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Blog de Jean-Claude Grosse

Zoé / roman d'Alain Cadéo

16 Avril 2015 , Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture

Zoé / roman d'Alain Cadéo
Zoé

d'Alain Cadéo

Mercure de France, janvier 2015

Voilà un court roman de 151 pages en format 11,5 X 18,5, qu'on a très bien en mains et qu'on ne lâche pas.

Deux personnages, un vieil homme croit-il, la soixantaine (ce n'est pas la vieillesse même si la vie l'a cabossé au point de lui donner un air de shérif) et une jeune fille, boulangère dans une de ces boulangeries multi-services (café, pain, pâtisseries, journal, terrasse) qui font du lien et du bien.

Henry descend de son fortin Vauban où il vit solitaire, solaire, lunaire, à sculpter des rochers et à écrire, pour acheter son pain et ne manque pas d'être saisi par la présence de Zoé, l'innocence même, tout sourire, toute confiance, offrant par cette seule présence joie et bonheur. Évidemment, cela ne va pas sans convoitises, jalousies, drague, forçage même. L'innocence bafouée, la confiance perdue. Zoé sort-elle abîmée de cette comédie-tragédie que constitue le monde des hommes en chasse ?

Henry et elle vont avoir une correspondance par miche interposée. Il lui dit quelques phrases, loin d'être banales, maximes de vie, repères et balises que Zoé ne comprend pas nécessairement, elle a raté son bac, elle n'a pas les dons de sa sœur Marine, hélas disparue et avec laquelle Zoé entretient des liens secrets. Elle lui écrit ce qu'elle éprouve et glisse le mot dans la miche boite à lettres.

Décor et personnages sont plantés jusqu'à la quasi-fin où surviennent deux événements que je laisse découvrir. Ce roman utilise différents registres de langue comme on dit. Zoé est très nature dans son expression. Henry peut osciller de la sentence à graver dans le marbre ou le rocher à la formule populaire. L'écriture est riche, variée, colorée, dense, sentencieuse pour tenter de dire deux choses :

l'improbable d'une rencontre ne tient qu'à notre circonspection, notre méfiance, notre quant-à-soi ; osons sortir des a priori, osons regarder, éprouver et Zoé devient une chance, une histoire vécue, légère, où les deux s'apportent, se réconfortent, se confortent

toute vie est reliée au Tout, à Dieu dont le manque est violemment ressenti par Henry ; il faut donc être attentif aux détails, savoir relier, tisser, mettre quoi ? de l'ordre ? du sens ?

On le comprend, le fond de ce roman est métaphysique, il est méditation sur l'éternité, sur l'infini, sur le lien, sur le sens « religare » de « religion ». En ce sens, ce roman est un appel à aller à l'essentiel, le statut d'ermite d'Henry indiquant la nécessité du dépouillement, à la façon de Rilke dans son Livre de la pauvreté et de la mort.

Henry est un guide et pour lui et pour Zoé sur ce chemin d'exigence devant fuir toute facilité.

Zoé renonce à la séduction voulue par la qualité de ses mises. Elle apprend que si on le veut, on peut préserver son innocence, sa liberté, son pouvoir de dire NON, le boulanger en fera les frais et le salopard de Philippe.

Henry lui se veut exterminateur de hasard, ambitieux programme, orgueilleux défi.

Ce roman fourmille de phrases à forte résonance pour celles et ceux se sentant reliés, venus de loin, des origines sans début, et se rendant loin, aux confins sans fin.

Henry n'hésite pas à faire appel à des images de nature quasi-scientifique, à des notions non définies mais parlantes comme les électrons de la pensée et que sais-je. Il y a une fascination pour les ouvertures proposées par les théories d'aujourd'hui, ouvrant sur la pluralité des univers, les multiples dimensions du réel et sans doute Henry au parfum de ces théories s'en nourrit.

Je revendique, à la différence d'Henry, une autre métaphysique, une métaphysique du hasard. Je m'explique, le souci du détail, de reliance d'Henry est un projet de maîtrise, dû à la peur de passer à côté, d'être déçu. Pour moi, on passe à côté si on n'admet pas qu'on est dans le bain, dans le flux, dans le fleuve, qu'on y barbote, qu'on peut s'y noyer. Pour moi, tout ce qui apparaît est création du et par le hasard, tout « apparu » se transforme, rien ne se perd, rien ne retourne au néant, tout laisse traces éternelles, disponibles pour d'autres chances, d'autres usages. La tapisserie, ce n'est pas Henry qui la compose ni moi, c'est la Nature créatrice, cachée derrière ce que je vois, sens, ressens. Mais je suis mauvais formulateur de cette métaphysique du hasard créateur. Je n'écrirai pas l'autre Zoé.

Jean-Claude Grosse

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