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Blog de Jean-Claude Grosse

Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat

3 Janvier 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #poésie, #écriture, #notes de lecture

Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat


Une révolution sexuelle ?

Réflexions sur l'affaire Weinstein

Laure Murat

collection Puissance des femmes

Stock

 

Ce livre est sorti en décembre 2018. Il a été écrit entre Paris, 25 décembre 2017 et Los Angeles, 4 juin 2018, collant à l'actualité de l'affaire Weinstein, 5 octobre 2017 (révélations de plusieurs femmes sur les comportements sexuels et dominateurs de Harvey Weinstein, publiées par le New York Times) - 25 mai 2018 (arrestation d'Harvey Weinstein).

Laure Murat enseigne à UCLA (l'université de Californie à Los Angeles). Dans le cadre d'un séminaire De l'affaire DSK à l'effet Weinstein. Sexe et politique en France et aux USA, au printemps 2018, elle a échangé de nombreuses informations et discuté en profondeur avec ses étudiants.

Ce livre est donc l'occasion de comparer les réactions dans deux pays suite à ces révélations et procès et de confronter les points de vue de deux générations dont la génération 2.0, celle des réseaux sociaux sur les faits évoqués impliquant personnes influentes et institutions puissantes, faits sociaux globaux selon la définition de Marcel Mauss

(« Les faits que nous avons étudiés sont tous des faits sociaux totaux, c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions (potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions, en particulier lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt des individus. » Marcel Mauss, Essai sur le don)

Contexte de lecture. J'ai lu cet essai en 3 jours, fin décembre 2019, soit un an après la parution et en pleine activation de l'affaire Gabriel Matzneff, avec l'annonce de la parution du livre Le consentement de Vanessa Springora chez Grasset. Quelques semaines avant, c'était l'affaire Adèle Haenel suivie des réactions féministes contre les hommages à Roman Polanski avec la sortie de son film J'accuse et le comportement ambigu de Costa-Gavras, président de la Cinémathèque françaiseLe contexte, c'est aussi le combat contre les féminicides (149-150 en 2019 en France), le Grenelle contre les violences conjugales dont les résultats sont très en-dessous des attentes des associations oeuvrant sur le terrain. Je l'ai donc lu dans un contexte très agité, très polémique car les « accusés » ne sont pas sans réactions. Lire par exemple la lettre de Gabriel Matzneff à V., parue dans L'Express. Ils ne font pas amende honorable, ne s'excusent de rien, ne demandent pas pardon et semblent intouchables. Ils ont accès aux médias, trouvent des défenseurs.

 

https://www.lexpress.fr/culture/livre/gabriel-matzneff-ce-livre-je-ne-le-lirai-pas_2113239.html

 


 

 

 

A propos du cas Matzneff, j'ai publié ce matin sur Twitter un petit thread, en écho à la récente et utile chronique de Mathilde Serrell

https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-transition-culturelle-du-jeudi-26-decembre-2019

Comme il semble que les lectrices et lecteurs le trouvent utile, je me permets de le reprendre ici. 

Mathilde Serrell invitait donc, l'autre matin, à se pencher sur la manière dont l'éloge de la transgression aurait changé de camp, en devenant aujourd'hui l'étendard de la pensée conservatrice. Cela me suggère trois séries de remarques.

1. D'abord, c'est vrai : la critique de "l'ordre moral" est devenue l'un des arguments préférés de ceux qui défendent la préservation des hiérarchies et des dominations existantes. Dès lors, l'éloge de la transgression trouve facilement à s'insérer dans la rhétorique plus générale de "l'incorrection politique" dont se revendiquent les tenants du camp conservateur.

Pour autant, je ne crois pas qu'on puisse en déduire a contrario que la transgression ait été, dans les années de l'après-1968, un étendard progressiste ou une catégorie de l'émancipation. Pour le dire simplement : l'idée de transgression est inséparable d'une référence à la loi que l'acte transgressif vient à la fois briser et élever à une forme de dignité supérieure - si ma liberté consiste à transgresser, alors elle trouve la loi pour aiguillon et pour foyer. On trouve cela assez bien dit dans le texte "Préface à la transgression" que Foucault consacre à Georges Bataille, en 1963 (à une époque où pourtant Foucault est encore assez bataillien) : il y a un pas de deux entre transgression et limite qui ne se laisse pas dénouer. Et s'agissant de Foucault, on pourrait dire que La Volonté de savoir en 1977 est un livre entièrement consacré à la critique de l'idée selon laquelle l'émancipation pourrait s'exercer dans la forme de la transgression. En bref : si l'éloge de la transgression sert aujourd'hui à justifier les positions les plus indéfendables, ce n'est pas d'hier que cette catégorie apparaît suspecte, par les volte-face qu'elle autorise avec l'amour de la loi.

2. Si basculement historique il y a, je ne le situerais donc pas dans ce renversement où l'idée de transgression serait passée de gauche à droite. Il me semble que pour le décrire il faudrait retracer deux transformations profondes dans l'économie du discours. La première transformation concerne la relation entre les concepts de désir et de consentement, et la façon dont ils ont pu être politiquement mobilisés. a) Le discours sur la libération des moeurs auquel on reproche d'avoir rendu possible une forme de bienveillance envers la pédophilie ne s'articulait pas tant en termes de transgression qu'en termes de libération du désir (et d'un désir délié de la référence psy à la Loi). b) Et face à ce discours, la référence au consentement pouvait apparaître comme compromise avec un ordre juridique qui (il est important de le rappeler) différenciait la majorité sexuelle selon qu'elle concernait les relations hétéro- ou homosexuelles. A mon sens, on ne comprend pas comment l'éloge de la pédophilie a pu se placer dans le sillage de la lutte pour les droits des homosexuels, si l'on ne se souvient pas comment l'ordre juridique établissait une continuité entre homosexualité et pédophilie (selon une disposition de 1942 qui ne sera abrogée qu'en 1974, il ne pouvait être donné de consentement valable pour un acte à caractère homosexuel qu’à partir de l’âge de 21 ans, alors qu’il était de 13 ans pour les actes hétérosexuels). C'est pourquoi la revendication d'abaissement de l'âge du consentement était l'un des chevaux de bataille de la lutte pour les droits des homosexuels, en France comme au Royaume-Uni (cf le 1er album de Bronski Beat : "The Age Of Consent")

On voit assez bien malheureusement comment, de cette affirmation du désir contre les restrictions abusives que le droit imposait au nom du consentement, certains ont pu glisser vers l'idée que la satisfaction du désir pouvait se passer de l'épreuve du consentement.

