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Blog de Jean-Claude Grosse

Épicure en Corrèze/Marcel Conche

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture

Oublier, se souvenir

Épicure en Corrèze de Marcel Conche

L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto

Par rapport à ce que nous vivons, que nous soyons directement concernés ou que nous soyons seulement témoins, nous avons deux attitudes possibles, oublier, nous souvenir. Les philosophes ont médité sur le temps, sur la mémoire, sur l'oubli. Il y a ceux qui prônent l'oubli, ceux qui prônent le souvenir.

Les gens ordinaires, de la moyenne région selon l'expression de Montaigne qui s'adressait aux gens de son temps, pas aux élites dont il se méfiait car il se considérait comme un quidam comme un autre, se comportent souvent en oublieux, certains ont le culte de la mémoire, ils se font mémorialistes.

Les sociétés elles, ont des rapports complexes et variées avec la mémoire. L'Histoire est souvent une reconstruction selon les besoins idéologiques du moment. Comment regardons-nous 14-18 par rapport à ceux qui ont vécu, raconté ? En 100 ans, c'est combien de 14-18 différentes qui nous ont été racontées ? Une chose est constatable, la généralisation des commémorations dans nos pays. Servent-elles à ne pas oublier ? à nous éduquer : plus jamais ça ? à tirer les leçons de l'Histoire ? quelle blague ! je me demande si les abondantes commémorations ne masquent pas l'impuissance créatrice de nos vieilles sociétés fatiguées. Bien sûr, il y a comme toujours le business de la mémoire, on escompte des retombées touristiques, économiques sur les lieux de mémoire, les champs de bataille, les musées, les sites rénovés. Le patrimoine est un patrimoine exploitable et exploité. Autant dire que je me détourne de toutes ces ferveurs et ces migrations touristiques.

Marcel Conche n'a pas spécialement d'intérêt pour le travail de mémoire. Ce n'est pas l'objet de sa vocation de philosophe. S'il a écrit Ma vie antérieure, c'est à la demande d'une revue corrézienne. Ce livre reprend les 4 articles écrits pour cette revue. Marcel Conche ayant eu droit à un chapitre dans un livre sur Les Corréziens de Denis Tillinac datant de 1991, sans doute la revue a-t-elle voulu aller plus loin. Ce livre commence par l'évocation très belle de la fin de vie de sa femme dans Traces de mémoire. Marie-Thérèse Tronchon qui fut son professeur de lettres classiques en 1°, de quinze ans son aînée, est partie début décembre 1997. Il distingue la fin, le telos comme accomplissement, plénitude et la fin, le teleutè comme terme. Quand on atteint le telos, on vit pleinement et Marie-Thérèse a atteint son telos dès 1947. Quand on atteint le teleutè, on cesse de vivre. Pour Marie-Thérèse ce furent donc 50 ans de plénitude parce que épouse devenue mère, accomplissement d'une femme selon Marcel Conche. Suivent des chapitres portant des noms de lieux : Mon enfance à Altillac, Mon adolescence à Beaulieu, Ma jeunesse à Tulle, Ma jeunesse à Paris. Fils de paysan, prenant part aux travaux des champs, Marcel Conche a une excellente mémoire des noms, des lieux, des dates, des mots de son pays. Il évoque de façon claire, simple, conditions de vie, heurs et malheurs de cette période. Ses conditions initiales d'entrée dans la vie ne sont pas propices à un accomplissement de philosophe. Fils de paysan, il n'apprend guère au cours complémentaire, il rate un concours d'entrée à l'école normale d'instituteurs, il ignore l'existence des lycées. Le hasard le fera rentrer au lycée de Tulle comme élève-maître. Acharné à combler son retard, il sera un excellent élève. Il réussira à devenir lui-même, à réaliser sa vocation de philosophe à force de volonté, de travail. Il se sera lui-même libéré des limitations d'origine, confirmant sa conception de la liberté absolue de chacun, notre pouvoir de dire NON. Une anecdote m'a particulièrement intéressé dans ce livre. Marcel Conche donne à lire la fin de sa dissertation sur un sujet donné par sa professeur : L'attachement aux objets inanimés. Ses causes. Ses manifestations. Elle-même avait eu à traiter ce sujet comme élève. Elle avait obtenu 16, elle lui mit un 18. Deux univers, deux écritures. Une élève issue d'un milieu cultivé, sachant faire usage de références et citations. Un élève issu d'un milieu ignorant le livre mais connaisseur de la nature : « La nature paraît répondre si bien aux appels de notre cœur et s'accorder avec nos tristesses et nos joies !... L'homme, c'est bien lui l'agent puissant du monde qui va au sein de toutes choses leur insuffler la vie. (p.18-19) » Aujourd'hui, le philosophe écrirait autre chose. Devant les flots changeants de la Dordogne, dérangeant parfois l'ordre des choses par inondation brutale, il rapetisserait le pouvoir de l'homme à l'image en plus limité de celui de la nature quand il est au meilleur de lui-même, poète, créateur, il mettrait en avant l'infini pouvoir créateur (et destructeur) de la Nature, agissant en aveugle, au hasard, sans se soucier de raison, de sens mais produisant de l'harmonie avec l'unité des contraires, vie-mort, fugitivité-éternité, fini-infini.

