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Blog de Jean-Claude Grosse

psychanalyse

Qu'est-ce qu'une femme ?/L'Autre jouissance/Lol V. Stein

Rédigé par grossel Publié dans #psychanalyse

pour l'amour de l'amour, extases d'après Ernest Pignon Ernest
pour l'amour de l'amour, extases d'après Ernest Pignon Ernest
pour l'amour de l'amour, extases d'après Ernest Pignon Ernest
pour l'amour de l'amour, extases d'après Ernest Pignon Ernest

pour l'amour de l'amour, extases d'après Ernest Pignon Ernest

Qu’est-ce qu’être une femme au-delà des semblants, de l’apparence, de la mode ?

Freud a découvert en écoutant ses analysantes que c’était la question des femmes hystériques.

Lacan a précisé qu’une femme ce n’est pas une mère.

Nous interrogerons la théorie freudienne de la sexualité féminine avec l’éclairage de Lacan.

Nous illustrerons cette question d’exemples tirés de romans et de la clinique.

La femme au miroir Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 2011

Histoire d’une femme libre Françoise Giroud, Gallimard, 2013

À la librairie Le carré des mots, place à l'huile à Toulon, le dimanche 10 mars 2013, de 11 à 13 H, Marie-Paule Candillier (M.-P. C.) et Marie-Claude Pezron (M.-C. P.) ont abordé un sujet délicat Qu'est-ce qu'être une femme ? Sous l'angle de la psychananlyse (Freud et Lacan).

Pour aller à l'essentiel de cet exposé à deux, remarquablement conduit, « naturel », ce qui amène le public à intervenir sans hésitation, je relèverai 3 réponses :

La question qu'est-ce qu'une femme ? est la question apportée par les hystériques, Dora par exemple, à Freud.

Freud en arrive à la conclusion qu'il n'y a pas de réponse à cette question, que la sexualité féminine est un continent noir, obscur sur lequel rien ne peut être dit.

Lacan va proposer deux réponses :

  • la femme n'existe pas (dans la mesure où il n'y a pas de signifiant propre pour la représenter, le sujet homme ou femme se construisant en référence au signifiant phallique)

  • une femme peut avoir accès à une jouissance autre que la jouissance phallique, une jouissance éprouvée dans le corps, indicible ; c'est la jouissance supplémentaire ; cette jouissance est du côté du réel, au-delà du langage

Le moment de l'Oedipe est un moment structurant, différent pour le garçon et la fille. C'est la découverte de la différenciation sexuelle chez la fille, la constatation qu'elle n'a pas ce que le garçon a

d'où son ressentiment vis à vis de la mère qui l'a mal faite,

son identification au père qui a ce qu'elle n'a pas et peut lui donner ce qu'elle n'a pas, l'enfant, substitut du phallus.

En devenant mère, la femme se retrouve en position phallique mais la mère n'est pas la femme.

La femme se construisant par rapport à un signifiant qui ne lui est pas propre mais par rapport à un signifiant propre à l'autre sexe est amené à développer des stratégies diverses pour s'assurer qu'elle existe par rapport à l'homme. Peut-elle le séduire ? Comment ? Selon les époques et les sociétés, les femmes développeront ruses, mascarades, stratagèmes pour masquer l'absence de phallus, s'assurer un pouvoir sur les hommes ou à la manière des hommes. Parures et parades seront des armes entre leurs mains. Avec le féminisme, ce sont des revendications d'égalité qui émergent et modifient les relations entre les sexes. Ce n'est peut-être pas un hasard si on passe du continent noir de Freud à la jouissance supplémentaire de Lacan, qui fait de la femme, un être ayant un accès à l'infini, au prix de l'indicible. Ce qui ne peut que rendre plus difficiles les relations mères-filles, les filles sentant cette dimension, les mères l'ayant peut-être éprouvé mais ne pouvant rien en dire. Et ces relations pourront aller de l'extase au ravage.

Cet exposé, plus riche que ce que j'en rapporte, surtout par les exemples littéraires évoqués (la biographie de Françoise Giroud, La femme au miroir d'Éric-Emmanuel Schmitt) m'a éclairé certains aspects de la mouette. Il m'est devenu évident que cette femme de l'absence et du silence était sous le signe de la jouissance supplémentaire, refusant tout mot, toute parole, perdue dans une sorte de contemplation extatique d'un monde autre, auquel je n'avais aucun accès ce qui était frustrant et fascinant.

Cela m'a amené à poser une question qui n'a pas été entendue. Amour platonique, amour courtois, pur amour, amour sublimé sont des amours où les mots, ce qu'attend la femme, importent plus que l'acte sexuel. Ce sont des formes d'amour qui entendent sans doute cet appel féminin de l'infini et qui peut-être sont plus gratifiants pour certaines femmes que la sexualité de passage et de passade comme celle d'Anny, la star du roman de Schmitt. Autrement dit, le culte sexe, sea and sun n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour certaines femmes (même Anny renonce à la défonce en voulant incarner à l'écran Anne de Bruges, l'extatique). La liberté sexuelle, la libération sexuelle ne favorisent peut-être pas l'accès à la jouissance supplémentaire. L'extase n'est pas à la portée de toutes.

En tout cas, je ne peux que conseiller la fréquentation du Carré des mots et de ses animations.

Jean-Claude Grosse, relu par Marie-Paule Candillier

L’Autre jouissance

Séminaire « Malédiction sur le sexe » du 19 juin 2012

Marie-Paule Candillier

Freud comparait la femme au «continent noir», il avouait ainsi que son approche de la sexualité féminine restait un domaine encore sombre et à explorer. Si Freud a buté sur cette question, ce n’est pas seulement parce qu’il était un homme et « machiste » comme l’ont prétendu les féministes mais parce qu’il a été confronté à un impossible à dire, à un réel.

Lacan a tenté d’avancer sur cette question dans le séminaire XX, Encore,en nommant la jouissance qu’une femme peut éprouver, la jouissance Autre ou l’Autre jouissance ouencore lajouissance supplémentaire. Il l’a aussi appelé le pas-tout. Il fautentendre par pas-tout, une jouissance qui ne serait pas toute inscrite dans la fonction phallique, une jouissance au-delà du phallus. Cette jouissance serait indicible et illimitée.

Pour tenter de l’approcher sans rester dans une trop grande abstraction, je vais l’illustrer avec le destin de trois femmes du roman d’Eric-Emmanuel Schmitt, « La femme au miroir» et le témoignage d’AE (analyste de l’Ecole).

Mais avant, reprenons quelques repères théoriques sur la sexualité féminine.

Genèse freudienne de la sexualité féminine

L’accès à la féminité passe par l’oedipe pour Freud : la petite fille quitte la phase phallique et rentre dans l’oedipe par la castration. Quand elle prend acte de son manque pénien et surtout du manque phallique de la mère, elle change de zone érogène et d’objet. Elle abandonne la masturbation clitoridienne adressée à la mère pour investir le vagin et se détourne de la mère « qui l’a si mal faite ». Elle oriente alors son amour vers le père espérant obtenir de lui le pénis sous la forme d’un enfant. Elle renoncera au père et reportera ce désir sur un homme plus tard.

Au fond pour Freud, l’accès à la féminité passe par l’amour du père et la maternité, donc par la dimension phallique.

En effet selon la théorie du primat du phallus, le sexe féminin n’a pas de représentation dans l’inconscient, seul le phallus s’inscrit pour les deux sexes, du côté plus ou du côté moins.

Lacan : du désir à la jouissance chez une femme

Dans son premier enseignement, Lacan reprend la théorie freudienne en faisant du phallus un signifiant, pour le démarquer de l’organe. Le phallus représente à la fois la castration symbolique inhérente au sujet humain en tant qu’il parle et le signifiant du désir.

Ainsi, en 1958 dans la signification du phallus, il énonce quel’homme a le phallus qui cause le désir de la femme et que la femme est le phallus pour un homme. La femme « trouve le signifiant de son désir dans le corps de celui à qui s’adresse sa demande d’amour »1. Une femme veut être désirée autant qu’aimée et pour rendre l’homme désirant, elle est prête à voiler son manque dans la mascarade qui pallie à son défaut d’être.

En 1962, dans le séminaire X L’angoisse, qui marque un tournant dans son enseignement, Lacan assimile le phallus à un objet a, cause du désir et met l’accent sur la jouissance. Sa célèbre maxime « La femme ne manque de rien2 » indique que la femme est supérieure à l’homme dans le domaine de la jouissance « copulatoire » car ses limites ne dépendent que de l’homme dans la détumescence. Lacan précise cependant que l’angoisse d’une femme se situe devant le désir de l’Autre, un Autre qui manque.

L’Autre jouissance

Son approche de la jouissance féminine culmine en 1972 dans le séminaire XX, Encore. Il l’aborde par la logique en construisant les tableaux de la sexuation à partir du mythe de la horde :du fait de l’exception du père de la horde, les hommes obéissent à la loi phallique, quant aux femmes, du fait qu’il n’existe pas pour elle d’exception, il ne leur est pas possible de se ranger « toute » dans la fonction phallique.

La jouissance sexuelle relève de la fonction phallique. Lacan la qualifie de jouissance de l’idiot car c’est une jouissance solitaire qui passe par l’objet a dans le fantasme sans rapport à l’Autre sexe. Hommes et femmes ont accès à la jouissance phallique mais les femmes ne s’y rangent pas-toute, pas exclusivement. Pourquoi ?

La formule lapidaire de Lacan, « La femme n’existe pas », traduit la forclusion du signifiant Lafemme, son absence de représentation. Les femmes ont affaire en tant que femme à une « faille dans l’Autre »3, à un défaut de fondement de l’ordre symbolique que Lacan écrit sous la forme du mathème S (A/). Il y a du réel qui ne se réduit pas au signifiant, que l’on ne peut pas écrire. L’Autre jouissance de la femme relèverait du réel. Cette jouissance féminine échapperait au signifiant phallique car elle se produit dans une dimension Autre.

La jouissance d’une femme ou de tout sujet inscrit du côté femme dans la sexuation ayant ce rapport à A barré, se dédouble donc entre d’une part, la jouissance phallique auquel elle a accès en tant que sujet de l’inconscient dans son rapport à la castration, Ф, et d’autre part, cette jouissance féminine que Lacan nomme supplémentaire ou pas-tout (pas toute phallique) de par ce rapport à A barré où elle ne rencontre qu’absence.

Cette jouissance supplémentaire, est radicalement Autre pour elle et la rend absente à elle-même. Elle ne peut rien en dire, elle l’éprouve. Cette jouissance Autre n’entre pas dans le cadre du fantasme, elle est illimitée. « Abîme et néant mais aussi extase et rage forment les extrêmes » de cette jouissance chez une femme. « Elle la dépasse, l’ébranle, l’envahit ou la ruine faisant figure de non sens ou de bizarrerie »4.

Le destin de trois femmes

Le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt, « La femme au miroir» présente le destin de trois femmes qui se sentent différentes de leurs contemporaines et qui cherchent leur voie au-delà du rôle que leur imposent les hommes et la société. Toutes trois consentent à une perte pour se réaliser en tant que femme. Elles « cherchent des solutions du côté des semblants pour habiller leur être de femme, s’extrayant d’une solution du côté du phallus »5.

Hanna vit à Vienne en 1906, à l’époque de Freud, elle épouse le comte Von Valberg et vit dans le luxe d’une société aristocratique. Bien qu’adorée de son mari, elle reste insatisfaite ; elle est frigide et stérile. C’est une hystérique. - Rappelons que l’hystérique n’est pas en position féminine car elle reste en position phallique dans l’identification au père. De ce point d’identification, elle pose la question « qu’est-ce qu’une femme ? », « Qu’est-ce qu’une femme pour un homme ?».-

Son analyse permettra à Hanna de s’éveiller à la sexualité et de s’émanciper. Elle quittera Vienne, son mari et son statut social pour vivre des aventures amoureuses avec des inconnus, condition de sa jouissance à laquelle elle consent. Elle deviendra psychanalyste. C’est dans ce travail qu’elle s’accomplira, ne cédant pas sur son désir malgré les préjugés de son époque et de son milieu. Elle s’adonnera à l’écriture d’un livre sur le mysticisme flamand.

Anny est star de cinéma à Hollywood de nos jours. Elle se défonce dans la drogue, le sexe et la vitesse, ne trouvant consistance que dans son jeu d’actrice. Elle excelle dans l’interprétation de ses rôles. Un homme -un infirmier rencontré lors d’une cure de désintoxication- qui se refuse à elle, va être le point de départ d’une interrogation sur sa vie. Au sommet d’une brillante carrière et adulée de tous, elle quitte l’Amérique pour interpréter en Europe, le rôle d’une jeune béguine, condamnée par l’église pour hérésie. Ce rôle de femme martyr, la sauvera.

La vie d’Anne de Bruges à l’époque de la Renaissance, troisième femme de ce trio va fasciner les deux héroïnes : Hanna va écrire un essai sur elle tandis qu’Anny va l’interpréter au cinéma. Nous repèrerons dans ce qui capte Anne, cette jouissance Autre évoquée par Lacan chez les mystiques.

Anne de Bruges : l’extase

Anne de Bruges est une jeune fille orpheline, élevée par sa tante. Elle est sur le point d’épouser un beau Flamand que les autres femmes lui envient. Mais elle est ailleurs. Tandis qu’on prépare son mariage qui va avoir lieu dans quelques heures, elle contemple le soleil, écoute le silence et n’est sensible qu’au printemps. « La nature l’attirait davantage que son fiancé...Ce qui lui arrivait -s’unir à Philippe -s’avérait dérisoire par rapport à cette splendeur 6».

Le jour de son mariage, indifférente à l’attrait du garçon dont elle apprécie pourtant la présence, elle s’enfuit dans la forêt et y passe la nuit lovée dans les racines d’un chêne. « Une immense félicité l’envahit, elle sent l’univers habité par une énergie latente, persistante… Anne vibre au centre d’un accord merveilleux, si inouï qu’elle ne comprend pas de quoi il se compose. Elle ressent un désir « délicat à définir… Désir de quelque chose de grand, d’essentiel »7. Elle est contemplative, « présente à toute chose, absente à elle-même8 ».

Elle trouve sa jouissance dans la proximité de la nature, les animaux et en particulier avec un arbre à qui elle parle en rentrant dans l’extase.

Est-elle folle ?

« Je pressens que je dois aller ailleurs…plus loin en l’amour…» dit-elle au moine qui la découvre dans la forêt. Elle se sent différente : aucun mot ne revêt la même signification pour elle et pour ses interlocuteurs9 . Elle éprouve le vide qu’elle a amadoué depuis l’enfance et se dissout dans la contemplation et la fréquentation du silence10. Elle irradie la joie. Un sourire épanoui s’affiche constamment sur son visage. 11

« Il y a dans l’univers un amant invisible, […] il se trouve partout et nulle part. C’est la force de l’aube, c’est la tendresse du soir, c’est le repos de la nuit […] C’est une force infinie, plus grande que le plus grand d’entre nous » explique-t-elle au moine qui voit Dieu dans cette description.

