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Blog de Jean-Claude Grosse

albert camus

le pas-sage de Marcel Conche

Rédigé par grossel Publié dans #Albert Camus, #FINS DE PARTIES, #amitié, #cahiers de l'égaré, #essais, #les entretiens d'Altillac, #pour toujours, #vraie vie, #écriture, #voyages, #poésie

contemplant la grande prairie depuis la fenêtre de son bureau à Treffort

contemplant la grande prairie depuis la fenêtre de son bureau à Treffort

un hommage à Marcel Conche, inédit, qui aurait pu être lu le 9 avril 2022

 

Ce naïf que fut Marcel Conche

Je me souviens très bien de ma première rencontre avec Marcel Conche. Ce qui l’a caractérisée, c’était non seulement la gentillesse avec laquelle il me reçût, mais aussi l’intérêt qu’il accordait à votre personne.

Ce jour, je venais lui demander la dédicace d’un de ses livres, il voulut savoir pour quelle raison je m’intéressais à la philosophie. Je lui expliquais que ce n’était pas pour moi, mais que je souhaitais offrir ce livre pour l’anniversaire d’un ami qui avait découvert sa philosophie avec beaucoup d’intérêt.

Mais vous, me demanda-t-il, que pensez-vous de la philosophie ?

Peu habitué à ce genre de questions, surtout posées par l’un de ses plus éminents spécialistes, je préférais botter en touche.

- Euh, moi je m’intéresse plutôt au bouddhisme.

- Ah ! me fit-il, je ne connais pas cette religion, et vous en pensez quoi ? Il se gardait bien de me dire qu’il avait écrit un ouvrage intitulé « Nietzche et le bouddhisme ».

Je ne pouvais à nouveau échapper à la question et je fis appel à mes dernières lectures qui étaient relativement fraîches, car l’apprenti bouddhiste, que j’étais, avait été accroché par le sourire irrésistible du Dalaï-Lama qui était en couverture d’un livre censé parler du bonheur.

Néanmoins méfiant, je ne me lançais pas dans de longues explications et je m’en tins à l’essentiel.

Je lui parlais de la douleur perpétuelle compagne de nos vies, et qu’aucune félicité n’est durable, ça j’étais sûr de mon coup, que cette douleur naît de la «soif» de vivre, des désirs et des passions qui font naître la convoitise, la jalousie, la haine et l'erreur. Jusque-là j’étais en phase totale avec le bouddhisme tout autant qu’avec le principe de causalité qui explique qu’en supprimant la cause, on annule son effet ; lorsque j’avançais cela à cette époque, j’en étais certain. Mais j’appris, grâce à Marcel Conche, qu’il faut s’apprêter parfois à changer nos convictions. Ceci ne manqua pas d’arriver avec le principe de causalité. Je découvrais qu’il n’était vrai qu’en apparence ; et qu’en supprimant la cause, on n’annule pas toujours les effets, mais, bien au contraire, que les effets eux- mêmes étaient générateur d’autres causes. Depuis je m’intéresse plus au principe du tao avec le Yin et le yang qui ont plus satisfait mon goût de la vérité, car, en éteignant les désirs, on n’annihile pas totalement la souffrance, il reste toujours un peu de Yin dans le Yang ; ainsi renaissent d’autres souffrances. C’est sans doute pour cette raison que je me suis arrêté en chemin et que je ne pourrais jamais parler de la quatrième vérité, qui est la «Voie des huit vertus» qui conduit au Nirvana des bouddhistes. Cependant, je n’arrêtais pas totalement mes recherches, Marcel Conche prit le relais de mon éducation spirituelle. Il m’enseigna les principes d’Épicure qui me convenaient mieux, il ne conseillait pas d’éteindre en nous toute cette soif de vivre, mais de s’en tenir aux désirs essentiels. J’interprétais ce conseil à ma manière en agrémentant parfois mes repas avec un petit verre de vin que je trouve essentiel pour border ma vie avec le bonheur avec qui j’ai décidé depuis longtemps d’entretenir de bonnes relations, car, à ce jour, je ne vois pas en quoi il y a quelque chose d’intelligent à ne pas vouloir être heureux.

 

C’est en me questionnant avec cette naïveté socratique, ce que faisait souvent Marcel Conche, qu’il ouvrit en moi une curiosité philosophique qui depuis ne m’a jamais quittée. C’est ainsi qu’il interrogeait le monde et les hommes avec cette fausse naïveté qui lui permettait de mieux vous analyser et ci-besoin était de vous placer en face de vos incohérences. Des amis qui souhaitaient le rencontrer s’en souviennent encore.

Durant des dizaines d’années, j’allais avoir l’honneur de recevoir les leçons particulières de ce grand professeur qu’il fut également. Il ne me posait que des questions auxquelles j’étais capable de répondre. Il ne chercha à aucun moment à me mettre en difficulté, mais sans m’en rendre compte il me fit progresser sur la voie de la réflexion. Je l’en remercie encore, il fut mon véritable père et mon guide dans la vie. Je gardais du bouddhisme ce qui me semblait bon au même titre que chez les philosophes Grecs comme Héraclite avec l’impermanence et la sobriété d’Épicure. En soulignant naïvement, les limites de mon discours il m’accompagna vers le scepticisme. C’est ainsi qu’il m’offrit mon premier burin avec un marteau pour que je puisse effacer, si le besoin s’en faisait sentir, certaines de mes convictions que je croyais gravées dans le marbre. Depuis je me sens plus léger donc libre. C’est ainsi qu’il m’aida à découvrir d’autres facettes d’une vie éternellement changeante. Il me prépara à aimer ce monde plongé au cœur d’une nature merveilleuse. Pour appréhender tout ceci sans doute comprit-il très tôt qu’il fallait mieux être ce Candide de Voltaire. Parfois, dans nos conversations, j’avais l’impression que nous n’étions que deux grands enfants naïfs, mais pas crédules pour autant.

Cette naïveté que j’ai partagée avec lui, celle que Georges Sand attribuait à son personnage qu’était Planet : «   naïf comme un enfant , avec un esprit pénétrant et une finesse déliée », ne pouvait que nous tenir à l’écart de tous ceux qui n’avaient que des certitudes. Aujourd’hui il en est toujours ainsi avec ceux qui nous promettent le bonheur avec une croissance infinie de l’avoir, dussent-ils oublier l’être, l’humanisme et l’environnement. Ils sont si éloignés des conseils de Maître Eckart qui conseille d’être vide de notre propre connaissance, non pas d’oublier ce que nous savons, mais d’avoir une sorte d’innocence, pas loin de la naïveté qui nous prépare à une disponibilité de l’esprit pour mieux nous imprégner des choses ; ce qui est indispensable, car, celui qui ne comprend pas le problème ne trouvera jamais la solution. Alors comprenons-nous bien le sens et la possibilité d’un développement durable, ou sommes-nous simplement dans le développement durable de nos erreurs ?

Notre société est en face de deux points de vue radicalement différents. Ce sont des contraires et ces derniers sont indissociables comme nous l’a enseigné Héraclite. Mais œuvrer pour l’un ou pour l’autre, ceci aura des conséquences radicalement différentes.

Nous avons un premier groupe, qui sous l’impulsion des femmes 

( majoritairement) se développe rapidement, car elles sont animées par la force de ceux qui savent, comme les Grecs et les bouddhistes, qu’aucune félicité n’est durable. Si ces naïves arrivent à faire des choses qui semblent impossibles pour beaucoup, c’est qu’elles sont propulsées par la culture de la vie qui fait si souvent défaut aux hommes ; ces derniers sont essentiellement manipulés par la culture du face à face, que j’appelle par ailleurs, la culture de la mort. Ces ignorants se croient autorisés à traiter ces dernières de naïves ou de rêveuses plus ou moins utopistes. Puis, pour bien enfoncer le clou, du haut d’un prétendu savoir, ils leur expliquent que le monde ce n’est pas ça, qu’elles ne comprennent rien aux affaires, à l’économie et à la politique ; que les choix qu’elles proposent ne sont que des choix fictifs, sans fondement sérieux en dehors d’un petit cercle de rêveurs plus ou moins naïfs comme elles.

C’est là qu’une femme plus hardie que les autres prit la parole :


- Cher Monsieur, vous et vos amis tous tellement persuadés d’avoir raison je vous signale que « Fictif » ne signifie pas forcément « impossible ». J’en veux pour preuve que le papier-monnaie, que vous vénérez tant, n’a qu’une valeur fictive, pourtant c’est le moteur du monde que vous prétendez nous imposer et qui aujourd’hui ressemble à un cauchemar.

