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Blog de Jean-Claude Grosse

Mayacumbra / Alain Cadéo

28 Mars 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #jean-claude grosse, #notes de lecture

Mayacumbra / Alain Cadéo

Mayacumbra

Alain Cadéo

Editions La Trace, 2019

 

La lecture de ce roman d'Alain Cadéo, 417 pages, m'a pris environ quinze jours mais j'ai lu en un jour les 150 dernières pages. Parce que ça s'emballe. Un mauvais pressentiment. Et il suffit de penser mauvais pressentiment pour que ça arrive. Car le réel n'est que la projection, la réalisation de nos pensées, désirs, rêves. On est en pleine moussemouise aussi, quantique. Ce qui n'était pas se met à exister parce qu'un désir le fait exister. Désirs de vie, désirs de mort, éros et thanatos. 

Mayacumbra est le roman d'un éveillé. Cela est rare. Cela donne lieu à des bonheurs d'écriture innombrables. Un éveillé c'est-à-dire un homme qui sent, éprouve, vibre, au plus intime, du plus infime à l'infini, du moment présent, ici et maintenant à l'éternité installée dans ce moment présent, un homme qui ressent combien tout est relié parfois en harmonie, en grâce, en beauté, parfois en chaos, en conflit, en violence. C'est la qualité d'éveil de l'homme qui est le tremplin de l'écriture, inspirée, traversée de l'écrivain. Qui écrit ? L'homme, l'écrivain, la Voix derrière, la Source, la Bouche d'Ombre, la Bouche de Lumière, le Vide à haut potentiel d'où tout jaillit en fragmentation comme lave d'un volcan, la corne de Dieu.

Mayacumbra c'est une géographie à 4 niveaux, 

  • la forêt humide où vivent les hommes invisibles, sans doute une tribu primitive, très organisée, adaptée à ce milieu, ce climat d'insectes, de serpents, d'animaux venimeux et d'oiseaux comme les ibis, aux environs de 1000 mètres d'altitude

  • la zone tampon, faite d'arbustes, buissons, herbes de toutes sortes, une sorte de bush entre 1000 et 1500 m

  • la zone du volcan éteint, la corne de Dieu, entre 1500 et 2300 m avec 3 étages / l'étage de la source qui, abondante, transforme le bas en bourbier, on patauge dans la boue à Mayacumbra, / la plateforme à 2000 m, où le jeune Théo, 27 ans, va s'installer, construire sa cabane, son refuge en bois puis l'habiller de pierres du volcan, choisies et jointées par ses mains et au-dessus jusqu'au sommet, jusqu'au cratère, / une zone de laves sèches, sans végétation

  • et si avec un camion, on descend la piste sinueuse puis la route droite, on arrive à la ville à environ 50 kms de Mayacumbra, fin de piste, rien après, cul de sac ; la ville et ses trafics, ses marchés, ses plaisirs monnayés, ses tentations, ses mystères et secrets (celui de Lisbeth)

Mayacumbra, ce sont de drôles de zozos, de drôles d'oizeaux, des hommes cabossés, en fuite, au bout du rouleau, au bout de la piste, en quête d'absolu, d'argent, d'émotions fortes, d'invisibilité, d'amour, de chair humaine ; s'y côtoient les contraires qui s'assemblent, les semblables qui se supportent jusqu'à ce que ça craque ; je ne donnerai pas leurs noms ; il y a une vraie jubilation à les découvrir ainsi que leur portrait, leurs actions, leurs interactions ; il y a deux femmes, la chinoise et Lita, la magnifique Lita, jeune femme entre trois mondes, médiatrice entre la forêt et le volcan, entre le marais et le bush, femme entre deux hommes, parlant d'elle à la 3°personne quand elle monte à la cabane voir celui qui se considère comme le gardien du volcan, Théo, le bâtisseur, contemplatif et actif « tu lui liras ? tes mots lui font du bien ; elle se souvient de tes phrases ; en bas elle se les récite ; c'est comme une prière »là-haut, à 2000 m, sur une plateforme protectrice, la solide cabane qu'a construite Théo, 27 ans ; il cultive son jardin, cherche des pierres, aime Lita (il la rêve, elle viendra à lui), il tient son cahier de formules comme Montaigne en sa librairie, il sculpte érotiquement les poteaux porteurs de son refuge en compagnie de Ferdinand, l'âne; il est le facteur Cheval, le Gaudi du volcan.