Anne va chercher dans l’écriture de poèmes une manière d’exprimer ce qui la relie au monde, une description de l’état extatique dans lequel elle rentre et que les autres, notamment ce moine, vont corréler à Dieu. Mais pour elle, l’amour infini qu’elle ressent est d’une autre nature que les mots ne peuvent traduire. Elle trouvera une forme de réalisation de sa différence et de son être féminin dans le béguinat, une forme laïque de vie monacale dans le retrait du monde et la mise à l’écart des hommes et de la sexualité. Elle finira brûlée sur un bûcher condamnée par l’église pour hérésie.

Autres exemples de l’Autre jouissance

L’Autre jouissance ne se manifeste pas seulement chez les mystiques. Deux analystes de l’Ecole, Sonia Chiriaco et Hélène Bonnaud nous ont évoqué récemment dans leur témoignage de passe, la façon dont elle s’était traduite pour elles.

Pour Sonia Chiriaco, cette jouissance s’est manifestée par un phénomène hors sens qu’elle a nommé, « éclair sur l’horreur « ou « éclair de vérité ». « Il se produisait dès qu’elle s’endormait, la réveillant aussitôt, ne laissant qu’une trace d’angoisse et l’intuition qu’il contenait une vérité insaisissable12… » L’après-coup de l’analyse lui a permis de relire cet évènement hors sens, indicible comme se référant à l’Autre jouissance. L’expression « qui vive » surgit de l’inconscient lui apparut comme la traduction de la réconciliation avec la jouissance, c'est-à-dire la vie, alors qu’on « l’avait donnée pour morte à quelques jours de vie ».

Pour Hélène Bonnaud13cette jouissance supplémentaire s’éprouvait comme « chute du corps ». Cet évènement de corps « inscrit dans l’être même du sujet comme manifestation d’angoisse » trouvait sa racine dans un dit prononcé par son père avant sa naissance « Si c’est une fille, on la jettera par la fenêtre ». « Le sujet n’a cessé de s’arracher à cette chute, s’arracher de son éjection ». L’analyse lui a permis d’admettre de n’être pas-toute à elle-même car arrachée de son propre corps. « Une part de la jouissance dite féminine autorise » maintenant «un attachement à l’homme qui la ressuscite14 ».

Du fait de cette Autre jouissance aucune complémentarité n’est possible entre les partenaires dans le rapport sexuel. Le courage d’un homme est de soutenir dans la rencontre d’une femme, l’interrogation que fait surgir ce point de non savoir de la jouissance féminine.

1 Lacan J., Ecrits, Seuil, Paris, 1966, p. 694

2 Lacan J., Le séminaire, livre X, L’angoisse, p. 211

3 Lacan J., Le séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, P. 31

4 Miller D., La Cause du désir N° 81, p.

5 Ségalen MC., La lettre mensuelle N° 308

6 Smitt E-E., La femme au miroir, Albin Michel, 2011

7 Id, p. 49

8 Id , P, 85

9 Id, p. 89

10 Id, p. 120

11 Id, p. 232

12 Chiriaco S., Une femme, deux jouissances », La Cause du désir N° 81

13 Bonnaud H., id

14 Id

Le vacillement du corps chez Lol V. Stein

Marie-Paule Candillier

Séminaire Le corps et ses embrouilles du 4 décembre 2012 à Toulon

Le roman de Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein1, paru en 1964, nous plonge au cœur d’une expérience de corps extrême chez une jeune femme: le vacillement de l’image du corps allant jusqu’à la perte totale de corps et le sentiment d’une inexistence radicale.

Le mot « ravissement » peut prendre plusieurs sens : enlèvement, rapt mais aussi enchantement, exaltation, envoûtement. Ravir peut signifier voler, dérober mais aussi être transporté, subjugué dans l’expérience amoureuse ou dans l’extase mystique.

Tout l’art de Marguerite Duras est d’approcher ce phénomène de corps entre rapt et extase, qui n’est pas sans évoquer la schizophrénie, sous une forme poétique.

Rappelant avec Freud que l’artiste toujours précède le psychanalyste, Lacan lui fait l’éloge de savoir sans lui ce qu’il enseigne2.

Le personnage de Lol est inspiré à M. Duras de la rencontre d’une femme dans un asile psychiatrique. Elle a choisi, dit-elle, le nom de Lol en pensant à l’actrice dramaturge française Loleh Belon qu’elle admirait.

Le récit commence ainsi : « Lol V. (une abrévation, pour Valérie ?) Stein est née à S. Tahla, » une ville balnéaire imaginaire, « elle y a vécu une grande partie de sa jeunesse3 ». Le style est épuré mais derrière une apparente simplicité, se révèle une grande complexité de la situation et des personnages.

Le narrateur est incertain, il oscille entre l’auteur contant un récit biographique et un personnage nommé Jacques Hold qui deviendra l’amant de Lol de manière très particulière dans un ternaire avec une autre femme. Il raconte l’histoire de Lol.

La scène du bal, premier évènement traumatique

Lol a 19 ans. Un soir de bal au casino de T. Beach (une station balnéaire) avec son fiancé, Michael Richardson, elle assiste au rapt de son fiancé.

« Lol, frappée d’immobilité, avait regardé s’avancer4 » dans la salle de bal, une nouvelle venue, Anne-Marie Stretter, une femme plus âgée dont « l’élégance inquiétait ». Richardson a le coup de foudre pour cette femme. « Il était devenu différent. » dit Lol, «tout le monde pouvait le voir. Lol le regardait changer ». « Ils avaient dansé, dansé encore […] Ils, ne s’étaient plus quittés5». Après le bal, Richardson quitte Lol pour suivre cette femme sans explication et disparaît à jamais. Près d’elle, Tatiana Karl, sa meilleure amie, assiste à la scène.

Lol s’évanouit et reste dans un état de prostration pendant plusieurs semaines. Commence le ravissement.

Quand elle paraît remise, Lol recommence à sortir, de nuit. Elle rencontre un homme dans la rue, Jean Bedford un musicien. Il la demande en mariage, elle accepte. Sur les conseils de la mère de Lol, ils vont vivre dans une autre ville loin de T. Beach, à U. Bridge. Ils ont trois enfants. Lol mène une vie conventionnelle. « Dans les semblants de sa vie familiale, elle est une épouse et une mère sinon heureuse, du moins joyeuse »6.

Dix ans plus tard, après la mort des parents de Lol, ils reviennent s’installer à S. Tahla dans la maison familiale. On comprend que Lol a gardé en secret la scène du bal.

Un jour, de son jardin, elle voit passer un couple qui s’embrasse dans la rue et croit reconnaître son amie d’enfance, Tatiana, témoin de la scène du bal. Elle recherche l’homme, le retrouve et reprend contact avec Tatiana qui est mariée. Elle apprend qu’elle a une liaison adultère avec cet homme, Jacques Hold, ils se rencontrent à l’hôtel des bois où Lol retrouvait son fiancé. L’attirance entre Jacques Hold et Lol est immédiate mais elle lui demande de garder Tatiana comme maîtresse. Allongée dans un champ de seigle qui fait face à l’hôtel, Lol se cantonne à épier les retrouvailles érotiques des deux amants par la fenêtre éclairée.

Jacques Hold accepte tacitement les règles imposées par Lol, celles de vivre leur amour dans les bras de Tatiana devenue le véhicule de leur passion. Lol vit ainsi leur relation par procuration et par le regard. Faire l’amour avec Tatiana revient alors pour Jacques Hold, à faire l’amour à Lol. Une seule fois, Lol se donne à lui dans le train qui les mène à T. Beach, l’endroit du bal. Par ce pèlerinage au casino, en présence de Hold, sorte de retour sur le lieu de l’effondrement, elle va revivre son passé et tenter de se le réapproprier.

En quelques mots Lol donnera à Jacques Hold et au lecteur une clé de ce qui s’est produit pour elle avec l’évènement de la salle de bal du casino de T. Beach : la disparition brutale de l’amour, la profondeur de cette absence, le rôle instantané de la femme dans la fin de cet amour. Jacques Hold le réduit en un mot : remplacement.

Le remplacement pour avoir un corps

Essayons de préciser ce qui s’est passé pour Lol, à l’aide du cours de JAM Les Us du laps.

Lors de la scène du bal, à l’arrivée d’Anne-Marie Stretter, Lol éprouve soudain « une absence d’amour ». L’objet d’amour, le fiancé est soudain désinvesti, sa libido est transvasée vers le couple que son fiancé forme avec cette autre femme, plus exactement vers cette autre femme plus âgée et mystérieuse, qui ne regarde personne et qui est au centre des regards.

Ce qui se joue pour Lol dans cette scène traumatique ne se précise qu’après une incubation de dix ans, lorsqu’elle revient dans la ville où a eu lieu le bal et qu’elle s’insère dans le couple formé par Tatiana et Hold. Dans ce couple, c’est son amie qui l’intéresse, le corps de Tatiana qui vient à la place de son corps. On s’aperçoit que ce qui était en jeu dans l’apparition d’ Anne-Marie Stretter était « une métaphore du corps derrière la métaphore de l’amour7 ». Lol était en attente d’un corps depuis toujours : « elle n’était pas là » se rappelle Tatiana au collège. Elle n’était pas là où était son corps, peut-on dire. Elle donnait depuis toujours à ses proches, le sentiment d’une absence. Lol n’a pas de corps, elle n’en a jamais eu, ça lui est révélé au moment où apparaît le corps d’une autre, lors du bal. « Je ne comprends pas qui est à ma place » dit-elle. Le trouble du rapport du sujet à son corps va jusqu’au trouble du sentiment même de la vie. Elle cherche un remplacement.

On retrouve dans l’hystérie cet appel fait au corps d’une autre femme comme support d’indentification car le sujet hystérique souffre d’un défaut d’identification narcissique. On retrouve aussi cet appel à l’homme en tant que signifiant maître pour traiter le manque à être de son propre corps. Mais l’hystérique a accès à la fonction paternelle, l’identification imaginaire est soutenue par la fonction symbolique et elle interroge dans l’autre femme ce qu’est une femme en l’absence de signifiant de la femme.

Lol n’est pas hystérique. Ce qu’elle met en jeu dans sa recherche d’être à trois n’est qu’une homologie formelle à l’hystérie. Anne-Marie Stretter et Tatiana ne représentent pas l’autre femme. Elles viennent comme point d’appui de son image défaillante, dans un remplacement.

On peut aussi retrouver le vacillement de l’image du corps, dans la rupture amoureuse, quand l’image dont l’amant vous revêtait, vous est dérobée. C’est alors l’objet a, l’objet déchet qu’habillait la splendeur de l’image qui apparaît. Mais vous vous en remettez car votre image soutenue par le symbolique n’est que momentanément abolie.

Rappelons que Lacan distingue deux aspects du corps, le corps enveloppe comme forme, image du corps i(a) du stade du miroir et le corps pulsionnel, l’objet a. L’image du corps soutenue par la fonction symbolique de l’Autre qui instaure I(A), l’idéal du moi, donne une enveloppe au réel du corps investi libidinalement.

Chez Lol, l’image non soutenue par l’Idéal du moi dans le rapport à l’Autre ne tient pas.

Au moment où son fiancé s’en va, quand l’image dont l’habillait son regard amoureux lui est soustraite, Lol ne perd pas seulement son image mais son être même car elle n’a pas d’autre corps que ce qu’elle est dans le regard de l’Autre. Ce qui apparaît alors est le vide. Elle est « dans un ravissement de l’être » : i(a), l’image est équivalente chez elle à l’objet a, son corps pulsionnel.

« Le ravissement tel que le cerne JAM […] précise Sophie Marret, est conjonction du défaut d’extraction de l’objet et du détachement de l’image du corps. Faute que soit advenue l’extraction primordiale de jouissance par l’opération de la castration symbolique, le ravissement est le phénomène par lequel l’image du corps détachée emporte avec elle l’objet pulsionnel, laissant le sujet à la pure vacuité.8 »

Lol n’a jamais eu de corps, déjà à l’adolescence, Tatiana, sa meilleure amie, lui servait de support imaginaire, mais ça lui est révélé lors de la scène du bal au moment où apparaît le corps sublime d’une autre.

Pendant dix ans ans, son mari lui avait permis de se soutenir dans les semblants de sa vie familiale en tant qu’épouse et mère sans d’identité propre. Durant cette période, elle gardait pourtant en secret le bal. Et quand elle voit passer ce couple qui s’embrasse passer devant chez elle, commence la construction du fantasme (ou délire). Elle reconstitue la fin du bal qu’elle a imaginé, « le geste de l’homme enlevant la robe de la femme », l’être à trois et son remplacement, en montant la scénario avec le couple Hold / Tatiana. Elle instrumente Jacques Hold (nom bien choisi car c’est vraiment celui qui tient la femme) à cette fin. Par la réalisation de son fantasme (passé dans le réel), elle fait consister comme tache, sous le geste de l’homme (Jacques Hold), « la femme nue sous les cheveux noirs » de Tatiana. Lol est ravie au double sens du terme : son corps disparaît, elle est en l’autre, remplacée. Elle fait exister, nouée à elle, la beauté du corps de la femme, pur regard. La tache (l’autre femme, AM Stretter et Tatiana ou elle-même couchée dans le champ de seigle), condense l’objet regard qui à la fois la passionne et la persécute.

Ce bricolage de corps par substitution aurait peut être pu tenir si Hold, à vouloir faire parler Lol pour la comprendre et la sauver, ne l’avait pas rendue folle. Faire la femme auprès de l’homme, lui est fatal. Trop près du regard, elle est à son tour l’objet regardé, la tache la regarde. Elle sait où est la femme, dans la tache fascinante.

Sans être un cas clinique, cet exemple tiré de la littérature nous enseigne l’arrangement possible d’un sujet pour soutenir son corps et ses limites.

