de très profond) qui regarde le peintre
les carnets de Lula, publiés en 2022, 17 ans après la disparition de Danièle / L'éclipse : Que reste-t-il de l'amour quand l'âme neuronale de l'être cher est inexorablement détruite par la maladie ? Tout à la fois journal, récit, document, ce texte bouleversant, écrit au quotidien des ultimes "années Lula" (Danièle Rezvani, 1931-2005), constitue un exceptionnel témoignage sur la maladie d'Alzheimer.
les carnets de Lula, publiés en 2022, 17 ans après la disparition de Danièle / L'éclipse : Que reste-t-il de l'amour quand l'âme neuronale de l'être cher est inexorablement détruite par la maladie ? Tout à la fois journal, récit, document, ce texte bouleversant, écrit au quotidien des ultimes "années Lula" (Danièle Rezvani, 1931-2005), constitue un exceptionnel témoignage sur la maladie d'Alzheimer.
les carnets de Lula, publiés en 2022, 17 ans après la disparition de Danièle / L'éclipse : Que reste-t-il de l'amour quand l'âme neuronale de l'être cher est inexorablement détruite par la maladie ? Tout à la fois journal, récit, document, ce texte bouleversant, écrit au quotidien des ultimes "années Lula" (Danièle Rezvani, 1931-2005), constitue un exceptionnel témoignage sur la maladie d'Alzheimer.
les carnets de Lula, publiés en 2022, 17 ans après la disparition de Danièle / L'éclipse : Que reste-t-il de l'amour quand l'âme neuronale de l'être cher est inexorablement détruite par la maladie ? Tout à la fois journal, récit, document, ce texte bouleversant, écrit au quotidien des ultimes "années Lula" (Danièle Rezvani, 1931-2005), constitue un exceptionnel témoignage sur la maladie d'Alzheimer.

les carnets de Lula, publiés en 2022, 17 ans après la disparition de Danièle / L'éclipse : Que reste-t-il de l'amour quand l'âme neuronale de l'être cher est inexorablement détruite par la maladie ? Tout à la fois journal, récit, document, ce texte bouleversant, écrit au quotidien des ultimes "années Lula" (Danièle Rezvani, 1931-2005), constitue un exceptionnel témoignage sur la maladie d'Alzheimer.

toiles de Serge Rezvani
toiles de Serge Rezvani
toiles de Serge Rezvani
toiles de Serge Rezvani

toiles de Serge Rezvani

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Lettres en vie / Soins palliatifs / Alain et Michel Cadéo

Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #amitié, #amour, #engagement, #notes de lecture, #pour toujours, #poésie, #écriture

un livre d'exceptions, un livre pour oser, un livre d'édification; quand la poésie et la peinture sont forces vives, donnant à vivre

un livre d'exceptions, un livre pour oser, un livre d'édification; quand la poésie et la peinture sont forces vives, donnant à vivre


Lettres en vie

six années de rencontres au sein de l'unité de soins palliatifs de l'Hôpital de La Seyne-sur-Mer

éditions La Trace

septembre 2020

 

Lettres en vie

4° de couverture

Dostoïevsky parle du « saint des saints » lorsqu'il évoque « l'Homme dans l'homme »...

Et de quoi parle-t-il ? Il parle de la part la plus authentique, inentamable, la plus sacrée, la plus mystérieuse, dissimulée au plus profond de chacun d'entre nous et qui ne se révèle que lors des grands chambardements du coeur, du corps et de l'esprit.

Faut-il être en bout de vie pour enfin s'affranchir de tous les cintres et de toutes les panoplies ?

Six ans de rencontres d'Alain et Michel Cadéo auprès des patients et soignants de l'unité de Soins Palliatifs de l'Hôpital de la Seyne sur Mer.

Chaque semaine, le service fut un lieu de partages de mots et des maux.

Les lettres ainsi échangées sont un témoignage simple, sincère et lucide de ces instants uniques.

 

Note de lecture

 

Alain Cadéo dont j'ai lu beaucoup d'oeuvres, que je connais personnellement, qui est un ami, un frère de cœur, m'a transmis ces Lettres en vie, le dimanche 11 octobre, à l'occasion de nos retrouvailles à la pizzeria du Colombier au Revest, en compagnie de Martine. Annoncées depuis le printemps, j'attendais la parution de ces Lettres d'autant plus qu'il m'avait proposé de vivre éventuellement cette expérience d'accompagnement. Cela ne s'est pas fait.

Cet ensemble de lettres et de peintures (car Michel Cadéo, le frère cadet d'Alain est peintre et il a rendu compte de ses rencontres avec les patients au travers de portraits et de paysages-voyages oniriques) est une œuvre d'humanité dans le sens où les deux frères (solides et mystérieux comme leurs confrères rochers au large des Sablettes à La Seyne) et les soignants font preuve d'humanité envers les patients. Faire preuve d'humanité, c'est voir l'humanité de l'autre même très diminué, parce que très diminué, parce que se dévalorisant, s'isolant. Faire preuve d'humanité c'est le reconnaître comme corps-esprit-âme, c'est l'accompagner avec bienveillance, bien-traitance, le soutenir dans ses essais de rester humain, digne, propre, coquet. C'est l'énergiser, lui redonner accès à ses désirs et rêves, à son enfant intérieur retrouvé. C'est l'esprit « soins palliatifs » tel que pratiqué à La Maison à Gardanne, pionnière dans ce domaine : le soin est un art, l'art est un soin selon la formule du docteur Jean-Marc La Piana.

En quoi est-ce un art ? Chaque patient est unique, une personne unique, un être unique et chaque rencontre, chaque moment est unique. Aucun protocole, aucune expérience ne peut préparer au caractère inédit, imprévu de la rencontre. Cela relève du ressenti et de l'intuition, facultés éminemment sensibles, d'un autre niveau que le mental qui juge, supposant un travail sur soi de nature spirituelle. Sans ce travail préalable de nettoyage, de dissolution des carapaces, cintres et panoplies dont nous nous affublons pour paraître, pour jouer le jeu, le jeu social, sans ce travail pour retrouver l'enfant qui est en nous, l'enfant porteur de notre être, il ne semble pas possible de pouvoir se mettre sur la même longueur d'onde que ce patient que je visite.