 

Je vois bien qu’avec votre sourire narquois, vous souhaitez nous envoyer sur l’ile d’Utopia, ce vieux pays imaginaire où les habitants sont gouvernés d’une manière idéale et sont parfaitement heureux. Ne vous y trompez pas ce pays qu’est l’Utopia dont nous parle Thomas More ce philosophe humaniste anglais existe bel et bien, ce sont toutes mes sœurs et mes frères, ces entrepreneurs du sens, qui chaque jour lui donne vie en mettant en place non seulement une économie de précaution, mais aussi des moulins à bonheur.

Nous sommes les nouveaux résistants face à la dystopie que vous installez un peu partout et dont la dernière guerre en Ukraine n’est qu’un pâle reflet de ce qui malheureusement arrivera ailleurs. Votre économie mondialisée est devenue une économie hégémonique. Puis comme toutes les hégémonies, elle ne pouvait que devenir despotique en détruisant les hommes et leur environnement. Une dystopie ce n’est plus simplement une fiction terrifiante, mais c’est devenu une réalité avec cette économie mise en place par ceux qui sont persuadés d’être les maîtres du monde. Il sera de plus en plus difficile de leur échapper, car ils entendent tout dominer et exercer une autorité totale sur leurs consommateurs qui se prennent encore pour des citoyens qui peuvent exercer leur libre arbitre. Espérons qu’il n’est pas trop tard pour choisir son camp, Utopie contre Dystopie, croissance contre bonheur.

Marcel nous avait prévenus

Jean Delorme 

(ce texte aurait été lu à la soirée Marcel Conche du 9 avril si Jean Delorme avait pu y venir mais de nuit et de loin c'est peu prudent)

 

affiche de la soirée du 9 avril consacrée à Marcel Conche

affiche de la soirée du 9 avril consacrée à Marcel Conche

le pas-sage de Marcel Conche
 
Le siècle de Marcel Conche comporte une préface de Hollande (ex-président et corrézien)
il aurait dû comporter un texte de Macron (se réclamant des chemins buissonniers de Marcel Conche dans le 1 d'Eric Fottorino) 
et un texte de feu Chirac (feu président et feu corrézien) 
(texte que j'ai hésité à écrire)
c'eut été drôle d'avoir des "paroles" de présidents sur un philosophe métaphysicien, 
porté par la Nature infinie, éternelle, créatrice au hasard selon lui,
partisan de la décroissance, adepte de la sobriété à tous les points de vue, sensible à la souffrance des enfants (sa notion de mal absolu en est déduite) et des animaux
---------------------------------
je n'ai pas obtenu non plus, les "paroles" de Jacques Weber, Gérard Depardieu, Michel Onfray, Jérôme Garcin, Laure Adler, Roland Jaccard (suicidé juste avant la parution, pour ses 80 ans, comme son père et son grand-père) et de Natale Luciani, son ami corse (disparu aussi avant parution)

L'ami Marcel Conche, métaphysicien de l'infini de la nature est décédé,

dcd, (j'ai repris décédé sur proposition d'Annie Bergougnous)

le dimanche 27 février 2022, à 8 H du matin,  dans son sommeil.

J'ignore quel a été son état dans les jours qui ont précédé. Mais une quinzaine de jours avant, je lui avais téléphoné. Clair, lucide comme d'habitude même si, à ce que M.M me racontait, il perdait peu à peu une certaine mémoire, celle du quotidien, heure, jour-nuit, repas pris ou pas...

Marcel est mort de sa belle mort, d'une mort naturelle comme il la décrit dans un article de 6 pages Comment mourir ? paru dans la Revue L'enseignement philosophique, N°3, mars-mai 2013.

Une mort naturelle qui vient après le parcours des âges de la vie (enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse) à la différence des morts paranaturelles (par virus, amiante, rayonnement...), des morts infligées par assassinat (Marseille, Corse), par fanatisme religieux (un peu partout), par la guerre à laquelle on participe par patriotisme ou toute autre raison idéologique, qu'on subit parce qu'on ne peut pas fuir, guerre qu'on peut ne pas faire par pacifisme, objection de conscience, désertion avec risque personnel bien sûr (guerres en cours, ne focalisons pas seulement sur l'Ukraine), des morts encourues  par  de vains désirs non naturels, infinis, insatiables tels que décrits par Épicure : manger trop riche, trop gras, boire à l'excès, fumer comme un pompier, baiser à mort, être baisé à mort entre pluri partenaires, se droguer en dur, en doux, pratiquer des sports extrêmes pour l'état de flow, pour se dépasser, se surpasser => usure prématurée du corps, désirer les honneurs, la richesse, la gloire, le pouvoir, la domination, la conquête, (dans ces cas-là, la compétition est féroce et on finit toujours par tomber de haut), l'immortalité (le transhumanisme annonce la couleur pour les ultra-riches).


Marcel Conche en menant une vie d'Épicure en Corrèze a en quelque sorte choisi sa mort, une belle mort, comme on dit, chez lui, dans son lit, dans son sommeil, soigné, aidé, accompagné, pendant 4 ans par une femme admirable de dévouement de sa famille, M.M.C. et par les services de l'hospitalisation à domicile (j'ignore pendant combien de temps; il perdait de son autonomie mais rien de sa vivacité intellectuelle, de son sens de la répartie, du rebond).

Mourir chez soi plutôt qu'en Epahd, c'est ce que je souhaite à chacun. Je l'ai permis, à mon père dont j'ai recueilli le dernier souffle, à ma mère, morte dans son sommeil, moi dormant dans la pièce à côté. Pendant 4 ans, j'ai été l'aidant de mon beau-père, accueilli chez nous avant son départ. Quand une famille le peut, qu'elle n'abandonne pas celui qui vieillit "mal" (par perte d'autonomie...) et va passer (à plus ou moins longue échéance et déchéance) aux marchands de l'or gris.

Disons pour être plus précis, qu'en vivant comme Épicure, en Corrèze, Marcel se donnait plus de chances de mourir de mort naturelle, sans garantie cependant de ne pas mourir de mort accidentelle, brutale ou des suites d'une longue maladie comme on dit aujourd'hui pour désigner les fins de vie par cancer avec traitements lourds, voire soins palliatifs.

Que philosopher c'est apprendre à mourir dit Montaigne et de l'imaginer par une tuile tombant d'un toit ou suite d'une mauvaise chute. Combien de fois, avons-nous eu la sensation d'avoir frôlé la mort, de lui avoir échappé, sans même avoir besoin de l'imaginer. Une vie prudente ne nous en protège pas certes mais une vie prudente est une vie sage pouvant rendre le pas-sage plus lointain.

Marcel a pu ainsi quasiment jusqu'au bout écrire, jusqu'au 13 novembre 2021, où écrivant sa dernière lettre pour M.C., il se pose la question "les morts ont-ils une réalité autre que dans nos souvenirs et nos coeurs ?"

Son dernier livre publié, le 27 septembre 2021 au milan de sa centième année, L'âme et le corps est d'une belle vigueur.

L'âme et le corps, son dernier livre paru au milan de sa centième année, le 27 septembre 2021 / Lettres en vie, lettres écrites pour des personnes en soins palliatifs à La Seyne-sur-mer, un livre d'accompagnement, lettres dAlain Cadéo, peintures de Michel Cadéo
L'âme et le corps, son dernier livre paru au milan de sa centième année, le 27 septembre 2021 / Lettres en vie, lettres écrites pour des personnes en soins palliatifs à La Seyne-sur-mer, un livre d'accompagnement, lettres dAlain Cadéo, peintures de Michel Cadéo
L'âme et le corps, son dernier livre paru au milan de sa centième année, le 27 septembre 2021 / Lettres en vie, lettres écrites pour des personnes en soins palliatifs à La Seyne-sur-mer, un livre d'accompagnement, lettres dAlain Cadéo, peintures de Michel Cadéo
L'âme et le corps, son dernier livre paru au milan de sa centième année, le 27 septembre 2021 / Lettres en vie, lettres écrites pour des personnes en soins palliatifs à La Seyne-sur-mer, un livre d'accompagnement, lettres dAlain Cadéo, peintures de Michel Cadéo

L'âme et le corps, son dernier livre paru au milan de sa centième année, le 27 septembre 2021 / Lettres en vie, lettres écrites pour des personnes en soins palliatifs à La Seyne-sur-mer, un livre d'accompagnement, lettres dAlain Cadéo, peintures de Michel Cadéo

Contexte de la nouvelle du pas-sage de Marcel Conche

Un mail adressé à 12 H 30 m'informe du passage de Marcel. Je suis en balade sur la route des crêtes avec les enfants. Au bord des falaises de Cassis et dans Cassis. Je découvre le mail vers les 20 H. Je ne m'y attendais pas et posais comme réalisé le souhait de nous retrouver le 27 mars pour ses 100 ans lorsque je parlais aux deux oliviers de 50 ans, dédiés à Marcel, sur la restanque front de mer de 20 m où je fais mes allers-retours tous les jours pendant 30 à 40' deux fois par jour.

