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Blog de Jean-Claude Grosse

J’ai tant rêvé de toi/Olivier et Patrick Poivre d’Arvor

2 Septembre 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #notes de lecture

J’ai tant rêvé de toi/Olivier et Patrick Poivre d’Arvor
J’ai tant rêvé de toi
Olivier et Patrick Poivre d’Arvor

J’ai acheté ce livre sur la base d’un malentendu ou d’un mal lu. Je l’avais acheté pour Solenn, la fille anorexique et suicidée du journaliste, non pour apprendre des choses sur ce drame ou cette tragédie mais parce que le travail de deuil, l’impossible travail de deuil prend selon les gens, ceux qui restent, avec leur culpabilité, leurs regrets, leurs souvenirs, des formes variées et que je me nourris de ces cheminements pour le mien propre. Je comptais donc découvrir le chemin tracé par Patrick Poivre d’Arvor.
Le livre est dès lors d’autant plus étonnant.
Ce qui me semble le plus fabuleux c’est cette entreprise borgésienne de fabriquer une pure fiction, une fable, présentée comme la réalité. Je ne savais plus, avançant dans ma lecture, si Pavel Kampa avait existé, avait eu le prix Nobel de littérature. Jaroslav Seiffert, oui mais Pavel Kampa, doute. Je me souvenais de Vladimir Holan, de sa Nuit avec Hamlet. Beaucoup de temps passé sur ce projet de création pour la scène, décor de Franta, et rien à l’arrivée alors que j’avais réussi pour Marie des Brumes d’Odysseus Elytis, Les tragédiennes de Saint-John Perse, Egée de Lorand Gaspar…Mais pas de Pavel Kampa. Mêler le faux et le vrai, citer de vrais noms au milieu de noms inventés et le tour de passe-passe fonctionne. La soirée avortée à l’ambassade de France avec Vaclav Havel, Jack Lang est de ce point de vue une absolue réussite. Même si certains épisodes peuvent alerter sur le côté fictionnel comme l’envolée, la diatribe de Youki Roussel sur une table de l’ambassade alors que les invités s’en vont dépités. Ou l’absence de Pavel à cette soirée après sa  découverte du tatouage de Youki et les révélations qu’elle lui fait, le démasquant et le conduisant au suicide (peut-être) avec son fusil de chasse. Surprenante cette fêlure, cette faiblesse, cette décision chez un imposteur de cette envergure. Episode traité brièvement et qui nous laisse sur nos questions : pourquoi ce renoncement à l’ultime consécration alors que Youki a peu de chances d’être entendue par ces invités serviles, prêts à honorer le grand poète, dévoreur de femmes. Imposteur, salaud oui mais comme dit Desnos : le corps du plus vicieux reste pur, donc pas imposteur, pas salaud jusqu’au bout. Cette rédemption de dernière heure, le jour anniversaire de ses 70 ans est comme un miracle arraché par Youki, prête au sacrifice jusqu’à la vue par Pavel du tatouage qui s’est transmis sur 3 générations.
Le faux-vrai à l’œuvre dans ce roman amène à douter de l’existence de cette Agathe Roussel, témoignant sur les ondes et dans la presse, pendant quelques jours, de ce qui se passe à Prague, au lendemain de l’invasion soviétique, le 21 août 1968. Je me souviens, digérant avec difficultés, l’échec politique de mai 68, avoir pleuré à cette nouvelle et avoir décidé définitivement de ne jamais être stalinien. Devenu trotskyste, j’ai participé aux combats pour la libération des dissidents de la Charte 77 donc de Vaclav Havel dont j’ai voulu faire éditer et créer l’œuvre théâtrale complète pour vérifier si comme on l’a trop dit, cette œuvre ne tenait pas la distance parce que trop didactique (c’est même dit dans ce roman quand est évoquée l’opposition entre Vaclav et Pavel). Débat pour moi toujours d’actualité car cette accusation automatique de didactisme pour toute pièce politique ou engagée a stérilisé durablement l’écriture politique pour la scène.
Doute aussi sur l’histoire du dernier poème de Desnos, nécessaire pour les besoins de la fiction.
Vrai par contre tout ce qui concerne Desnos et Youki, la fin de Desnos à Terezin, disparaissant d’épuisement, un mois après la fin de la guerre, le 8 juin 1945. Cet ancrage dans la réalité du poète et dans la réalité de son œuvre (les titres des chapitres sont des citations tirées de Desnos ; de nombreux passages de Desnos sont cités, intégrés à l’histoire, reprenant vie, vivant d’une nouvelle vie, celle de Youki Roussel, faisant suite à celle de Youki Foujita devenant Youki Desnos.
Je me suis remis à l’œuvre de Desnos en même temps que je lisais le roman. Plaisir de renouer avec le double Desnos, celui des jeux de mots dont je me suis beaucoup servi comme déclencheur avec mes élèves, celui des poèmes d’amour sans retour dans lequel je n’ai pas beaucoup de mal à me reconnaître comme amoureux, expérience qui m’a conduit à une autre écriture poétique, moins lyrique.
Dernier thème de ce roman et non le moindre : l’anorexie et son contraire, la boulimie. Le regard porté sur cette maladie m’a semblé vrai sans me donner les clefs pour comprendre et encore moins pour réagir en présence de tels symptômes.
Je n’épiloguerai pas sur l’écriture à deux voix, quatre mains car c’est comme venu d’une même voix me semble-t-il, que j’ai lu ce roman. Réussite donc de ce projet.
Les effets de résonance de ce roman en moi ont été multiples et riches. A toi donc lecteur de vérifier si d’autres échos te parviennent à cette lecture.
Jean-Claude Grosse, Corsavy, le 1° août 2008

 
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