(aujourd'hui, je suis sensible aux deux enfants que nous portons en nous, l'enfant intérieur, lui-même double, l'enfant blessé car tout enfant connaît, vit un jour ou l'autre des blessures à vie, à vif, enfouies ensuite, l'humiliation par exemple, et l'enfant rêveur avec son jardin secret où il peut se réfugier quand ça tangue ; et l'enfant des étoiles, l'enfant de lumière, venu du ciel, d'en haut, qui nous visite parfois, faisant sentir le mystère de l'Éternité et de l'Infini ; pour donner un exemple, mon enfant intérieur pourrait être Coco, celui qui va au royaume des morts parce que les morts ont peur d'être oubliés et mon enfant de lumière est le petit prince qui apprend à voir avec le seul regard vrai, le regard du coeur),

Ce patient que je visite, le voilà en fin de vie, ne bougeant qu'un pouce, n'ayant qu'un filet de voix, de grosses difficultés respiratoires, des difficultés motrices s'il s'assoit, tente de se lever, de bouger. Par quels canaux va passer la mise en phase : le sourire, le toucher, la tendresse, le regard, l'écoute, la compassion, un récit, une sollicitation, une invite, une première lettre... ? Le livre ne témoigne pas de cela.

Les lettres d'Alain sont des portraits personnels des patients rencontrés dans leur intimité et dans leur être (dans la mesure où il s'est révélé). Portraits personnels en ce sens qu'Alain s'y met en jeu avec ses mots, ses images, ses exhortations, ses rejets et sa quête de sens, de beauté, de bonté, de perfection, d'Éternité, de grands espaces terrestres, célestes, de grandes profondeurs et houles océaniques. Portraits d'intimité car quand les patients se racontent, se livrent, se révèlent, on en retrouve trace dans les lettres (pas de détails, juste le parcours, le tracé d'une vie) et portraits faisant émerger l'être, l'enfant retrouvé donnant sens à un dernier acte de vie, par exemple le tableau réalisé par un patient pour le restaurant de sa fille et qui s'en va, le tableau exécuté ou tel autre écrivant un conte pour sa femme. Ces lettres sont des poèmes, elles ont le pouvoir que Novalis donne à la poésie : La poésie est le réel absolu.

Aux lettres d'Alain qui poussent à vivre la vie jusqu'au bout parce que l'abord est pour certains d'abord réservé, en retrait, mettant en avant le rien qu'on est, la fatigue, l'épuisement, pour d'autres l'abord est d'entrée curieux, ouvert, lettres qui sont de véritables porteuses de lumière et d'énergie (au sens quantique, agissante aux niveaux les plus profonds, infimes), les patients répondent par leur enchantement, leur étonnement d'être reçus, compris, soutenus.

L'équipe s'est aussi mise à l'écriture, médecin, psychomotricienne, psychologues, infirmières, accomplissant non seulement le travail quotidien d'accompagnement, (y compris des patients remarquables, c'est-à-dire à ne pas réanimer), mais s'investissant dans les rencontres du lundi en fonction de leurs disponibilités.

Les 27 œuvres de Michel Cadéo, portraits et paysages-voyages oniriques, accompagnant les lettres des uns et des autres (femmes, hommes, pas d'âge donné, sauf exception, pas de milieu d'origine ou de profession exercée) ont sans doute été réalisées après les rencontres sur la base de ce que Michel avait vécu, ressenti, prenant peut-être des croquis.

Le regard dans ces portraits a quelque chose du regard des portraits du Fayoum, d'il y a 2000 ans, l'intensité. Quand le corps est au bord des falaises, des gouffres, seul le regard intérieur, celui porté par le sourire intérieur, sourire de béatitude, peut l'amener ailleurs. Comme l'a si bien dit G.K. Chesterton : Si les anges volent, c'est parce qu'ils se prennent eux-mêmes, à la légère.

(Dans le clip Happens to the Heart, chanson posthume de Leonard Cohen sortie le 25 octobre 2019, à la fin de son cheminement de vie après dépouillement de ses vêtements, apaisement de ses souffrances puis rencontre d'un moine bouddhiste et adoption du vêtement monastique, le jeune personnage entre en lévitation et voit sereinement par son regard intérieur les gouffres.

Ce clip et les paroles accompagnent bien les rencontres du lundi dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de La Seyne sur Mer.

https://youtu.be/2AMMb9CiScI)

Va jusqu'où tu ne peux pas, ces mots de Kazantzakis sont pour Alain Cadéo comme un ex-voto, invitant au voyage, de nature spirituelle, c'est-à-dire de dépouillement, de purification, d'élévation.

Ce fut la règle de vie de Van Gogh : Mourir à soi-même, réaliser de grandes choses, arriver à la Noblesse, dépasser la vulgarité où se traîne l’existence de presque tous les individus… » Il disait aussi que peindre pour lui c’était le moyen de se tirer de la vie.

Ces Lettres en vie sont un OUI à la Vie.

 

 

Je ne peux m'empêcher de citer Jean-Yves Leloup, en complément éclairant de ces lettres et peintures dont les droits d'auteurs seront reversés à l'Association Pour les Soins Palliatifs.

Voilà une action sans utilité sociale, simplement humaine, discrète, persévérante (6 ans), gratuite (un don, une volonté), bénévole, sans médiatisation, sans recherche de reconnaissance, une action où les deux frères donnant, solides et généreux comme leurs confrères rochers ont reçu sans compter, sans attente de retour (les départs se font sans crier gare et sans fanfare). 

 

1- La gratitude, clef de la philocalie

Qu’est-ce qui peut nous rendre « sensible ›› à la beauté, à la grâce, à la Présence qui se donne à travers toute vérité, toute vie, toute bonté ?
la gratitude… la louange…la gratitude rend la grâce possible elle est notre ouverture à l’Ouvert
on pourrait dire ainsi qu’elle précède la grâce
dire merci avant de recevoir
est l’un des secrets du Bienheureux
dès qu’on a dit merci, tout ce qui nous arrive
est merci, miséricorde, grâce et don.
Celui qui ne dit jamais merci, ne reçoit jamais rien, car ce merci est l’acte même de la réception,
la possibilité d’une réceptivité, d’un accueil,
l’ouverture par laquelle le ciel enveloppe la terre,
l’ouverture par laquelle les dieux peuvent entrer.
Celui qui ne dit jamais merci, garde fermées les portes de la perception, comme celles de l’affectivité et de la connaissance.
L’enfer dans lequel nous nous enfermons consciemment est celui de notre ingratitude. Etre incapable de gratitude ou de louange c’est perdre toute joie d’être et de vivre. Nous mourons de ne pas savoir dire merci, dire merci à notre épreuve, c’est en faire une occasion de croissance, de dépassement ; dire merci à notre mort, c’est en faire une délivrance ou un passage vers une vie plus vaste.
Seuls ceux qui savent dire « merci ›› seront sauvés.
La gratitude met le cœur et le souffle « au large ›› (sens du mot salut Iescha en hébreu), elle est la clef qui nous ouvre à la beauté de toutes réalités visibles et invisibles, c’est elle qui nous permet « d’entrer ›› en philocalie.