3. Deuxième transformation : les années 1970 sont, me semble-t-il, traversées par une critique des effets répressifs de la notion d'enfance, au nom d'une affirmation de la jeunesse comme sujet politique. L'idée est alors que l'enfance, et l'assignation à l'enfance, est une façon de renvoyer toute la jeunesse à sa minorité politique et de la condamner au silence (Lyotard le rappelle souvent : l'infans, c'est celui qui ne parle pas, etc). Là encore, on voit bien comment la critique de la catégorie d'enfance au nom du droit de la jeunesse à s'exprimer, à vivre et à agir, a pu être instrumentalisée et devenir une sorte de blanc-seing pour se comporter, vis-à-vis d'enfants, comme vis-à-vis d'adultes.

En bref, à mon sens, sur leur versant progressiste les années 1970 ont été non vouées au culte de la transgression, mais traversées par une double référence au désir et à la jeunesse, et par une double défiance envers l'encadrement juridique du consentement et l'instrumentalisation politique de l'enfance. C'est cet héritage problématique qu'il nous faut aujourd'hui réévaluer profondément - parce que d'abord, et comme en boomerang, la parole des concerné.e.s vient poser tout autrement la question du consentement et celle de l'enfance, interroger la façon dont l'éloge du désir peut verser dans le monologue, se renverser en injonction et présumer du désir de l'autre.

Et l'on voit bien comment, pour cette tâche, la vitupération qui fait de la pédophilie la métonymie des errements des années 1970, et l'éloge de la trangression ou de la part maudite que l'on ne saurait plus aujourd'hui accueillir, sont l'avers et l'envers d'une même médaille ternie, inutile et fossile.

https://journals.openedition.org/clio/12778

Valérie Marange : Merci pour cette analyse.Je me demandais ce que devenait actuellement la notion de "pédérastie", si courante encore dans ces années et qui indiquait un rapport entre un initiateur et un initié, , lié à une forme de transfert pédagogique sur le modèle grec, et qui est en partie ce à quoi s'en prenaient les lois anti-homosexuelles du 20 eme siècle, les homos étant accusés de pervertir la jeunesse. Que fait on aujourd'hui de cette notion de "jeunesse" dont tu parles, si les pubères sont considérés comme des "enfants" et les majeurs qui ont des relations avec des mineurs comme des "pédophiles"? Si d'autre part cliniquement il est bien clair que la "séduction" infantile ne saurait être considérée comme appelant autre chose que de la tendresse, que dire de la séduction adolescente, vis à vis des enseignants par exemple? Les années 70 sont aussi celles de l'affaire Gabrielle Russier pour laquelle les notions de "sexe" et d'"emprise" ne semblent guère appropriées.

sur l'affaire Gabrielle Russier

http://les4saisons.over-blog.com/article-19639102.html

Cet essai m'a révélé des histoires sordides, des affaires à grand retentissement. Je ne fais que les nommer, l'affaire Larry Nassar, l'affaire du docteur Tyndall. Ce qui est à noter, c'est le fonctionnement de la judiciarisation de la société américaine au travers des clauses de confidentialité dans les contrats privés (dont Weinstein a su faire une arme ; tenues à la confidentialité, les actrices, devenues victimes, ne pouvaient révéler ce qui leur arrivait) et de la gestion des dommages potentiels (dont la finalité est la protection des institutions et non des victimes, ce qui fait qu'une université verse 500 millions de dollars aux 332 victimes déclarées de Nassar, ainsi l'université échappe au procès et à ses responsabilités).

La comparaison entre les deux pays après #metoo peut se ramener à la question : y a-t-il une exception française ? La galanterie à la française autoriserait-elle ce que semble interdire le puritanisme américain ? Le déclencheur fut une tribune dans Le Monde du 9 janvier 2018 « Nous défendons la liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle » signée par 100 femmes issues du milieu de la culture dont Catherine Millet et Catherine Deneuve. Tribune de revendication bourgeoise d'une liberté individuelle face aux accidents de la galanterie et aux risques du libertinage, parue juste après la célèbre déclaration d'Oprah Winfrey aux Golden Globes le 7 janvier 2018, déclaration universaliste et humaniste, dénonçant un système politique et une structure d'oppression (des femmes, des travailleuses, des noirs et ethnies minorées). 

La galanterie française fait partie d'un mythe, l'art de vivre à la française, attrape-nigauds pour touristes dévastateurs, Paris étant la 1° destination touristique du monde mais aussi Toulon, sa rade pour croisiéristes et tout un tas de coins touristiques de France. Mythe donc pour vendre les produits français, remplir des hôtels, des restaurants...

L'art de vivre à la française, c'est la douceur de vivre, la gastronomie, la qualité des vins et fromages, les arts de la table, la haute couture, l'élégance vestimentaire, le raffinement des moeurs, le commerce de l'esprit, la courtoisie, l'exceptionnel patrimoine. Cet art de vivre est un peu passéiste, nostalgique d'hier, méfiant de demain, partisan du présent, du feu de la conversation et du plaisir partagé de la table (surtout avec des homards et de grands vins).

Ce mythe, toujours actif car un mythe national est fait pour produire des effets dans le réel, envie d'agir et confiance dans ces valeurs, est balayé dès qu'on regarde la réalité historique et sociologique.

La France est un des derniers pays à donner le droit de vote aux femmes (1944) qui resteront mineures jusqu'en 1965 dans la loi matrimoniale. Les conquêtes des femmes dans la société française ont été laborieuses et justifient ce questionnement : et si la galanterie française était une habile façon de mettre sous tutelle les femmes, de les maintenir en situation d'infériorité alors même que cette fameuse galanterie se résume à l'homme propose, la femme dispose. 