1 Duras M., Le ravissement de Lol V. Stein, Folio, 2000

2 Lacan J., Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein, Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p. 193

3Duras M., Le ravissement de Lol V. Stein, Folio, 2000, p. 11

4 Id, p. 15

5 Id, p. 19

6 Lazarus-Mattet C., Cours de JA Miller, Les us du laps, N° 22, leçon du 14-06-00, p.

7 Miller JA, Cours Les us du laps, N° 22, leçon du 14-06-00, p.7

8 Marret S., L’objet du ravissement : De Lol V. Stein à Marguerite Duras, Quarto N° 97, p.4

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Violences intimes/violences collectives/M.P.Candillier

Rédigé par MPC Publié dans #psychanalyse

Violences intimes/violences collectives/M.P.Candillier

 Violences intimes, violences collectives

Selon l’approche analytique

 

Pause philo du 18-02-12

MOULIN DES CONTES d’Hyères

 

Marie-Paule CANDILLIER

 

 

Guerres, génocides, massacres collectifs sont toujours là dans un endroit du monde. Ces violences collectives s’originent dans des conflits ethniques, économiques, politiques…

Les violences individuelles et familiales ne sont pas moins fréquentes dans nos sociétés dites évoluées : violences conjugales, femmes battues,  maltraitance d’enfants, meurtres, crimes…et violence tournée contre soi, autodestruction,  suicide, scarifications,  toxicomanie…

 

Ces manifestations de violence n’ont pas toutes la même signification. Les unes se déploient dans le registre de « l’intention agressive » et sont prises dans la communication, les autres témoignent d’une « tendance agressive » plus fondamentale qui se situe  dans un autre registre, celui du  passage à l’acte, mettant en jeu ce  que Freud a désigné par le terme de pulsion de mort.

L’histoire de l’humanité rejoint celle de l’individu aux prises avec la jouissance mortifère.

 

L’arrivée au monde de l’homme est déjà violence, la naissance est traumatique selon Otto Rank. Elle impose une rupture par la séparation du corps de la mère.  En naissant prématuré, l’enfant ne peut survivre s’il n’est pas objet de soin de la mère ou d’un substitut  et porté par un désir qui l’humanise.

La naissance sans violence proposée  par Frédéric Leboyer et Michel Odent  pour accueillir l’enfant en douceur (bain, coupure du cordon par le père) a mis l’accent sur l’accueil symbolique de l’enfant  alors que l’accouchement était de plus en plus médicalisé et centré  sur le corps comme organisme.

 

Freud, de l’agressivité à la pulsion de mort

 

La pulsion de mort[1]

Freud considère que l’agressivité est  une « disposition instinctive primitive et autonome de l’être humain ». Il en fait un phénomène vital relevant de la biologie. Il pensait au départ qu’il y avait deux sortes de pulsion, les pulsions du moi visant la conservation de l’individu et les instincts objectaux, l’amour ou libido tendant à  préserver l’espèce.

Avec l’étude du narcissisme en 1914, il se rend compte qu’il n’y a qu’une seule libido : au départ  narcissique, cette libido se tourne vers les objets, elle devient libido objectale au cours du développement psychique d’un sujet. Les premières satisfactions sexuelles sont autoérotiques, elles portent sur le corps propre puis  s’étayant sur les fonctions vitales, elles prennent comme objet sexuel, la mère après la formation du moi.

 

Avec l’étude des névroses traumatiques (névroses de guerre) et l’observation du jeu de l’enfant, il découvre une tendance à la répétition : le traumatisme revient sans cesse dans les rêves des traumatisés et l’enfant  rejoue ce qui  a été pénible comme le départ de la mère ou l’examen du médecin.

Il en conclut qu’à côté de l’instinct érotique ou instinct de vie, qui tend à conserver la substance vivante, il en existe un autre, qui lui est opposé. Cet instinct de mort tend à ramener  l’individu  à son état primitif, à l’état inorganique, vers la mort.

Instincts de vie et instinct de mort rentrent rarement en jeu isolément, ils forment entre eux, des alliages divers au point de devenir méconnaissables.

Dans le sadisme, on aurait un alliage de la pulsion sexuelle  et de la pulsion de destruction ; de même dans le masochisme mais il serait tourné vers l’intérieur, sur le moi.

 

L’instinct de mort travaille silencieusement dans l’intimité de l’être vivant,  à sa dissolution. Cette tendance à la destruction tournée vers l’intérieur est difficile à percevoir si elle n’est pas teintée d’érotisme comme dans le sadisme ou le masochisme.

 

Rappelant que les symptômes des névrosessont des substituts de satisfactions de désirs sexuels non exaucés et que toute névrose recèle une dose de sentiment de culpabilité, Freud en déduit que l’agressivité une fois réprimée et transférée au Surmoi, c’est l’agressivité seule qui se mue en sentiment de culpabilité. Quand une pulsion instinctive succombe au refoulement, ses éléments libidinaux se transforment en symptômes, ses éléments agressifs en sentiment de culpabilité. Cette distinction n’est cependant qu’approximative car pulsions de vie et pulsions de mort  n’apparaissent jamais isolées l’une de l’autre[2].

 

Quand cette tendance à la destruction se tourne contre le monde extérieur, elle devient apparente sous forme de pulsion agressive et destructrice.

S’il est dompté, cet instinct de destruction dirigé contre  les autres, permet au moi de satisfaire ses besoins vitaux et de maîtriser la nature.

Freud conclut que la civilisation trouve son entrave la plus redoutable dans cette « disposition instinctive primitive » qu’est l’agressivité.

 

A quels moyens, recourt la civilisation  pour inhiber l’agression ?

 

Qu’est-ce qui peut rendre inoffensif le désir d’agression de l’individu ?

 

L’agression est « introjectée », intériorisée, retournée contre le propre Moi. Elle sera reprise par une partie du moi, le  « Surmoi » et se mettra en opposition avec l’autre partie. En tant que conscience morale, elle manifestera à l’égard du Moi, la même agressivité que le Moi eût aimé satisfaire contre des individus étrangers.

La tension entre le Surmoi sévère et le Moi qu’il s’est soumis s’appelle « sentiment  conscient de culpabilité » et se manifeste sous forme de «  besoin de punition ».

La civilisation domine donc l’ardeur agressive de l’individu en le désarmant, en le faisant surveiller par l’entremise d’une instance en lui-même, « telle une garnison placée dans une ville conquise ».

 

La formation du surmoi par intériorisation de la conscience morale qui se forme chez l’enfant par l’angoisse de perdre l’amour des parents  introduit le sentiment de culpabilité. Mais alors qu’à l’origine, la conscience amène le sujet à renoncer à la pulsion agressive, ultérieurement, le phénomène s’inverse. Tout renoncement pulsionnel intensifie la sévérité du surmoi contre le moi.  Ainsi toute agressivité que nous nous abstenons de satisfaire est reprise par le surmoi et accentue sa propre agressivité contre le moi  car le surmoi s’approprie toute l’agressivité que l’enfant aurait souhaité exercer contre l’autorité.

La sévérité du surmoi ne reflète nullement la sévérité des traitements qu’il a subis. Plus le sujet est vertueux plus le surmoi est féroce.

 

La sévérité de la conscience provient de l’action conjuguée de la privation des  satisfactions instinctuelles laquelle déchaîne l’agressivité et de l’expérience de l’amour, laquelle fait retourner cette agression à l’intérieur et la transfère au Surmoi. L’enfant qui riposte par une agressivité intense et une sévérité correspondante du Surmoi aux premières grandes privations instinctuelles, reproduit une réaction de nature phylogénétique bien que sa réaction ne soit plus justifiée par un père terrible comme aux temps  préhistoriques [3].

 

Le sentiment de culpabilité (la dureté du surmoi) est donc la même chose que la sévérité de la conscience morale ; il est la perception impartie au Moi, de la surveillance dont ce dernier est ainsi l’objet.

Il arrive, remarque Freud que certains sujets commettent des crimes dans le seul but d’être punis, pour alléger leur culpabilité inconsciente mais aussi pour satisfaire l’exigence du Surmoi. Il y a en effet une dimension pulsionnelle du surmoi qui pousse au sacrifice et se nourrit de la jouissance obscure masochiste que le sujet peut éprouver dans le sacrifice.

 

La civilisation vise à unir les hommes, elle ne peut y parvenir qu’en renforçant toujours davantage le sentiment de culpabilité qui reste  inconscient. Les religions lui donnent le nom de péché originel.

 

 

Surmoi collectif et Surmoi individuel

Pour Freud, le processus de civilisation de l’humanité et le processus de développement de l’individu sont de nature très semblables[4].  

Les deux tendances, l’une visant au bonheur personnel, l’autre à l’union à d’autres humains, doivent se combattre en chaque individu, de même les deux processus du développement individuel et du développement de la civilisation sont antagonistes et se disputent le terrain à chaque rencontre. Mais ce combat entre l’individu et la société, n’est pas dérivé de l’antagonisme entre l’Eros et la Mort, il répond à une discorde intestine dans l’économie de la libido comparable à la lutte entre le Moi et les objets ; ce combat si pénible soit-il, autorise un équilibre final.

 

Le « Surmoi de la communauté civilisée » tout comme le Surmoi individuel émet des exigences sévères dont la non observation trouve sa punition dans une « angoisse de la conscience morale ». Chez l’individu les agressions du Surmoi n’élèvent la voix de façon bruyante, sous forme de reproches, qu’en cas de tension psychique tandis que les exigences du Surmoi demeurent à l’arrière plan et restent souvent inconscientes. Rendus conscientes, on constate qu’elles coïncident avec les prescriptions du Surmoi contemporain. Les deux mécanismes, celui du développement culturel de la masse et celui du développement propre à l’individu, sont intimement accolés l’un à l’autre, en ce point[5] .

 

L’étude des névroses nous amène, dit Freud, à constater que la sévérité du Surmoi se soucie trop peu du bonheur du Moi et ne tient pas  assez compte des résistances à lui obéir, de la force des pulsions du soi et des difficultés extérieures ; de même le Surmoi collectif ne se soucie pas assez de la constitution humaine. C’est une erreur, exiger davantage, c’est provoquer chez l’homme une révolte ou une névrose. Par exemple, le commandement « Aime ton prochain comme toi-même » est à la fois la défense la plus forte contre l’agressivité et le meilleur exemple des procédés antipsychologiques du Surmoi collectif, ce commandement est inapplicable. L’Ethique qui s’appuie sur la religion, agite ses promesses d’un au-delà meilleur ou sur la satisfaction narcissique d’être meilleur que les autres.

« Si l’évolution de la civilisation présente de telles ressemblances avec celle de l’individu, et qu’elles usent des mêmes moyens d’action, ne serait-on pas autorisé à porter le diagnostic suivant : la plupart des civilisations ou des époques culturelles- même l’humanité entière  peut-être- ne sont-elles pas devenues névrosées sous l’influence des efforts de la civilisation même ?[6] »

 

Freud ne prétend pas proposer de solutions ni apporter de consolation. Il s’incline devant la nécessité de la civilisation de restreindre la vie sexuelle et de tendre vers l’idéal humanitaire (difficiles  pour l’individu).   

 Il remarque simplement que les hommes ont poussé si loin  la maîtrise des forces de la nature qu’il leur est facile de s’exterminer mutuellement (1929), c’est ce qui explique leur agitation et leur angoisse.

Il conclut en souhaitant que l’Eros éternel s’affirme dans la lutte contre thanatos.

L’amour et la sublimation (la dérivation des pulsions sexuelles vers des buts culturels -  savoir, art…)  sont  les seules voies proposées.

 

Lacan : une autre perspective

 

La pulsion de mort, de l’agressivité à la jouissance

 

Le stade du miroir[7], l’identification source de l’agressivité

L’unité du corps, sa forme, nous est donnée  par l’imaginaire et constitue le narcissisme.

Au stade du miroir, l’image spéculaire (dans le miroir) donne à l’enfant encore plongé dans l’impuissance motrice (entre 6 et 18 mois), la forme totale de son corps qui devance la maturation neuro-motrice. Cette assomption de l’image est une identification qui constitue le moi, à distinguer du « je » le sujet divisé par le langage. L’enfant qui jusque là était indifférencié par rapport à sa mère et au monde extérieur, va reconnaître son image et la différencier de l’environnement reflété.

 

Cette identification au miroir ne se réduit pas au champ  spéculaire. Pour que l’enfant puisse s’approprier son image, il est nécessaire qu’il ait une place dans l’Autre, au champ symbolique,  incarné par la mère. L’image ne se soutient qu’à partir du regard de l’Autre. Ce qui est essentiel dans l’assomption de l’image du corps au miroir c’est que l’enfant porté par sa mère qui le regarde, se tourne vers elle comme pour lui demander d’authentifier que c’est bien lui .

 Cependant la forme totale du corps qui devance la maturité neuro-motrice de l’enfant ne lui est donnée que comme gestalt, dans une extériorité. Cette forme est constituante mais elle est inversée, elle le fige et l’aliène. Si le stade du miroir est l’aventure originelle du narcissisme pour l’homme, c’est en tant qu’autre qu’il se voit  et c’est dans l’image de l’autre qu’il se reconnaît.

Lacan y voit l’origine du complexe d’intrusion, le drame de la jalousie primordiale quand le tout petit enfant voit son frère au sein de la mère (voir  les confessions de Saint Augustin). Dans l’image du frère non sevré, le sujet revit la séparation de la naissance et la détresse originelle liée à son impuissance totale. Il aspire à retrouver l’imago maternelle, à retourner dans son sein dans un abandon à la mort. C’est le masochisme primordial. Cette tendance à la mort se révèle dans les suicides non violents, grève de la faim, anorexie mentale, toxicomanie orale. Dans son abandon à la mort, le sujet cherche à retrouver l’imago de la mère.

La jalousie primordiale représente pour Lacan non pas une rivalité vitale mais une identification à l’autre. Cette identification à l’autre est objet de violence et produit l’agressivité.

 

Lacan rompant avec la  perspective biologisante de Freud, repense donc en 1936 les fondements de l’agressivité à partir de l’identification dans la genèse du moi. A cette époque, il réduit la pulsion de mort freudienne à l’agressivité. Pulsion de mort et pulsion de vie sont réunifiées dans la narcissisme.

 

Certaines manifestations pathologiques comme les psychoses paranoïaques où dominent les réactions agressives et l’imputation de la nocivité faite à l’autre, sont lisibles dans cette perspective. Le paranoïaque est dans un rapport à l’autre sans médiation symbolique. Le délire de persécution  ou érotomaniaque  attribue à l’autre par projection et inversion   ses propres sentiments. « Je l’aime, il me hait ». Exemple : le cas Aimée de Lacan.

 

Le signifiant et la mort

En 1953, dans son « discours de Rome[8] », Lacan opère un profond remaniement de sa conception. Prenant appui sur le structuralisme (issu de la linguistique de Jakobson et de Saussure et de l’anthropologie de Levi-Strauss), il donne la primauté au symbolique et au signifiant. (Rappelons que pour Lacan, l’homme est l’effet du langage, l’inconscient est structuré comme un langage).

La pulsion de mort n’est plus affectée à l’imaginaire mais au symbolique dans le sens de Freud « le mot est le meurtre de la chose », elle est liée à la logique du signifiant. Lacan a l’idée que l’interprétation symbolique permettra la réduction des symptômes mais il se rend compte qu’il y a un reste réel qui correspond à la dimension pulsionnelle qu’il nommera la jouissance.