Dans son second livre consacré à sa vie, Ma vie, un amour sous l'occupation (1922-1947), on retrouve 7 chapitres avec des noms de lieux : Le Rodal (3 chapitres), La Maisonneuve, Tulle, Limoges, Paris. Dans ce livre, Marie-Thérèse Tronchon est fortement présente au travers de ses lettres à Marcel. La professeur Marie-Thérèse Tronchon sera la correspondante de l'élève Marcel Conche à Tulle. C'est ce qui se passait quand on était pensionnaire, interne pour un trimestre. Si on voulait échapper aux promenades collectives du dimanche, il fallait avoir un correspondant vous accueillant chez lui, le dimanche. J'ai connu la même expérience que Marcel à Tulle, lui au lycée Edmond Perrier en 1942, moi aux enfants de troupe (de 1954 à 1957, dans les casernes Lovy, Marbot, Les Récollets ; l'EMPT a été dissoute en 1967 ; Yves Gibeau a écrit un livre fort sur sa vie d'enfant de troupe à Tulle, Allons z'enfants - 1952- dont Yves Boisset a tiré un film en 1981, vu à Toulon avec mes parents, scandalisés par ce qu'ils découvraient, eux qui m'avaient incité à passer le concours d'entrée à l'EMPT).

Son 3° livre de souvenirs, tout frais sorti des presses, est une initiative de l'éditeur Stock, Épicure en Corrèze. C'est la vie entière de Marcel Conche qui est parcourue avec une grande liberté de ton, quelques termes inattendus sous sa plume (sans doute dus au fait que ce livre a été précédé d'entretiens avec une collaboratrice-journaliste de l'éditeur), une certaine légèreté et sa profondeur de sage. On retrouve les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes anecdotes mais éclairés différemment, par la sagesse « épicurienne » de l'homme d'Altillac.

En quoi consiste cette sagesse ? À devenir soi, en usant de sa raison et de sa volonté pour se libérer des désirs vains de pouvoir, de richesse, de gloire et même d'amour charnel, pour ne satisfaire que des désirs simples, naturels, et l'essentiel désir de philosopher qui l'a saisi très tôt quand il a voulu aller voir à 6 ans si le monde continuait après le tournant de la route. Marcel Conche ne cède pas aux sirènes de la consommation, du tourisme, des voyages, de la « culture » spectaculaire, de la mode (des effets de mode, y compris intellectuelles). Il juge par lui-même en argumentant, contre-argumentant, ce qui le conduit à des positions singulières, les siennes, et singulières par rapport à l'esprit du temps (sur l'avortement, sur la guerre en Irak, les interventions des pays démocratiques en Libye, en Syrie, sur le suicide en fin de vie, sur la grandeur ou petitesse des hommes politiques).