L'art de vivre à la française ne concerne pas l'ensemble de la société, trop disparate, trop divisée, clivée. L'art de vivre à la française concerne surtout la bourgeoisie, les classes supérieures, les « élites », culture de distinction au sens de Bourdieu.

La culture populaire, chansons, cinéma, théâtre de boulevard véhicule une toute autre image de la femme et les féministes s'en donnent à cœur joie avec par exemple le sexisme de la langue française que l'académie française ne s'empresse pas de changer, de féminiser ou et de démasculiniser (le masculin l'emporte sur le féminin dans les accords depuis 1647).

La langue est de toute évidence un véhicule structurant des inégalités. Les femmes sont facilement traitées de putes, de salopes, les hommes sont des séducteurs... Vaste chantier.

Comme elles s'en donnent à coeur-joie avec un malin qui lui aussi s'en donne à coeur-joie, Orelsan (chapitre 4 où il est aussi question de Bertrand Cantat), auteur d'un rap Sale pute dont il est difficile de dire si c'est du lard ou du cochon, du 1° ou du 2° degré, ambiguïtés entretenues par le chanteur ce qui rend difficile toute action en justice. Il a gagné contre les féministes en appel.

La différence des sexes, butoir ultime de la pensée selon Françoise Héritier, théorisée par Lacan naturalise ce qui n'est peut-être qu'une fabrication culturelle, idéologique, justifiant ainsi l'inégalité des sexes, leur asymétrie et leur impossible rencontre.

L'entretien avec François Héritier ci-dessous est fort éclairant. Claude Lévi-Strauss et Françoise Héritier, différences d'approches

 

https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2009-1-page-9.htm#

 

(parenthèse sur deux formules de Lacan : « La Femme n’existe pas » et « il n’y a pas de rapport sexuel ». Conclusion « L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas »

Un mot de chacun d’eux. « La Femme n’existe pas » : on remarque qu’à strictement parler, ça ne peut pas se dire, mais seulement s’écrire – la preuve, je dois vous l’épeler. C’est ce qui signe qu’on est dans la dimension d’une formulation logique, et qu’on n’a plus affaire à une proposition de la langue commune. Car ce qui est nié, ce n’est évidemment pas le sexe féminin, mais la possibilité que ses représentantes puissent se subsumer sous un concept qui aurait une prétention à l’universalité. Il n’y a pas de trait sous lequel nous pourrions rassembler toutes les femmes pour en faire un « La Femme ». Pour l’homme, en revanche, ce trait, nous l’avons : c’est qu’il n’est pas possible pour l’homme de se soustraire à sa soumission à la fonction phallique ; tous les hommes sont strictement cantonnés dans ce champ de la jouissance phallique. Les femmes, non. Elles peuvent, dit Lacan, pour une part, s’en extraire. C’est pourquoi Lacan dit aussi de la femme qu’elle est « pas-toute », ce qui signifie : pas toute soumise à la fonction phallique. Cette part de jouissance qui ne s’enrôle pas sous la bannière phallique, Lacan la nomme : jouissance supplémentaire. Nous allons y venir, car c’est elle que Lacan essayera de cerner dans le séminaire Encore qui sera notre prochaine étape.

Quant au « il n’y a pas de rapport sexuel », il signifie que cette dissymétrie foncière entre les sexes que l’on vient d’énoncer interdit toute mise en rapport – au sens logique du terme, encore une fois – de complémentarité entre deux sexes, dont la définition est si insaisissable et dont les jouissances sont à ce point incommensurables. Impossible avec ces deux-là que ça fasse Un, le Un de l’union sexuelle.

Bref, l’essentiel à retenir, c’est que, pour ce qu’il en est du rapport entre les sexes, c’est toujours de l’ordre de l’incomplétude, de l’aléatoire, de la boiterie, dans ce rapport au leurre qui est le lot de l’être parlant. Ça n’empêche certes pas de continuer à faire courir le monde, mais ça ne cesse pas tout en même temps de faire demander autre chose. 

Là où le sexe ne peut pas faire Un avec deux, l’amour ne le pourrait-il pas ? 

Mais L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.

Paul Ricoeur

https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2007-3-page-5.htm#)

Le chapitre III, Le syndrome Ansari ou le problème de la « zone grise » est d'après moi, le chapitre le plus dérangeant et le plus susceptible de nous faire cheminer car il porte sur la question du consentement au travers du récit d'une jeune femme de 23 ans, sous le pseudonyme de Grace, paru le 13 janvier 2018 sur le site babe.net. La jeune photographe raconte sa première grande mésaventure sexuelle : je suis sortie avec Aziz Ansari ou la pire soirée de ma vie. 

Ce récit paraît 6 jours après que Aziz Ansari, arborant le badge Times'Up est récompensé par le Golden Globe du meilleur acteur de série dans Master of None, série très populaire décrivant la vie sentimentale et sexuelle de la génération 2.0. 

Grace a rencontré Aziz à la cérémonie des Emmy Awards en 2017. Elle a pris le prétexte de la photographie pour le brancher (on dit comme ça). Flirt sur la piste de danse lors de la soirée, N° de portable donné à Aziz qui propose quelques jours après un verre chez lui à Manhattan avant d'aller dîner. Elle accepte la proposition et (je ne développe pas la suite, celle d'un homme pressant, pressé, Quand veux-tu que je te baise ? Où est-ce que tu voudrais que je te baise ? le sexe sur ses fesses, celle d'une femme qui dit je ne veux pas me sentir forcée sinon je vais te haïr ce qui ne serait pas souhaitable... qui par divers signaux corporels de rétractation, d'inconfort signifie son refus mais qui n'est pas un non catégorique ; aujourd'hui, le slogan NON c'est NON est revendiqué par les féministes parce que pour trop d'hommes NON c'est OUI ; il y a cunnilingus, fellations, doigts en forme de V dans la gorge et dans le sexe). Ils regardent un épisode d'une série et là, déclic, elle prend conscience qu'elle a été violentée. 

La parution de ce témoignage anonyme a suscité un débat très houleux aux USA, ce qui est arrivé de pire au mouvement # metoo titre le New York Times ; ce n'était pas un viol ni une agression sexuelle tranche une avocate. Evidemment, la carrière d'Aziz a explosé en plein vol.

