Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Blog de Jean-Claude Grosse

La Nature et nous / Marcel Conche

12 Septembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #jean-claude grosse

paru en septembre 2019

paru en septembre 2019

 

La Nature et nous

Marcel Conche

HD essais 2019

 

Marcel Conche, âgé de 97 ans, aveugle d'un œil, diminué de l'autre œil, écrit presque chaque jour, à la main, à l'aide souvent d'une loupe mais aussi en sentant le tracé des lettres et leur succession. Il livre ses pages d'écriture à une amie lointaine qui les relit, les déchiffre et les tape à l'ordinateur. C'est elle qui lui a proposé ce service.

De quoi s'agit-il ? D'une discipline d'écrivain ? D'une hygiène intellectuelle ? D'une envie de poursuivre une œuvre très abondante ? D'un besoin de continuer à user de sa raison en vue de la vérité ? D'un désir de se souvenir, de se raconter, au fil des humeurs ?

Marcel Conche est conscient que son œuvre est derrière lui, que quelques livres resteront parce que ce sont des références, ses Fragments d'Héraclite traduits et commentés 1986, son Anaximandre 1991, son Parménide 1996, son Héraclite recomposé 2017. Viennent après, dans son jugement, son Lucrèce, son Épicure, ses 2 Montaigne. Il n'évoque pas sa propre philosophie dont Orientation philosophique 1974 et Présence de la Nature 2001 renvoient à ses deux métaphysiques.

Depuis quelques mois, après la série des Journal étrange (6 volumes) où déjà l'écrivain prenait le pas sur le philosophe, Marcel nous livre des essais de 1 à 3 pages dans l'esprit de Montaigne, « c'est moy que je peins » : Regain en août 2018, Regard(s) sur le passé en février 2019, La nature et nous en août 2019. 82 essais pour ce livre plus L'empreinte d'Émilie de 40 pages.

Comme je ne manque pas de lire tout ce que je reçois de Marcel, je suis bien obligé de constater que reviennent les mêmes souvenirs, les mêmes personnes, les mêmes épisodes, les mêmes récits, les mêmes lieux, les mêmes rêves, les mêmes désirs, les mêmes regrets. Radote-t-il ? Se répète-t-il ? Non, il n'y a pas deux feuilles d'un arbre identiques. Il n'y a pas deux Marcel identiques d'un récit à l'autre qui semble lui ressembler. Ressemblance mais aussi dissemblance, le Marcel qui écrit étant dans deux états d'esprit différents à deux ou quelques jours d'intervalle. On n'est plus au niveau d'idées qui s'exposent, s'articulent, on est en présence d'un homme toujours le même et à chaque fois différent. Si on est sensible aux humeurs qui sous-tendent ces récits, toujours très courts, c'est comme si on était plongé dans le fleuve héraclitéen de la vie et que parfois, on ressorte la tête pour une bouffée d'air, pour un regard sur tel aspect autour de soi ou en soi, le cerisier en fleurs, la rivière dans laquelle il trempe ses pieds nus, une pluie de baisers. L'écriture de ces moments captés est tenue, agrémentée parfois de termes de patois corrézien, de termes techniques employés par les paysans d'il y a 60 à 80 ans.

Pour ma part, je prends un vif plaisir à lire ces courtes chroniques, livrant un homme dans son irréalité dirait Émilie parce qu'éphémère, dans sa réalité d'être changeant je dirais car comme le dit Montaigne, se peignant, il peint non l'état mais le changement.

Je laisse à chacun des lecteurs le soin de vivre ses propres humeurs au contact des humeurs de Marcel, humeurs qui le mènent sur des chemins qui ne mènent nulle part comme il les affectionne. Aucune utilité à ces livres. Aucun apport au monde des idées. Des instants de vie d'hier revivifiés sur papier d'aujourd'hui avec l'humeur d'aujourd'hui. De la fugacité à tous les étages, passé, présent, futur. Quid d'un baiser échangé avec une telle ? Qu'aurait-il pu se passer avec telle autre le temps du tunnel dans le train de la peur du manège à Beaulieu sur Dordogne ? Le pétillant de muscat en apéritif le 27 mars ? Comment se suiciderait-il ? Comment ne se suiciderait-il pas ? Les cris de l'anguille jetée dans l'eau bouillante ?