Mais depuis le 24 février, début de la crise ukrainienne, je suis nerveux, cherchant à comprendre sans réussir à me positionner.

La nouvelle me percute. Quand auront lieu les obsèques ? Comment effectuer le voyage ?

On continue nos balades en famille dans des lieux chargés énergétiquement, spirituellement, la Sainte-Baume, le 4 mars, Lourmarin, le 5 mars.

Rosalie venue deux fois chez Marcel  appréciée de lui qui lui avait offert 3 robes, ne veut pas assister aux cérémonies (nous n'insistons pas); elle remonte en train le dimanche 6 mars. Elle sera seule pendant 4 jours mais reliée téléphoniquement et humainement avec Toto.

Son anniversaire des 14 ans  sera le lendemain de celui de Marcel (27, Marcel, 100, 28, Rosalie, 14).

en date du 1° mars

france culture remet en ligne les 5 entretiens Hors-Champs de 2010 avec Laure Adler suite au décès de Marcel Conche, le 27 février 2022, à un mois de son 100° anniversaire, le 27 mars 
 
la soirée Marcel Conche du 9 avril à 19 H à la maison des Comoni au Revest est maintenue avec la projection du film de Christian Girier La nature d'un philosophe suivie d'un débat
elle sera l’occasion d’évoquer la figure et l’oeuvre de Marcel Conche
 
je souhaite garder un côté intime à ce départ d’un ami dont la sagesse tragique m’a guidé de 1967 à 2020
fin 2020, une métamorphose « inattendue » m’a amené à une approche plus spirituelle de la vie 
(Et ton livre d'éternité ? paru le 14 février 2022)
il me semble que Marcel Conche, un grand frère de 18 ans mon aîné que je tutoyais (comme il le voulait) n’était plus très loin d’une telle approche 
(dernier échange téléphonique vers la mi-février en lien avec mon livre d'éternité)
 
évidemment, ce qui s’exprime dans les nécrologies (Roger-Pol Droit et autres), c’est le nihilisme ontologique de Marcel Conche, son naturalisme, son scepticisme pour autrui
 
le voilà déjà figé dans un statut, une statue
alors qu'il était en mouvement permanent comme tout ce qui vit
et il écrivait le mouvement, le passage comme son ami Montaigne
je ne sais qu'écrire nous avait-il dit en 2019 
toujours questionnant 
 
l’approche des 100 ans, approche aussi de la mort l’a conduit à se poser une ultime question dans une lettre presqu'illisible du 13 novembre 2021 qui ne permet pas de se débarrasser de la mort comme il l'a fait à 84 ans 
"les morts ont-ils une réalité autre que dans nos souvenirs et nos coeurs ?"
 
(entretien dans philo-magazine, avec Juliette Cerf, le 3 octobre 2006)
(La mort ne peut plus m'enlever ma vie. Ma vie, je l'ai eue. Je n'appréhende pas le fait d'être mort. Epicure le dit très bien, la mort n'est rien. Il n'y a rien après la mort : je disparais, je m'évanouis, la vie s’arrête.)
 
je relève au passage l'absence de toute référence aux Cahiers de l'Égaré dans les nécrologies qui circulent
pourtant 10 livres ont été édités
Les Cahiers de l'Égaré n'ont pas cherché et ne cherchent pas la visibilité médiatique. 
Faire oeuvre, humblement, selon une exigence de vérité intime, de conviction vécue.
Être cause de soi et non conséquence des influences d'autrui.

4 mars, la Sainte-Baume

retour de la Sainte-Baume, le 4 mars à 22 H, car en famille, les balades durent, durent, tellement on s'immerge dans ce qui s'offre, balade conclue par un documentaire de 25' sur ce lieu où les rencontres les plus inattendues se font pour peu qu'on dise bonjour et qu'on s'adresse vraiment à la personne
ce fut trois fois le cas,
- avec un photographe ami revenant de la grotte avec des élèves de lycée qu'il initiait à la prise de vues 
- avec une chercheuse en science de l'ingénieur, une vosgienne (nous avons voulu aller à la grotte aux oeufs mais trop dur pour mes genoux; accord à 100%, mots compris, sur la Conscience, la Présence d'amour inconditionnel à l'oeuvre dans ce qui vit, meurt...;
plus tard, je découvre que j'ai discuté avec la 1° adjointe au maire de Nancy, également conseillère régionale, directrice d'un institut supérieur de recherche, (École nationale supérieure en génie des systèmes industriels et Institut national polytechnique de Lorraine); elle m'a donné ses cordonnées
- avec une femme au bonnet bleu devant un vitrail Noli me tangere, échange sur un sens possible de ce Ne me touche pas, des yeux extraordinaires comme je n'en ai jamais vus, comme si j'étais absorbé; ce fut court, chaleureux, sans échange d'adresse ni de noms, prénoms; juste la rencontre livrée à l'éternité du moment présent
évidemment, j'ai présumé de mon endurance sans repos ni restauration, suis tombé deux fois dont la dernière juste au niveau de la voiture avec 4 pompiers buvant un coup à La Terrasse et venant me relever, m'offrant un café sucré et plein de conseils avec un humour savoureux; merci 
 
à la boutique du pèlerin, je note l'absence de L'évangile de Marie, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup, je demande s'il y a du Jean-Yves Leloup, ancien dominicain de la Sainte-Baume, devenu prêtre orthodoxe; non parce que les écrits actuels de Jean-Yves Leloup ne correspondent pas à nos critères mais si vous en voulez, je peux vous les commander
 
arrivée chez moi, je trouve par mail un tract Gallimard offert
Bonjour Jean-Claude Grosse,
Veuillez trouver, en lecture gratuite, ce texte inédit de Régis Debray :
Des musées aux missiles. 
À propos de ce livre
Pas de panique. C’est toujours ainsi que les choses se passent. La guerre, c’est quand l’histoire se remet en marche. La paix, c’est quand dominent les arts de la mémoire. Guerre et paix. Cela alterne. Diastole, laisser-faire laisser-dire, systole, on serre les poings et les rangs. Les sociétés aussi ont un cœur qui bat. Tout se passe comme si les grandes vacances allaient devoir se terminer en Europe, que nous sortions du régime mémoire, pour aborder, once again, le régime histoire. Il y a un temps pour tout. Pour le patrimonial et pour les arsenaux. Pour le musée et pour le missile. Le passage de l’un à l’autre est toujours déconcertant, mais l’Européen a assez d’expérience pour ne pas s’étonner du changement de phase, et de pied.
5 mars, Lourmarin
d'abord le cimetière, tombe d'Albert Camus, 
je lis un extrait de La voie certaine vers "Dieu" après avoir indiqué pour le silence qui nous enveloppe (personne pendant notre balade de 1 H 30) que Marcel Conche par sa métaphysique de l'infini de la nature nous sauve de la philosophie de l'absurde.
"La religion repose sur la notion d’amour inconditionnel. C’est la religion fondamentale et universelle, la religion de l’avenir. L’amour du prochain au sens évangélique, qui définit la voie droite « vers Dieu », est inconditionnel : quel que soit l’être humain – sain ou malade, vieux ou jeune, beau ou laid, noir ou blanc, honnête ou malhonnête, intelligent ou sot, croyant ou incroyant, ami ou ennemi, etc. , on doit l’aimer d’un tel amour. Selon ce qui est naturel, on aime plutôt celui qui est beau que celui qui est laid, celui qui est honnête que celui qui est malhonnête, celui qui a bon caractère que celui qui a mauvais caractère, le généreux que l’égoïste, et bien entendu on aime l’ami et non l’ennemi. 
Mais Jésus dit: « Aimez vos ennemis. » (Matthieu, 5.44). C’est là le renversement complet de ce qui est naturel. « Aime ton ennemi »: ce n’est pas là une exigence morale, car, du point de vue strictement naturel et humain, l’amour ne se commande pas et ne résulte pas d’un acte volontaire. Un tel impératif d’amour inconditionnel nous arrache au plan des sentiments naturels, nous transporte au plan proprement religieux, non naturel, celui de la religion de l’amour. Ainsi, je vis dans la religion de l’amour si j’aime autrui simplement en tant qu’être humain, même s’il ne le mérite pas."
À méditer en temps de guerre. 
Puis la tombe d'Henri Bosco, auquel on doit entre autres L'enfant et la rivière, Malicroix, l'auteur le plus cité par Gaston Bachelard.
Aujourd'hui, beau soleil, peu de monde. Tours et détours. 
Pas trace de Bernadette Lassalette, l'hôtesse reine de Lourmarin, rencontrée l'an dernier avec A.B.
Vers 15 H 30, je m'installe sur la terrasse au soleil du Bistrot, face au château, deux tables et quatre chaises en attendant les enfants. 
Je remarque que les tables sont numérotées. 
Celle où je me suis installée, c'est la 27, à côté la 26. 
Le pas-sage : le 26 en vie, le 27 passé, 
peut-être en vie d'une autre vie. 
Je remercie cette coïncidence me mettant en face à face avec le décès de Marcel Conche le 27 février à 8 H du matin, dans son sommeil, à un mois de son 100° anniversaire, le 27 mars 2022.
La voie certaine vers "Dieu" est un petit livre majeur, 28 pages d'une réflexion s'achevant par cette phrase : la voie de l'amour est la voie du moulin, qui mène au moulin même s'il n'y a pas de moulin. 
Hasard ? ce 5 mars, c'est le début du printemps des poètes dont le thème est l'éphémère. Les amandiers explosent. 
En sortant du cimetière est arrivé un jeune père de famille avec ses deux filles Swann et Romance pour aller sur la tombe de Camus. Bel échange. 
 