À chacun de se demander comment il caractérise ce récit et ce qui y est raconté.

La « naïveté » de Grace, son flottement, ses questions à ses amies sur ce qu'elle a vécu révèlent la complexité de qu'on appelle la zone grise du consentement. Car à la différence des médias abominant Grace, celle-ci reçut le soutien de milliers de jeunes filles, se reconnaissant dans son récit d'une histoire boiteuse, douloureuse où les désirs n'étaient pas accordés. 

Le monde ne marche que par le malentendu. C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde. Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s'accorder.

Charles Baudelaire, Mon coeur mis à nu

Pour les générations nées entre 1950 et 1970, la dissymétrie provoquée par le comportement du mâle sûr de ce qu'il veut et empressé pour l'obtenir, sourd aux attentes ou non de la femme est la norme et ce flou renvoie à une conception de la relation comme séduction induisant des rapports de défi et de jeu dont il faut assumer l'inconfort éventuel, une sorte de lutte provocante et complexe faisant le sel, l'excitation de la rencontre (tribune des femmes de renom revendiquant la liberté d'être importunées).
Pour les générations 2.0, cette 
norme n'est plus acceptable. Les filles et femmes de 18 à 35 ans réclament la prise en compte de leur désir, de leur plaisir, de leur corps, de leur rythme, une vraie conversation charnelle et verbale avec les hommes qui n'ont pas à se sentir castrés par cette écoute.  Le consentement ça semble simple, OUI c'est OUI, NON c'est NON. La zone grise ce sont toutes les pressions, hésitations, zones de flous qui peuvent entourer la personne et brouiller la « validité » de son consentement.

de Sylvia Bagli

Sérieux les filles c’est un monde comme ça que vous voulez ? Un monde où on devra sortir les contrats au bar avant le premier baiser ? Un monde où on discute indéfiniment sur la définition du mot consentement ? 

Sérieux les filles, vous voulez pas aussi prendre vos responsabilités ? La case « mauvais souvenir » vous connaissez ? La case j’ai fait le mauvais choix, j’assume, ça vous dit rien ? Faut-il toujours parler de viol ? Faut-il toujours que l’autre soit responsable de tout et nous de rien ? Sommes-nous de petites proies chétives qui ne savent pas ce qu’elles font ? Des Nora dans une maison de poupée ? 

Parce que c’est cela que vous sceller entre les lignes, c’est cela que vous mettez en place dans votre nouveau contrat social. 

Et le désir ? Etes-vous devenues de pauvres petites créatures sans fous désirs, sans pulsions, sans sensations, sans défense ? Ne prenez-vous jamais l’initiative ?

Et le sexe c’est quoi pour vous ? Un mauvais moment à passer ? Une monnaie d’échange pour avoir la paix ? Un contrat de couple ? Un acte qui vous horrifie ?

Comment comptez-vous susciter le désir avec ça ? Avec ces données là ? Quand les hommes seront dressés à l’éteindre ce désir ? Des couples sans sexe qui vivent côte à côte malheureux comme des pierres ?

Allez, parlons tabous : combien de couples encore sexuellement actifs au bout de 3 ans, 7 ans, 10 ans de vie commune ? Comment envisagez-vous la responsabilité de celui qui trompe alors que vous vous refusez à lui depuis si longtemps ? Parce que, qui l’a dit que celui qui souffre le plus c’est celui qui est trompé ? Ah oui, le contrat encore, le contrat de divorce ! 

Quand j’entends des hommes de ma génération se plaindre que leurs jeunes amoureuses se couchent sur le dos inertes et qu’ils se trouvent en difficulté devant des corps incapables d’être dans le partage parce qu’elles ont dans l’idée que le consentement est la part de leur contrat, je pleure. 

Sachez qu’au-delà de ce qu’il en sera légalement, le consentement sera toujours un glaçon dans le dos s’il n’est pas doublé de votre désir, si vous ne voulez pas qu’il vous touche qu’il vous embrasse qu’il vous éveille qu’il vous enlasse qu’il vous prenne vous pénètre jusqu’à la racine de vous-même !

Et les menteurs ? Oui, il y a des menteurs. Oui il y a des menteuses. C’est inique mais ça fait partie de la vie. Rien ne nous protègera des déceptions, alors justice dites-vous ? Ou bien vengeance ?

De grâce ne mélangez pas le viol et la mauvaise expérience !

Est-ce aussi simple ? 

C'est une question qui me travaille depuis longtemps au travers de mes rares histoires d'amour (aucune histoire de Q) ? Je ne vais pas faire le récit de ces histoires, juste évoquer où j'en suis. Et que je développe dans une écriture en cours, Your last video (porn theater) où un vieil homme comme celui de La dernière bande de Samuel Beckett fait le point, non sur son premier amour comme dans Beckett mais sur son dernier amour, 10 ans après la perte de l'amour de sa vie qui dans sa chambre d'hôpital, lui faisant un testament, osa évoquer leurs sexualités différentes avec une belle lucidité. (L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto)

Une révolution sexuelle ?/ Laure Murat

extrait de L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto, intrusion personnelle dans une note de lecture

LE PÈRE – ne me dis pas que tu ne t’en souviens pas, cet instant de félicité, au Baïkal, le 14 juillet 1970, quand on l’a conçu en le sachant, ce qu’il a confirmé en arrivant neuf mois après, un jour en avance

LA MÈRE – je m’en souviens, tu te souviens de quoi 

LE PÈRE – c’était le soir, on avait allumé un feu pour faire griller les omouls qu’on avait péchés, on avait porté deux toasts de kedrovaïa au lac, à l’amour, ça nous avait émoustillés, nous avons fait l’amour sur le plancher de l’isba de rondins blonds