 

2- "Le mot « résurrection » vient du mot grec anastasis qui signifie « se lever après le sommeil, se poser dans l’espace, dans la hauteur ». Ainsi, celui qui est ressuscité est celui qui est passé de l’état de conscience limitée à un état de conscience sans limite. C’est pour cette raison que dans la tradition on dira que le Christ était ressuscité avant de mourir. Et lorsque saint Jean parle de « vie éternelle » cela signifie que la vie éternelle n’est pas opposée à la mort, qu’elle est avant, pendant et après la vie ; c’est la dimension d’éternité qui est au cœur de la vie.
Et c’est à cette dimension qu’il s’agit de s’éveiller, à ce non-né, non-fait, non-créé, à cette dimension de l’incréé. C’est cela la résurrection. Aussi lorsqu’on dit que le Christ est ressuscité et que nous sommes appelés à la résurrection, cela signifie que nous ne sommes pas appelés à nous réanimer, mais à nous éveiller au cœur de notre finitude, à la dimension d’éternité, dimension que dans un autre langage on appellera l’Eveil…

Nous avons donc la liberté de nous ouvrir ou la liberté de nous fermer ; nous avons le choix entre l’ouvert et l’enfer. En nous ouvrant au cœur même des conditions dans lesquelles nous sommes, en nous ouvrant à cet infini qui nous habite, nous entrons dans le monde de la résurrection. Dans toutes les traditions, le but n’est jamais la réincarnation mais l’Eveil, la résurrection, la délivrance du Karma. 

Dans l’Evangile de Philippe il nous est rappelé (logion 21) que la Résurrection (Anastasis) n’est pas une réanimation…L’Evangile de Philippe, à la suite du Christ, nous invite à nous éveiller dès cette vie à ce qui en nous ne meurt pas et que Saint Jean appelle la Vie éternelle. La vie Eternelle n’est pas la vie « après la mort », mais la dimension d’éternité qui habite notre vie mortelle, et à laquelle il s’agit de s’éveiller comme le Christ avant de mourir.

 

Par ailleurs l’apôtre Paul précise bien que ce n’est pas notre corps biopsychique qui ressuscite, mais notre corps spirituel « pneumatique ».

Qu’est-il ce corps dit « spirituel » ? Ne se tisse-t-il pas déjà dès cette vie, à travers nos actes de générosité et de don ? Car la seule chose que la mort ne peut pas nous enlever, c’est ce qu’on aura donné. L’Evangile de Philippe insiste sur cette puissance du don, cette capacité d’offrande que le Soter (Sauveur) vient libérer en nous…

 

À Le Revest, le 18 octobre 2020,

Jean-Claude Grosse,

éditeur des Cahiers de l'Égaré

Maryse par Michel Cadéo / Alain et Michel Cadéo / Macadam Épitaphe, une écriture en fusion qui dissipe les frontières, les barrières, dissout les conforts, les étroitesses et petitesses et nous relie à la Vie, à l'enfance, au Rêve comme routes
Maryse par Michel Cadéo / Alain et Michel Cadéo / Macadam Épitaphe, une écriture en fusion qui dissipe les frontières, les barrières, dissout les conforts, les étroitesses et petitesses et nous relie à la Vie, à l'enfance, au Rêve comme routes
Maryse par Michel Cadéo / Alain et Michel Cadéo / Macadam Épitaphe, une écriture en fusion qui dissipe les frontières, les barrières, dissout les conforts, les étroitesses et petitesses et nous relie à la Vie, à l'enfance, au Rêve comme routes

Maryse par Michel Cadéo / Alain et Michel Cadéo / Macadam Épitaphe, une écriture en fusion qui dissipe les frontières, les barrières, dissout les conforts, les étroitesses et petitesses et nous relie à la Vie, à l'enfance, au Rêve comme routes

Marie-Christine, conductrice de poids lourd, allant souvent dans les pays du Moyen-Orient (imaginons les difficultés mais rêvons aussi quand le diesel du Scania qui ronronne vous lance sur ce que les routes et autoroutes induisent dans les âmes des conducteurs poètes) a demandé qu'on lise un extrait de Macadam Épitaphe, texte de 1986 d'Alain Cadéo qu'il lui avait offert, à son enterrement. Comme cet extrait n'est pas cité dans le livre Lettres en Vie, j'ai cherché dans Macadam Épitaphe.
Voici mon choix : J'ai aimé chaque fois avec l'ardeur et la vivacité d'un nouveau-né hurlant son aptitude à vivre. J'étais un bloc surgi d'immenses paysages tendres. Je n'ai jamais su que vous aimer. Tu es ma dernière course. Macadam Épitaphe. Je te dédie ces kilomètres inutiles. Je t'offre ces tonnes insignifiantes d'émotions et d'images. Je te marie ainsi avec mon temps. Partout j'ai creusé la terre, dans tous les sens cherchant les portes parallèles, celles que l'on franchit entre l'espace réel et celui de ses pensées. Je t'offre ma vie brouillonne et mélangée, pour que toi seule sache en extraire le succulent plaisir et qu'à ton tour tu le transmettes à qui te paraîtra assez grand. Ni suicide ni rien, non, je roulerai jusqu'à ce que je rencontre peut-être le moment qui devra m'échapper.

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Christian Bobin / Sylvain Tesson

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse, #écriture, #voyages, #vide quantique

Christian Bobin / Sylvain Tesson
Christian Bobin / Sylvain Tesson

Pierre, /Christian Bobin 

La panthère des neiges /Sylvain Tesson

 

Pierre, de Christian Bobin, je l'ai lu entre le 23 et le 24 décembre 2019, un an après le « voyage » de Christian Bobin, du Creusot à Sète, le 24 décembre 2018, voyage de nuit, pour apporter deux exemplaires de La nuit du cœur (consacré à l'abbatiale de Conques) à Pierre Soulages et à Colette.

Ce 24 décembre 2019, Pierre Soulages a eu 100 ans. En 2018, Bobin « improvisa » ce voyage, apparemment sans prévenir Soulages, impulsion venue du cœur, pour offrir deux exemplaires de ce livre consacré à l'abbatiale et aux vitraux.

Voyage effectif ou songe d'une nuit d'hiver, voilà un voyage signé si je puis dire, chargé de signes. Un 24 décembre, pour un anniversaire, vers les outrenoirs de Soulages, l'homme de la lumière par le noir, dans le noir, sur le noir, sous le noir. Dans un train presque sans voyageurs, dans la nuit noire. Avec les bruits à l'intérieur du train et le bruit solidien des roues sur les joints des rails, ta dak, ta dak, métronome mesurant le temps et l'espace. Avec un taxi pris à la sortie de la gare vers 22 H 30 pour monter l'auteur de cette unique escapade, de cette escapade unique vers l'impasse du Mont Saint-Clair où s'est retiré le peintre ;  « ah ! vous allez voir le peintre ». Avec l'attente patiente devant la porte fermée, le domestique Mohammed étant allé prévenir ses maîtres.