Le soir, film proposé par Rosalie : Écrire pour exister, film dramatique américain écrit et réalisé par Richard LaGravenese, sorti en 2007. 
Il s’agit de l’adaptation du livre The Freedom Writers Diary d'Erin Gruwell et de ses élèves, des élèves inféodés à leurs gangs, s'affrontant en classe (la salle 203) où ils sont intégrés dans le cadre d'un programme de discrimination positive du gouvernement américain après les émeutes de Los Angeles de 1992.

les cérémonies

quand Marcel Conche, métaphysicien de l’infini de la nature, décédé-dcd le dimanche 27 février 2022 à 8 H du matin, à 1 mois de ses cent ans, dans son sommeil, nous fait faire un voyage en zig et en zag de 1500 kilomètres par autoroutes et routes plutôt sinueuses
 
mardi 8 mars 2022, à 14 H 30, obsèques au centre omni-cultes de Bourg-en-Bresse dans l'Ain
partis à 8 H 40 du Revest, nous arrivons à 14 H 15 au funérarium : requiem de Mozart, messages et textes, temps de silence
quand le cerceuil est mis dans le corbillard, le factotum ferme la porte nous séparant du dehors; le corbillard démarre, disparaît, fait le tour du rond-point, réapparaît; la porte se réouvre lentement et complètement; 
un coup de vent me dit l'athée de service; 
même avec le coup de vent judicieux, cette réouverture, je la reçois comme peut-être une réponse à la question que s'est posé Marcel dans sa dernière lettre du 13 novembre 2021 à M.C. 
«  Les morts ont-ils une réalité autre que dans nos souvenirs et nos cœurs? »
 
retrouvailles entre autres avec la traductrice de Actualité d’une sagesse tragique, alors étudiante au lycée Dumont d’Urville, à Toulon, aujourd’hui journaliste à RFI amérique latine
 
de 17 à 19 H 30, famille et amis proches se retrouvent à Treffort dans l'Ain (et pas en Isère comme prétendent Télérama et d’autres), à 15 kms de Bourg-en-Bresse dans la maison où Marcel a passé ses 4 dernières années; moment très chaleureux avec beaucoup de tendresse, foin des précautions sanitaires; 
je remets à la famille 2 N° de la revue corse I Vagabondi dont le 2° consacré à la nature à partir d’une phrase de Marcel dans La nature et l'homme publié le 27 mars 2021 pour ses 99 ans et le livre pluriel 22 femmes qui font la Corse (offerts par les éditions Scudo, avant le départ de Marcel)
 
de 20 H à 22 H, balade autour du monastère royal de Brou; l'auberge bressane est fermée le mardi; c'est là en 2019 pour les 97 ans que nous avions dîné avec F.C.; sur les verres somptueux, AB
nuit dans un appart loué
 
mercredi 9 mars 2022, à 16 H, inhumation au cimetière d'Altillac en Corrèze
partis à 9 H 40 de Bourg, nous arrivons à Altillac à 15 H 30 par l'autoroute des Puy, Auvergne, Vulcania; de la neige sur les sommets côté Cantal
messages, textes, devant la tombe de son père Romain, maire apprécié d’Altillac, la voisine de Marcel à la Maisonneuve et son fils, sa femme de ménage, des corréziens et corréziennes, en écriture inclusive des corrézien.e.s (rire hénaurme)
levant la tête, je vois un nuage à forme d'homme, entouré d'un halo ensoleillé; une sensation de légèreté, de présence bienveillante 
 
de 17 H 30 à 20 H 30, balade dans Beaulieu-sur-Dordogne, tous les endroits faits avec Marcel et photos-mots à l’identique
 
remontée sur Paris à partir de 20 H 40 par les autoroutes Brive, Limoges, Orléans, Chartres avec une lune de premier quartier présente presque toute la route
arrivée à 4 H du matin à Saint-Denis après une sortie d'autoroute obligatoire suite à un accident entre deux poids lourds, renversés et ayant pris feu ; j'ai pris le volant pendant 1 H 30 
ce retour m'a fait ressentir avec l'intense circulation des poids lourds dans les deux sens que nous y allons...
 
TGV de retour à 15 H 05 jeudi; 
par Tulle, 11 H de trains au pluriel
 
merci à Marcel pour ce périple; merci à toutes les personnes qui se sont déplacées pour l'accompagner; merci à Katia pour son énergie et sa générosité; merci à Guillaume, son co-pilote vigilant et efficace; merci à Titine, le multispace à toit transparent qui permet de profiter du ciel; on n'a jamais dépassé 110
 
désolé, pas de photo, pas de vidéo, rien à montrer, c'est voulu
 
je ne me suis pas exprimé, ni à Bourg ni à Altillac; notre amitié a quelque chose de très intime, de non partageable
 
depuis déjà plus d'une semaine, je ne m'adresse plus aux deux oliviers dédiés à Marcel sur la restanque front de mer de 20 mètres de la villa Joie de la même façon; plus de souhaits, plus de projets; une présence par les souvenirs et dans le coeur et peut-être autre; il connaît ou pas désormais la réponse mais nous, vivants, ne la connaîtrons pas
 
la soirée Marcel Conche du 9 avril, à 19 H à la Maison des Comoni, au Revest, 1 mois après son inhumation, sera l'occasion d'évoquer ce que Marcel a été pour ceux qui l'ont connu ou étudié ou lu…à partir du film de Christian Girier, la nature d’un philosophe
 
en couverture du Bouquins consacré à L'infini de la nature, une oeuvre de Nicolas de Staël, Paysage
dominante : des rouges
dominante du voyage dans les paysages de la France rurale : des verts
 
rappel : le livre d’éternité en lien avec la question de vie et de mort d’Annie Bories, l’épousée je sais que je vais passer, où vais-je passer ? et qui m’a interpellé pendant 11 ans est sous le signe presque jusqu’à la fin de la sagesse tragique de Marcel; 
la métamorphose de J.-C. en Vita Nova ne lui doit rien, 
il s’agit d’une expérience spirituelle intime et la pensée n’y a pas accès
 
disponible en librairie, sur plateforme ou chez moi
le pas-sage de Marcel Conche
le pas-sage de Marcel Conche
le pas-sage de Marcel Conche
affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest
affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest
affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest
affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest
affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest

affiche du film de Christian Girier qui sera présenté le 9 avril 2022 à 19 H , salle Pétrarque, maison des Comoni, théâtre du Revest et de la métropole TPM; Marcel près de la chapelle des Pénitents à Beaulieu sur Dordogne, Marcel sortant de la partie médiévale de Beaulieu, Marcel me disant Heureusement qu'on meurt (photos F.C.); portrait de Pétrarque réalisé par Ernest-Pignon Ernest

Marcel Conche et JCG, Marcel et Cyrille Elslander (des 4 saisons du Revest à l'époque, devenu directeur-adjoint du Pôle) en juin 2002 à Treffort dans l’Ain; 20 ans d’amitié, 10 livres de et sur Marcel Conche édités par Les Cahiers de l’Égaré dont le dernier, L’âme et le corps, le 27 septembre 2021 au mitan de sa centième année
Marcel Conche et JCG, Marcel et Cyrille Elslander (des 4 saisons du Revest à l'époque, devenu directeur-adjoint du Pôle) en juin 2002 à Treffort dans l’Ain; 20 ans d’amitié, 10 livres de et sur Marcel Conche édités par Les Cahiers de l’Égaré dont le dernier, L’âme et le corps, le 27 septembre 2021 au mitan de sa centième année