 

La jouissance : un des noms de la pulsion de mort freudienne

Dès 1964, Lacan reprend la théorie freudienne des pulsions en la transformant. Pulsion de vie, pulsion de mort apparaissent comme deux aspects d’une même pulsion. Il abandonne la dichotomie pulsion de vie, pulsion de mort  au profit du concept de jouissance.

Sa thèse consiste à dire que toute pulsion  (partielle) est foncièrement pulsion de mort car une exigence de satisfaction et de répétition qui est contraire à la vie, est au cœur du fonctionnement pulsionnel. Toute pulsion est un forçage répétitif du principe de plaisir pour tenter d’atteindre une jouissance à jamais perdue, au prix d’y laisser sa vie.

 

Cela ne veut pas dire que toute pulsion va jusqu’à la mort mais qu’elle est virtuellement pulsion de mort ; autrement dit, il y a dans toute pulsion, la possibilité d’une transformation du plaisir en jouissance. Le plaisir se caractérise par son caractère raisonnable, limité, tandis que la jouissance se présente au contraire comme une exigence absolue qui la rend irrésistible et implique en elle-même l’acceptation de la mort.

(Voir les pathologies comme l’alcoolisme, la boulimie, la toxicomanie, le tabagisme…)

Le concept de jouissance permet de concevoir la part morbide de toute pulsion.

 

Dans la névrose, généralement, le sujet s’arrête avant d’aller jusqu’à la mort car il est inscrit dans le langage par la castration symbolique, le manque, et n’a pas accès à l’objet réel de la pulsion. L’objet pulsionnel reste recouvert par le fantasme et le désir.

Dans la psychose, la castration est forclose, le sujet cherche à prélever directement les objets pulsionnels sur le corps du partenaire parfois. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre certains crimes. Ex : un homme qui mange sa partenaire, les violeurs et criminels d’enfant, ceux qui défigurent leur victime comme les sœurs Papin.

Mais dans des cas moins dramatiques, c’est le passage à l’acte au moindre regard (persécuteur) ou à la moindre frustration.

 

Du malaise dans la civilisation au traitement de la jouissance

 

Lacan soulignait dès 1950, à la suite de Freud que la promotion du moi et le repli sur le narcissisme de notre monde moderne sollicitaient la violence. Il y a en effet une face contingente à l’agressivité. L’expression de celle-ci varie selon la manière dont les structures symboliques de la société la traitent.

Pour Freud, la fonction de la civilisation est de permettre que la dimension de l’amour domine la haine. Il s’intéresse aux interdits que la société élève pour lutter contre cette « tendance à l’agression ».

 

Reprenant cette question en 1948, Lacan considère que ce qui permet au sujet de « transcender l’agressivité constitutive de la première individuation subjective (la formation du moi), est l’identification oedipienne (renoncer au premier objet oedipien). La sortie de l’oedipe permet la formation de l’Idéal du moi (symbolique) qui a une fonction pacifiante et normativante. L’identification oedipienne permet de faire lien social.

On peut dire que toute proposition qui favorise le lien social a une fonction pacifiante et canalise la violence.

 

La fonction de l’idéal du moi a cependant ses limites pour traiter le problème de l’agressivité et la pulsion de mort ; non seulement  du fait du déclin des idéaux dans notre monde contemporain mais aussi parce que la fonction de l’idéal du moi a partie liée avec la jouissance du surmoi. Ce Surmoi reprend à son compte les interdits énoncés par la culture  mais plus secrètement (Freud l’a mis en évidence), il pousse à jouir. L’interdit lui-même alimente la jouissance de sorte que  la culture peut aussi avoir une face nocive. La culture de l’évaluation en est un exemple.

 

Dès lors, comment traiter la jouissance ?

 

Lacan répond que son traitement passe par une « Ethique du bien dire ». Elle consiste à « apprendre à lire notre inconscient » c'est-à-dire à apprendre « à bien dire notre rapport à la jouissance inconsciente » ou à la pulsion de mort inscrite en chacun de nous.

Ce n’est pas un « traitement de masse » que propose la psychanalyse pour traiter la pulsion de mort, mais un traitement « au un par un » dans la cure. Ce traitement consiste à prendre en compte cette jouissance mauvaise en chacun de nous au même titre que la part de nous-même  dont nous pouvons être fier. Il importe dans la cure de pouvoir s’en approcher.

 

 

 

 

Quelques exemples de violence

 

Violence contre les femmes

 

Freud

Quel est le danger que redoute l’homme chez la femme ?

La femme est taboue chez les primitifs[9] car l’homme éprouve une crainte à son égard. Elle lui apparaît « incompréhensible, pleine de secrets ». Il redoute d’être affaibli par la femme, contaminé, de devenir incapable du fait de  l’influence qu’elle acquiert sur lui par les rapports sexuels. L’attitude de rejet et de mépris à l’égard de la femme doit être attribuée  au complexe de castration chez  l’homme.

La dépréciation de la femme est suscitée par l’horreur de la castration qu’elle représente.

 

Lacan

Pour Lacan, le masochisme féminin (la femme qui aimerait recevoir des coups) est un fantasme masculin. Il se traduit par le fantasme d’une femme qui jouirait d’être l’objet de la jouissance de l’homme sans limite, sans les limites de la castration. C’est parce que l’homme  butte sur l’énigme du désir et de la jouissance de la femme  qu’il  peut être amené à la violence.

 

 Lacan, ne situe pas la  femme seulement du côté du manque dans son rapport au phallus comme Freud. Si elle s’inscrit dans  la différence des sexes du côté moins dans le sens où il n’y a qu’un seul signifiant pour inscrire la différence des sexes dans l’inconscient, le phallus, il la situe autrement vers la fin de son enseignement. Une femme a selon lui accès à une jouissance supplémentaire au-delà de la jouissance phallique (qui passe par la castration comme chez l’homme). Cette jouissance ne peut se dire, elle se situe du côté du réel ; c’est ce qui mettrait l’homme en difficulté. La femme a un rapport à l’illimité, au-delà du phallus qui met  l’homme dans l’embarras.

 

Maltraitance d’enfant

 

Plusieurs formes de maltraitance : physiques qui  peuvent se constater, ou psychiques, plus difficiles à  mettre en évidence par rapport à un juge pour enfant.

-Certains parents reproduisent la violence dont ils ont été l’objet

- parfois, l’enfant est objet persécuteur de la mère

- l’enfant peut être pris dans le fantasme de la mère, la subjectivité de l’enfant n’est pas pris en compte ; dans ce cas le père n’est pas introduit comme tiers symbolique, l’enfant est objet de jouissance de la mère (  ex : syndrome de Münchhausen)

 

 

 

 

 


[1] Freud Sigmund, Malaise dans la civilisation, PUF, Paris, 1971

[2] Id, p.99

[3] Id, p.89

[4] Id, p.100

[5] Id, p.103

[6] Id, p.105

[7] Lacan J, Les Ecrits, Le stade du miroir comme formateur du Je, Seuil, Paris, 1966

[8] Id, Fonction et champ de la parole

[9] Freud, S, Le tabou de la virginité, in La vie sexuelle, PUF, Paris, 1969

 

 

Bonsoir jean Claude
 
Je te fais suivre ce lien car
Ce sujet de « l’estime de soi » a été évoqué par Marie-Paule Candillier.
Tu peux certainement lui faire suivre cet avis de ce médecin psychiatre Christophe André de Ste Anne à paris
La notion du risque narcissique a été également évoqué mais au-delà de ce que MP Candillier a précisé :
qu’elle préférait « orienter » le sujet vers une autre voie comme la création (.. /..). 
ce médecin évoque aussi  une notion de lien au sein d’un groupe et d’acceptation réciproque sans notion de concurrence ou de supériorité qui me semble tout à fait intéressante.
 
à bientôt
 
Jean-José 

 

Cher Jean-Claude

Je constate que la dernière pause philo a provoqué des réactions!
Je ne suis pas sûre d'avoir été bien entendue. J'ai surtout dit que l'estime de soi n'était pas ce qui était recherché en priorité par la psychanalyse.
Christophe André n'est pas psychanalyste, il est psychiatre avec une approche comportementaliste. C'est respectable mais c'est une autre approche.
Il semble que samedi, les personnes présentes n'aient pas bien repéré en venant que le thème de la  violence était abordée par l'approche analytique.
On pourra en reparler au tel.
Bien amicalement


Marie-Paule

 

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Héritons-nous de valises à la naissance ?/JCG-MPC

Rédigé par JCG Publié dans #psychanalyse

Pause-philo:
Héritons-nous de valises à la naissance ?

La pause-philo du 20 mars 2010 au Comédia à Toulon, consacrée aux valises dont nous héritons à la naissance a été bien suivie, riche en interventions. Commencée par des retours sur le spectacle On ira voir la mer, retours variés, la discussion a commencé par la grossesse et l'accouchement du point de vue de la mère, expérience de l'ordre de l'intime et de l'indicible dont l'art, la littérature, la poésie, la peinture ne se sont pas saisies, laissant place à un grand silence, un vide sur cette expérience pourtant commune et à chaque fois singulière et qui ne fait donc pas partie d'un héritage culturel. Du point de vue de l'enfant, embryon, foetus, rien ne nous permet de dire ce qu'il ressent: on est dans des représentations fantasmées mais l'art peut peut-être par intuition, empathie nous faire éprouver des émotions... Un témoignage de femme voulant accoucher chez elle pour son 3° enfant a été lu: était revendiqué le refus de la médicalisation de l'accouchement, le refus de la position prescrite, le choix de la position comme de la respiration... Ont ensuite été abordés des sujets comme le désir d'enfant, du point de vue de la mère, du point de vue du père. Ont été lus un poème: Ta mère, et un passage d'un texte de la créatrice des dentelles végétales exposées dans le hall du théâtre.
La formule qui me semble la plus forte de cette pause-philo est peut-être celle-là: pour qu'un enfant naisse, accède à la position de sujet, il faut que la femme, sa mère, accepte de s'en séparer pour désirer ailleurs.
Ce qui m'a frappé aussi c'est le refus d'être en position de savoir, de certitude des analystes, leur grande prudence dans le choix des mots, leur appel aux confrères pour s'autoriser à avancer leurs définitions et propositions.
On trouvera ci-dessous l'essentiel des interventions.
Jean-Claude Grosse

Accouchement, surgissement de la vie,

c’est d’abord de cela dont il s’agit et des bouleversements qui accompagnent la naissance, pour le nouveau-né arraché à une forme de tranquillité omnisciente, pour les parents confrontés à des choix fondamentaux,à une révélation possible du sens de l’existence, un retour sur mémoire.
Pour tous, une solitude habillée de crainte ou d’exaltation, et une question lancinante : et après ?
Y a-t-il au bout du chemin, pour chacun d’entre nous, une lueur ?
Une mer que nous pourrions aller voir ? …pour se ressourcer, chercher à se découvrir, inviter à un voyage où l’on rêve et se cogne, où l’on apprend ou réapprend à consentir et à aimer face à l’immensité … une mer, source de vie et d’inspiration, où l’on pourrait se tenir la main pour continuer,
ensemble … à nouveau.
Katia Ponomareva / Gilles Desnots
 

Héritons-nous de valises à la naissance ?

Cela signifie les valises dont peut être chargé le nouveau-né, les valises de mère, maman pour la 1° fois ou la n°, celles de père.
Il s'agira de profiter de ce que la psychanalyse peut nous dire du désir ou non d'enfant, du déni aussi de grossesse, du "paradis"  foetal, du traumatisme de la naissance et du cri primal, de la reconnaissance ou non  de l'enfant (enfant né sous X, ou non reconnu par le père), de ce  qui se réactive chez la mère lors d'une naissance, idem pour le  père et pour les grands-parents.
Jean-Claude Grosse

Faire de notre héritage une vie !

Enfant attendu, enfant programmé, enfant désiré, ou venu sans crier gare…

Que recouvre le désir d’enfant pour une femme, pour un homme, pour un couple ?

La naissance du petit d’homme n’est pas seulement naître en tant qu’organisme c’est  l’émergence d’un sujet par son inscription dans le langage et  le surgissement du désir !

Dans  l’aventure de  notre  vie, comment faire avec  notre  histoire, avec  notre héritage familial parfois  pesant ?  Comment  faire de nos failles, de notre symptôme  ce que nous avons de plus singulier ?

C’est  tout l’enjeu  d’une psychanalyse !
Marie-Paule Candillier

14-03-10 (206)

On ira voir la mer, c’est un spectacle sur la naissance …  pourquoi Katia avoir choisi ce titre ?
À la reprise de « Rien ne sera plus jamais comme avant (À Nouveau,  fragments 2) »,  il se trouve que j’étais enceinte. Le titre s’est imposé à moi, une phrase entendue à la fin d’un film. « On ira voir la mer (À Nouveau, fragments 3) », c’est pour moi un projet : celui d’aller voir la mer pour … Un avenir inconnu se dessine. Soudain, quelque chose est en marche, qui m’implique moi et les autres. On ira voir la mer, ça devrait être un voyage initiatique, un chemin dont on apercevrait la trace qu’au bout du cheminement.
Il y a aussi la destination … la mer, la source …ma source de vie et d’inspiration pour ce spectacle.

On ira voir la mer (À Nouveau, fragments 3), est-ce que c’est la troisième partie d’une trilogie ?
Quand j’ai créé À Nouveau, fragments 1 ou Mon pays c’est la vie, il ne s’agissait pour moi que de poser un acte artistique autour d’un questionnement, aucune intention au départ de créer un diptyque ou une trilogie, juste une nécessité vitale d’interroger la vie et la mort. Déjà le fragment s’est imposé à moi, du mal avec les mots,  et l’impression « étrange et pénétrante » qu’ils pouvaient venir enfermer le propos.
Pas de texte au départ donc, des thèmes et des gens qui apportent dans le travail ce qu’ils sont et ce qu’ils ont à dire sur les thématiques abordées. Envisager en fait des formes qui se répondraient les unes aux autres comme si l’on construisait une maison, pierre après pierre.
Chercher à tâtons mais chercher toujours.
Pour ce nouveau spectacle, un désir de l’écrire comme une partition musicale, la bande son comme texte de la pièce venant dire les mots nécessaires.

Comment peut-on définir ce que l’on voit sur scène … théâtre, danse, autre chose ?
Il est vrai que l’on vit dans une époque où l’on aime bien faire rentrer les choses et les gens dans des cases. Je trouve ça plutôt stérile et je ne trouve pas très intéressant de chercher à définir ce que l’on voit sur scène. Je n’ai  rien inventé de la forme que l’on voit sur scène, cela existe depuis bien longtemps et il est des pays, comme la Belgique,  où cette tradition existe fortement depuis des années. Ce qui est important pour moi, c’est de trouver son langage, encore que celui-ci peut et doit évoluer bien sûr.
Le mien consiste à essayer de faire éprouver des sensations aux spectateurs afin de les amener à cheminer. Ce que chacun va éprouver ou non d’ailleurs lui appartient et où cela va le conduire aussi mais j’espère que cela va le conduire quelque part, c’est cela qui m’importe.