Ce voyage initié par un mouvement du cœur, par l'amour, chargé de signes a-t-il confirmé ces signes venus du noir lumineux du poète de l'obscur et de la merveille ou a-t-il été aussi fournisseur de la quête de l'auteur de la part manquante, le surgissement d'une présence, surgissement inattendu, imprévu, non voulu, non préalablement désiré, défini.

Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Christian Bobin est l'auteur prolixe de la mise en déroute des certitudes, des raisons, l'auteur prolixe de la dissolution du réel auquel on s'accroche ; il est l'auteur prolixe de la nécessité de l'attente, de la patience, du silence, du vide en quelque sorte d'où va surgir peut-être la présence pure engendrant l'enchantement simple. Pas de projet, pas de cheminement vers un éveil spirituel, une pleine conscience, une volonté de puissance du genre le monde est le produit de ma conscience. Ce n'est pas lui qui va vers la présence, c'est la présence qui vient à lui, s'offre à lui dans la mesure où il est disponible, ouvert sur l'Ouvert.

Comme il s'agit d'expériences intimes d'accès à des outre-mondes quasi-indicibles, il me semble qu'en aucun cas, Christian Bobin peut être un guide spirituel, un transmetteur, un passeur.

Le bon usage de Christian Bobin est d'après moi de deux sortes : savourer les bonheurs d'écriture, fulgurances, éclairs ramenés de l'au-delà et oser sa propre aventure du sur-place, de l'immobilité ; devenir l'araignée dont la toile est tissée par des fils venus d'ailleurs ou du bon usage des signes venus d'ailleurs.

 

La panthère des neiges de Sylvain Tesson, je l'ai lu entre le 26 et le 28 décembre, dans la foulée de Pierre, de Christian Bobin. 

Passer d'un bureau, d'une maison d'ermite au cœur d'une forêt, habité par l'absolu se livrant par surprise au plateau du Chang Tang au Tibet, à des altitudes entre 4800 et 5200 m, avec des températures de - 20 à - 35°, c'est faire un sacré grand écart même si tu es installé dans un fauteuil au soleil à travers la vitre de ta chambre.

La géographie de cette région inhospitalière, pas encore colonisée par les Chinois, est propice à un voyage dans le temps. C'est une région où se sont réfugiées des espèces sauvages, pas totalement exterminées par braconniers et chasseurs. En particulier l'once, la panthère des neiges, le yak sauvage, le loup. C'est se retrouver au paléolithique et voir les effets de la révolution néolithique puisque à quelques centaines de mètres des lieux d'affût paissent des troupeaux de yaks domestiqués, gardés par des chiens domestiques et des enfants sans crainte. La révolution néolithique c'est la domestication, la hiérarchisation des dominations avec au sommet de la pyramide des prédations, le prédateur qu'est l'homme, exterminateur en 50 ans de plus de 60% des espèces. La vision qu'a Sylvain Tesson de ce monde où cohabitent paléolithique et néolithique est de source scientifique ; ce qui s'observe mais qui d'abord nous observe est le résultat de l'évolution des espèces, une évolution par sélection naturelle, loi du plus fort où tout être doit manger et finit mangé. Avec les espèces encore sauvages, on a un patrimoine génétique très stable, pur ; avec les espèces domestiques, on a des transformations génétiques acquises, devenant héréditaires et pouvant continuer à se modifier. Sylvain Tesson n'évoque pas une seule fois une autre vision de l'évolution, en train peu à peu d'émerger, l'évolution par la coopération et non par la compétition. C'est regrettable mais il sait rendre sensible ce que nous avons perdu avec la révolution néolithique. En domestiquant, nous sommes nous-mêmes devenus domestiques, soumis à des prédateurs s'attribuant des pouvoirs politiques, religieux, militaires, technologiques. La démographie galopante avec tous les effets concomitants, urbanisation, agriculture intensive, industrialisation et épuisement des ressources, pollution de l'air, des sols, de l'eau, plastification des océans, réchauffement climatique n'augure rien de bon quant aux horizons.

La géographie de cette région, faussement désertique, est propice à d'autres considérations de nature métaphysiques. Le Chang Tang, c'est l'esprit, l'écriture du Tao mais toutes les métaphysiques se sont posées la question de l'origine. À l'origine, l'unité, l'Un, une vibration première, une singularité première, un vide à potentiel infini. Une explosion libéra ce potentiel, l'inétendu s'étendit, l'ineffable se décompta, l'immuable s'articula, l'indifférencié prit des visages multiples, l'obscur s'illumina. Rupture, fin de l'Unicité. On reconnaît là le modèle du big bang, celui du vide quantique.

1° chant du Tao :

Sans nom, il représente l'origine de l'univers

Avec un nom, il représente la mère de tous les êtres

L'origine et les êtres, l'absolu et les choses.

Novalis : Nous cherchons l'absolu, nous ne trouvons que des choses (Grains de pollen)

 

L'affût est le mode opératoire nécessaire dans ces régions. On y va pour voir des animaux rares. Ils ne se donnent pas à voir, ils sont surgissements inattendus et voient qui veut les voir et ne sait pas qu'il est vu.

Vincent Munier prenant une photo d'un corbeau sur une arête ne se rendit compte que deux mois plus tard de la présence de la panthère des neiges derrière la crête et l'observant.

Sylvain Tesson en conclut que l'affût pourrait être un style de vie, praticable en tous lieux, à tout moment.
C'est là peut-être que Sylvain Tesson pourrait rejoindre Christian Bobin. Être à l'affût, attentif, patient sans savoir a priori ce qui va s'offrir et qu'on va peut-être voir. Mais à la pulsion scopique que je trouve prédatrice, voir absolument l'absolu, voir absolument l'unicité de ce qui se voit, absolument voir pour ensuite montrer, je préfère une autre pulsion, intime, ressentir, éprouver. Personnellement, je photographiais. Je ne photographie plus ; je filmais, je ne filme plus. Ce que j'éprouve, ressens n'est pas partageable. De même que je ne peux comprendre le monde de l'autre (plante, animal, personne), je suis mystère à moi-même et mystère pour autrui. Sauf l'exception d'une communion fortuite, subite, de coeur à coeur, une communion au travers d'un regard, d'un sourire. Sauf pour l'enfant qui a parfois accès immédiatement à l'autre. Adulte, toute contemplation, tout émerveillement est de surface, partiel sauf exception. L'accès à l'absolu nous est barré me semble-t-il, sauf exception. La Nature aime à se cacher dit Héraclite. La puissance créatrice, la source vive agissent et ne se montre que ce qui est créé.