LA MÈRE – j’aurais voulu que tu me baises
LE PÈRE – je t’ai fait l’amour
LA MÈRE – tu ne m’as pas baisée, tu m’as fait l’amour, pas comme j’attendais
LE PÈRE – tu m’as surpris, tu n’avais jamais été aussi ouverte
LA MÈRE – tu t’es retiré
LE PÈRE – tu m’as ramené en toi, tu l’as eu, ça ne te suffit pas
LA MÈRE – je n’ai plus jamais été Ouverte comme ce soir-là
LE PÈRE – je suis désolé, j’avais envie de m’abandonner, de me livrer à ton étreinte,
ça s’est bloqué
LA MÈRE – chez moi aussi
LE PÈRE – te plains-tu de nos étreintes
LA MÈRE – on fait l’amour comme tu dis, on ne baise pas, j’étais Ouverte par l’Appel de la Vie, ça pouvait ressembler à de l’indécence, 
je me suis sentie jugée, quelle violence, cette impression, pour la vie. Tu vois, mon sexe n’a pas oublié l’obscénité de ton retrait
LE PÈRE – je regrette vraiment de m’être refusé, peut-être par trop de respect pour ton corps 
que je ne voulais pas outrager
LA MÈRE – c’est ça, mon p’tit chat ; depuis, tu es le maître de cérémonies minutées avec paliers et plateaux, plus de place pour les effondrements dionysiaques, pour les envols mystiques. Tu ne ressentiras jamais où t’aurait mené une plongée sauvage, sans calculs, dans ma béance
LE PÈRE – tu as quand même du plaisir
LA MÈRE – plaisir, plaisir, petit mot qui convient bien à une pâle jouissance, sans retentissement au profond du corps et de l’âme. Fusionner avec le Tout, des Femmes rares connaissent.
Aurais-je pu connaître la Grande Vie Cosmique, pas la petite mort orgasmique
LE PÈRE – pourquoi avoir mis si longtemps à en parler 

LA MÈRE – je n’aime pas les mots sur ça, ma sexualité s’est mutilée avec sa conception, ma vie s’est arrêtée avec sa disparition, je veux regarder sans terreur cette horreur
LE PÈRE – moi, je ne peux pas

extrait de Your last video (porn theater) en cours d'écriture depuis septembre 2016, intrusion personnelle dans une note de lecture
lecture publique de ce texte, le vendredi 17 avril à 19 H 30 à la Maison des Comoni au Revest
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Samuel Beckett – conclusion de cette histoire d'amour sans Q / pages inutiles ! à supprimer !
LUI – quand Samuel, tu dis règle 4 son corps son corps son corps ton corps et du temps du temps du temps du printemps du contre-temps / caresses et lèches /  ce sont les mots d'un technicien qui sait faire monter le désir / provoquer les jouissances / je crois d’ailleurs que t’as pas pratiqué ce que tu préconises / t’as renoncé à ton premier amour pour te consacrer à l’écriture du vide / bref, tes mots, je les reçois, différemment / ELLE, physiquement, un peu impressionnante pour le gabarit que je suis / aucune pratique de ce genre de femmes / je savais que je ne pourrais être un modèle de mâle viril / j'aurais donc été d'une infinie patience / écoute d'un corps / découverte d'un corps / apprivoisement d'un corps / au Bar de la Pipe, j'ai osé lui parler de ma sexualité de vieillissant qui serait ce qu'elle serait, sans recherche de performance / qui serait une sexualité limitée en tant que sexualité masculine / découverte d'une sexualité féminine et masculine
Samuel Beckett – là parle le Q / là parle la bête la bite la vie le vit / le Q c'est sans imagination le Q c'est corps à corps 
É Say Salé – t'es cru Samuel ! LUI, préfère le cuit, le réchauffé / LUI, as-tu une vision de cette sexualité féminine-masculine inventive ?
LUI –  le présent et l'avenir de l'humanité sont dans le féminin que chacun porte en lui pour pacifier le masculin guerrier ou le féminin cannibale ; le masculin, même chez la femme, est dominant et donc féminiser c'est tenter de rééquilibrer
É Say Salé – ça reste au niveau des idées / en pratique ? / est-il vrai que le Q c'est corps à corps ? / peut-on entendre des voix de Femmes avec F majuscule s'il vous plaît ? / je me suis donné le droit de convoquer d'autres Femmes que LUI connaît
une voix de 70 ans, la Visionnaire, ouvreuse de voies et de voix – les années Marilyn et BB ont marqué le corps des adolescentes, deux registres opposés et complémentaires, l'artifice débouchant sur la grâce, le charme et le naturel débouchant sur le rejet avec légèreté des corsets ; les hommes, eux, sont demeurés dans un corps ancestral, transmis par les mères à l'ancienne ; le féminin réel leur est inabordable, illisible à partir des archétypes appris, incarnés, désirés. Les femmes d'aujourd'hui sont en pleine construction d’un « féminin », d'une Histoire des femmes tandis que les hommes, collectivement, n’ont pas encore fait le premier pas qui les sortirait de leur Préhistoire
Samuel Beckett – neurones mâles concentrés en bas (rire)

une voix de 46 ans, la Femme cosmique – j'ai cheminé dans mes pratiques d'amour sublime ; aujourd'hui, je peux faire l'amour à la roche, au ciel, à l'arbre, je peux être bête à quatre pattes et belle au bois endormie, j'ai un goût prononcé pour la vieille sorcière cachée dans une grotte, je peux faire l'amour à mille guerriers casqués se jetant d'une falaise avec leurs chevaux. Dans ce cheminement d'amour incarné, je me sens plus intime avec mon masculin. J'aime faire l'amour pour de l'inédit et pas seulement pour passer mon excitation

 

La voix – mais c'est de l'érotisme panique que tu nous proposes (rire)
Samuel Beckett – neurones hormones femelles concentrés là où ça palpite, variable selon les humeurs variables des femmes = femmes agitées = impossibles à tranquilliser (rire)
É Say Salé – en disant Point, vous avez eu le dernier mot, ELLE ; la réciprocité en amour est une condition de sa réalité et de sa durée ; vous n'avez pas voulu être sa réciproque. Point. Mon rôle d'hétéronyme est terminé. Point.
Samuel Beckett – cette histoire d'amour à sens unique débouchant sur un sens interdit / (rire) fiasco foirade / histoire de rien texte pour rien / 

Le vieil homme – pas texte pour rien / comment faire l'amour de manière divine / ça que lui voulait LUI / pas clair faire l'amour de manière divine = amour inclusif de tout et non passion exclusive d'un, d'une = amour de la création, de Ça créé d’avant, de ça que tu vas créer = amour du minéral, du végétal, de l'animal, de l'humain = inspiré par la Beauté, en recherche de la Vérité agissante = le Monde = oeuvre de l'Amour selon les 10 échelons à la sauce Platon, (au public) allez répétez avec moi : porneia, pothos, mania, eros, philia, storgè, harmonia, eunoia, charis, agapè ; devenez grecs, pas nippons

 

Samuel Beckett – ton idéal ? le yaourt-amour à la grecque (rire) ? Connerie ! Sois homme, simplement = sexe-sexe terre à terre  (rire)

La voix – 3 personnages pour représenter le même : le vieil homme, É Say Salé, LUI, des états quantiques de l'auteur ? (silence) et moi ?

