Balade dans le sud marocain
Balade dans le sud marocain
par Grossel et son guide Ya.Smine
Cette balade a duré 6 jours, au départ de Marrakech, du 23 au 28 octobre 2008, après deux jours de pluies abondantes, à deux, avec un bon 4X4, pique-nique vers 13 H, là où ça nous plaisait, soirée en gîte d’étape, simple, avec cuisine locale.
1° jour : nous partons vers le sud par le Tizi n Tichka, pluie et neige vers le col, puis 40 kilomètres de piste en 4 heures entre Telouet où se trouve la casbah en piteux état du Glaoui et la casbah d’Aït Ben Hamoud, déjà vue en 2006, que nous saisissons aux feux couchants, l’idéal.
Heureusement, aucun véhicule pendant la descente abrupte de je ne sais quel col.
Nuit à Tamdaght, à La Cigogne, tenue par de jeunes marocains, village plus authentique qu’Aït Benhadou, près de la casbah où vit Bahia que nous n’avons pas vues, partis trop tôt le lendemain matin après achats chez Omar, l’antiquaire qui a une caverne d’Ali Baba d’objets magnifiques et à bons prix.
Arrivée par une route magnifique sur Tafraout, après avoir traversé au pas puis à pied, un village où se déroulait un « moussem », une fête traditionnelle. J'achète 6 kilos de dattes de Tata, pareilles à celles de Zaghora, appréciées en 2006.
Nous logeons 3 jours à La Tête du Lion agréable hôtel tenu par Christophe et Hakima.
3° jour : nous passons 5 heures à Eden Rocks, au coin des rochers peints par
un artiste belge, en 1984, coin très visité aujourd’hui, comme quoi le land art peut ouvrir des perspectives. Nous découvrons et baptisons plusieurs rochers naturels non répertoriés dont l’impensable Richard Cœur de Lion. Mais aussi le dauphin, l’aigle, les cavaliers teutons, le singe…
4° jour : promenade dans la palmeraie d’Aït Mansour, le matin et longue visite au souk d’Aït Abdallah. De nombreuses photos prises par Ya.Smine, portraitiste de talent, Marocain de cœur, qui s’est mis à l’arabe et s’ouvre ainsi les cœurs et les visages.
Comme il a plu, c’est déjà tout vert, la terre est meuble et les femmes travaillent avec le soc et le mulet, de petites parcelles. Pas d’hommes, au travail ailleurs, en ville ou en Europe.
L’après-midi, retour à Tafraout par un immense plateau. De nombreuses maisons luxueuses en plein désert. Les « soucis » préparent leur retraite.
Soirée et nuit au Palais Sallam en chambre double, en mezzanine avec terrasse, la pointe de luxe à prix honnête, nécessaire pendant une balade.
Ce qui m’a frappé après deux ans d’absence : l’impressionnant travail d’infrastructure, pistes devenues routes, électricité partout, téléphone partout, désenclavement, signalétique des douars et villages, constructions neuves partout dans les endroits les plus inattendus, grandes maisons construites par ceux qui vivent et travaillent en Europe, en France avec leurs commerces ouverts tard le soir, les « soucis ».
Dommage que l’éducation soit à la traîne, en matière d’hygiène, de propreté.
Comme par hasard, c’est dans les centres des petites villes que les rues et routes sont défoncées.
Merci à Ya.Smine pour cette balade, hors circuits touristiques.
- J’assiste à deux vernissages (je n'ai pas de reproductions à proposer; mille excuses du pays des mille et un paysages):
_un de peinture à la galerie Artes Mundi, belle galerie toute en profondeur ce qui crée une belle proximité, intimité avec l'oeuvre de Rachid Zizi, artiste modeste qui a déjà une clientèle et déjà reconnu, qui a envie d'aller plus loin, ailleurs et a fait des avancées en 5 ans, que l'exposition permet d'évaluer (bonne continuation donc, Rachid, et à 2010, peut-être), exposition visible tout novembre 2008
_un de céramiques: Mailles d'émail de Kamal Lhababi, artiste de dimension internationale, dans les allées des hôtels Saadi, sur le thème des costumes d'apparat, céramiques tout à fait abordables par leurs prix (commande lui a été faite de grandes fresques en céramique, il y a quelques années, fresques à voir absolument dans le hall du Casino des Saadi, fresques s'intégrant à merveille à l'architecture de ces lieux: Les jeux, Les cinq sens et le sixième, L'arrivée du poète Saadi à Marrakech, Les lions de l'Atlas), exposition visible tout novembre 2008.
- Je rencontre le photographe de la revue, Mostapha Romli, lui fait une analyse de ce que j’ai pu constater en regardant les reproductions. Échanges en cours et en vue.
- Je rencontre aussi Sijel, un pharmacien renommé de Casablanca qui s'est lancé dans la production et la commercialisation de produits marocains destinés à la cosmétique et à la cuisine traditionnelle. J'éditerai peut-être un livre aux Cahiers de l'Égaré. On peut avoir une idée de ce travail avec Charme du Maroc.
- Je regarde Ya.Smine travailler ses toiles ainsi que Chérifa Rabeh. Ils ont exposé avec succès tout septembre à La Maison des Arts de Rabat.
En deux ans, ils ont gagné en maîtrise et en propositions, chacun dans son registre. Je ne suis pas étonné que Chérifa ait été retenue par la revue.