 

Jean-Claude Grosse, 29 décembre 2019

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L'autre visage / Christian Bobin

Rédigé par grossel Publié dans #JCG, #développement personnel, #notes de lecture

3 petits livres et puis s'en vont
3 petits livres et puis s'en vont
3 petits livres et puis s'en vont

3 petits livres et puis s'en vont

L'autre visage

Le huitième jour de la semaine

L'enchantement simple

Christian Bobin

chez Lettres vives

3 petits livres, petit format, qu'il m'a fallu découper car vendus non massicotés. C'était il y a longtemps, années 1986-1991. Soulignés évidemment. J'ai retrouvé des formules faites miennes, matrices à aphorismes, sentences pour soi-même. Dans Le huitième jour de la semaine : Être éloigné de toute maîtrise comme de toute servitude qui engendre vivant la vie sans hurler à la mort ni aboyer à la lune. D'où le poème Élévation (qui a un air très Bobin)

 

à André Comte-Sponville

pour le Traité du désespoir et de la béatitude

Élévation

Un jour enfin nous marcherons
le long des rivages tant désirés
héritiers insatisfaits d’un passé loin des côtes
étonnés de nous retrouver face au grand Océan
Avec la montée sur les falaises
nous abandonnerons de vieilles peurs de vieux espoirs
Tu auras renoncé à remonter aux grandes houles de tes origines à affronter les fables délicieuses de ta généalogie
J’aurai renoncé aux nostalgies de paradis et d’âges d’or
éloigné de toute maîtrise comme de toute servitude
vivant la vie sans hurler à la mort ni aboyer à la lune
Ce sera si simple de prendre
nus un bain d’écumes le matin
Nos corps se dilateront
Notre âme s’enchantera
Quand nous reviendrons au bord
des sourires ensoleillés s’échangeront
Étourdis nous nous découvrirons aimants
En raison nous nous voudrons parfaits amants
donneurs de voix à des enfants de papier
ouvreurs de voies à nos enfants de chair
jusqu’à épuisement de nos jours et de nos nuits

(La Parole éprouvée, p.81, dédié à André Comte-Sponville mais qui aurait pu l'être à Christian Bobin)

ou "c'est dans l'épuisement que l'on augmente ses forces; c'est dans l'abandon que l'on devient prince et dans l'éclat de mourir que l'on découvre ce plus noble éclat de l'amour"


Relus en 2019, ces 3 petits livres ont un effet profondément rafraîchissant. Je peux mesurer la distance entre ce que je suis devenu, façonné par la vie et par un travail conscient sur moi (sans doute aussi inconscient) avec ce que je fus.

L'enchantement simple comme Le huitième jour de la semaine sont sous l'influence de l'enfant, une petite fille de 6 ans, Hélène, dont Christian Bobin accompagne, à moins que ce ne soit l'inverse, quelques moments. Le regard porté par Bobin sur une enfant a pour lui et pour nous peut-être valeur universelle, c'est un regard sur l'enfance : Devenir adulte, c'est oublier ce que l'on ne peut s'empêcher de savoir et dans quoi l'enfant - parce que la force lui est donnée avec sa faiblesse - passe ses heures : le désarroi des mots, la carence des amours et la lente corruption des rêves, soumis à tous les vents. Cette annonciation faite à l'enfant, peu importe où et quand elle se produit. Elle advient et cela suffit. Un peu plus tôt, un peu plus tard...p.38 , le huitième jour. Dans L'enchantement simple, le 2° essai L'ennui léger d'une petite fille dans deux mille ans d'histoire. Pour Bobin, nous avons tout à apprendre de l'enfance, nous n'avons rien à apprendre aux enfants, la vie c'est comme Hélène la vit, la mort, ce sont tous les mots pour parler de la vie, l'obscurcir et ne pas vivre ce qu'avait bien noté Pascal :

« Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre »

L'autre visage, 57 petites pages, un apologue justement ou injustement appelé ainsi permettant de mesurer la distance entre eux et nous, entre soi et soi, soi d'hier et soi d'aujourd'hui, entre soi social et soi intime, la distance entre ce qu'on affiche et ce qu'on pourrait être mais voilà, parcimonie du désir, étroitesse du rêve font qu'oiseau jamais on ne sera, qu'ange non plus car nous n'avons pas leur très grand naturel.

Tout est écrit à partir d'eux : chez nous (eux donc), on cache son visage, chez nous (eux donc) le mot amour ne se dit pas, chez nous pas de prison, chez nous, peu, très peu d'Histoire, chez nous pas de sagesse pas de folie, légèreté est notre loi, chez nous pas de bien pas de mal, chez nous pas de montre ni d'horloge, la vérité chez vous est, et maintenant

Quel est donc ce peuple, qui sont donc ces gens qui savent si bien nous donner l'envie de vivre ainsi dans la joie, l'attente, le silence, la solitude, l'amour, la vie, la mort et qui acceptent maintenant de disparaître parce qu'ils voient bien dans nos yeux, la nouvelle de leur mort, parce qu'ils voient bien frémir sur nos lèvres, l'annonce de leur mise à mort car nous arrivons, nous les millions et milliards avec le désir, l'or et l'envie. Et personne ne peut résister à ça.

Comment vit-on chez ces gens-là ?

Chez nous on cache son visage. Le corps, pas d’importance. Le corps va nu sous le soleil, le blond soleil qui brûle le jour, qui brûle la nuit. Car chez nous il n’y a pas de nuit. Ce qu’on appelle la nuit c’est pas commodité, quand l’amour vient aux amoureux, quand deux corps se serrent l’un contre l’autre comme deux épis de blé sous le même vent. Quand deux amants mélangent leurs jambes, on dit qu’ils font la nuit. Une nuit privée, une petite nuit de rien du tout pour deux personnes, deux corps légers sous le soleil. Même quand ils font la nuit, les amants ne se montrent pas le visage. Interdit. Intouchable. Impensable.

Quand l'un d'entre nous est atteint de langueur, il va chez son ami, c'est-à-dire chez le premier venu car tous ici sont frères et sœurs. Il emmène avec lui une paille de chaise. Il s'assied à côté de son frère ou de sa sœur, il reste là sans dire un mot, le temps d'un jour, le temps d'une nuit, le temps d'un soleil et puis d'un autre soleil, jusqu'à ce que la langueur s'en soit allée de lui. Alors, il se lève, ramasse sa chaise de paille et s'en retourne à ses affaires.

Inutile de citer plus, 57 petites pages, de petit format pour une vie simple qui sait que ce qui nous connaît mieux que notre mère, c'est la mort, qui sait que le vent vient d'un livre ancien qu'on a oublié de refermer...

à Corsavy, le 27 août 2019, JCG

 

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François d'Assise / Bobin / Delteil

Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

en chemin
en chemin
en chemin

en chemin

une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto
une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

une fontaine-source sur la route de Léca à Corsavy, comme un autel naturel, comme un temple naturel, lieu à contempler, source pour se désaltérer sachant que toute contemplation ne s'épuise pas, laisse échapper peut-être l'essentiel, ce qui est derrière et au fondement; 2 des 28 fresques réalisées par Giotto

Deux François d'Assise

Joseph Delteil (1960)

Christian Bobin (1992)

 

J'avais été alerté de l'existence de Christian Bobin par André Comte-Sponville (sans doute dans le Traité du désespoir et de la béatitude).