 

Le vieil homme – c'est le même à des places et moments différents = superposition des identités à la sauce quantique ou botanique ; toi ?

 

La voix – là pour te stimuler le bulbe ? ton livre d'éternité s'imprime à tout instant, indépendamment de ta volonté, 

dans tes neurones hippocampiques mais long temps ne fait pas éternité 

mort de ton corps = mort de ton cerveau / plat l'électro / 

mort de tes neurones même si ADN vit encore 1 million d'années après toi / 

donc clonable le vieil homme = éternité enfin trouvée ? 

clone c'est toi mais pas à l'identique donc pas toi, sauf erreur

est-ce la fin des questions ?

s'il est vrai que le passé ne s'efface pas, sauf erreur

il y a bien alors des traces éternelles de ce qui s'est passé, sauf erreur – 

tu as accepté d'appeler ce livre d'éternité âme, ton âme 

âme que tu acceptes de rendreque la faucheuse te prend serait plus juste

l'âme tu pourrais l'appeler aussi la conscience 

il y a tant à dire sur la conscience – savoir polémique en cours d'élaboration –

je choisis le silence – 

que la lumière te vienne, archer aveugle 

de l'intérieur, du noir du crâne 

il n'y a pas d'extérieur, tout y est noir sans ton cerveau qui voit 

................................................................. 

 

photo fournie par Bruno Boussagol, Gregory Peck et Ingrid Bergman ? pas sûr du tout, impossible de trouver trace d'un film avec cette photo; illustration superbe de nouvelles relations à inventer à 2, par des milliers de duos sans duels

photo fournie par Bruno Boussagol, Gregory Peck et Ingrid Bergman ? pas sûr du tout, impossible de trouver trace d'un film avec cette photo; illustration superbe de nouvelles relations à inventer à 2, par des milliers de duos sans duels

Le chapitre le plus long, le V, The elephant in the screennig-room, traite de la représentation de la femme dans le cinéma qu'il soit d'auteur ou de grand public et de la quasi-absence de femmes dans la profession à tous les niveaux mais d'abord comme réalisatrices comme dans les récompenses. Le cinéma est sous domination masculine. Et ce constat révèle que le patriarcat est un système d'oppression, pas prêt de se remettre en question puisque c'est l'ensemble des pouvoirs qui sont entre les mains des hommes d'où le titre du chapitre 1 sur l'affaire Weinstein : révolte ou révolution ? Les mouvements # metoo, # balance ton porc sont des mouvements de révolte qui feront changer, à terme, peut-être, avec bien des polémiques, de la violence, dans la longue durée, des comportements individuels et collectifs. 

Un autre volet de ce chapitre est le statut de l'oeuvre, les rapports entre l'oeuvre, le créateur et l'homme. En France, c'est Proust qui donne le la avec son Contre Sainte-Beuve. Roland Barthes tente la déconstruction de cette conception avec son texte La mort de l'auteur. Je renvoie à deux articles éclairants ci-dessous. L'idée de la séparation de l'homme et de l'artiste d'une oeuvre, position encore très majoritaire, mérite d'être interrogée. Personnellement, je me suis séparé d'auteurs dont le comportement éthique était discutable, genre être payé pour une écriture et ne pas rendre de texte; ça m'est arrivé avec deux auteurs. Je pense qu'éditeur depuis 1988, je n'aurais pas édité du Matzneff. J'ai par contre commandé, demandé des textes sur l'affaire Gabriel Russier ou sur l'affaire Agnès Marin.

https://www.fabula.org/atelier.php?Proust_contre_Sainte%2DBeuve

https://www.fabula.org/compagnon/auteur1.php

http://les4saisons.over-blog.com/article-19639102.html

http://les4saisons.over-blog.com/2016/02/elle-s-appelait-agnes.html

 

En conclusion de cette note de lecture que je pense fidèle et en même temps personnelle parce que je me suis senti interpellé entre autres par le chapitre sur le consentement, 

(est-ce l'effet de vie théorisé par Marc-Mathieu Münch
La théorie de l'effet de vie est une théorie des arts fondée sur la découverte d'un invariant mondial. On le trouve dans les textes des grands artistes de tous les arts et de toutes les cultures.
Il implique l'existence d'une aptitude d'homo sapiens à l'art. Il affirme qu'une œuvre d'art est réussie lorsqu'elle crée dans le corps-esprit d'un récepteur un "effet" qui n'éveille pas seulement les affects, mais toutes les facultés et ceci dans la cohérence.
Une œuvre réussie est donc une œuvre vivante et une œuvre de vie. Il faut, pour l'étudier, une science humaine spécifique fédérant le riche apport des autres sciences qui s'intéressent à l'art et étudiant de près les corollaires de l'invariant de l'effet de vie
),

je dirai que ce livre doit faire l'objet de discussions apaisées si possible entre femmes et hommes de bonne compagnie, soucieux de fonder de nouveaux rapports entre H et F, 

inventeurs de nouvelles façons d'aimer 

en renonçant à notre pouvoir sur l'autre

il semble plus facile d'être aimé que d’aimer,

donc, au lieu de tenir l'amant ou l’amante déclaré(e) en haleine, 

ne vaut-il pas mieux cheminer avec lui-elle, 

par le dialogue et les actes, les gestes, 

construire ensemble une histoire d'amour 

par approximations, ajustements, transparence progressive,

et ainsi de proche en proche, 

diminuer la violence, la souffrance 

née des amours mortes en un jour, 

dispenser et accroître l'Amour, 

une évolution, une révolution pacifique, 

de l’intime 

vers l’extime

(voeux pour 20vin à décliner en mode perec, prévert, oulipo et personnel)

 

Jean-Claude Grosse, Le Revest, le 3 janvier 2020

 

Je renvoie à un livre de Catherine Millot.