Marcel Conche et JCG, Marcel et Cyrille Elslander (des 4 saisons du Revest à l'époque, devenu directeur-adjoint du Pôle) en juin 2002 à Treffort dans l’Ain; 20 ans d’amitié, 10 livres de et sur Marcel Conche édités par Les Cahiers de l’Égaré dont le dernier, L’âme et le corps, le 27 septembre 2021 au mitan de sa centième année

échange post-mortem

Merci, Jean-Claude, de votre restitution fidèle et émouvante du ou des jours de départ de Marcel. C'est souligner que la famille de pensée (dont Yvon Quiniou) était là pour épauler et honorer la famille de sang (famille qui s'est exprimée avec justesse et profondeur !)  
C'est vrai, vous n'y avez rien dit, mais vous expliquez ici très bien que l'amitié n'a pas nécessairement de compte-rendu public à faire.
Merci aussi d'avoir remarqué aussi bien le nuage à forme d'homme (que vous avez vu pour nous, je n'étais pas à Altillac) que la réouverture "pneumatique" (comme dirait Jankélevitch) de la porte du funerarium (je la confirme).
J'étais heureux qu'un de ses éditeurs (Jacques Neyme) soit présent : leur travail commun fut ardent, exigeant, et juste !
Et bonne chance aussi dans le déploiement de la "métamorphose" que vous accueillez (ou qui vous accueille...). Conche n'excluait rien - pas même (je plaisante à peine) que Bergson ou Jung aient finalement vu juste. 
   merci, 
        m.
 
merci M. pour ce retour
je n’ai rien exprimé, par amitié inconditionnelle pour l’homme Marcel, d’une complexité rare, impossible à démêler, complexité à accueillir sans jugement dans son entièreté et son mystère qui se confondent
(cela vaut pour chacun, chacun est mystère et en cela sacré)
mais aussi pour une autre raison
Marcel en partant est devenu un être-un corps pour autrui sartrien, objectivé-aliéné
(impossible maintenant de nous surprendre par un acte, une action "inattendus") 
qu’il a su faire exister comme figure du philosophe par vocation
(il a fabriqué sa légende, son monument; rien de péjoratif là-dedans; on est tous des fictions, des légendes qu’on fabrique; ce n’est pas mensonge, ce n’est pas vérité, c’est croyance, conviction vécue comme dit Marcel) 
et Comte-Sponville sera sans doute le garant de cette doxa, reprise partout
or les discussions que j’ai eu à la fin avec Marcel dont une évoquée dans le livre d’éternité m’ont révélé qu’il était bien en chemin, prêt à concevoir que la Nature (ou tout autre nom, ne nécessitant pas qu’on se fasse la guerre des noms et des dieux) n’est pas seulement créatrice au hasard, aveugle mais créatrice avec-par amour inconditionnel, sans jugements, sans oppositions, de tout ce qui existe; l’amour comme force créatrice, pas seulement sentiment accompagnateur, compassion…
oui Bergson (citation en début du livre d'éternité), oui Jung
mais je leur préfère aujourd'hui Christiane Singer, Jean-Yves Leloup
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)
9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)

9 mars 2022, entre 18 H et 20 H, sur la trace des souvenirs; dernière photo : l'idiot regarde le doigt, ne voit pas la lune montrée par le doigt (photos K.P et G.B.)

dialogue à venir entre J.-C. di Vita Nova et Jean-Claude Carrière, auteur de La vallée du néant, paru chez Odile Jacob en décembre 2018,  en cours de lecture depuis le 14/02/2022, 74° anniversaire de l'épousée

présentation du livre

"Nous en venons et nous y retournons. Pourtant, nous ne pouvons rien en dire. Le néant – qui n’est ni le rien, ni le vide – reste l’inconnu fondamental, le non-être, sans sensation, sans conscience et sans mémoire.

Pour m’en approcher, prudemment, je me suis lancé dans une promenade, un peu au hasard des chemins, en reprenant un vieux thème persan. J’ai voulu voir comment d’autres ont réagi, ici ou là, dans l’histoire du monde, au plus secret, au plus insistant des mystères. J’ai découvert, au passage, plusieurs attitudes, qui peuvent paraître contradictoires. Chacun peut choisir.

C’est banal à dire, nous sommes tous emportés par un mouvement irrésistible. Il est notre maître, et nous savons où il nous conduit. Rien ne reste, rien ne revient. Pour peupler ce passage où il n’y a « rien » (« N’y a-t-il rien dans ce rien ? » se demandait Chateaubriand), nous avons, au long des siècles, imaginé toute une farandole de monstres, de vapeurs, de fantômes, des hurlements, dont un grand nombre sont évoqués ici. 

Avec quelques questions inévitables : comment nous protéger du désespoir et de la vanité de toutes nos vies, si nous n’en devons rien garder ?

Comment, peut-être, en tirer une force, et même une joie ?
Pourquoi rire ? Pourquoi pleurer ?
Et pourquoi rêver d’immortalité ?"

Scénariste, dramaturge, écrivain, Jean-Claude Carrière est l’auteur de grands succès comme Einstein, s’il vous plaît, Fragilité, Tous en scène et, plus récemment, Croyance et La Paix

La vallée du néant, offert à Noël, livre d'occasion dédicacé à X; lecture à venir d'un livre offert parce que j'avais choisi , jeune professeur au lycée de Le Quesnoy (nord), un nom de poète Jean Rogues
La vallée du néant, offert à Noël, livre d'occasion dédicacé à X; lecture à venir d'un livre offert parce que j'avais choisi , jeune professeur au lycée de Le Quesnoy (nord), un nom de poète Jean Rogues

La vallée du néant, offert à Noël, livre d'occasion dédicacé à X; lecture à venir d'un livre offert parce que j'avais choisi , jeune professeur au lycée de Le Quesnoy (nord), un nom de poète Jean Rogues

commentaires sur l'article

Annie Bergougnous

Question, pourquoi notez-vous chaque fois "dcd", plutôt que "décédé"?
Je comprends bien sûr le raccourci, mais personnellement, ne l'apprécie pas. J'aime l'idée d'un mot, nom adjectif et autre, écrit en son entier. Dire et non pas raccourcir.
Dire "mort", "décédé", plutôt que "parti","dcd". J'aime l'idée de nommer dans son entièreté la mort que nous passons notre vie à évacuer de nos vies !!!
Nommer, c'est dire ce qui est et non éviter
Je sais que vous n'évitez rien, Jean-Claude; mais ce "dcd" je le trouve inélégant, si tant est que l'on puisse dire qu'il y ait une quelconque élégance...à ce sujet.(Bien que).
Rien de personnel, simplement mon ressenti quant à ce...."dcd" !
 
Jean-Claude Grosse
Annie Bergougnous je prends en compte en ce qui concerne dcd, pas en ce qui concerne mort car je crois aujourd'hui que la mort est un pas-sage (écrit avec la polyysémie de la langue des oiseaux); merci même si je sais pourquoi je l'ai fait; VIE = Vibration Information Energie; I information = tout est déjà écrit-informé dans les nombres-univers comme Pi (décédé/dcd => 4-3-4, réductibles à des 0-1 en langue binaire) Le terme bit est une contraction des mots binary digit (que l'on peut traduire par chiffre binaire en français). Il désigne l'unité la plus simple utilisée dans un système de numération. Cette unité, directement associée au système binaire, ne peut prendre que deux valeurs : 0 et 1 et reste pourtant à écrire par chacun de nous; chacun écrit son livre d'éternité déjà écrit, non destiné à un jugement dernier, cadeau-contre-don en retour de la vie qui nous a été donnée
dernier point: je crois aujourd'hui que ce sont les mots qu'on emploie qui crée la réalité; donc je ne crois pas qu'employer le mot mort dise la réalité vraie de ce qui est appelé mort; employer le mot crée une réalité séparant, opposant vie et mort;
 
 
de plus, le mot n'est pas la chose; mis pour la chose, il tue la chose en l'abstractisant, en la conceptualisant alors que la chose est unique, charnelle, vivante (lire La mort et la pensée de Marcel Conche ou ma note de lecture)
si on s'appuie sur la physique quantique, on expérimente de façon incompréhensible d'ailleurs (Richard Feymann) la superposition d'états, l'indétermination des états, les fluctuations d'états... d'où le mot pas-sage, inventé sans génie, sans doute inspiré à l'occasion de cet article
 
Rachel Kaposi
"Certitude n'est pas preuve". Mais mourir paisiblement devrait être un pas-sage obligé.
La fureur des vivants ne doit-elle pas choisir ce moment unique entre tous pour un dernier recueillement ?
Jean-Claude Grosse
pas de preuve, que des convictions vécues ou des opinions d'emprunt ou du bla-bla...la gamme est infinie du conformisme à l'authenticité, de l'imbécilité-bêtise à "sa" vérité; quant à moment unique pour un dernier recueillement, je dirai moment unique pour LA RESTITUTION FINALE, la résurrection, enfin debout, sortie du sommeil, éveil et pas repos éternel...
 