Mayacumbra, c'est un roman de confinés aux confins du monde quand la vie, résumée aux petites habitudes, aux détails du quotidien pesant, soudain devient Vie par la part divine en nous, la part du jeu, de l'invention, de la créativité, la part du rêve éveillé, la part d'une graine qui envahit tout (le corps, le coeur, l'âme, l'espace) puis disparaît aussi vite qu'elle est apparue, la joie, quand aussi se déchaîne le Mal, la violence, la mort atroce, infligée par des hommes, quand enfin le feu, destructeur et salvateur à la fois, du volcan, bien vivant, de très ancienne mémoire, se déverse en lave en fusion emportant tout sur son passage, y compris la cabane et statufiant Théo. 

C'est un roman de vibrations (p. 248) et pour l'écrire, il faut être un diapason et au diapason.

retour sur Mayacumbra : on ne se débarrasse pas d'un tel roman en une note de lecture puisque lire c'est écrire l'oeuvre 
la mort est fort présente à la fin et c'est par ce thème que se termine le roman
Mayacumbra se termine par la lavification, la pétrification de Théo, gardien auto-proclamé du volcan et qui avait su, pu tisser des liens (vibratoires, au diapason) avec lui
avant l’éruption, une série d’assassinats particulièrement cruels, à froid, sadiques au possible, 3 assassins, 3 sortes d’assassins, Arnosen, le muet, Solstice, trois sortes de motivations
le nettoyage a été fait par Solstice, on peut penser que l’écrasement du muet libèrera le village mais l’absence d’Arnosen prive le village d’une sorte de régulateur, protecteur
survit Solstice qui, sûr, va se barrer; il a l'étoffe pour une nouvelle vie
Théo, le poète, le bâtisseur, statufié par la lave en fusion, se retrouve vite au milieu d’un petit jardin fertilisé par la lave (c’est toujours les fougères qui apparaissent en 1°, 3-4 ans après, vu à La Réunion)
par sa mort, il devient légende et protecteur bien plus efficace de cette zone entre 1500 et 2300 m car hommes invisibles de la forêt et petits blancs du village craignent les légendes, toujours chargées de menaces
l’éruption n’est pas rétablissement d’une justice immanente, elle coïncide avec des événements humains, une séquence violente et cruelle, l’éruption détruit et fertilise; le poète-bâtisseur est victime consentante par son obstination à monter, comme un sacrifice
il acquiert une dimension de légende par la parole d’autrui; d’être de chair, de poète avec ses mots, de bâtisseur avec ses mains, il devient poète de légende, porté par les mots des survivants et de leurs descendants, il s’est multiplié (il est multiplié) comme les petits pains; sa légende est à l'opposé de ce qu'il a été; vivant, c'est un voyant; pétrifié, c'est un rebrousse-chemin, un épouvantail
le paradoxe de ce roman est que ça finit « mal » alors qu’on avait affaire à un personnage fabuleux Théo, nous faisant aimer, la Vie, la Joie, l’infini, l’éternité, le présent et la présence, amoureux délicat, presque à l'ancienne; et tout bascule suite à un mauvais pressentiment, tout bascule dans la mort donnée à coeur joie et dans la mort donnée sans état d’âme (quoique) par le volcan
le roman nous laisse sur un mystère, le sort de Lita, la femme magnifique parlant d’elle à la 3° personne, comme absente d’elle-même alors qu’elle est si présente, si vivante au contact de Théo; on a aimé, on aimera encore cette chimère; bienvenue Lita dans les rêves où je t'inventerai

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