En 2015, elle tente, en publiant La logique et l'amour, de relancer le projet de Lacan 

de faire de la psychanalyse le lieu de l'invention d'un nouvel art d’aimer courtois.

Evidemment depuis l'affaire DSK puis l'affaire Weinstein, depuis metoo, balance ton porc, depuis la tribune dite Deneuve en défenseur de l'art de séduire à la française, avec l'affaire Polanski, l'affaire Gabriel Matzneff, l'affaire Adèle Haenel, on peut se demander si c'est possible dans un monde à domination patriarcale. 

Le livre de Laure Murat, Une révolution sexuelle ? Réflexions sur l'après-Weinstein, chez Stock, me paraît essentiel pour faire le point et habiter la contradiction, à conscientiser si possible, qu'est le "consentement".

 

On en parlera lors de la prochaine réunion du groupe penser, écrire, agir l'avenir, dimanche 9 février 2020, salle des mariages de la mairie du Revest. Et on mettra en lecture un livre important d'Yvan Jablonka: Des hommes justes, du patriarcat aux nouvelles masculinités

pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...
pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...

pour sortir de l'impasse, deux livres, oui, des livres et des rencontres et un travail sur soi et des choix politiques...

une question non abordée par Laure Murat dans son livre est qu'est-ce qui est condamnable? et comment ? elle montre les effets pervers de la judiciarisation de la société américaine (confidentialité dans les contrats privés, gestion des dégâts potentiels) mais n'aborde pas vraiment la question des normes ; il y a à distinguer l'éthique (à définir comme fondant les choix personnels de style de vie, de sexualité, de rapport aux autres, au monde; Marcel Conche en distingue un certain nombre, éthique de la gloire, éthique de la fortune, éthique du courage, éthique du mieux...), la morale (à définir comme fondant les valeurs communes à tous, Kant est essentiel à cet égard ou Marcel Conche avec Le fondement de la morale...) ; Yvon Quiniou, philosophe, évoque une troisième voie entre éthique et morale, le devoir de vertu à travers deux essais sur l'éloge de la prostitution par Emma Becker, paru dans Le Monde, il y a peu et dont il juge qu'elle est condamnable, pourquoi et comment

https://blogs.mediapart.fr/yvon-quiniou/blog/231219/lamour-ou-le-libertinage-contre-la-prostitution

https://blogs.mediapart.fr/yvon-quiniou/blog/020120/au-nom-de-quelles-normes-peut-ou-doit-condamner-la-prostitution

un livre majeur, passé aux oubliettes; que nous dit la biologie sur le viol

un livre majeur, passé aux oubliettes; que nous dit la biologie sur le viol

Auteurs de nombreuses publications qui font autorité, Randy Thornhill enseigne la biologie à l'Université du Nouveau-Mexique et Craig Palmer l'anthropologie à l'Université du Colorado. Dans ce livre, publié en anglais par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), les auteurs, par une approche socio-biologique, élucident enfin le problème du viol pour lequel on n'avait, jusque-là, que des réponses insuffisantes, tant pour le prévenir que pour aider les victimes. 325 pages, livre paru en 2002

À la sortie du cinéma, une femme suit jusqu'à sa voiture l'homme qui l'a invitée. Au lieu de la ramener chez elle, ce dernier verrouille les portières et la viole. Pourquoi cet acte répugnant qui laissera une victime traumatisée et un agresseur probablement honteux ? La psychologie et la psychiatrie traditionnelles ne manquent pas d'explications l'homme a violé peut-être parce qu'il déteste sa mère, ressent le besoin de dominer les femmes, est adepte de pornographie violente, a été élevé dans une culture patriarcale, a été lui-même objet d'abus sexuel, était ivre, etc. Ces explications, si pertinentes qu'elles soient, nous éclairent uniquement sur les causes proches du viol. Pour mieux prévenir cet acte horrible, il faut aussi en comprendre les causes premières, qui sont biologiques. Alors seulement la victime peut s'expliquer certaines réactions étranges liées au viol, par exemple pourquoi même son partenaire ne la soutient pas sans réserve comme il l'aurait fait dans le cas d'une agression non sexuelle. Le viol fait des ravages en dépit de toute culture, morale et religion : près d'une femme sur six en est l'objet, 60 % des victimes ont entre 11 et 29 ans, et il est probable que trois victimes sur quatre ne le déclarent pas, gardant pour elles un terrible fardeau qui les marque à jamais. Thornhill et Palmer s'élèvent contre cet échec avec une explication scientifique du viol qui peut enfin nous permettre de comprendre et d'agir. Des faits, pas d'idéologie.

Réaction à la note de lecture de Jean-Claude Grosse

 

J’ai apprécié les réflexions que nous livre J.-C. Grosse à propos du livre de Laure Murat sur l‘affaire Weinstein, ce qui suscite mes propres réflexions rapides, en écho. Dans l’ordre, donc.

1 Il a raison de souligner l’opposition entre le traitement des affaires de mœurs aux Etats-Unis et en France. Là-bas un puritanisme officiel d’origine religieuse, mais qui se double d’une judiciarisation hypocrite puisqu’on permet aux auteurs d’agressions sexuelles de payer leurs victimes pour qu’elles ne portent pas plainte – ce qui évite les scandales publics qui pourraient porter atteinte à l’image de leur nation. La France a une tradition bien plus ouverte ou libertine/libérale dans ce domaine, au point que des femmes connues ont pris position pour ne pas condamner trop vite les sollicitations des femmes par les hommes, ce qui n’est pas aberrant. Sauf que ces militantes féministes d’un nouveau genre, devraient s’inquiéter aussi de la réalité sociale de la prostitution dans notre pays, que Grosse rappelle justement, comme elles pourraient dénoncer ce qui demeure de la domination de l’homme sur la femme ici.