Bonjour Monsieur Grosse, Je lis toujours avec intérêt les parutions sur ce blog et les vôtres. Je tiens à vous dire ma tristesse alors que j'apprenais le décès de Marcel Conche. J'avais prévu de lui écrire pour son anniversaire mais il ne m';en a pas laissé le temps . Il a rejoint cet infini qui lui avait taraudé l'esprit dés son plus jeune âge, cet étonnement qui pour moi est la marque de la philosophie. J'ai beaucoup de sympathie et d'admiration pour cet homme de la terre. Comme lui je suis né dans une famille pauvre et marquée par cet esprit de la campagne , celui qui fait de la simplicité la source de la joie. Et ses ouvrages! et son escapade auprès d'Emilie ! et son allure si singulière ! et sa façon de parler, de plaisanter toujours avec considération pour ce qu'il avait à dire! Et le mal absolu qui en ce moment frappe des enfants ukrainiens! Voilà entre autres choses ce que Marcel Conche laisse comme témoignage pour moi. Ses livres comme il l'a écrit sont et seront pour moi le message d'un homme et d'un philosophe qui inspire ma vie dans cette recherche de la vérité , seul message sensé pour une époque tourmentée. Merci Monsieur Conche pour tout ce que vous avez donné à vos lecteurs et plus généralement à la philosophie ! Non votre corps n'ira pas rejoindre "le fumier des cochons" , pour moi il sera toujours quelque part dans cet infini et plus concrètement là où la terre de Corrèze vous a vu tendre le regard au loin comme pour mieux y revenir. Merci Monsieur Grosse de poursuivre votre travail pour perpétuer la mémoire de Marcel Conche. Respectueusement. Claude Cognat Annecy

un PDF de Marcel Conche présentant sa philosophie, à tété-charger

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Albert Camus aujourd'hui/L'engagement/J.C.Grosse

Rédigé par JCG Publié dans #Albert Camus

Je transforme en article, cette page consacrée à Albert Camus, lors d'un café-philo datant du 7 octobre 2008 soit 5 ans et 1 mois avant le centième anniversaire de sa naissance le 7 novembre 1913. JCG

 
Albert Camus : l’engagement est-il absurde ?

 

Le 1° café-philo  aux Chantiers de le Lune à La Seyne-sur-mer s’est déroulé, mardi 7 octobre 2008,  avec beaucoup de simplicité. Le dispositif permettait l’échange et la circulation de la parole. Le public, varié dans sa composition et ses âges, permettait à chacun de se poser ses questions, d’apporter sa pierre à la réflexion.
On commença par se demander si la question posée était pertinente. Tout le monde répondit oui sauf l’intervenant qui fit remarquer que la question si on la réfère à la pensée de Camus est absurde au sens logique c’est-à-dire est contradictoire avec la pensée de Camus, que par contre si on la pose depuis aujourd’hui, elle est actuelle. Ce qui signifie qu’une philosophie doit être une philosophie pour son temps. On peut être aujourd'hui thomiste comme Benoît XVI mais on n'est pas de ce temps.
La pensée de Camus correspondait à un temps où l’engagement sous de multiples formes, dans des organisations de toutes sortes, semblait une évidence pour des millions de gens. La pensée de Camus répondait aux attentes et questions de son temps. Le sentiment de l’absurdité du monde, l’absence de réponse du monde à la demande de sens de l’homme, la difficile réponse à la question : la vie vaut-elle d’être vécue, tout  cela suscitait, réclamait  une explication, une réponse. À l’absurdité du monde et de la vie, s’achevant par la mort, l’homme camusien  répond, non par le suicide mais par la révolte, expression de sa liberté. Il fait choix de construire le sens de sa vie en se révoltant contre l’absurde et tel Sisyphe, remet sans cesse, dans un effort permanent, la question du sens de la vie en jeu.
Comparaison fut donc faite entre le temps et l’homme du temps de Camus, 2° guerre  et après-guerre, et notre temps et l’homme d’aujourd’hui, individualiste, poursuivant à coups de recettes simplistes, un bonheur souvent futile.
L’effondrement des idéologies s’est accompagné de l’effondrement de l’engagement sous toutes ses formes : politique, syndical, associatif, personnel, familial, religieux…D’autres formes existent, ponctuelles, volatiles. À la fidélité d’hier, s’est substituée la versatilité d’aujourd’hui, en lien avec les terribles déceptions vécues par nombre de militants sincères, découvrant qu’ils avaient été trompés, manipulés, utilisés… Les uns ne font plus de choix, se repliant sur eux-mêmes, les autres ont du mal à en faire avec la perte des repères, la méfiance vis à vis de ce qui peut paraître comme soumission si on y adhère. D’autres choisissent au gré des circonstances sans nécessairement avoir une boussole  c’est-à-dire leur jugement.
Trois textes de Camus furent utilisés après lecture par des participants, un sur l’épuration au moment de sa polémique avec Mauriac,  son éditorial de Combat après Hiroshima  et sa position, incomprise, rejetée sur l’Algérie. Cela permit de voir que l’histoire, sa lecture, son interprétation, est difficile et que ce qu’on appelle les leçons de l’histoire, ça se résume à être prudent devant la complexité des faits, la méconnaissance des faits…
Commencé à 19 H 15, cela dura jusqu’à 22 H 30.
Une table de livres de Camus, bien achalandée, permit aux participants peu familiers de Camus et aux autres de partir « équipés ».
Prochain café-philo :  mercredi 12 novembre à 19 H sur Marcel Conche, l’homme ?  la Nature ? « Dieu » ?
 
Quelques compléments:

 

Café-philo du 7 octobre 2008

De Bab-el-Oued au prix Nobel.
Rien ne prédisposait Camus à obtenir le prix Nobel de littérature. Né en 1913, dans une famille pauvre, il perd son père en 1916, tué à la bataille de la Marne. Elevé par sa mère qui fait des ménages et ne sait pas lire, il est remarqué par son instituteur qui le présente à l'examen des bourses du secondaire. Bachelier, mais aussi footballeur et membre d'une troupe théâtrale, Camus, atteint de tuberculose, ne peut se présenter à l'agrégation de philosophie.
Qu'importe ! Camus se lance dans l'aventure journalistique avec Pascal Pia. C'est Alger républicain où Camus se fait remarquer par des enquêtes qui dénotent sa volonté de justice et son souci de ne pas renier ses origines. Parallèlement, Camus commence à écrire et à publier L'Envers et l'endroit en 1937, Noces en 1939, L'Étranger et Le Mythe de Sisyphe en 1942. Commence alors l'aventure de la résistance dans le réseau de résistance " Combat. " Il fait partie de la rédaction de Combat clandestin. A la Libération de Paris en 1944, première diffusion libre du journal Combat dont Camus est rédacteur en chef... et qu'il quittera en 1947 quand ce journal perdra sa liberté de parole. Il publie La Peste en 1947 et L'Homme révolté en 1950.
L'actualité algérienne ne le laisse pas indifférent et comme il avait tenté d'alerter l'opinion métropolitaine lors du soulèvement de Sétif en 1945, il le fait au début de la guerre d'Algérie sans résultat, le processus étant trop avancé. En 1957, l'Académie suédoise lui décerne le prix Nobel.
Ont eu encore le temps de paraître La Chute en 1956, Réllexions sur la guillotine en 1957 avant que Camus ne trouve la mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960.
Quarante-sept ans d'une vie bien remplie !

À ceux qui cherchent un sens à la vie, Camus répond qu’on ne sort pas du ciel qui nous contient. À ceux qui se désolent de l’absurde, Camus raconte que le monde est beau et que l’amour, en définitive, transcende les clivages. Aux idéologues, Camus démontre qu’il faut aimer les hommes avant les idées. Aux partisans de la haine, il décrit la gratitude. Aux amateurs de consensus, il redit la nécessité de la séparation. Aux révolutionnaires qui s’endorment sur l’oreiller des contestations incontestables, Camus enseigne que l’exigence véritable est le contraire de la radicalité. À l’inverse de ceux dont le goût de l’absolu s’épanouit dans l’inefficacité pratique, les héros de Camus ne baissent jamais les bras dans un combat qu’ils savent perdu d’avance. Car enfin, c’est dans la révolte elle-même que Camus cherche la mesure, c’est par elle qu’il veut empêcher que « le monde ne se défasse », et c’est au nom du courage qu’il se méfie des enragés…

Le mythe de Sisyphe est l’œuvre surprenante d’un jeune vieillard qui va sur ses trente ans, et qui boucle, avec cet essai magistral, le projet, à tous égards insensé, de rédiger, coup sur coup, trois versions de l’absurde : une pièce de théâtre, Caligula, un essai, Le mythe de Sisyphe, un chef d’œuvre, enfin, intitulé L'étranger.
Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… elles écriraient à quatre mains Le mythe de Sisyphe. Délivrant une sagesse d’ancêtre dans la langue des jeunes gens, le génie de Camus fait mentir les dictons et donne à des lecteurs à peine sortis de l’enfance les moyens de survivre à la certitude de mourir.