 

(Je tiens Christian Bobin pour le plus grand écrivain de sa génération, qui est aussi la mienne. Le plus doué, le plus original, le plus libre – à l’écart des modes, à l’écart de tout –, mais aussi le plus émouvant, le plus juste (au double sens de la justesse et de la justice : comme on chante juste, comme on juge juste), l’un des rares qui nous aident à vivre, qui nous éclairent, qui nous élèvent, et parmi ceux-là sans doute le plus purement poète – c’est pourquoi il réussit moins dans les romans –, mais aussi le plus fraternel, le plus simple, le plus léger, au bon sens du terme (« sans rien qui pèse ou qui pose », dirait Verlaine), enfin le seul, je crois bien, qui m’importe absolument.

Je ne dis pas cela parce que je suis son ami. C’est l’inverse qui s’est passé : je suis devenu son ami, lentement, progressivement, et ce n’est pas fini, parce que je le tenais, en France, pour le plus grand écrivain de notre génération, et qu’il m’importait de le connaître aussi de l’autre côté, je veux dire là où les livres ne vont pas, et d’où ils viennent. Je l’ai découvert par hasard. Une amie libraire m’avait offert un de ses livres, il y a une dizaine d’années, quand il était inconnu, et je sus alors, le lisant (c’était Le Huitième Jour de la semaine), ce que c’est qu’un chef-d’œuvre : un livre qui suffit à justifier qu’on ait vécu jusque-là, pour l’attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d’admirer – enfin ! – un contemporain.

Il ne ressemble pas à ses livres. Il est plus gai qu’eux, plus physique, plus charnel. Il aime manger et boire, fumer et rire… On aimerait parfois que ses livres lui ressemblent davantage. Il m’arrive de les trouver trop beaux, trop lumineux, trop purs. Un peu d’angélisme le menace parfois. Mais quelle vérité, le plus souvent, quelle profondeur, quelle force ! Il écrit au plus près du silence, au plus près de la solitude, au plus près de la mort, et c’est ce qui le fait tellement vivant, tellement bouleversant de grâce et de fragilité.

Il m’a fait un cadeau, un jour, sans le vouloir, et dans cet entretien même que reprend Psychologies : il a prêté à Eluard le titre d’un de mes livres – L’Amour la solitude –, et cela, quand je le lui signalai, nous fit rire tous les deux. Il est vrai que j’avais moi-même emprunté la moitié de mon titre à un recueil d’Eluard – L’Amour la poésie –, et que sa confusion, qui me flatte, n’en est ainsi une qu’à demi… Cela m’éclaire en retour : j’aime Bobin comme j’aime Eluard, pour cette clarté fraternelle, comme un sourire qui ne ment pas.) André Comte-Sponville

 

Les livres de Christian Bobin que j'ai lus en premier ont tous été édités par de petits éditeurs. Puis Gallimard a publié Le Très-Bas, un succès confirmé par les succès qui ont suivi les parutions régulières chez Gallimard et quelquefois, parutions dans de petites maisons. Changement de statut de l'auteur, d'abord bien accueilli par la critique (puisqu'il est l'auteur de lecteurs avertis) puis rangé au rang des écrivains à succès pour large public (pour accéder au grand public, il faut du savoir-faire, du savoir-dire et savoir le dire).

Avec Le Très-Bas, on est au moment de la bascule quant à la réception de Bobin, schisme entre critiques et publics. Peut-être aussi pour l'auteur, passage à une posture et en littérature, ça peut s'appeler une imposture quand il est difficile de parier sur la sincérité, l'authenticité du formulateur de paroles inouïes. Le poète de la solitude comme grâce plus que comme malédiction semble moins solitaire qu'il n'en a l'air ; poète disparaissant derrière sa parole pour qu'elle devienne nôtre, il écrit plus de 60 ouvrages remplis de formules que beaucoup s'approprient pour leur cheminement personnel, spirituel ; sans vouloir être guide, gourou, ne se met-il pas dans cette position par son abondante production ?

Le Très-Bas se veut un récit peu (voire non) documenté sur François d'Assise. Peu de références aux textes de et sur François, aux récits de la vie de François. François est un enfant puis un adolescent puis un guerrier. La trajectoire de François est décrite à la fois dans son temps et en comparaison avec notre temps. Enfants du 13° siècle, enfants du 20° siècle. Pauvres et puissants du 13° siècle, pauvres et puissants du 20° siècle.

N'émerge pas la conscience écologique – la collapsologie n'a pas encore fait son apparition. Le livre Effondrement de Jared Diamond n'est paru qu'en 2005. Depuis le succès des livres de Pablo Servigne et d'autres, la question de l'effondrement de la planète par épuisement, empoisonnement, pollution, prédation, catastrophes diverses, dérèglement climatique, celle de la disparition de l'humanité par famines, pandémies, migrations, guerres, faillites, crises boursières sont au cœur des préoccupations (mais pas des actions tant individuelles que collectives).

Christian Bobin n'en est pas là dans Le Très-Bas mais avec François s'expose tout de même une alternative à l'esprit de possession. Le respect, l'amour de tout ce qui vit est avant l'heure, une écologie intégrale incluant une dimension spirituelle et des passages à l'acte, quand il se dépouille de ses vêtements lors du procès public que lui fait son père et qu'il part, renonçant à être le fils de son père parce qu'il est le fils d'un autre Père, universel celui-là, un Père d'Amour inconditionnel pour toute la création, quand il serre dans ses bras et embrasse sur la bouche ce qui lui fait le plus peur, le lépreux, quand il choisit la liberté par un nouveau rapport à la vie, pour la vivre la vie, ne vivre que la vie, toute la vie, en changeant radicalement de vie, en rejetant la vie formatée depuis la naissance jusqu'à la mort avec ses étapes. François opte pour la cabane, la hutte, le sac de bure, la corde pour ceinture, le bâton de pèlerin ou de vagabond, l'aumône, la grappille, le glanage.

L'ordre qu'il crée se veut pauvre, humble, pas d'études, de livres, d'argent, de maison. François est homme à prendre au pied de la lettre, une parole (il n'est pas de ceux qui au nom de l'esprit d'un texte, le détourne de son vrai sens par leurs interprétations, lui prend à la lettre): Va et répare ma maison qui tombe en ruine. Il croit que la maison c'est l'église de pierre et le voilà réparateur d'édifices. Fausse route. La vraie route, il la trouvera sur les chemins et sentiers, dans les forêts, dans les champs, aimant d'amour d'enfant tout ce qui se présente, invitant à l'amour tous ceux qui se présentent. Ça ne fait pas un enseignement. L'amour, ça se dit, je t'aime, je te loue, je te remercie d'exister tel, et ce n'est guère original, mais c'est vrai, c'est agissant. L'amour est plénitude du manque, ça semble paradoxal, incompréhensible mais ce qui est impossible à comprendre est tellement simple à vivre.