 

L'essai occupant un statut à part consacré à L'empreinte d'Émilie reprend la 1° rencontre entre Émilie et Marcel, rencontre provoquée par une lettre sublime d'Émilie, rencontre et discussions ayant lieu à Treffort en 2001 puis par échanges téléphoniques et épistolaires, du 1° juillet au 18 décembre 2001. 7 ans ensuite de silence jusqu'au départ de Marcel en Corse pour un séjour qui durera un an et dont certains essais font le détail minutieux car Marcel tient carnets et agendas qui lui permettent de réactiver les souvenirs, d'en assurer l'authenticité.

La première rencontre avec Émilie est une rencontre de nature spirituelle. Marcel est emporté par un élan d'enthousiasme envers cette jeune femme de 40 ans de moins que lui et qui par son mysticisme l'entraîne vers des horizons qu'il ignorait. Elle lui fait découvrir la littérature persane, le soufisme. Émilie est de ces femmes qui s'engagent corps et âme dans une quête pour se débarrasser de l'ego, le moi souvent exacerbé, trop soucieux de son unicité, se vivant et se voulant séparé de tout ce qui n'est pas lui, pour se centrer sur la Vie créatrice, s'immerger dans l'Infini et l'Éternité de la Nature. Le soleil, le ciel, l'air, l'eau, le feu, la terre, les arbres, tout le vivant, tout ce qui existe, créations de la Nature, elle veut ne plus en être différenciée. Elle veut s'indifférencier mais pas dans un mouvement de néantisation (la mort est peut-être cela), dans un mouvement au contraire d'élévation et d'expansion aux dimensions de l'univers, du Tout.

Émilie pourrait être une de ces Femmes qui courent avec les loups (livre de Clarissa Pinkola Estès sur l'histoire et les mythes relatifs à l'archétype de la femme sauvage) ou une de ses Femmes qui se réinventent (livre de Monique Grande), autrefois on disait sorcières, elles avaient d'autres connaissances et pouvoirs que les hommes, savoir immémorial de l'instinct féminin, ce qui s'appelle aujourd'hui le féminin sacré ou le divin féminin et où on est très à l'écoute du corps qui n'est pas, surtout pas une machine pouvant être traité séparément de l'esprit et de l'âme (je note au passage que Marcel n'a pas d'amour particulier pour le corps ; aujourd'hui toutes sortes de pratiques tendent à nous réconcilier avec le corps qui doit être aimé, bien soigné ; on a une vision globale, holistique de l'ensemble corps-esprit-âme où le pouvoir de l'intention est activé)

Je comprends que Marcel ait été fasciné par une telle personne qui lui ouvrait ce qu'aujourd'hui on appelle les voies du développement personnel, de l'éveil spirituel, de la pleine conscience (avec tout ce qu'il y a à boire et à manger dans ces domaines où des gourous auto-proclamés se font plein d'argent sur le dos des gogos ; pas facile de trier, de trouver ce qui convient à notre cheminement JUSTE). Mais à vouloir des justifications, des explications et pas seulement des assertions, il ne pouvait que provoquer le silence d'Émilie. La vie spirituelle est semble-t-il voie d'accès à des formes de connaissance et d'expérience extra-neuronales, hors conscience cérébrale. Il faut renoncer à l'ego, aux pouvoirs de la raison analytique. La méditation que ne pratique pas Marcel est peut-être une voie à pratiquer pour accéder à ce qui animerait tout ce qui vit, des pierres aux arbres, des insectes aux hommes, à ce qui unifierait la diversité de ce qui est créé, qui ferait que nous appartenons à un univers fait de liens, d'inter-actions, d'énergie, d'informations. Tout est dans Tout, tout et réciproquement. La nature est en nous. Nous sommes des êtres de Nature, reliés à tous les autres, pas au-dessus ni en dessous, à égalité de considération, de respect, d'amour et de compassion. On sent à travers ce que dit Marcel (à l'attention qu'il porte aux araignées ou aux cerises aigre-douces par exemple) qu'il est proche de tout ce qui vit et qu'il pourrait aller jusqu'à une forme d'animisme.

Après un vagabondage inachevé vers le soufisme, il va de lui-même vers le taoïsme, sans l'influence d'Émilie mais c'est bien elle, en dehors de Heidegger, qui a marqué de son empreinte Marcel, lequel était dans l'Ouvert, disponible. Il avait 80 ans.

Le dernier mot du livre est Merci, Émilie.

 

Jean-Claude Grosse, 11 septembre 2019

un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement
un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement

un livre pour aller voir du côté de la femme sauvage, un livre pour les femmes qui veulent pratiquer les 9 enfantements amenant à leur possible accomplissement

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
Un article qui m'a appris des choses...
Répondre