Comment se déroule la gestation d’un tel spectacle ?
Pour ce spectacle et toujours dans un souci d’avancer, j’ai eu envie de m’interroger sur « mon » processus de création. Comme il n’y a jamais de texte de mes spectacles, j’ai pensé que donner à lire un processus de création pourrait être intéressant. Il se trouve que j’ai rencontré Gilles Desnots, qu’il est auteur et qu’il a formulé le désir de faire un bout de chemin avec moi. Comme je le fais avec tout le monde, je me suis située sur son terrain et lui ai proposé d’échanger autour du spectacle à venir de façon épistolaire, écrire donc un livre d’entretiens croisés qui rendrait compte de ce processus de création en amont tout au moins.

Extrait des Entretiens croisés entre Katia Ponomareva et Gilles Desnots
Accoucher une nouvelle fois … « Mais accoucher de quoi, le sait-on seulement en se mettant en marche pour aller voir la mer ? La volonté peut n’être que pressentiment, comme si on se disait à soi-même : le moment est venu pour…, il faut que j’en ai le cœur net… je sens que je suis poussé à… Alors on y va, avec courage et crainte, enthousiasme ou pas, certitudes et optimisme ou sans trop y croire… Et l’on a pu se tromper ; il ne se passera peut-être rien, parce que… parce que toutes les raisons du monde peuvent contrecarrer le projet jusqu’à le faire échouer. Mais, dans le spectacle, il se passera bien quelque chose, même si ce n’est pas pour tous. A quel moment du processus cela se passe, la révélation de soi, peut-être, l’accomplissement espéré, la résolution nécessaire pour avancer ? En voyant la mer, paf, comme ça, brutalement, presque comme un miracle ? Mais ce pourra être avant, et l’on ira alors voir la mer quand même, pour confirmer ce que l’on sait maintenant, ou simplement pour la beauté du geste, se rendre compte que la mer est parfois n’importe où, là on a envie de la voir. Mais il est probable que le processus qui nous a mis en mouvement se termine après avoir vu la mer, un peu après… longtemps après. On sera donc allé voir la mer pour vivre une étape de la recherche qui anime notre vie. Une étape nécessaire malgré tout, que l’on pourra renouveler, de la même manière que ceux qui se croyaient chanceux en ayant croisé dès le premier jour le regard de la mer, mais qui reviendront un jour, parce qu’au bout du compte, on n’épuise en effet ni la mer ni la complexité de la vie en trouvant des réponses aux questions du moment, qui, pour essentielles qu’elles furent un temps ne furent que celles d’un moment. » 
Les Cahiers de l’Égaré, 92 p., 10 euros.

 
Du désir d’enfant
 à l’ héritage de chacun à sa naissance

A propos de « On ira voir la mer »

Pause philo du 20-03-10 au Comédia
Marie-Paule CANDILLIER

Le désir d’enfant

Le désir d’enfant dans l’expression courante est de l’ordre de l’idéalisation, l’enfant désiré est l’enfant imaginaire, merveilleux. Cet enfant imaginaire est supposé tout accomplir, tout réparer, tout combler, deuil, solitude, destin, sentiment de perte…
L’appréhension de la mort est toujours présente dans la procréation. Toute procréation vise une part d’immortel dans le vivant.

Mais qu’est-ce que le désir ?
Le désir  se constitue à partir de la castration (symbolique) c'est-à-dire la prise en compte du  manque phallique de la mère. Lacan dira aussi à la fin de son enseignement que c’est  le signifiant ( le langage) qui est agent de la castration. Le sujet se constitue en prenant la parole au prix d’une perte d’être. Le désir est inconscient, c’est un manque articulé dans la parole.  Le désir est la marge qui sépare le sujet du fait du langage d’un objet perdu.  Le  sujet méconnaît  son désir, il n’y a accès que par les  formations de l’inconscient (rêve, lapsus, symptôme…)
Le désir c’est aussi le désir de l’Autre (l’Autre du langage : ce qui nous a constitué, ce que nos parents ont désiré, ce qu’ils ont choisi pour nous…)
L’objet du désir est métonymique, il se déplace d’un objet à l’autre car l’objet est toujours perdu.

L’enfant désiré n’est donc pas celui qui est le plus  programmé, l’enfant « accident » est souvent un enfant désiré inconsciemment. Reste à savoir quel désir, il recouvre.
L’enfant se présente à la naissance en position d’objet du désir de la mère et du père ; nous allons voir de quelle façon il peut s’inscrire dans leur désir et les conséquences de la place qu’il occupe pour eux.
 
Du côté de la mère
L’enfant substitut phallique pour une femme
Selon Freud, la petite fille rentre dans le complexe d’oedipe par le complexe de castration. Quand elle prend conscience qu’elle n’aura pas de pénis, elle se détourne de sa mère (son premier objet d’amour)  « qui l’a si mal faite » et se tourne vers son père pour obtenir son amour sous la forme d’un  enfant comme substitut du pénis. Comme le père ne lui donne pas, elle s’orientera vers un homme plus tard.
L’enfant est donc un substitut phallique pour une femme. Etre mère est du côté phallique, « la mère n’est pas une femme » pour Lacan car la féminité est du côté du vide. Il n’existe pas de signifiant de la femme, il n’existe qu’un seul signifiant pour les deux sexes, le phallus. On s’inscrit du côté plus ou moins, « l’avoir ou pas » dans la sexuation.
Lacan propose le « pas tout » (pas toute inscrite dans la dimension phallique) pour désigner la jouissance féminine du côté de l’illimité, non bornée par la signification phallique.

Certaines femmes ne renoncent pas à l’envie de pénis, leur destin peut prendre plusieurs orientations : soit elles se détournent de la sexualité, elles renoncent à toute vie sexuelle, soit elles font un complexe de masculinité en devenant homosexuelle éventuellement. L’homosexualité peut aussi être  pour une femme un attachement à la mère préoedipienne, le père n’étant pas venu se substituer comme objet d’amour.

La relation mère-enfant
En opposition aux psychanalystes post freudiens, Lacan n’envisage pas  la relation mère-enfant  dans une harmonie. Pour lui, l’enfant se construit en fonction de la place qu’il occupe dans  le manque (autre façon de dire le désir) de la mère. La relation mère-enfant repose sur trois termes : mère-enfant-phallus ( objet imaginaire du désir de la mère).
L’enfant est donc au départ en position d’objet du désir de la mère. Pour  que l’enfant advienne     comme sujet, il est nécessaire qu’il ne réalise pas l’objet de la mère dans son fantasme, c'est-à-dire qu’il ne lui donne pas le phallus qui lui manque. C’est sur le corps d’un homme que la mère en tant que femme peut le trouver. La mère ne doit pas être toute à l’enfant, il est nécessaire qu’elle soit aussi femme. La mère n’est suffisamment bonne qu’à ne l’être pas trop. Une mère est une femme qui manque.
Dans le cas où l’enfant réalise le fantasme de la mère, il incarne l’objet de jouissance et ne parvient pas à s’inscrire comme sujet : cas de psychose infantile ou enfant qui somatise. Il peut aussi être objet fétiche de la mère ( la perversion chez la femme est rare car elle trouve chez l’enfant son objet fétiche).
Le cas le plus ouvert est l’enfant symptôme du couple familial où l’enfant  est pris dans le désir des deux parents, la fonction paternelle venant faire médiation à la relation mère-enfant.

Du côté du père
Le garçon sort de l’oedipe par le complexe de castration. Il renonce à l’amour incestueux pour la mère par crainte de perdre le pénis sous la menace du père selon Freud.  La castration entrevue c’est celle de la mère, la mère toute puissante. Il doit renoncer à la mère pour pouvoir rencontrer une femme plus tard. C’est le père qui lui donnera l’accès à la virilité, son titre en poche par l’identification symbolique au père.
Dans le premier enseignement de Lacan, le père est une fonction tierce, symbolique ( le Nom du père)  entre la mère et l’enfant. Il vient répondre à l’énigme du désir de la mère « Que fait-elle ma mère quand elle s’absente ? » et s’y substituer. La fonction paternelle est introduite par la parole de la mère qui investit  le père comme porteur du phallus. Le père doit faire la preuve qu’il l’a le phallus.
Dans son deuxième enseignement, Lacan introduit le père comme celui qui jouit d’une femme qu’il fait cause de son désir. C’est le père-version, père- versement orienté. Cela exige que le père soit aussi  un homme. « Ce dont s’occupe cette femme cause du désir du père  c’est d’autres objets a , les enfants auprès de qui le père intervient exceptionnellement dans le bon cas », nous dit Lacan.
Le père n’est pas seulement celui qui interdit mais celui qui montre le chemin à l’enfant comment faire avec la jouissance ( pulsion de vie et pulsion de mort).
L’arrivée d’un enfant peut être source d’angoisse pour un homme, il faut qu’il accepte que sa femme désire en dehors de lui   c'est-à-dire l’enfant. 

« Père » et « mère » sont des fonctions
Etre père et  être mère sont des fonctions. Lacan substitue au mythe de la famille fondé sur  l’instinct, aux parents biologiques, une famille basée sur la culture et le social c’est à dire une famille symbolique (dans les complexes familiaux dès 1938).
Tandis que la fonction maternelle satisfait les besoins  de l’enfant dans une relation qui n’est pas anonyme mais subjective et  qu’elle l’introduit au langage, le père humanise le désir, il réalise une médiation entre les exigences de l’ordre et de la loi, et le particulier du désir de la mère pour l’enfant. Il incarne la loi dans le désir.
Une mère-femme et un père-homme, voilà ce qui ouvre la voie du désir de l’enfant, fruit de la relation entre un homme et une femme.

L’héritage de l’enfant à sa naissance
La biographie n’est pas réductible à l’histoire d’un sujet. Ce qui détermine sa biographie c’est d’abord la façon dont se sont présentés le désir du père et  le désir de la mère à l’enfant. Lui qui fait son entrée dans le monde  en place d’objet a,  doit advenir comme sujet. C’est à partir d’une place déjà donnée que l’enfant aura à poser ses propres choix pour aller au-delà de son statut d’objet. Il y a une part de création du sujet qui va se faire un destin en fonction des aléas de la rencontre.
Chaque sujet quelle que soit son histoire doit trouver ses propres réponses face aux questions de sa venue au monde et  au réel du sexe. Par exemple, le petit Hans de Freud ne sait pas comment intégrer le plaisir de son sexe,  de cette jouissance ; il fait appel à l’idée qu’il pourrait perdre l’organe puis sa phobie vient tempérer son angoisse en mettant une limite à sa peur.
Le symptôme vient comme réponse à l’impossible à dire. Le symptôme est un moyen que le sujet invente pour traiter ce qui ne peut se dire ce qui lui reste étranger. Par ses symptômes le sujet tente de symboliser le désir  de l’Autre qui l’interroge « Que suis-je pour lui, mon père, ma mère ? ».
La psychanalyse permet d’élaborer des réponses plus satisfaisantes.
Dans une psychanalyse, on aborde la façon dont chacun se débrouille avec ce qu’il rencontre, on réorganise autrement ce qui a présidé à sa naissance, on réinterprète différemment son histoire  pour  faire notre vie.

Les aléas du désir d’enfant

Déni de grossesse
Dans le déni de grossesse, les informations visuelles, tactiles, kinesthésiques ne sont pas reconnues par la femme comme signes de grossesse, parfois jusqu’à l’accouchement  pour des raisons psychiques. Un barrage fantasmatique a interdit le lien conscient entre la relation sexuelle et la grossesse (traumatisme de l’enfance, interdit de la sexualité, relation passionnelle impossible, psychose…) Le déni de grossesse traduit bien qu’« avoir un corps » passe par la dimension symbolique.
Dans ces cas  de déni de grossesse, le risque d’infanticide à la naissance est important si la femme  n’est  pas accompagnée  face à sa stupeur et à la panique lors de la naissance de l’enfant. L’enfant  vient brutalement représenter ce qu’elle n’a pu prendre en compte.

Accouchement sous x
Une mère a la possibilité légale d’accoucher sans dévoiler son identité ; l’enfant sera voué  à être adopté au bout de 3 mois. Elle peut  donner son identité sous enveloppe scellée, choisir un prénom à l’enfant et laisser  des objets  qui seront remis à l’enfant plus tard.
Ce sont des cas rares : date d’IVG dépassée ( 12 semaines d’aménorrhée), viol,  haine de l’enfant liée à la relation avec le partenaire, haine de sa propre mère…

La stérilité et la procréation médicalement assistée (PMA)
FIV, FIV avec donneur
La stérilité inexpliquée recouvre des blocages psychiques, un refus inconscient d’enfant, des conflits psychiques (insécurité dans le couple, attachement oedipien aux parents,  haine de la mère, refus d’engagement…)
Les PMA opèrent un forçage du désir qui peut avoir des conséquences sur l’enfant (qui vient réparer la faille) si une élaboration psychique n’est pas opérée par les parents.
La FIV avec donneur peut être difficile pour le père qui peut  vivre sa stérilité comme une impuissance et ne pas se sentir père ; le père  biologique peut être fantasmé par la mère comme le vrai  père…
Les PMA, en dissociant la sexualité de la procréation,  laissent  aux seuls repères symboliques, ceux de la différence des sexes et des générations, la possibilité de construire une filiation.