2 Cela suscite normalement une question délicate, celle de la différence entre l’homme et la femme, différence au nom de laquelle on a pu justifier leur inégalité sociale. Il évoque avec faveur, apparemment, l’idée qu’il y aurait là une construction culturelle, s’appuyant sur Lacan affirmant d’une manière provocante que « La Femme n’existe pas », ce qui rejoint, semble-t-il, F. Héritier. Je n’irai pas jusque là, quant à moi. Je suis attaché à la féminité, je dois l’avouer, il est possible que cet attachement renvoie à mon histoire affective personnelle et il est dangereux de théoriser à partir d’une disposition individuelle ! Mais outre que je ressens d’emblée cette différence (avec des degrés bien entendu, car il y a des femmes « masculines » !) et que j’ai donc une attirance pour LA Femme, je pense vraiment qu’il y a un noyau minimal de différenciation qui tient à la différences des sexes et cela n’interdit en rien leur égalité, qui n’est pas l’identité. Et s’agissant de l’égalité/identité je n’aimerais pas que les femmes acquièrent les défauts insupportables des hommes… au nom de l’égalité ! Je préfèrerais que les hommes deviennent davantage « féminins » et j’adhère à la formule d’Aragon, en la modifiant un peu : « La femme devrait être l’avenir de l’homme ».

3 Le thème du consentement est un thème terriblement actuel quand on sait que nombre d’agresseurs sexuels prétendent ne pas avoir été des agresseurs étant donné que leur victime aurait été consentante. Et l’on sait tout particulièrement ce qu’il en a été avec le cas de G. Matzneff en dehors même de sa pédophilie assumée. Je renvoie à ce qu’en dit avec précision Grosse et Laure Murat, et je suis d’accord pour affirmer que la notion de « consentement » est bien trouble et bien pratique –« zone grise » est-il dit – pour les agresseurs supposés puisque les victimes sont souvent soumises à un effet d’« emprise » qui les amène à dire « oui » à ce qui leur arrive. Reste qu’on ne peut pas exclure totalement que, dans certains cas, il puisse arriver que la victime nie après-coup un consentement auquel elle s’est laissée prendre et ce pour des raisons « intéressées ». D’autant que la séduction est en jeu et qu’il est parfois difficile d’avouer que l’on a été « séduite » et, donc, que l’on « s’est laissée séduire » ! Mais je passe car la question est délicate et je partage les hésitations de Grosse à se prononcer radicalement.

4 Le malentendu. La citation de Baudelaire, que je ne connaissais pas, est magnifique dans son pessimisme même et elle est aussi terriblement déstabilisante, surtout pour quelqu’un comme moi qui croit fortement, heureusement ou malheureusement, je ne sais, à l’amour. Elle a une extension universelle qui interdit de la réduire au domaine amoureux et elle m’interpelle dans mon optimisme foncier quant à l’homme et aux rapports interhumains, tant je pense, avec Marx, que l’histoire façonne les êtres humains sur le plan psychique et moral. Quant au plan de l’amour, qui est en jeu ici, je ne peux réagir au récit que nous donne Jean-Claude, inspiré de Beckett, mais qui fait écho, si j’ai bien compris, à ce qu’il a réellement vécu avec sa première femme qu’il a beaucoup aimée, mais d’une manière un peu douloureuse puisque liée à une espèce de malentendu sexuel entre eux, à « leurs sexualités différentes ». Ce genre de malentendu existe fréquemment, surtout dans les sociétés ou les milieux sociaux où le mariage en couple ne repose pas sur un « consentement libre » (c’est le cas de le dire) de part et d’autre. Mais il peut aussi exister dans des couples authentiques, du fait du conditionnement culturel ou de la biographie qui ont pu façonner un rapport différent, moins intense à la sexualité chez la femme, par comparaison avec l’homme. Comme il est dit, souvent « l’homme propose et la femme dispose ». 

Reste que, partisan inconditionnel de l’amour tel que je me le représente et tel que je l’ai vécu longtemps, je penserais volontiers que l’amour peut être un domaine où le malentendu n’a pas lieu, où il peut être évité. Je pense ici très précisément à la manière dont René Guy Cadou et sa femme Hélène ont vécu leur amour sous une forme profonde et authentique, où c’était la réciprocité parfaite, apparemment, qui se réalisait. Les poèmes de Cadou et certains écrits d’Hélène sur lui en sont un remarquable témoignage, y compris sur le plan de la relation charnelle ! L’amour, donc, comme solution possible au malentendu déclaré universel par Baudelaire.

5 Reste la question subtilement abordée du rapport d’une œuvre à son créateur. Je dirai simplement que je suis contre le  Contre Sainte Beuve de Proust… surtout si l’on pense à quel point il s’exprime dans son œuvre en évoquant son enfance (rappelons-nous la scène du baiser de la mère, le soir, au début de La recherche). Mûnch, cité avantageusement par Grosse, a ici totalement raison d’enraciner l’œuvre d’art, spécialement littéraire, dans la subjectivité concrète de l’auteur, d’y voir donc un « effet de vie », un effet de sa vie, dès lors qu’on admet aussi, comme le fait Münch, que le fond vital lié à l’auteur est mis en forme selon des règles ou des critères formels justement, esthétiques, donc sublimé, transposé par l’imagination aussi, ce qui fait qu’on ne peut pas le deviner d’emblée. C’est pourquoi il faut également dire que la musique est expressive, qu’elle n’est pas seulement un jeu de formes sonores, qu’elle a un contenu affectif latent et qu’elle est donc un langage, ce qu’une certaine mode idiote ou, en tout sa superficielle, prétend !

6 Quant à Lacan, je m’abstiens : je l’ai lu, mais je ne suis pas « lacanien ». Je trouve que c’est un imposteur, un phraseur maniéré, même s’il peut avoir des formules séduisantes, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient justes. Sur le plan théorique, il a enfermé la psychanalyse dans le langage et tiré Freud vers une sorte d’idéalisme linguistique. Or la conception de Freud est matérialiste et il accorde une importance considérable à la dimension biologique des pulsions, le ça, base des autres instances de l’appareil psychique construites avec l’aide de l’éducation. !

 

Merci donc à J.-C. Grosse de m’avoir permis de dire tout cela, même rapidement, en écho à ses commentaires d’un livre que je n’ai pas encore lu !

Yvon Quiniou

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