La règle de vie de l'ordre religieux qu'il a créé sans le vouloir mais que des intrigants détournent de ses fondements est simple : jubilation de l'âme, insouciance du lendemain, attention pleine à toutes vies. Jouissance de ne tenir à rien, merveille de toutes présences. Il écrit vers la fin son Cantique du soleil où il loue la terre et tout ce qui y vit, le soleil qui fait tout vivre. Après plusieurs semaines de silence, il rajoute Loué sois-tu pour notre sœur la mort. Il a bouclé la boucle, aimer toute la vie, incluant la sœur la mort et ainsi rejoindre la vie éternelle, éternellement recommencée, ressuscitée. Le samedi 3 octobre 1226, il ferme lentement les yeux comme sous le charme d'une pensée profonde, si profonde qu'il en retient son souffle.

François est-il un modèle possible de radicalité pour notre époque ? En suivant la règle de vie de François, la vie pauvre, la vie faible, en étant des millions à vivre dans les forêts, dans les campagnes, mettra-t-on à bas le système prédateur qui s'appelle capitalisme et qui se met en place déjà au temps de François ? François est-il un SDF ne se souciant pas du lendemain, est-il un zadiste quasi-autosuffisant, est-il un migrant par choix au gré des territoires résilients à futur désirable, un pèlerin du refus de la consommation, un décroissant, un colibri faisant sa part et se satisfaisant de sobriété heureuse ? On est tenté de dire OUI

OUI MAIS

Un auteur italien, Giacomo Todeschini, s’est préoccupé des conceptions économiques élaborées par des Franciscains soucieux de conjuguer les affirmations du Poverello avec la situation économique des cités italiennes au Moyen Âge. L’ouvrage de Giacomo Todeschini a rencontré un écho certain en France. Voici quelques citations relevées dans la presse française. «Pauvreté, marginalité, richesse : tels sont les débats qui, dès la fin du XIIe siècle, agitent les cités italiennes et, bientôt, les grands centres urbains de la chrétienté. Au cours du Moyen Âge naissent en Occident la question sociale et les théories économiques. (Jean‐Michel de Montremy, «François d’Assise en inventeur du capitalisme», Le Journal du dimanche, 21 décembre 2008). «Parmi les grandes figures du Moyen Âge, François d’Assise (1182‐ 1226) est assurément l’une des plus vivantes aujourd’hui. Le marchand devenu ermite charismatique, qui fit de la pauvreté une valeur cruciale de la communauté, inspire autant la pensée sociologique que la scène théâtrale.[...] Tout le propos du livre de Giacomo Todeschini est de montrer comment, à partir de réflexions sur la pauvreté, la pensée franciscaine a contribué à façonner le langage et les pratiques économiques de l’époque, en particulier à propos du marché.»

extrait de l'essai de Gérard Poulouin, Le Très-Bas, un livre de pauvre, université de Caen : voir le PDF ci-dessous

 

Une évidence: pour être un pauvre, un mendiant, un décroissant ne faut-il pas aussi des gens qui donnent, des gens qui possèdent et qui se délestent, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie comme François, peu importe leurs motivations, "mes" pauvres, solidarité spontanée, solidarité organisée, associative, étatique. Peut-être le tiers-ordre de François suppose des formules comme le revenu universel de base, le salaire à vie.

Jean-Claude Grosse, dimanche 4 août 2019, avant l'abolition de mes privilèges

J'ai abordé Joseph Delteil, j'avais 24 ans, avec son roman Sur le fleuve Amour. Une secousse. Je dois mon attachement à la Sibérie en partie à ce roman.

François d'Assise, je l'ai abordé d'abord par un spectacle que j'ai fait venir deux fois à la Maison des Comoni au Revest, adaptation et mise en scène Adel Hakim, jeu habité Robert Bouvier. Créé en 1994, j'ai dû accueillir le spectacle en 1995 et 1996. Public ravi. Le Très-Bas était paru deux ans avant. Il n'aurait pas donné à mon avis ce spectacle jubilatoire qui tourne encore 25 ans après, avec le même acteur habité, Robert Bouvier, Adel Hakim ayant quitté ce monde le 29 août 2017 après avoir laissé une lettre particulièrement émouvante, Libre adieu.

La préface au texte (écrit en 1959, paru en 1960 et republié dans les Oeuvres complètes en 1984) est significative du projet de Joseph Delteil : Ensainter les hommes.

 

Un saint qui « ensainte les hommes »

 

Je suis chrétien, voyez mes ailes. 

Je suis païen, voyez mon cul. 

« J’ai appelé ce texte François d’Assise et non pas Saint François. Vous remarquerez que je tiens à cette nuance. Je prétends toujours que tout homme, s’il le veut, peut devenir François d’Assise, sans être saint le moins du monde. J’imagine très bien un François d’Assise laïque et même athée, ce qui importe, c’est l’état d’esprit « françoisier » et non pas sa place réservée sur un fauteuil doré dans le paradis. Il faut un saint « utilitaire », un saint qui « ensainte » les hommes. Nous vivons une époque cruciale de l’Histoire, c’est un véritable match entre l’histoire et la nature.D’un côté une redoutable accélération industrielle, une montée en flèche de la civilisation atomique et de l’autre une fragile levée de sève ça et là dans le vaste monde, un appétit soudain de grand air, de soleil. L’humanité bureaucratique, métallique, aspire de nouveau à sa chair, elle veut se dénuder, prendre la clé des champs. François est de notre époque, il porte notre étendard. Ce qu’il rejette, en rejetant les grosses bâtisses de son temps, c’est les gratte-ciel d’aujourd’hui, ce qu’il bafoue en chantant la sainte ignorance, c’est notre froide intellectualité. Tout cela annonce un vaste mouvement de reconquête de la nature « à la françoise ». La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice, tout est falsifié, truqué, pollué. La nature est dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompues, les oiseaux infectés d’insecticides, les poissons empoisonnés par les déchets nucléaires, la levée des substances cancérigènes, partout la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes...Je ne m’adresse pas seulement au catholique mais à l’honnête homme de toute race et de toute religion : chrétiens, agnostiques, communistes, athées, blancs, rouges, afro-asiatiques, etc. Tout homme peut être franciscain, peut-être « françoisier », sans croire à la sainteté de François. Drôle de saint, dites-vous. J’avoue en tout cas que j’ai écrit ce texte dans une folle émotion tantôt criant de joie, tantôt ruisselant de larmes. Je crois au panthéisme, à cette respiration du corps accordée à celle du cosmos, cette foi, bras écartés, aux dimensions de Grand Tout. S’unir à la nature et à la divinité, c’est accroître le sens de l’homme jusqu’à l’absolu. Se fondre et s’incorporer dans l’univers, c’est devenir soi-même l’univers. » 

Joseph Delteil


 

 

 

Cette préface de 1960 a sans que le mot soit employé un fort contenu écologique et Delteil veut que nous devenions des « françoisiers », unis à la nature et à la divinité.