La grossesse

La grossesse réactive l’histoire personnelle de la femme et entraîne des remaniements psychiques  importants. Elle lui impose une réélaboration de la représentation psychique qu’elle a de son corps :
-    en début de grossesse, l’enfant est vécu comme une partie de son corps car le fœtus ne donne encore aucun signe. Cet imaginaire fusionnel est anxyogène pour certaines femmes qui revivent ainsi la dépendance totale et l’ambivalence du lien à la mère des premiers temps de la vie.
-    Le second temps de la grossesse dès le troisième ou quatrième mois, le femme sent l’enfant qui bouge en elle. Elle peut créer de nouvelles images à partir de ses  sensations afin de faire de son corps, un domicile à l’enfant. Il faut alors qu’elle puisse vivre son corps comme cavité mais aussi réceptacle investi par un autre corps différent du sien et qu’elle y prenne suffisamment de plaisir pour mener à terme la grossesse.
La grossesse met à l’épreuve toutes les représentations qu’elle a de son corps : elle devra « contenir et garder » dans son corps puis « s’ouvrir et perdre » sans se perdre au cours de  l’accouchement.
Alors que la féminité se construit d’un point de vue psychique, sur le manque phallique et sur une jouissance « pas toute » phallique, la grossesse va solliciter la dimension phallique chez une femme : avoir un enfant.
La maternité interroge chaque femme sur l’enfant qu’elle a été, en tant qu’enfant pour ses parents et la façon dont elle s’en est accommodée.
La levée du refoulement favorisée par l’état de grossesse met à nu les désirs incestueux qui s’expriment  souvent à propos de l’allaitement ou du sexe de l’enfant.
La maternité renvoie la future mère à sa propre mère, mère  oedipienne ou préoedipienne. Quand le désir homosexuel est trop intense, la parturiente va devoir opérer un travail de détachement de sa propre mère pour accepter d’être mère elle-même.
Les femmes en rivalité avec leur mère, déclenchent envers l’enfant  qu’elles portent l’agressivité destinée à la mère. Elles vivent l’enfant comme un encombrement ou un parasite ( fantasmes d’enfants mal formés, panique lors des mouvements du fœtus) et risquent d’accoucher prématurément.
D’autres au contraire vivent leur grossesse comme un comblement qui vient soulager « un être femme » qui souffre. L’enfant dans leur corps les aide à s’affirmer comme femme et l’accouchement devient un réel danger.
Généralement, dans les derniers temps de la grossesse, la préoccupation de l’accouchement et l’impatience de rencontrer l’enfant, introduisent l’idée de séparation. Le désir du père quand il est présent et ses propres représentations médiatisent  déjà la relation mère-enfant.

Chez certains pères, le désir d’être « enceint » s’exprime au cours de la grossesse par des maux de ventre et une prise de poids qui évoque le rite de la couvade de certaines cultures.

L’accouchement

L’accouchement marque l’irruption du réel dans l’imaginaire de la grossesse. C’est une expérience solitaire  et incommunicable qui ne peut être représentée avant d’être vécue malgré l’accompagnement de la grossesse. L’homme et la femme font là l’expérience de la différence et d’un impossible  partage.
La souffrance (malgré la péridurale) est une expérience déréalisante pour certaines femmes. L’angoisse de mort est au premier plan. La souffrance physique et psychique participe sans doute au processus de séparation qui commence et aide la mère à vivre ce passage pour accueillir l’enfant bien réel.

Le deuil d’un enfant mort-né ou  à la naissance est difficile à effectuer car il porte  sur l’enfant ressenti et imaginé  mais qui n’a pas encore pris existence.
Quant au handicap, il confronte  brutalement les parents au réel qui fait  rupture avec l’enfant imaginaire.
Marie-Paule Candillier

Retour sur « On ira voir la mer »

Nommer des bribes permet de créer...
 
L'émotion pure, l'intériorité,
dit le remous,
tourne en rond,
fait des vagues,
déborde...
 
Dans l'audace des mots, je saisis des fragments de cette émotion intérieure, l'amène à l'expression, au jaillissement, j'accouche, me fait violence face aux peurs de montrer, face aux projections que j'ai, je m'accorde à dire l'attirance pour certaines matières, certaines personnes, certains thèmes et me laisse guider « à l'aveugle » jusqu'à ce qu'un certain nombre de liens soient fait, qui m'amène à mettre en oeuvre. Evidence
 
Le désir d'enfant        Désir du corps habité
 
Être la terre d'accueil du don précieux de la vie, l'amour.
 
Pour moi le désir d'enfant c'est avant tout le désir sexuel amplifié. Le désir d'être pleine du sexe de l'homme, d'accueillir au plus et au plus prés cet autre différent de moi. Me remplir du corps de l'autre.
Accepter avec bonheur la transformation de mon corps c'est montrer mon corps gonflé par cet homme, entré en moi.
C'est une émotion géante à laquelle je me laisse aller. Quand je jouis, tout est en moi.
 
A un moment donné,   pour Mona
                                 pour Luciole
                                 pour Hélios,
cette émotion est saisie par une possibilité d'accomplissement réelle. Elle rejoint une raison d'aller jusqu'au bout.
 
Ce que j'aime dans ce que tu dis et qui m'aide à te rejoindre, c'est que dans ta décision d'avoir un enfant, tu as interrogé  ton accord intérieur qui n'a pas dit non, c'est un oui silencieux.
 
Au contraire,  j'ai dit non souvent à un désir d'enfant, là depuis l'enfance.
 
Cette émotion est déterminée par le fait que je suis une femme. La réaliser m'amène à une réalité de ce qui n'était qu'un phantasme.
Je suis prête à recevoir.
Je reçois avec la naissance de l'enfant, la femme-mère que je deviens.
J'entre dans la maturité de la sexualité, de mon rôle dans la sexualité.
J' accueille dans la grossesse, la réalisation d'un corps nouveau, pour donner naissance :
L'étonnement de l'autre semblable et différent.
Je défusionne.
 
Le phantasme d'être dépossédée de moi, rempli d'un autre, questionne mon identité, révèle la soumission que j'ai du avoir en naissant face au monde, à la société, aux parents qui m'accueillent.
Il y a une survie dans chaque naissance, survie de l'espèce ?
 
Quand j'écris ici, je donne des explications pour que tu suives ma pensée, parfois j'écris dans l'audace intense qui ne me lâche pas, mon émotion est entièrement axée à s'exprimer dans les mots existants avec la grammaire définie par ma langue maternelle. C'est une naissance continuelle, qui me fait toucher les extrêmes, peur et bonheur, dans la précision d'un acte sociétaire à un accord à moi. Je me montre.
 
Je m'aperçois que dans certaines situations, je suis tordue, bloquée, je ne passe pas.
Je suis face à un inconnu qui reste confus.
L'enfant à la naissance matérialise cette différence. Est-ce que cet inconnu s'est donné à voir facilement, est-ce que j'ai voulu le recevoir chez moi, sur la route, à l'hôpital, au coeur de la société, est-ce que j'ai souffert, est-ce que j'ai voulu la péridurale, est-ce qu'il était en avance, en retard, est-ce qu'il a du être provoqué, est-ce que j'ai senti le passage, est-ce que je me suis évanoui, est-ce que j'ai pleuré, est-ce que j'ai ri, est-ce que j'ai eu peur, est-ce que j'étais seule, est-ce que tout le monde était là, est-ce qu'il manquait quelqu'un ?
 
Dans l'écoute de la différence, je ne peux plus chercher à plaire, être dans la relation extérieur-extérieur ; je ne peux plus rester dans la fusion, être dans la relation intérieur-intérieur.
 
C'est la rencontre totale avec moi créateur, naître à nouveau.
Est-ce que je veux un peu, beaucoup, passionnément, tout de moi ?
 
Être toujours au bord, à la limite, celle qui raconte le premier pas, parce que c'est la qu'il y a l'inconnu. La violence de créativité du passage à l'acte, la vibration du doux : est-ce une question de positionnement ?
J'aperçois la peine de l'autre côté du silence, incluse en moi, de perception de temps et d'espace, de valorisation de ma place et de celle de l'autre, dans la justesse du sens.
 Aïdée Bernard

Toi et ta vie

Il était une fois au pays des ovules, un ovule prêt. Oh ! pas pour longtemps. Fallait que vite un spermatozoïde, un seul parmi des milliards, le plus débrouillard, que vite il pénètre l’ovule prêt. Cet accouplement accompli, réussi, ces 2 font 1 et c’est parti. Ça se divise donc ça se multiplie. 1 donne 2 qui donnent 4. Et ça se différencie. C’est programmé pour neuf mois, pour ta vie : t’auras un jour trente-deux dents, t’auras les yeux bleus, les cheveux blonds… Te faut-il aller découvrir ta grotte de Chauvet ? Ta préhistoire éclairera-t-elle ton histoire ? T’es de la commune espèce. T’es de l’humanité. T’as pas un peu, beaucoup d’humanité. T’as des humanités mais quels effets sur ton humanité ? Ça se passe comme ça pour chacun et pour tous : ovule-spermato-programme génétique. 1 puis 2, des millions, des milliards, de la quantité en quantité et puis c’est toi, unique, 1, le premier, le seul. Mais vite, très vite, tu vas te mouler, te conformer, te fondre dans la masse, faire comme, singulier anonyme. Puis avec un autre singulier anonyme tu voudras, vous voudrez n’en faire qu’un par fusion, couple d’identiques, 2 font 1, 2 ne font qu’1. Confusion qui engendrera tôt ou tard votre séparation : 1 et 1 ne font plus 1 mais 2. Et tu finis par vieillir : la quantité en quantité s’épuise ; tu fais tout en petit : tu respires à petits coups, tu marches à petits pas. Puis tu meurs : 1 donne 0. Tu rejoins la communauté des morts, plus opaque encore que la communauté des vivants.
JCG

ta mère

elle t'a désiré(e) - ou pas -
toi à jamais ignorant(e) de ce désir - ou pas -
pierre d'angle de ton édification au coeur de la nidification
elle t'a reçu(e)
ouverte offerte au désir d'un autre - ou pas -
toi à jamais ignorant(e) de cette intimité - ou pas -
semence de ta conception richement conçue - ou au gré des hasards -
elle t'a porté(e)
aux petits soins
ou porté(e) aux excès
toi déjà sensible à ces marques
qui feras avec sans avoir à savoir
qui parfois devras remonter aux grandes houles
de l'origine
parce que ça remugle longtemps après
elle t'a parlé(e)
avec des paroles convenues ou justes
ou s'est tue
silences vides ou de plénitude
toi déjà sensible à la bonne parole
qui feras parler d'elle
qui parfois devras parcourir les vastitudes
de la platitude où tu fus déserté(e)
parce qu'il faut bien un jour se trouver
elle t'a expulsé(e)
vite - ou pas -
en douceur - au forceps -
sans douleur - avec césarienne -
en présence de l'autre - ou pas -
toi informé plus tard de l'heure
du jour du mois de l'année
du lieu de ta naissance
éléments définitifs exclusifs de ton identité
elle t'a accepté(e) il t'a accepté(e)
nom prénom
ressemblais-tu à son rêve ?
elle t'a rejeté(e) il t'a rejeté(e)
né(e) sous X
dérangeais-tu son rêve?
des rêves parfois te feront rêver
ton temps d'embryon
ta vie de foetus
tu te verras dessiner
sur les parois du placenta
d'une flèche percé un coeur
Jean-Claude Grosse, 31/12/2000


Nuit d’amour

Il est déjà grand
celui que nous avons fait sous la pluie
Il est toujours dans nos nuits d’amour
Il fait parfois du bruit
c’est quand tu me souris
Il a sa force dans l’écorce du père
il a son destin dans les câlins de sa mère
Il frotte déjà son corps aux décors éphémères
Réservons-lui des bonheurs
sur les chemins du jour


Amour de mère / amour de père

Jeune femme au ventre rond
fais ta parole ronde
pour l’enfant à naître
fais de tes lèvres la ruche
où prendront vie ses appétits
aux dimensions de l’infini
Ne l’enferme pas dans le dédale de tes interrogations
ne le dévore pas avec les dents de tes certitudes
Jeune femme au ventre rond
cet enfant à naître
te reste un mystère
ne définis pas son orbite sur terre

Jeune femme au ventre soulagé
fais ta parole civilisée
pour l’enfant à allaiter
fais de tes lèvres un havre de paix
pour calmer ses peurs irraisonnées
pour donner corps à son corps de bébé
Ne le dessine pas au miroir de tes attentes
ne le déforme pas avec les mains de tes attentions
Jeune femme au ventre soulagé
cet enfant enfin né
te restera toujours mystère
ne le projette pas sur terre
Sculpte ta parole
c’est la seule nécessité


Fille et père

ça  gamberge
dans ma tête
à grandes enjambées
sans me déplacer
je fais la guerre
à une terre sans berges
je suis en quête d’un berger
car j’ai peur de me perdre
si je n’atterris pas
mais je n’y arrive pas
dans ma tête
ça  gamberge
sur une mer sans berges
je tourne en rond
infiniment
indéfiniment
il n’y a ni départ
ni arrivée
aucune halte
au départ
un coup de dés
un hasard
et me voici
jolie sur l’infinie mer
la terre infinie
vierge je suis
départ arrimé
arrivée nulle part
où donc est ce père
auquel je fais la guerre
père
infini à verge
je suis ta vierge sans berges
en quête d’un marin
car je veux m’arriser
mais tout cela
n’est-ce pas
est sans rime ni saison
hors de raison
Jean-Claude Grosse


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Sur Freud, Lacan et la psychanalyse/JCG-MPC

Rédigé par JCG Publié dans #psychanalyse

Jacques Lacan, sa conception de l'inconscient
par Jean-Claude Grosse et
Marie-Paule Candillier, psychanalyste

Pour commencer, rappeler la disparition de Lévi-Strauss qui aurait eu 101 ans ce 28 novembre et auquel nous consacrerons la pause philo du 30 janvier 2010.
Notre cycle de 4 exposés est rassemblé sous un titre : Être de bons jardiniers, l’ensemble de l’année, en partenariat avec la LPO et la médiathèque d’Hyères, étant présenté sous le titre : Cultiver son jardin … de la plante à l’esprit.
Nos 4 exposés ont été définis avec les participants à la dernière séance 2008-2009, le 16 mai 2009.
Comment faire parler la métaphore du bon jardinier qui cultive son jardin de la plante à l’esprit ?

Exposé de Marie-Paule Candillier

1 Le moment fondateur de la psychanalyse


Freud invente la psychanalyse en écoutant ses patients en particulier les hystériques.   Il découvre que les symptômes ont un sens sexuel refoulé qui peut être interprété et que l’affection du corps est une conversion c'est-à-dire une représentation  inconciliable avec le moi  «  reportée dans le corporel. Voir  « Etudes sur l’hystérie » avec Breuer  en 1895. « L’interprétation des rêves » en 1899.

2 Les inflexions ultérieures de la psychanalyse

Les successeurs de  Freud,  Anna FREUD, sa fille, la psychanalyse anglaise, Mélanie KLEIN, WINNICOTT…Françoise DOLTO, LACAN

3 Le noyau conceptuel de la psychanalyse

*La psychanalyse est fondée sur  la croyance à l’inconscient, découverte essentielle de Freud.
L’inconscient freudien est un lieu psychique  (notion topique et dynamique). Dans sa première topique en 1915, l’inconscient  est constitué de contenus refoulés qui se sont vus refusés l’accès au système préconscient-conscient  par l’action du refoulement ( refoulement originaire ou après-coup). L’inconscient c’est l’infantile en nous. Il est constitué de « représentants de la pulsion ».

La pulsion est une force psychique consistant en une poussée qui fait tendre l’organisme vers son but. Elle a sa source dans une excitation corporelle ( pulsion orale, anale, génitale). Son but est de supprimer l’état de tension dans  un objet (pulsionnel).