Le suicide [1]

"Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre. Et s'il est vrai, comme le veut Nietzsche, qu'un philosophe, pour être estimable, doive prêcher d'exemple, on saisit l'importance de cette réponse puisqu'elle va précéder le geste définitif. Ce sont là des évidences sensibles au cœur, mais qu'il faut approfondir pour les rendre claires à l'esprit.

Si je me demande à quoi juger que telle question est plus pressante que telle autre, je réponds que c’est aux actions qu’elle engage. Je n’ai jamais vu personne mourir pour l’argument ontologique. Galilée, qui tenait une vérité scientifique d’importance, l’abjura le plus aisément du monde dès qu’elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. Qui de la Terre ou du Soleil tourne autour de l’autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c’est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. J’en vois d’autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre (ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions."

L’absurde [2]

"Il arrive que les décors s'écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d'une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l'éveille et elle provoque la suite. La suite, c'est le retour inconscient dans la chaîne, ou c'est l'éveil définitif. Au bout de l'éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement. En soi, la lassitude a quelque chose d'écœurant. Ici je dois conclure qu'elle est bonne. Car tout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle. Ces remarques n'ont rien d'original. Mais elles sont évidentes : cela suffit pour un temps, à l'occasion d'une reconnaissance sommaire dans les origines de l'absurde. Le simple « souci » est à l'origine de tout.

 De même et pour tous les jours d'une vie sans éclat, le temps nous porte. Mais un moment vient toujours où il faut le porter. Nous vivons sur l'avenir : « demain », « plus tard », « quand tu auras une situation », « avec l'âge tu comprendras ». Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s'agit de mourir. Un jour vient pourtant et l'homme constate ou dit qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s'y refuser. Cette révolte de la chair, c'est l'absurde.

Un degré plus bas et voici l'étrangeté : s'apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier. Au fond de toute beauté gît quelque chose d'inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins d'arbres, voici qu'à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu'un paradis perdu. L'hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n'avons compris en lui que les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe puisqu'il redevient lui-même. Ces décors masqués par l'habitude redeviennent ce qu'ils sont. Ils s'éloignent de nous. De même qu'il est des jours où, sous le visage familier d'une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu'on avait aimée il y a des mois ou des années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls. Mais le temps n'est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c'est l'absurde."

La révolte [3]

"Voici le premier progrès que l'esprit de révolte fait faire à une réflexion d'abord pénétrée de l'absurdité et de l'apparente stérilité du monde. Dans l'expérience absurde, la souffrance est individuelle. À partir d'un mouvement de révolte, elle a conscience d'être collective, elle est l'aventure de tous. Le premier progrès d'un esprit saisi d'étrangeté est donc de reconnaître qu'il partage cette étrangeté avec tous les hommes et que la réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Dans l'épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l'ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l'individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes."



"Puisque Dieu n’existe pas, l’absurdité de la vie se surmonte par la solidarité humaine."

"Il faut opposer la révolte de la vie contre l’absurdité que lui impose la mort."

"Le sentiment d’absurdité de la vie, l’impuissance de l’intelligence humaine devant les événements tragiques du monde et le caractère inéluctable de la mort, engendrent un nihilisme qu’il faut surmonter. Dans un monde sans Dieu et dépourvu de sens, l’être humain est destiné à prendre la souffrance de l’humanité sur soi. Puisque hors de l’homme et du monde il ne peut rien y avoir d’absurde, il subsiste donc une valeur que l’absurde ne peut nier sans se renier soi même : la vie. C’est au nom de sa propre identité que l’homme s’oppose à l’absurde. Même s’il sait que ses exigences d’unité et de sens ne peuvent être satisfaites, l’humain doit les maintenir inconditionnellement. Chacun réalise qu’il n’est pas seul avec son destin. S’identifiant aux autres hommes souffrants il leur devient solidaire dans la révolte contre l’absurdité de la vie."

« Alors quand la révolution, au nom de la puissance de l'Histoire devient une mécanique meurtrière et démesurée, une nouvelle révolte devient sacrée au nom de la mesure et de la Vie ».
 

De l'absurde à la révolte

Le thème de l'absurde est au centre de trois œuvres de Camus : L'Étranger, Caligula et enfin Le Mythe de Sisyphe, essai dont l'ambition est de nous faire réfléchir sur notre condition d'homme.

Cette réflexion, devant la découverte de toute raison profonde de vivre, débouche sur le sentiment de l'absurde. Camus pose alors la question du suicide. Mais c'est pour l'écarter, car le suicide n'est pas seulement la constatation de l'absurde, mais son acceptation. Il écarte également la foi religieuse, les métaphysiques de consolation et nous propose la révolte, seule capable de donner à l'humanité sa véritable dimension, car elle ne fait dépendre notre condition que d'une lutte sans cesse renouvelée. L'absurde n'est pas supprimé, mais perpétuellement repoussé : " La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le coeur d'un homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ".
"L'Homme révolté ", il s'agit là de l'ouvrage majeur de Camus et ce n'est pas un hasard s'il a provoqué tant de remous lors de sa publication.
Après avoir analysé La révolte métaphysique, révolte absolue, à travers Sade, Nietzsche, Stirner, les surréalistes, Camus en vient à la suite logique, la révolte historique. De Marx au stalinisme, il met à jours les mécanismes qui transforment la révolution en césarisme. Il met en cause le dogmatisme et le caractère prophétique de la pensée de Marx aggravée par la pensée léniniste qui instaure l'efficacité comme valeur suprême. Tout est prêt pour que la dictature provisoire se prolonge.
C'est la terreur rationnelle. La révolution a tué la révolte.
N'y a-t-il pas d'issue pour Camus ? Camus répond sous le titre La pensée de midi :
- " Les pensées révoltées, celle de la Commune ou du syndicalisme révolutionnaire, n'ont cessé de nier le nihilisme bourgeois comme le socialisme césarien."
- " Gouvernement et révolution sont incompatibles en sens direct, car tout gouvernement trouve sa plénitude dans le fait d'exister, accaparant les principes plutôt que de les détruire, tuant les hommes pour assurer la continuité du Césarisme. "
- " Le jour précisément, où la révolution césarienne a triomphé de l'esprit syndicaliste et libertaire, la pensée révolutionnaire a perdu, en elle-même, un contre poids dont elle ne peut sans déchoir, se priver. "


« J’aime mieux les hommes engagés que les littératures engagées, disait Camus. Du courage dans sa vie et du talent dans ses œuvres, ce n’est déjà pas si mal ».

Mais comment s’engager sans être le militant d’une seule cause ? sans flatter le goût de l’absolu qui règne en despote sur les consciences et les conduites, au nom du bonheur, jusqu’à la rancune totalitaire ? Comment se fait-il que les idéaux soient pervertis ? Comment se fait-il que la révolution de 1917 engendre Staline ? que la révolution de 1789 se transforme en terreur ? Comment préserver la révolte de la tentation tyrannique ? Comment éviter que Prométhée ne devienne Jules César ? Que faire quand on refuse de connaître les fins de l’histoire ? Il est tellement facile, confortable, bourgeois de rêver le meilleur des mondes, et il est si difficile, à l’inverse, « de refuser, comme Camus, tout ce qui, de près ou de loin, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir »…

