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Blog de Jean-Claude Grosse

L'autre visage / Christian Bobin

Rédigé par grossel Publié dans #JCG, #développement personnel, #notes de lecture

3 petits livres et puis s'en vont
3 petits livres et puis s'en vont
3 petits livres et puis s'en vont

3 petits livres et puis s'en vont

L'autre visage

Le huitième jour de la semaine

L'enchantement simple

Christian Bobin

chez Lettres vives

3 petits livres, petit format, qu'il m'a fallu découper car vendus non massicotés. C'était il y a longtemps, années 1986-1991. Soulignés évidemment. J'ai retrouvé des formules faites miennes, matrices à aphorismes, sentences pour soi-même. Dans Le huitième jour de la semaine : Être éloigné de toute maîtrise comme de toute servitude qui engendre vivant la vie sans hurler à la mort ni aboyer à la lune. D'où le poème Élévation (qui a un air très Bobin)

 

à André Comte-Sponville

pour le Traité du désespoir et de la béatitude

Élévation

Un jour enfin nous marcherons
le long des rivages tant désirés
héritiers insatisfaits d’un passé loin des côtes
étonnés de nous retrouver face au grand Océan
Avec la montée sur les falaises
nous abandonnerons de vieilles peurs de vieux espoirs
Tu auras renoncé à remonter aux grandes houles de tes origines à affronter les fables délicieuses de ta généalogie
J’aurai renoncé aux nostalgies de paradis et d’âges d’or
éloigné de toute maîtrise comme de toute servitude
vivant la vie sans hurler à la mort ni aboyer à la lune
Ce sera si simple de prendre
nus un bain d’écumes le matin
Nos corps se dilateront
Notre âme s’enchantera
Quand nous reviendrons au bord
des sourires ensoleillés s’échangeront
Étourdis nous nous découvrirons aimants
En raison nous nous voudrons parfaits amants
donneurs de voix à des enfants de papier
ouvreurs de voies à nos enfants de chair
jusqu’à épuisement de nos jours et de nos nuits

(La Parole éprouvée, p.81, dédié à André Comte-Sponville mais qui aurait pu l'être à Christian Bobin)

ou "c'est dans l'épuisement que l'on augmente ses forces; c'est dans l'abandon que l'on devient prince et dans l'éclat de mourir que l'on découvre ce plus noble éclat de l'amour"


Relus en 2019, ces 3 petits livres ont un effet profondément rafraîchissant. Je peux mesurer la distance entre ce que je suis devenu, façonné par la vie et par un travail conscient sur moi (sans doute aussi inconscient) avec ce que je fus.

L'enchantement simple comme Le huitième jour de la semaine sont sous l'influence de l'enfant, une petite fille de 6 ans, Hélène, dont Christian Bobin accompagne, à moins que ce ne soit l'inverse, quelques moments. Le regard porté par Bobin sur une enfant a pour lui et pour nous peut-être valeur universelle, c'est un regard sur l'enfance : Devenir adulte, c'est oublier ce que l'on ne peut s'empêcher de savoir et dans quoi l'enfant - parce que la force lui est donnée avec sa faiblesse - passe ses heures : le désarroi des mots, la carence des amours et la lente corruption des rêves, soumis à tous les vents. Cette annonciation faite à l'enfant, peu importe où et quand elle se produit. Elle advient et cela suffit. Un peu plus tôt, un peu plus tard...p.38 , le huitième jour. Dans L'enchantement simple, le 2° essai L'ennui léger d'une petite fille dans deux mille ans d'histoire. Pour Bobin, nous avons tout à apprendre de l'enfance, nous n'avons rien à apprendre aux enfants, la vie c'est comme Hélène la vit, la mort, ce sont tous les mots pour parler de la vie, l'obscurcir et ne pas vivre ce qu'avait bien noté Pascal :

« Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre »

L'autre visage, 57 petites pages, un apologue justement ou injustement appelé ainsi permettant de mesurer la distance entre eux et nous, entre soi et soi, soi d'hier et soi d'aujourd'hui, entre soi social et soi intime, la distance entre ce qu'on affiche et ce qu'on pourrait être mais voilà, parcimonie du désir, étroitesse du rêve font qu'oiseau jamais on ne sera, qu'ange non plus car nous n'avons pas leur très grand naturel.

Tout est écrit à partir d'eux : chez nous (eux donc), on cache son visage, chez nous (eux donc) le mot amour ne se dit pas, chez nous pas de prison, chez nous, peu, très peu d'Histoire, chez nous pas de sagesse pas de folie, légèreté est notre loi, chez nous pas de bien pas de mal, chez nous pas de montre ni d'horloge, la vérité chez vous est, et maintenant

Quel est donc ce peuple, qui sont donc ces gens qui savent si bien nous donner l'envie de vivre ainsi dans la joie, l'attente, le silence, la solitude, l'amour, la vie, la mort et qui acceptent maintenant de disparaître parce qu'ils voient bien dans nos yeux, la nouvelle de leur mort, parce qu'ils voient bien frémir sur nos lèvres, l'annonce de leur mise à mort car nous arrivons, nous les millions et milliards avec le désir, l'or et l'envie. Et personne ne peut résister à ça.

Comment vit-on chez ces gens-là ?

Chez nous on cache son visage. Le corps, pas d’importance. Le corps va nu sous le soleil, le blond soleil qui brûle le jour, qui brûle la nuit. Car chez nous il n’y a pas de nuit. Ce qu’on appelle la nuit c’est pas commodité, quand l’amour vient aux amoureux, quand deux corps se serrent l’un contre l’autre comme deux épis de blé sous le même vent. Quand deux amants mélangent leurs jambes, on dit qu’ils font la nuit. Une nuit privée, une petite nuit de rien du tout pour deux personnes, deux corps légers sous le soleil. Même quand ils font la nuit, les amants ne se montrent pas le visage. Interdit. Intouchable. Impensable.

Quand l'un d'entre nous est atteint de langueur, il va chez son ami, c'est-à-dire chez le premier venu car tous ici sont frères et sœurs. Il emmène avec lui une paille de chaise. Il s'assied à côté de son frère ou de sa sœur, il reste là sans dire un mot, le temps d'un jour, le temps d'une nuit, le temps d'un soleil et puis d'un autre soleil, jusqu'à ce que la langueur s'en soit allée de lui. Alors, il se lève, ramasse sa chaise de paille et s'en retourne à ses affaires.

Inutile de citer plus, 57 petites pages, de petit format pour une vie simple qui sait que ce qui nous connaît mieux que notre mère, c'est la mort, qui sait que le vent vient d'un livre ancien qu'on a oublié de refermer...

à Corsavy, le 27 août 2019, JCG

 

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