Le fonctionnement de l’inconscient est basé sur le principe de plaisir.
En 1920, Freud remanie sa théorie de l’appareil psychique, il ne parle plus d’inconscient, préconscient, conscient  mais du ça, du moi et du surmoi. Le ça recouvre les caractéristiques principales de l’inconscient, le moi et le surmoi  ont une part inconsciente.

Nous n’avons accès à l’inconscient que par les formations de l’inconscient, rêve, lapsus, acte manqué, mot d’esprit et symptôme qui seront à déchiffrer dans la cure analytique.

Le rêve
Le rêve est un rébus à déchiffrer. C’est l’accomplissement d’un désir.
Les mécanismes du rêve ( déplacement, condensation) mettent en évidence le fonctionnement de l’inconscient. Freud compare le rêve  aux hiéroglyphes dont les signes doivent être traduits. Le contenu manifeste du rêve est une transcription en images ou en mots d’une multitude de pensées du rêve. La condensation opère par omission, fusion ou néologisme.
(Exemple  : NOREKTAL = colossal, pyramidal (superlatif s’adressant à un collègue de Freud qui surestime sa découverte physiologique) = Nora, EKDAL , souvenir de deux drames de l’auteur critiqué.
Le déplacement, autre procédé essentiel du rêve, renverse les valeurs et   travestit le sens.
Ces deux mécanismes  ont pour but    de rendre le désir méconnaissable afin d’échapper à la censure du moi.
*Le sujet  en psychanalyse  n’est pas le moi, c’est le sujet  du désir qui est à  rechercher dans  l’inconscient. Freud parle de fading du sujet. 

4 La cure analytique

C’est à partir de « ce qui cloche », d’un symptôme dont on souffre  que l’on consulte un psychanalyste. Le symptôme se présente toujours comme dysharmonique au principe de  plaisir pour le  sujet. Cependant, pour être mis au travail dans l’analyse, il ne suffit pas de la plainte. Le symptôme ne se construit comme symptôme analytique  et ne fonctionne comme levier de la cure que si le sujet le considère comme une question qui le concerne et qu’il cherche à en lever l’énigme en l’adressant à un analyste auquel il suppose un savoir. La dimension du transfert, l’adresse à l’analyste en position de sujet supposé savoir, permet la mise en acte de l’inconscient.

*La cure analytique a pour but de déchiffrer son inconscient pour accéder au désir,   à partir des  symptômes  et des autres formations de l’inconscient ( rêve, lapsus, acte manqué…)
La cure analytique vise un  au-delà des effets thérapeutiques, celle  de permettre à un sujet de se rapprocher de son désir, qu’il méconnaît car il est inconscient et qui est unique, singulier. Se rapprocher de son désir entraîne des conséquences qui permettent   de poser son désir et de faire de nouveaux  choix de vie. 

*L’efficacité de la cure ne peut être appréciée que par l’analysant lui-même, l’analyse contrairement aux TCC  ne vise pas l’adaptation d’un sujet à la société ni l’éradication du symptôme  mais elle amène des  effets d’allègement par rapport au  symptôme ( dépression, inhibition, somatisation, angoisse…)  et dans le rapport aux autres. Un sujet analysé sort de ses inhibitions, pose davantage ses choix dans la vie et se situe mieux  socialement. Freud  dans « Malaise dans la civilisation » évoque la pulsion de mort toujours à l’œuvre ; l’analyse en permettant  de la prendre en compte au coeur même de son être, est sans doute la meilleure garantie de limiter  la destruction dans le monde.

*La cure analytique peut être longue mais la psychanalyse peut  aussi   s’appliquer à la thérapeutique et orienter la pratique clinique des psychologues, psychiatres et  des soignants du champ de la santé  mentale dans  les institutions. S’orienter de la psychanalyse c’est  prendre  en compte le sujet dans son rapport à l’inconscient et cela peut se faire sur un seul entretien.
La psychanalyse  a des effets thérapeutiques (disparition ou allègement de symptômes). Les CPCT (Centre psychanalytique de consultations et de traitements) en recevant gratuitement sur 16 séances  le démontrent.

5 Le mode de formation des psychanalystes

*La cure analytique menée suffisamment loin est la voie essentielle de formation des psychanalystes. Il s’agit de mettre à jour son désir et son fantasme (sortir par exemple du désir de guérir ou de réparation) pour accueillir la parole de l’analysant sans projeter ses propres fantasmes.
A l’IPA,  la formation de l’analyste passe par une analyse didactique.
Pour Lacan  « l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres » c'est-à-dire de son désir qu’il met à jour dans sa cure et qu’il confronte aux autres dans l’Ecole de la Cause freudienne. A cet effet Lacan a proposé « la passe ». C’est un dispositif dans l’Ecole qui permet de rendre compte du  parcours  de l’analysant dans sa cure et de vérifier  si la cure a été menée jusqu’au bout. Cette démarche n’est   menée que par quelques uns.

*Le contrôle ou supervision est essentiel.  L’analyste parle des cures qu’il mène et des questions qu’il se pose  à un autre analyste plus expérimenté.

*Il n’existe pas de diplôme ni de formation universitaire, les analystes par contre sont en formation constante ; ils étudient les textes de Freud et de Lacan ( ou d’autres) et  travaillent  sur leur clinique afin  de  pouvoir mener le travail avec leurs patients.

*Le fait d’être inscrit dans une école de psychanalyse donne à mon sens  une certaine  garantie de sérieux et de contrôle d’un analyste.

6 L’approche de Lacan

Lacan a revisité l’œuvre  de Freud  et l’a  enrichie de nombreuses autres disciplines, de l’anthropologie avec Levi-Srauss, de  la philosophie avec Kojéve et Koiré et en particulier de la linguistique  moderne avec Jakobson et de Saussure.
Pour Lacan, l’homme est l’effet du langage et  l’inconscient est structuré comme un langage.
Reprenant l’algorithme saussurien  dans lequel « le signe linguistique unit un concept ( un signifié)  et une image acoustique ( un signifiant)  »  Lacan  donne  la prépondérance au signifiant, à la dimension symbolique du langage et affirme que le signifiant détermine le signifié : Signifiant / signifié
Le signifiant est le support matériel du discours, la lettre ou les sons  d’un  mot,  par extension signifiant  désigne tout élément qui a la propriété de signifier, dans sa dimension symbolique.

Lacan est structuraliste, il repère trois registres auquel le sujet a affaire,  réel, symbolique et imaginaire   et donne la  primauté au signifiant, à la dimension symbolique du langage tandis que le moi dans sa fonction imaginaire a un effet de leurre et fait barrage à la fonction symbolique et au désir. 
 L’Autre  pour  Lacan  est le champ symbolique du langage, le champ des signifiants du sujet  ou  l’Autre scène  c'est-à-dire l’inconscient.

*La naissance du sujet
Dès avant sa naissance, l’enfant est dans un bain de langage ( ses parents parlent de lui, lui choisissent un prénom…)
En rentrant dans le langage, le sujet  s’aliène au signifiant   il s’inscrit dans les signifiants de l’Autre ( le premier Autre est l’Autre parental). L’être du sujet n’est alors plus représenté que par un signifiant, un signifiant primordial qui  le détermine dans  sa vie, pour un autre signifiant, c'est-à-dire par sa parole. Dès sa naissance le sujet tombe sous le dessous (fading, chute du sujet). C’est à la fois la condition pour accéder à la position de sujet et sa disparition. De cette opération se produit le refoulement originaire qui constitue  l’inconscient. L’être parlant est à  jamais divisé de cette part inconsciente qui tombe sous le refoulement.

Du fait de l’inconscient le sujet qui parle est divisé. Le sujet n’aura plus accès à l’inconscient ( cette part perdue de l’être) que par les formations de l’inconscient, retour du refoulé.

Pour Lacan, le signifiant agit séparément de sa signification et à l’insu du sujet. Signifiant et signifié ne se recouvrent pas. Lacan représente le discours du névrosé comme deux chaînes, la chaîne signifiante et la chaîne signifiée qui glissent l’une sur l’autre en sens inverse et s’entrecroisent par le point de capiton qui donne sens au discours.
L’analyse permettra de retrouver le sens inconscient en remontant la chaîne signifiante par les associations d’idées et de mots, d’un signifiant à l’autre.
La métaphore ( la substitution d’un terme à un autre) et la  métonymie ( la partie  pour le tout ou  la  contiguïté d’un mot à un autre) sont  deux mécanismes empruntés à Jakobson,    qui produisent  un effet de signification.

Le «  je » de l’énonciation ( du côté du désir, de l’inconscient) qui est essentiellement mis en jeu dans la cure est différent du « je » de l’énoncé ( ce que je dis, le bla bla). Quand on parle, on ne sait pas ce que l’on dit, on en dit toujours plus qu’on ne croit.

*L’oedipe, la métaphore paternelle, la castration  ( Séminaire V : les formations de l’inconscient)

   Temps 1 L’enfant en naissant, cherche à capter le désir de la mère, à être le phallus ( l’objet imaginaire du désir de la mère). A ce stade, il est  désir du désir de la mère, identifié à l’objet de son désir.
  Temps 2 L’interdiction de l’inceste doit le déloger de cette position. Cette interdiction vise non seulement l’enfant mais aussi la mère : le père intervient  comme  interdicteur de la mère pour l’enfant : «Tu ne coucheras pas avec ta mère »  et comme privateur  de la mère de l’objet de son désir, l’enfant : «  Tu ne réintègreras pas ton produit ».
C’est la mère qui introduit la loi du père, une loi symbolique au-delà de son caprice.
Pour que le père incarne l’interdit de l’inceste, il faut qu’intervienne le « Nom du père » ou « Métaphore  paternelle » une fonction  tierce entre la mère et l’enfant. Le Nom du Père est un signifiant qui vient se substituer au   signifiant  maternel ou désir de la mère NP / DM
La  métaphore paternelle est un signifiant essentiel qui introduit l’ordre  symbolique  chez  l’être humain, qui fait point de capiton   et donne sens  au  langage, elle  permet  d’accéder    à la signification phallique.
La forclusion de la fonction paternelle entraîne la psychose.

 Temps 3 La Métaphore paternelle permet à l’enfant à la fin de l’oedipe de s’identifier au père par l’Idéal du moi et de s’inscrire dans la différence des sexes comme homme ou comme femme. Pour être inscrit dans la sexuation, il faut passer par le complexe de castration, renoncer à être le phallus de la mère. L’enfant passe de la position « d’être le phallus » de la mère, l’objet de son désir, « à l’avoir »,  à la fin de l’oedipe,  être un homme porteur du phallus pour le garçon et  une femme qui trouve le phallus chez un homme.

La castration pour Lacan est plus généralement le rapport au manque, un manque symbolique qui est la condition de l’être parlant  du fait du langage et qui introduit le désir.

*Dans le dernier enseignement de Lacan, le réel de la jouissance

Alors  que dans son premier enseignement jusqu’en 1962, date du  Séminaire «l’angoisse », Lacan donnait la primauté au symbolique et pensait que l’interprétation pouvait  résorber le symptôme, l’inertie rencontrée dans les cures de ses analysants, l’amène à prendre en compte une autre dimension, celle de la jouissance.
La jouissance est la dimension pulsionnelle qui résiste à la symbolisation. Il la nommera « objet a » (objet oral, anal, le regard et la voix), le reste de jouissance non asséchée par le symbolique. En effet si le symptôme  a une face signifiante qui peut être interprétée, il a aussi une dimension de jouissance, sa face de satisfaction pulsionnelle.  Du symptôme, on s’en plaint mais on en jouit aussi.

Une nouvelle orientation dans les cures
Il s’agit donc dans la cure de toucher à cette dimension  de jouissance qui n’est pas symbolisable pour permettre au  sujet de ne pas retomber dans la répétition. Les symptômes actuels comme la boulimie, l’anorexie et les diverses addictions mettent au premier plan cette dimension pulsionnelle.
Jacques Alain Miller, responsable de  l’Ecole de la Cause freudienne (gendre de Lacan, il  est  exécuteur testamentaire de l’oeuvre de Lacan)   met l’accent  sur ce dernier enseignement et ouvre une clinique nouvelle dans le champ des psychoses.

Marie-Paule Candillier
Membre de l’Association de la Cause Freudienne
(association de psychanalyse lacanienne)


Exposé de Jean-Claude Grosse

Lacan, sa conception de l’inconscient

Mes sources : mes lectures anciennes de Freud, Mélanie Klein, Lacan, Leclaire, Laplanche, Maud et Octave Mannoni, Dolto, François Roustang, Denis Vasse, … mes cours sur la psychanalyse, quelques écrits de J.A. Miller, Jacques Lacan par Anika Rifflet-Lemaire, Wikipédia et autres sites internet. Je n’ai jamais entrepris d’analyse et n’ai aucune pratique. D’où mon appel à Marie-Paule Candillier, psychanalyste, pour préciser, corriger, faire que nous soyons au plus près des enjeux d’aujourd’hui en ce qui concerne  l’apport théorique de Lacan. Pas question ici d’évaluer la pratique des lacaniens.

Pourquoi s’intéresser à Lacan aujourd’hui ?
En France, sa pensée, ses conceptions sont influentes, en Argentine, Amérique latine aussi
mais depuis quelques années, on assiste à une critique de la psychanalyse (le livre noir de la psychanalyse par Mikkel Borch-Jacobsen et d’autres), de Freud 

(la critique de la psychanalyse porte sur :
   1. le moment fondateur (contexte historique, épistémologique, scientifique, culturel, innovation, statuts des « découvertes freudiennes », méthodologie, prétentions scientifiques…) qui recouvre le personnage même de Freud (intentions, ambitions, compétences…) ;
   2. les inflexions ultérieures de la psychanalyse ;
   3. le noyau conceptuel commun à l'ensemble des courants psychanalytiques ;
   4. l'efficacité de la cure analytique ;
   5. les modes de formation des psychanalystes (valeur d'une analyse didactique, réglementation, institutions);
   6. la construction de la "légende Freud" à partir de la manipulation des sources et de la réécriture de l'histoire des origines, par Freud lui-même, et ses successeurs.

et de Lacan, toujours au centre de polémiques, lui aussi ; la « captation » de son héritage par Jacques-Alain Miller constitue peut-être un obstacle au travail d’évaluation de cette oeuvre
(Lacan, le maître absolu de Mikkel Borch-Jacobsen)

à l’émergence de nouvelles théories et pratiques, venues des USA, d’inspiration behaviouriste, les TCC, les thérapies cognitives et comportementales,
(à propos de la polémique entre les tenants des TCC et ceux de la psychanalyse, une question légitime est à se poser: qu’y a t-il derrière cette polémique ? des intérêts économiques, des divergences idéologiques, scientifiques… ?)

à une lutte de pouvoir entre ces deux approches de l’homme,
à une politisation de cet affrontement avec à la clef, un contrôle par le politique et l’un des deux camps de ce secteur de la « santé » (les neurobiologistes et les TCC sont extrêmement offensifs, bien positionnés dans l’appareil universitaire et politique mais les lacaniens avec J.A. Miller ont du répondant).