 
La polémique Mauriac/Camus

La polémique Mauriac/Camus va naître au sortir de la libération, de septembre 1944 à janvier 1945. Camus a 31 ans, est le rédacteur en chef du journal Combat, issu de la clandestinité. Mauriac en a 59, écrit dans Le Figaro et a publié clandestinement aux Editions de Minuit pendant l'occupation.
Les vues du jeune athée républicain rejoignent pourtant au début celles de son aîné catholique : l'épuration est nécessaire et nécessite des juges impartiaux et des procès à fondement juridique solide.
Cependant, rapidement, Mauriac dénonce dans Le Figaro les excès de cette épuration : il faut rompre avec les méthodes des nazis dans les procès des collaborateurs, sous peine de contaminer la France à peine libérée. L'épuration doit avoir lieu, mais à des fins de réconciliation et non de vengeance. Camus répond dans Combat : la Résistance a conquis le droit de parler au nom de la Nation. Bien qu'adversaire de la peine de mort, il est partisan d'une répression rapide et limitée dans le temps. Il ne s'agit pas de vengeance, mais de rendre justice aux martyrs de la Résistance et d'en profiter, dans une optique révolutionnaire, pour rompre avec l'ordre capitaliste et les lois de Vichy.
Mauriac souligne l'inéquité et la partialité des tribunaux constitués de jurés patriotes et partie prenante ou victimes dans le conflit récent ; il fait prévaloir la charité et le pardon contre la justice. Camus assume cette épuration imparfaite et place après la justice le pardon, qu'il situe dans le coeurs des survivants.
Mais dès janvier 1945, Camus constate l'échec de l'épuration telle qu'il la souhaitait : les procès sont sélectifs, frappent durement les intellectuels et les verdicts sont incohérents. De plus, les chefs historiques de la Résistance sont écartés au profit des caciques de la IIIème République. Communistes et Gaullistes confisquent cette épuration à des fins de suprématie politique.
Camus infléchit donc sa position : la justice doit avoir une finalité de réconciliation, sans exacerbation des conflits. C'est ainsi qu'il va s'ajouter au nombre des signataires de la demande de grâce de Brasillach, qui fait figure de bouc émissaire alors que tant d'autres collaborateurs -notamment magistrats et hauts fonctionnaires- seront épargnés.

En 1947, devant les Dominicains de la Tour Maubourg, Camus reconnaîtra que Mauriac, dans cette polémique, avait raison.

"J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger par exemple, et qui peut un jour frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice."
Albert Camus
   

Il est édifiant de remarquer que de tous les quotidiens, Combat est le seul à avoir parlé d'Hiroshima le 8 Août 1945 : "Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie."
De plus, il se fixe pour but d'assainir la presse sur laquelle il aime polémiquer en fustigeant la "futilité des informateurs". Il préconise une charte de la presse, dont voici un extrait : "Informer bien au lieu d'informer vite, préciser le sens de chaque nouvelle par un commentaire approprié, instaurer un journalisme critique et en toutes choses, ne pas admettre que la politique l'emporte sur la morale ni que celle-ci tombe dans le moralisme."
 
 
Editorial de Combat, 8 août 1945.

  
     Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

      En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner.

      Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu'elles sont, annoncées au monde pour que l'homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d'une littérature pittoresque ou humoristique, c'est ce qui n'est pas supportable.

      Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu'une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d'être définitive. On offre sans doute à l'humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d'une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

      Au reste, il est d'autres raisons d'accueillir avec réserve le roman d'anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l'Agence Reuter* annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam*, remarquer qu'il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

      Qu'on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d'une véritable société internationale, où les grandes puissances n'auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

      Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison.


 
Camus et la guerre d'Algérie

La position d'Albert Camus sur le devenir de l'Algérie est attendue à double titre : d'abord en tant qu'intellectuel, ensuite en tant que Français d'Algérie. Mais dans un climat de passions exacerbées, il sera peu écouté et très souvent mal compris. Aussi arrêtera-t-il dès 1958 de s'exprimer publiquement, laissant son point de vue dans Algérie 1958 (Actuelles III).
Pour Albert Camus, la revendication arabe est équivoque. Autant sont légitimes la dénonciation du colonialisme, de l'attitude méprisante des Français, d'une répartition agraire injuste et d'une assimilation toujours proposée mais jamais réalisée, autant est illégitime le concept de nation algérienne : l'Algérie est issue d'immigrations successives (Juifs, Turcs, Grecs, Italiens, Berbères, Arabes puis Français), et les Arabes sont poussés par l'impérialisme mené par l'Egypte et soutenu par l'URSS, pas par le sentiment d'appartenance à une nation algérienne.
La troisième voie qu'il préconise consiste à intégrer davantage les Français Musulmans dans la République :
# Par la création d'un parlement à deux sections : la première, de 500 membres, composée de 485 élus métropolitains et de 15 élus d'outre-mer gérant seule ce qui n'intéresse que la métropole (le droit civil par exemple), la seconde, de 100 membres composée d'élus musulmans de statut coranique, gérant seule les questions intéressant les Musulmans; le parlement dans sa totalité gérant les questions communes (fiscalité, budget, défense...)
# Par l'extension de ce parlement aux autres pays du Maghreb et de l'Afrique Noire, en créant une structure fédérale française (un Sénat fédéral, des Assemblées régionales) compatible avec les institutions européennes à venir, ce qui renforce la pérennité de cette solution.

Cette voie doit surmonter deux obstacles majeurs : le cessez-le-feu préalable, difficile à obtenir d'un FLN intransigeant, et la volonté nécessaire à la métropole pour réformer la constitution.
Elle ne sera jamais retenue : le FLN, loin d'arréter les combats, renforcera les attentats, et la métropole, avec De Gaulle au pouvoir, changera sa constitution mais pas dans le sens de l'intégration des Français Musulmans (au nom d'une certaine idée de la France ?). Aussi la France s'engagera-t-elle dans la voie redoutée par Camus dès Janvier 1958 :
"Un grand nombre de Français, plutôt que de renoncer à leur niveau de vie, préfèreront abandonner les Algériens à leur destin [...] et se désolidariser de leurs compatriotes d'Algérie [...] La France se trouvera forcée de lacher également les Arabes et les Français d'Algérie; nous sommes devant cet enjeu. Si ce dernier malheur arrivait, les conséquences seraient nécessairement graves et les Algériens ne seraient pas certainement seuls à entrer en sécession. C'est le dernier avertissement qu'il faille honnêtement formuler."
 

 Libertaire  j'écris ton nom

Fille de l'écrivain, Catherine Camus défend comme « essentiel » ce nouveau recueil de textes de son père, Ecrits libertaires. Diable ! Alors qu'on croyait connaître par cœur Camus, voilà qu'il y aurait encore des zones à explorer dans son œuvre ? Les éditions Indigène viennent de réunir ses « écrits libertaires », reprenant ainsi un volume plus que confidentiel publié en 2008 par les éditions marseillaises Egrégores.

Jamais avant cette initiative n'avaient été réunis de façon thématique ces textes écrits pour des revues comme le Monde libertaire, la Révolution prolétarienne, Solidaridad Obrera, Die freie Gesellschaft, et éparpillés ensuite dans diverses éditions ou rangés en Pléiade dans des appareils de notes ou de documents qui ne rendaient pas compte de ce qu'ils avaient pu représenter pour Camus.

Relus ainsi à la suite les uns des autres, ils jettent aujourd'hui une lumière différente sur la pensée et l'œuvre du philosophe, à la suite du livre de Michel Onfray l'Ordre libertaire, paru début 2012.

Ces textes ont été dénichés et réunis par un chercheur allemand dont le nom de plume est Lou Marin. Il s'y mêle des articles d'auteurs anarchistes écrits sur Camus, qu'une introduction longue et passionnante permet de remettre en perspective. Ils montrent un homme très préoccupé par la question de la violence, et très hostile à elle tout en étant sensible au nécessaire désir de liberté des peuples. Comment concilier ces inconciliables ?

Camus ne contourne pas la difficulté, mais s'agrippe au principe de l'illégitimité de la violence. Il refuse aussi bien le terrorisme que la peine capitale, et n'accepte pas la mort du tyran comme une porte ouverte vers la liberté. Partisan de Gandhi, et ce dès 1958, il soutenait aussi les objecteurs de conscience. On peut suivre au fil des pages la façon dont cette attitude, née à l'époque de la guerre froide, l'a amené à mettre sur le même pied la violence du capitalisme et celle des révolutionnaires rouges.

Camus avait écrit, dans Actuelles II : «Bakounine est vivant en moi.» Cette ligne libertaire court le long de nombreux engagements, que l'écrivain dénonce la situation misérable de la Kabylie, déplore Hiroshima, s'indigne de la répression à Sétif et à Guelma ou s'oppose au FLN sur la nécessité d'un cessez-le-feu.

Ces engagements, qui l'ont souvent isolé, ont été sous-tendus par des rencontres fréquentes avec des militants anarchistes (Carlo Caffi, Dwight Macdonald...). Il sera difficile désormais d'écrire sur la pensée d'Albert Camus sans se référer aussi à ces écrits. Et encore plus dur de ne pas sourire en pensant que Nicolas Sarkozy voulait faire de ce penseur-là un « modèle » à faire entrer au Panthéon.

Ecrits libertaires, 1948-1960, d'Albert Camus, éd. Indigène, 342 p., 18 €.

HUBERT PROLONGEAU dans Marianne du 23 juin 2013

Albert Camus aujourd'hui/L'engagement/J.C.Grosse
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