Fréquentant le Vallespir depuis l'été 1965, accroc au Banquet du Livre de Lagrasse où je suis allé plusieurs années d'affilée (durée entre 3 et 5 jours), profitant du pays cathare, visitant le village du livre de Montolieu, le lac du Lampy, les rigoles de Riquet, le canal du midi, je ne pouvais pas ne pas chercher quelques traces de Joseph Delteil. Outre une bouteille de vin étiquetée Joseph Delteil, précieusement gardée, je suis allé sur place, à La deltheillerie, (avec h), titre de son dernier livre (1968), la tuilerie de Massane à Grabels aux portes de Montpellier, dans un état d'abandon qui mobilise des amis de Delteil.

C'est donc à Corsavy que se trouvent les œuvres de Joseph Delteil. C'est là que j'ai lu et relu à 25 ans d'intervalle ce texte. Joseph Delteil est partie prenante du texte en tant que Je, en tant que Nous. De toute évidence, il s'est documenté. Il connaît bien son François, il s'identifie à lui comme François s'identifie au Christ. L'innocence de François s'exprime dans des inventions verbales tautologiques, les pigeons pigeonnent, les pinsons pinsonnent, les mouches mouscaillent, les fleuves vont fleuvant, les feuilles feuillant; cela donne un texte fluide, jubilatoire, jaculatoire qui donne envie de françoiser, de faire la révolution à la françoise. François est homme à prendre au pied de la lettre, les paroles d'évangile. N'est-ce pas ce que veut dire cette expression, une parole d'évangile ne peut être remise en question, c'est une parole indiscutable, une vérité absolue. Donc quand à la Portiuncule, il entend l'évangile selon saint Matthieu, XIX, 21 et qu'il fait répéter au prêtre ce qu'il lit, celui-ci insistant sur l'esprit de l'évangile, François répliquant à la lettre, l'évangile, le prêtre lui demandant quand il s'en va : où vas-tu ? Prêcher l'évangile, lui répond vivre l'évangile ! Vivre l'évangile ! Quelles paroles entre autres a -t-il retenu ?

Allez libres et sans souci, sans rien emporter avec vous, ni or ni argent ni aucune espèce de monnaie, ni valise, ni linge, une seule tunique et pas deux, ni chaussures, ni bâton.

Comment François en est-il arrivé à vivre à la lettre ces paroles d'une simplicité extrême ? Le texte comprend 10 chapitres dont plusieurs de Découverte, découverte de la terre, découverte de l'homme, découverte de la liberté, découverte de l'évangile. Des chemins de découverte à commencer par la terre charnelle, nourricière. Rien à voir avec l'émerveillement devant la beauté mais l'absorption quasi-physique de la viridité de la nature, la nature c'est du vert, à foison. François quand il parle de frère, de soeur ne joue pas à humaniser ce qui l'entoure. Par ses chants spontanés, ses rires, son hilarité naïve, il s'identifie à frère oiseau, à frère loup, à soeur neige. À partir de ces découvertes successives, la vraie vie, les françoisiers car bientôt, ils sont une bande à suivre François, vivent d'amour et d'eau fraîche, prennent la clé des champs, ils ne se soucient pas du lendemain comme les oiseaux du ciel et parce que le Pater dit Donnez-nous aujourd'hui (deux fois) notre pain quotidien. C'est le chapitre le plus long, le plus exaltant pour aujourd'hui et qui s'achève par le nombre de françoisiers, la grande armée des franciscains en 1960, plus de 3,5 millions, tous niveaux confondus. Vient le chapitre sur le pur amour, sur les deux femmes dans la vie de François, Claire, la spirituelle, son imitatrice, fondatrice des Clarisses et Jacqueline Frangipani, frère Jacqueline, la femme à tout faire, qui élabore la frangipane.

François est évidemment trahi, détourné par des membres de son Tiers-Ordre (comme surgira plus tard un Tiers-État) dont la règle est : simplicité de vie, pauvreté d'esprit, non violence, interdiction du serment, interdiction de porter les armes. C'est le temps de La passion. Car en même temps qu'il est trahi, que la règle est écartée, le pape s'en mêle, pas question que le concentrisme de François (une fraternité par cercles concentriques de plus en plus larges, de plus en plus universels : les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les plantes, les eaux, les vents, les nuages, le soleil, les saisons, la vie sous toute forme et la mort - il l'intègrera à la fin de son Cantique du soleil, ma sœur, la mort) vienne mettre en cause la vision hiérarchique de l'église. François se soumettra hé bien faites ce qu'il vous plaît mais lui sera pèlerin, donc seulement de passage dans les églises où l'on doit obéissance, il sera le dernier franciscain, le premier franciscain. C'est le retrait dans la montagne, les 40 jours de jeûne dans le maquis de Dieu, les stigmates.

Le dixième chapitre s'intitule À Dieu qui est aussi l'adieu de François par le célèbre Cantique du soleil, qui est aussi ce que Delteil appelle la bataille du cadavre. Qui va accueillir ce saint avec tout le commerce à en faire ? Delteil est scandalisé par ce qui a été fait du pauvre corps de François au mépris de ce qu'il voulait, mort il est devenu la proie des hommes cupides d'église et des marchands. Il dit Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! C'est notre Pacte ! Un beau jour, un de ces quatre matins...

Un tremblement de terre en 1832 rasa Sainte-Marie des Anges, la somptueuse basilique qui enserrait la Portiuncule de saint François. Un autre tremblement de terre en 1996 remit à terre la basilique reconstruite.

Cela n'a pas suffi à libérer François. C'est notre travail, notre pacte. Car le libérer, c'est nous libérer, individuellement, par travail sur soi et choix d'une métaphysique (naturaliste à la Marcel Conche, spiritualiste) et collectivement (là, il suffit de voir l'état du monde, capitalisme ultra-libéral mondialisé où le pouvoir politique est au service des oligarchies, capitalisme d'état des ex-pays "communistes" où le pouvoir politique contrôle les oligarques, pour se dire prudence, méfiance, quelle solution ?, révolution mondiale ?, création d'une multiplicité d'îlots ?, avec, sans parti...) conscients que tout mouvement de libération est à un moment donné, dévié, récupéré, transformé en son contraire (toujours l'homme est à découvrir).

Jean-Claude Grosse, lundi 5 août 2019, après l'abolition de mes privilèges

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