Grossel à Marrakech, le 4 novembre 2008
Fondamentals by Chérifa
L’évolution de la peinture de Chérifa Rabeh
et Jean-Pierre Grosse (Ya.Smine)
artistes-peintres résidant à Marrakech
Je n’avais pas vu leur travail depuis novembre 2006. Voir des reproductions d’œuvres en catalogue internet et voir les œuvres réelles sont deux expériences différentes, la première permettant de saisir des ensembles, des cohérences, la seconde de saisir des singularités, les deux expériences se complétant donc car des œuvres singulières peuvent aussi constituer une œuvre « ouverte », un ensemble construit par le regard et la pensée de l’observateur, du peintre aussi bien.
Si j’essaie d’appréhender l’évolution de Chérifa Rabeh-Grosse, outre le passage à des formats plus importants, 80X100cm, je note la part essentielle prise par les compositions florales, souvent agrémentées d’une théière, compositions dont la richesse chromatique, la chaleur plutôt est communicative. Voilà une peinture subjective, peu soucieuse de netteté, éclairée de l’intérieur par une énergie, une vitalité qui se communiquent au spectateur. Peinture qui nous veut du bien, invitant à saisir la toile dans sa totalité mais aussi à la promenade du regard, voyage aléatoire au gré des formes et couleurs et qui fait chaud au cœur, procure du bonheur, l’espace d’un présent qui dure le laps de temps qu’on veut bien lui donner. Peinture donc de la liberté, de la libération car la liberté n’est que la succession des libérations que nous nous créons. Les gris de notre vie routinière sont avec les fleurs de Chérifa, coquelicots en particulier, dissous dans la profusion et l’éclat, la vitalité de la nature. On en oublie l’éphémère de la fleur pour se nourrir de son offrande gratuite, don sans contrepartie, voie d’une vie autre, nouvelle, la vraie vie.
Si j’essaie d’appréhender l’évolution de Jean-Pierre Grosse, outre le passage à des formats plus importants, 120X100cm, je note deux partis-pris nouveaux, des portraits très acérés dans le trait, d’une netteté, d’une vérité pouvant aller jusqu’à l’insoutenable, jusqu’au malaise, portraits en outre souvent présentés en triptyques donc relativisant toute saisie, la dynamisant aussi, obligeant à promener le regard alors qu’il a tendance à se fixer sur un visage. C’est le cas de « A certain vision of life ».
On fait là une expérience phénoménologique qui mérite que je m’y attarde un peu. Regarder un visage ne va pas de soi. S’autorise-t-on à le regarder franchement, à le capturer, le saisir ou préfère-t-on le découvrir par effleurements, regards de biais, sans insistance comme une caresse, avec respect. Voilà que regardant mon regard, je prends conscience de mon rapport à autrui.
Autrui regardé, vivant, réagit à mon regard, modifiant mon nouveau regard, intimidé ou rassuré.
Autrui regardé, peint, se livre à moi dans son intensité, sa vérité, son éternité, expérience apparemment simple, en réalité impossible. Bien que s’offrant comme un tout, le visage est appréhendé comme un mystère : il semble vouloir me dire ce qu’il est et je ne saisis pas ce qu’il exprime. Je fais l’expérience de l’indicible, la vérité de ce visage m’est inaccessible : je vois bien la dureté de la vie marquant ce visage ridé, buriné mais comment se situe-t-il par rapport à cette vie, sa vie, acceptation, protestation, résignation, révolte, acquiescement, voilà quelques mots dont je mesure l’insuffisance.
De même pour ce regard de femme, « Nasrine », magnifique, quelle expérience intime j’en fais, non partageable ?
Voilà deux artistes sans grosse tête, authentiques chercheurs de beauté, de chaleur, de vérité définitive ou de vie éphémère, avec lesquels on fait des expériences à la fois esthétiques, existentielles, philosophiques, si on est disponibles, prêts à prendre le temps de longuement regarder, ce qui n’est pas fréquent dans le monde de l’ « art » livré aux marchands et aux snobs.
Dans le dernier N° de Maroc Premium, remarquable N° consacré aux peintres marocains contemporains, Chérifa Rabeh-Grosse a été retenue parmi 70 artistes. C’est là un signe de reconnaissance qui devrait s’étendre dans un prochain N° à Jean-Pierre Grosse, Marocain de cœur, exprimant à travers ses portraits, non l’exotisme marocain mais l’universel humain d’avant le temps des chairs bouffies, des visages sans âge traités aux cosmétiques.
De ce N° lu en totalité, je dirai qu’il présente un panorama intéressant d’artistes contemporains, qu’il fait un état des lieux sans complaisance des avancées et des difficultés, des carences. Une aporie se découvre à la lecture : l’oscillation entre un point de vue marchand et un point de vue artistique. L’art peut-il se passer du marché ? Comment faire pour que le marché ne fausse pas la valeur artistique par la valeur marchande ? Comment un artiste peut-il sauver son âme et son art en étant commercial ? Jusqu’où ? Le modèle occidental n’est pas une garantie : la multiplicité des appréciations n’empêche en rien les modes, les exclusions, les combinaziones, les usurpations, les impostures, les oukazes, que cela vienne des fonctionnaires de l’art, des marchands d’art, de la presse spécialisée, des spéculateurs, des réseaux d’influence.