Marcel Conche, l'Épicure d'Altillac, n'a pas de disciple, c'est un solitaire aimant la discussion épisodique avec des amis, (ses amis les plus fidèles sont des philosophes grecs : Héraclite, Parménide, Anaximandre, Épicure, Lucrèce, et Pascal, Montaigne ; il a dû renoncer à écrire sur Empédocle), aimant la nature, les paysages de Corrèze, les flots toujours renouvelés de la Dordogne, les figuiers qu'il a plantés et arrose, les chats errants qu'il nourrit sans s'attacher à eux. Sa maison d'enfance n'est plus celle qu'il a connue, elle a été transformée, il s'en accommode. Marcel Conche est un insoumis qui réussit à avoir avec son œuvre une audience et sans doute une influence ne dépendant pas des médias. C'est (sauf l'épisode Émilie qu'on peut aussi appeler l'intermède corse) le bouche à oreille qui fait la notoriété de ce philosophe hors-normes, hors-modes.

En attendant, je veux continuer à me questionner sur oubli et souvenir, en lien avec L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto.

Un de mes thèmes est :

quand quelque chose a lieu, est dit, pensé, vécu, senti ... (tout ce qui est humain quoi), ça prend un peu de temps, un peu du temps infini, éternel sans lequel notre temps n'existerait pas, notre temps fini de vie dont on ignore la durée

(pour que mes 74 ans comptés existent à mon passage à la station des os usés sur la berge du temps, il faut que préexiste le temps de Tout Le Temps, le Temps du Tout)

donc un événement a lieu dans notre temps de vie

à partir du moment où il a eu lieu, rien ne peut faire qu'il n'ait pas eu lieu

donc il sera toujours vrai, éternellement, que j'ai écrit ce qui précède ce 11 novembre à 16 H

que devient cette vérité ?

c'est indépendant de moi, de mon souvenir, de mon oubli

et ça commence à ma naissance et ça continue jusqu'à ma mort

j'écris un livre, pas écrit d'avance, pas utile pour un jugement dernier

où est, où va ce livre éternel de la vie de chaque vivant mort ?

le passé passe-t-il et s'efface-t-il ?

s'il est ineffaçable comme vérité éternellement vraie de ce qui a eu lieu

(puisque rien ne peut faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu),

que devient-il, où va-t-il ?

si elle est inutilisable une fois oubliée par les vivants et survivants, puisque les hommes se souviennent ou oublient et qu'aucune trace humaine n'est éternelle

à quoi sert cette mémoire non humaine (naturelle, récupérée par la Nature, restituée à la Nature) de nos vérités éternelles ? (je crois qu'avec cette idée, je vais sortir de l'impasse, la mort comme retour à la Nature)

questions pertinentes ou pas ?

en tout cas, elles me questionnent depuis plusieurs mois,

...

L’épousée – il y a des choses à penser sur ce qui se passe quand on passe, qu’est-ce que nous devenons

L’épousé – les Répondeurs religieux ont des réponses

L’épousée – réponses toutes prêtes, pour tous, je veux qu’on cherche nous-mêmes

l'écriture comme maturation ou plutôt n'étant possible, pour moi, qu'en lien avec la vie, avec ma maturation

sur 13 ans d'écriture de L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto, une panne de 8 ans (2002-2010), une révélation en août 2010 au Baïkal, une autre à l'annonce en septembre 2013 du Festival de théâtre francophone à Cuba, une autre le jour anniversaire de l'épousée, le 14 février 2014 et la dernière réplique du texte au réveil, le dimanche 12 octobre 2014

13 ans pour un récit de 42 pages, ça me va.

Jean-Claude Grosse

Épicure en Corrèze/Marcel Conche
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