Parce que 40 ans sont passés (les Écrits sont publiés en 1966)  et que de même que Lacan a prolongé, approfondi Freud en s’appuyant entre autres sur la linguistique structurale, peut-être faut-il évaluer l’apport de Lacan, pour aller plus loin ou ailleurs. Évidemment, nous n’aurons pas cette prétention ici, il s’agit d’un travail collectif de grande ampleur, sachant qu’entre opinion et savoir, le débat est souvent conflictuel, je dirais surtout entre idéologie et science.

S’intéresser à Lacan aujourd’hui, c’est donc d’abord se demander ce qui a changé en 40 ans, dans le paysage intellectuel, dans le paradigme conceptuel.

Lacan produit dans un contexte structuraliste, c’est le primat de la structure sur l’homme : marxisme (relecture par Althusser), anthropologie et linguistique structurales (Lévi-Strauss), déconstruction philosophique du cogito, nouveau roman … c’est après la mort de Dieu, la mort de l’homme et de l’humanisme, la fin de l’histoire. On proclame la fin de la liberté, de la raison. L’homme comme être libre et pensant est une vieille duperie à mettre au rancart. L’homme est effet et non cause.

Lacan, ironiste à la Socrate, provocateur aux jeux de mots explosifs (l’hommelette), a su allumer les nullités universitaires, dégonfler d’innombrables baudruches, désillusionner. Je pense par exemple à sa définition de l’amour : vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ; à sa conception du malentendu qui serait universel, la compréhension entre deux êtres à un moment donné n’étant qu’un malentendu réussi.
On comprend à ces deux exemples que la pensée de Lacan puisse susciter des réactions de rejet. Il bouscule certitudes et préjugés.
Voyons donc la philosophie sous-jacente à l’œuvre chez Lacan, sa conception de l’homme et quelques unes de ses formulations essentielles.
L’homme est cet être qui est inscrit dans le langage et la société, dans le champ symbolique, dès avant sa naissance (voir son mythe de la genèse humaine depuis la naissance) par le discours parental et sociétal. L’homme est un être de représentation, représenté par un nom, un statut, un état civil. Représenté, il est donc séparé de son être, le Je de l’énonciation est séparé du Je de l’énoncé. L’homme est cet être séparé de lui-même par son inscription dans le langage et dans la culture (double inscription dans le langage conscient et dans le langage inconscient, les mêmes signifiants occupant des positions topologiques différentes et pouvant donc avoir des fonctions différentes dans l’ensemble de chaque chaîne). L’inconscient naît de l’accès au langage (ici, il faudrait affiner, ce n’est pas une question d’âge ou de stade). Le refoulement primaire est lié à l’interdit de l’inceste, l’enfant faisant s’il traverse avec bonheur l’Œdipe (avant l’Œdipe, il est par identification, désir du désir de sa mère, phallus), le sacrifice de son désir de relation duelle avec sa mère (après l’Œdipe, si la mère reconnaît le père comme porteur de la loi, l’enfant accède à l’ordre tri-dimensionnel du symbolique par identification au père qui a le phallus ; il accède à sa place, à son nom dans la constellation familiale, dans le système de parenté qui repose sur la séparation entre relations de consanguinité et relations d’alliance par l’interdit de l’inceste, il entre dans la culture, la civilisation, il accède au langage, il accède à son individualité à construire, il est passé de l’être – être le phallus tout puissant, désir de toute puissance – à l’avoir – avoir un désir formulable dans une demande, s’engager dans une quête d’objets de plus en plus éloignés de l’objet de son désir). Ce refoulement originaire (refoulement du désir d’union duelle avec la mère) constitutif de l’inconscient comme effet de l’accès au langage est prolongé par les refoulements secondaires, toujours en double inscription, langage conscient, langage inconscient (pour un enfant, certains mots ont d’abord un sens personnel sur lequel viennent se greffer les acceptions courantes de ces termes ; les mots sont toujours polysémiques). Cela a un autre effet : l’homme est cet être qui s’éloigne de sa vérité, de son être, de sa réalité dès qu’il se met à parler de lui, cela s’expliquant par la séparation entre le mot et la chose (le mot n’est pas la chose, le mot n’est que le symbole, le représentant de la chose). L’homme croit que son Moi, ce qu’il dit de lui et qui s’élabore tout au long de sa vie (sauf à faire une analyse), est la vérité sur lui alors que c’est ce qui est le plus éloigné de son être : le Moi est l’ensemble des masques, leurres mis en place par le sujet pour se situer, se nommer, se placer dans l’édifice social. Mauvaise foi, dénégation, hypocrisie, mesquinerie, jalousie, agressivité, séduction, autant de moyens pour l’homme de croire qu’il est ce qu’il croit être, ce qu’il veut être, ce qu’il veut faire croire de ce qu’il croit être.
Les formations de l’inconscient : rêves, lapsus, oublis de noms, actes manqués, mots d’esprit sont des retours du refoulé, pas forcément des voies d’accès à l’inconscient, à la vérité du sujet. En effet, le langage, ses conventions, les exigences de cohérence de la pensée ont pour effet de maintenir l’inconscient en son lieu propre. Les formations de l’inconscient sont des usages non conventionnels des signifiants et des signifiés. L’interaction entre langage conscient et langage inconscient n’a aucune évidence. Le joint c’est l’objet (a), incernable et partout à la fois, se répercutant dans l’histoire individuelle à tous ses niveaux et sous des formes changeantes.

Dans cette philosophie, dans ce corpus théorique et pratique, je vois un paradoxe :
d’une part est affirmé avec force le pouvoir aliénant du langage, de l’ordre symbolique, dont les effets bénéfiques sont surtout pour la société et ceux qui jouent sans complexe de leur Moi,
d’autre part est indiqué le chemin de la désaliénation, du côté de l’inconscient, de la réalité refoulée, de la vérité refoulée du sujet. Mais l’écoute flottante du discours leurrant du parlant, du patient peut durer des années, être sans fin même. Quel bénéfice réel pour le parlant, en tant qu’être parlant, en tant que sociétaire ?
On voit comment une telle philosophie est fort différente de celle de Sartre ou de Camus (approchée l’an dernier), qui en sont les immédiats précurseurs.

Et aujourd’hui ?
Il me semble que d’une part, on a des théories et pratiques d’adaptation au social, le « concept » de résilience par exemple est un de ces mots émergents pour dépasser les traumatismes, promesse qui ne peut qu’attirer mais ce n’est qu’un petit exemple comparé aux TCC qui vont jusqu’à préconiser l’évaluation comme critère d’efficacité thérapeutique et scientifique
d’autre part, on voit se développer tout un tas de théories et pratiques du bien-être, de l’harmonie, du bonheur, les unes d’inspiration américaine, les autres d’inspiration extrême-orientale ou inspirées d’autres soi-disant sagesses (chamanisme …), supposant une désaliénation, des libérations successives, là encore promesses ne pouvant qu’attirer.
Dans les deux cas, ce n’est pas la vérité qui est en jeu. Mais la meilleure adaptation ou le bonheur.

Que faire de la conception lacanienne de la vérité ? elle est une critique radicale du cogito ergo sum mais c’est accorder à Descartes et à Socrate, trop d’importance sur ce qui a de l’importance.
 
On a vu en philosophie dans les dernières années, un retour à l’Homme, à la valeur, à la vérité, au sens, à la morale, à la sagesse. Des philosophes comme André Comte-Sponville, Luc Ferry… nous permettent de nous retrouver comme êtres de raison, êtres de liberté.
Et surtout, avec les crises qui nous menacent, individus, sociétés, planète et espèce (qui ne veut pas savoir encore qu’elle est mortelle), nous sommes confrontés à une réévaluation de notre place dans la Nature. C’est cet énoncé de Descartes : l’homme, maître et possesseur de la nature, qui nous a éloignés d’elle, si le cogito nous a éloignés de nous. Exploitant agricole ou jardinier ?

Pour ma part, je me reconnais dans la philosophie de Marcel Conche, dans sa métaphysique de l’ apparence absolue, (éloïse, éclair, dans le cours d’une nuit éternelle, celle de la mort absolue de tout, pas du Tout), dans sa métaphysique de la Nature (la Nature au sens des présocratiques, infinie, éternelle, créatrice aveugle, dépasse ou contient l’opposition anthropologique nature-culture) et comme sagesse tragique (avec courage, aller au-delà de soi parce que sous l’horizon de la mort, développer le meilleur de soi, ce qui suppose de s’émanciper de l’homme collectif en nous, du conditionnement social, devenir le plus possible cause de soi-même et non effet d’autrui ou du langage).
Avec Conche, philosopher à l’infini, dans la clarté de la langue, avec Lacan, analyser à l’infini, dans un jargon assez hermétique; avec Conche, résister aux sirènes de la commerie, être le plus créateur possible, ajouter au monde ; avec Lacan, remonter aux grandes houles de nos origines.

Jean-Claude Grosse

Après la pause philo du 28 novembre 2009
sur la psychanalyse et Lacan
à la médiathèque de Hyères


30 personnes se sont retrouvées dans l’auditorium de la médiathèque.
La pause philo fut particulièrement interactive entre Marie-Paule Candillier, Jean-Claude Grosse et le public. Ce fut une séance pour apprendre, comprendre, interroger.
Qu’est-ce que je retiens pour ma gouverne de cette séance ?
Celui, celle qui se lance dans une analyse au long cours ou dans un face à face thérapeutique de moindre durée ne s’y lance en général que parce qu’il est en souffrance. Il croit que l’analyste devant lui, derrière lui, détient un savoir sur l’inconscient et qu’il pourra l’éclairer sur le fonctionnement de son propre inconscient. Ce n’est pas la position que prend l’analyste, il n’est pas un maître, un gourou qui sait et transmet. L’analysant se met au travail, travaille sur ses rêves et autres formations de l’inconscient et de ce travail naît un savoir, son savoir sur comment ça fonctionne pour lui, savoir progressif, jamais achevé, il y a un reste incernable, l’objet (a). Mais ce cheminement  des signifiants S2 vers un signifiant S1 qui serait le signifiant le destinant, le liant à un destin, le sien, permet à l’analysant de se retrouver au plus près de son désir, de sa vérité donc. Cela lui permet de se désenchaîner partiellement des chaînes des signifiants à l’œuvre dans son inconscient, de le soulager de certaines souffrances, du poids de certaines valises car nous portons tous des valises héritées de l’histoire familiale, valises que nous acceptons de porter, devons porter au moins jusqu’à un certain point. Les bénéfices  d'une analyse se situent en général du côté d’un décalage de la position de l’analysant par rapport à son désir, ce décalage entraînant un décalage de sa position par rapport à lui, aux autres, au monde.
Si j’ai été « construit » autour de cette phrase rabâchée pendant toute mon enfance : «  tu t’en sortiras bien tout seul », la focalisation sur le « seul » me permettra de comprendre que je l’ai pris au pied de la lettre puisque effectivement je suis toujours seul, je n’ai pas réussi à poser une relation durable. Puis la focalisation sur  le « sortir » me fera prendre conscience qu’il me faut toujours sortir, que je m’arrange toujours pour « sortir » du jeu, d’une relation. La focalisation se fera peut-être aussi sur le « bien »… Ce n’est qu’un exemple qui ne remplace pas le chemin fait par tout analysant.
Toute la souffrance ne sera pas évacuée car la pulsion de mort est toujours à l’œuvre, ouvrant à quelque chose que l’analyse ne peut réduire, la jouissance qui n’a rien à voir avec le plaisir : on jouit de souffrir. Cet irréductible du ça, c’est l’objet (a).
Ce qui m’importe dans ce que j’ai compris, c’est que la vérité du sujet se situe du côté du désir inconscient, refoulé du sujet. Je ne nierai pas que ce fonctionnement soit réel. Je pense que si nous sommes êtres de désir, nous sommes aussi êtres de volonté. Et il me semble  que si pour certains, il leur faille aller à la rencontre de leur « vrai » désir (ils ont été piégés par le désir d’autres du milieu parental, maman, papa), il est sans doute possible à d’autres de mettre leur volonté au service de leur désir, même si ce désir n’est pas trop élucidé. Avec leur volonté, ils conscientiseront ce qu’ils vivent pour devenir le plus possible cause de soi et non conséquence des « choix » pour moi de maman, papa…
Pour concrétiser cette position, je renvoie à : Analyse de l’amour de Marcel Conche aux PUF.
Jean-Claude Grosse


Pourquoi vivons-nous tellement
au-dessous de nous-mêmes ?
  

    Un pour-autrui nous oriente en profondeur. C'est non moins un par-autrui qui anime notre épaisseur personnelle, comme relative autonomie. Il ne s'agit pas de quelqu'un (ou plutôt de quelques-uns) mais de sa " forme ", peut-être changeante. Au plus intime de nous, nous est vitale pour devenir quelqu'un une sorte de forme abstraite de l'autre, structurant notre histoire et structurée par elle.
    En tant que solitudes, nous sommes éminemment sociaux et pourtant radicalement coupés de la société. Car l'autre qu'il nous faut pour devenir n'est jamais suffisamment là avec nous. Il est structurellement ce qui fait défaut d'être là et c'est précisément pour cela que nous en avons un besoin vital. Quand autrui manque tout simplement, nous ne pouvons vivre qu'au-dessous de nous. Même chose quand il est trop unique. Seule une multiplicité d'autres, actuels et possibles (et pas n'importe lesquels), peut nourrir une unicité multiple de la personne.
    Ce genre d'autrui n'est fourni par aucune société tout court, mais on devrait pouvoir attendre d'elle qu'elle favorise optimalement ce pour et par autrui des solitudes. S'il est vrai que nos vies sont fondamentalement orientées par une adresse à on ne sait jamais trop qui de pourtant très concret, on devrait y être plus attentif en soi et chez les autres. Si autrui est notre nécessaire levain, nous devrions nous inquiéter radicalement de devoir vivre la plupart des hommes comme une simple pâte. Evidemment, ce n'est pas que tous puissent entrer en résonance intime avec nous, mais, pour que nous ayons des chances réelles et renouvelées de nous adresser à quelqu'un et d'être adressés par lui, il faudrait que la vie en société des hommes puisse offrir autre chose que le terrain et le spectacle quasi constants de leur traversée indifférente, de leur absence concomitante d'intériorité et d'extériorité.
    Par exemple, une société mercantile comme la nôtre ne peut pas sans monstruosités nier et dévoyer le besoin profond d'être soi par et pour autrui. Le plus mystifiée qu'elle soit, l'adresse fondamentale qui nous anime resurgit alors en béance du sens de la vie, en lourd semblant fatal d'un non-devenir personnel et commun.

G.L.
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